La Cité de dieu 69

tome 24 p. 346


CHAPITRE XXXVI.

 

Isaac, chéri de Dieu, en considération de son père, recoit les mêmes promesses et les mêmes bénédictions qu'avaient méritées Abraham.

 

Isaac reçut la promesse telle que Dieu l'avait faite, de temps en temps, à son père. L'Écriture en rapporte le récit en ces termes : «il y eut grande famine sur la terre, outre celle qui arriva au temps d'Abraham. Isaac s'était retiré à Gérara, auprès d'Abimélech, roi des Philistins. Là, le Seigneur lui apparut et lui dit : Ne descends pas en Égypte; demeure dans la terre que je t'indiquerai, mais comme un étran­ger, et je serai avec toi et je te bénirai. Car je te donnerai, ainsi qu'à ta postérité, toute cette contrée; et j'accomplirai le serment que j'ai fait à Abraham, ton père, et je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel, et je donnerai à tes descendants toute cette terre ; toutes les nations de la terre seront bénies dans ta race, parce qu'Abraham ton père a obéi à ma pa­role et gardé mes préceptes, mes commande­ments, ma justice et mes lois. » (Gen. xxvi, 1 etc.) Ce patriarche n'eut point d'autre femme que Rebecca, il n'eut point de concubine et il lui suffit d'avoir pour enfants, ces deux jumeaux. Dans son séjour parmi les nations étrangères, il craignit aussi pour la beauté de sa femme et à l'exemple de son père, il ne la fit point connaitre et la fit passer pour sa soeur, car elle était sa parente des deux côtés. Mais les étrangers ayant su qu'elle était sa femme, la respectèrent. Cependant de ce qu'Isaac ne counut point d'autre femme que Rebecca, ce ne serait pas une raison de le préférer à son père. Car les mérites de la foi et de l'obéissance d'Abraham ont été si éminents que c'est à cause du père que Dieu promet au fils les mêmes biens, « Toutes les nations de la terre, lui dit-il, seront bénies dans ta race, parce qu'Abraham, ton père, a obéi à ma parole et gardé mes préceptes, mes commandements, mes justices et mes lois. » Et dans une autre vision, Dieu lui dit : « Je suis le Dieu d'Abraham, ton père, ne crains rien; je suis avec toi et je t'ai béni et je multiplierai ta postérité, à cause d'Abraham, ton père. » Ces paroles sont la preuve de la chasteté d'Abraham; et des hommes impurs, ne recherchant dans les Saintes‑Écritures que la justification de leurs débauches, voudraient faire croire qu'il s'est laissé aller à la volupté !

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De plus, ces paroles doivent nous apprendre à ne pas juger les hommes entre eux, sur quelques bonnes actions, mais à considérer en chacun l'ensemble de la vie. Car il peut fort bien arriver que, dans sa vie et ses mœurs un homme l'emporte sur un autre par une action tout‑à-fait extraordinaire, tandis qu'il est surpassé dans tout le reste. Ainsi, c'est une sentence judicieuse et vraie, que la continence est préférable au mariage, cependant le mari fidèle à sa foi est meilleur que l'incrédule observant la continence; et l'incrédule non‑seulement mérite moins de louanges, mais il est souverainement blâmable. Ainsi, supposons deux hommes de bien; certainement le plus fidèle et le plus obéissant à Dieu, vaut mieux, quoique marié, que celui qui, dans le célibat, a moins de foi et d'obéissance. Mais toutes choses égales d'ailleurs, qui pourrait douter de la supériorité de l’homme continent sur l'homme marié?

 

CHAPITRE XXXVII.

 

De ce que figuraient mystiquement Esaü et Jacob.

 

Les deux fils d'Isaac, Esaü et Jacob, croissent également en âge. Le droit de l'aîné passe au plus jeune, d'après des conventions réglées à l'amiable; l'aîné convoite outre mesure un plat de lentilles que son frère a préparées et à ce prix, sous la foi du serment, il vend ses droits au plus jeune. (Gen. xxv, 33.) Par là nous apprenons que ce n'est pas la qualité de la nourriture, mais l'avidité du désir qui est repréhensible. Isaac vieillit et son grand âge lui fit perdre la vue. Il veut bénir son fils aîné, au lieu de l'aîné, sans le savoir, il bénit le plus jeune; celui‑ci, couvert de poils de chevreau, figure des péchés d'autrui qu'il semblait porter, se substitue, pour la bénédiction paternelle, à son frère qui était velu. Et afin que cette ruse (de) Jacob ne fût pas regardée comme de la mauvaise foi, et qu'on y recherchât, au contraire, la raison d'un profond mystère, l'Écriture a eu soin de dire plus haut : « Esaü était un grand chasseur et se plaisait dans les champs; mais Jacob était un homme simple et aimant à rester à la maison. » (Ibid. 27.) Quelques interprètes, au lieu de « simple, » traduisent « sans ruse, » soit donc que l'on dise :(( sans ruse » ou « simple, » ou même « sans feinte, » d'après l'expression grecque aplastos. Quelle peut donc être, en recevant cette bénédiction, la ruse de cet

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homme sans ruse; la mauvaise foi de cet homme simple, la feinte de cet homme qui ne sait pas mentir? Et qu'y a‑t‑il autre chose qu'une vérité profonde voilée par un mystère? Au surplus, quelle est cette bénédiction elle‑même ? « Voici, dit Isaac, que l'odeur de mon fils est semblable au parfum d'un champ rempli de fleurs, que le Seigneur a béni. Que Dieu t'accorde la rosée du ciel et la fertilité de la terre, l'abondance du blé et du vin ; que les nations te soient soumises et que les princes te revèrent; sois le maître de ton frère et que les enfants de ton père se prosternent devant toi! Que celui qui te maudira, soit maudit, et que celui qui te bénira, soit béni. » (Gen. xxvii, 27 etc.) Ainsi la bénédiction de Jacob, c'est la prédication du Christ à toutes les nations. C'est ce qui se fait et s'accomplit maintenant. Isaac, c'est la loi et les prophètes; et par la bouche des Juifs qui les ignorent, le Christ est béni pour ainsi dire à l'insu de la loi et des prophètes. Le monde, comme un champ parfumé, est rempli de la bonne odeur du nom du Christ. La bénédiction de la rosée du ciel qui féconde le champ, c'est la parole de Dieu; la fertilité de la terre, c'est la vocation des Gentils; l'abondance du blé et du vin, c'est la multitude des fidèles qui recueillent le pain et le vin, dans le sacrement du corps et du sang d'un Dieu. Les nations lui sont soumises et les princes l'adorent. il maître de son frère, parce que son peuple cestnle mande aux Juifs. Les enfants de son père l’adorent, c'est‑à‑dire les enfants d'Abraham selon la foi, car il est lui‑même fils d'Abraham selon la chair. Celui qui le maudira, est maudit; celui qui le bénira, est béni. Notre Christ est béni même par la bouche des Juifs, égarés, parce qu'ils publient la loi et les prophètes; ainsi ils l'annoncent en vérité, pensant en bénir un autre que l'erreur leur fait encore attendre. Mais voici que l’ainé redemande la bénédiction promise; Isaac s'étonne et se trouble en apprenant qu'il a béni l’un pour l'autre; et après s'être informé plus amplement, il ne se plaint pas d'avoir été trompé; bien plus, une lumière intérieure lui révélant ce profond mystère, au lien de se fâcher, il confirme la bénédiction. « Quel est donc, dit‑il, celui qui m'a apporté de la venaison, dont j'ai mangé , avant que tu fusses venu? Je l'ai béni et qu'il soit béni! » Qui ne s'attendrait à la malédiction d'un homme indigné, si tout se passait ici, selon la conduite ordinaire des hommes, sans l'inspiration d'en haut? 0 merveilles accomplies, mais prophétiquement accomplies; accomplies sur la terre, mais inspirées du ciel; accomplies par les hommes, mais dirigées par la Providence de Dieu! Si l'on voulait approfondir chacun de ces

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faits si féconds en mystères, on remplirait des volumes; mais je dois circonscrire cet ouvrage dans de sages limites et il me faut passer à d'autres considérations.

 

CHAPITRE XXXVIII.

 

Jacob est envoyé en Mésopotamie pour s'y marier; vision qu'il a dans ce voyage, pendant son sommeil; des quatre femmes qu'il eut, bien, qu'il n'en demandait qu'une.

 

1. Jacob est envoyé en Mésopotamie par ses parents, afin de s'y marier. Au moment de partir son père lui dit : « Ne contracte point d'alliance avec les filles des Chananéens; mais va en Mésopotamie dans la maison de Bathuel, père de ta mère et choisis pour épouse une des filles de Laban, frère de ta mère. Que mon Dieu te bénisse, qu'il augmente ta puissance et qu'il multiplie ta postérité, et tu seras le chef de plusieurs nations; qu'il te donne la bénédiction de ton père Abraham, à toi et à ta postérité après toi, afin que tu possèdes la terre où tu es maintenant comme étranger et que Dieu a donné à Abraham. » (Gen. xxviii, 1.) Ici déjà, se remarque, dans la postérité d'Isaac, la division entre les descendants de Jacob et ceux qui sont issus d'Esaü. Car Dieu, en disant à Abraham : « Ta postérité sortira d'Isaac, » (Gen. xxi, 19) avait certainement en vue la postérité qui appartenait à la Cité divine; elle fut donc séparée de cette autre postérité d'Abraham par le fils de la servante et plus tard par les enfants de Céthura. Mais il était encore douteux, quant aux enfants jumeaux d'Isaac, si cette bénédiction était pour les deux ou pour l'un d'eux, et si pour un seul, pour lequel? Or maintenant, la difficulté est éclaircie par cette bénédiction prophétique d'Isaac sur Jacob, lorsqu'il lui dit . « Tu seras le chef de plusieurs nations et que Dieu te donne la bénédiction d'Abraham, ton père. »

 

2. Jacob, allant donc en Mésopotamie, reçut en songe un oracle du ciel, rapporté ainsi : « Jacob s'éloignant du puits du serment, partit pour Charra, et arrivé en un certain lieu, il s'y endormit, car le soleil était déjà couché; et prenant des pierres de ce lieu, il les mit sous sa tête pour dormir et il eut un songe; il vit une échelle appuyée sur la terre et dont le sommet touchait au ciel; et les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle et le Seigneur était incliné sur cette échelle, lui disant : Je suis le Dieu d'Abraham, ton père et le Dieu

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d'Isaac, ne crains point; je donnerai à toi et à ta postérité, cette terre sur laquelle tu dors; et ta postérité sera aussi nombreuse que les grains de sable de la terre; elle s'étendra au‑delà de la mer jusqu'au midi; et de l'aquilon jusqu'à l'Orient ; et toutes les nations de la terre seront bénies en toi et en ta postérité. Et voici que je suis avec toi, te gardant partout où tu iras, et je te ramènerai en cette terre, parce que je ne t'abandonnerai pas que je n'aie accompli ce que je viens de te dire. Et Jacob se réveilla de son sommeil et dit : Le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas. Et tout saisi de crainte, il dit : que ce lieu est terrible! ce ne peut être que la maison de Dieu et la porte du ciel. Et Jacob s'étant levé, prit la pierre qu'il avait mis sous sa tête, il la dressa pour servir de monument, et ayant répandu de l'huile sur son sommet, Jacob appela ce lieu : la maison de Dieu. » (Gen. xxviii, 10 etc.) Ceci est prophétique; et ce n'est pas d'après la coutume des idolâtres que Jacob répandit de l'huile sur la pierre, comme pour en faire un Dieu, car il ne l'adora point, ni ne lui offrit point de sacrifice, mais comme le nom de Christ vient d'un mot grec qui signifie onction, il y a certainement ici une figure qui se rapporte à un grand mystère. Et cette échelle nous remet en mémoire ce passage de l'Évangile où le Sauveur lui‑même, après avoir dit de Nathanaël : « Voici un véritable Israélite en qui il n'y a point de ruse, » (Jean, 1, 47) parce qu'Israël qui est le même Jacob, avait eu cette vision, ajoute : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le fils de l'homme. « (Ibid. 51.)

 

3. Jacob continua donc sa route vers la Mésopotamie, afin de s'y marier. Mais comment lui est‑il arrivé d'épouser quatre femmes, dont il eut douze fils et une fille, quand il ne désira aucune d'elles illégitimement? La Sainte‑Écriture va nous renseigner. (Gen. xxix) Il était venu seulement pour en épouser une, mais comme on lui en substitua une autre à la place de celle qu'il demandait et qu'il en use par erreur, il ne voulut pas la renvoyer de peur qu'elle ne parùt déshonorée par lui; de plus, aucune loi d'alors ne défendant d'avoir plusieurs femmes, afin de multiplier la postérité, Jacob épousa encore celle à laquelle seule, il avait donné sa foi. Et celle‑ci étant stérile,

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donna à son mari sa servante, pour en avoir des enfants. Enfin, sa sœur aînée, bien qu'elle eût des enfants, suivit son exemple, tant elle était désireuse d'augmenter la postérité de Jacob. Ainsi, l'Écriture en fait foi, Jacob n'a demandé qu'une seule femme, il n'use de plusieurs que dans le but d'avoir des enfints, et en respectant les droits du mariage. Il ne le fait d'ailleurs, qu'à la prière de ses épouses qui seules, exercent une légitime puissance sur le corps de leur mari. Jacob eut donc, de ces quatre femmes, douze fils et une fille. Ensuite, il se rendit en Égypte où l'appelait son fils Joseph qui, vendu par des frères jaloux, fut conduit dans ce pays et y fut élevé en dignité.

 

CHAPITRE XXXIX

 

Pourquoi Jacob fut‑il aussi appelé Israël.

 

Or, comme je viens de le dire, Jacob s'appelait aussi Israël, nom qui est resté spécialement au peuple issu de lui. Ce nom lui avait été donné par l'Ange contre lequel il lutta, à son retour de Mésopotamie, cet ange est évidemment la figure du Christ. Car, s'il voulut bien que Jacob triompha de lui (Gen. xxxii, 25), c'était pour figurer un mystère, la passion du Christ où les Juifs parurent être ses maîtres. Cependant, Jacob demanda la bénéniction de celui qu'il avait vaincu, et cette bénédiction fut l'imposition de ce nom. Or, Israël signifie, « voyant Dieu : » la vision de Dieu sera, à la fin du monde, la récompense de tous les saints. Mais l'ange toucha, à l'endroit le plus large de la cuisse,celui qui était, pour ainsi dire, son vainqueur et le rendit boiteux. Ainsi le même Jacob est à la foi béni et boiteux; béni, dans ceux de ses descendants qui ont cru en JésusChrist, et boiteux dans les incrédules. L'endroit large de la cuisse signifie sa postérité nombreuse, et ils en sont en grand nombre dans sa race, ceux dont un prophète a dit : « Et ils ont boîté, ne marchant pas droit dans leurs voies. » (Ps. xvii, 46.)

 

CHAPITRE XL.

 

Comment dit‑on que Jacob est entré en Egypte avec Soixante‑quinze personnes, quand la plupart de ceux dont on cite les noms, n'étaient pas encore nés?

 

L'Écriture fait mention de soixante‑quinze personnes entrées en Égypte avec Jacob, en le comptant lui‑même et ses enfants. (Gen. XLVI, 27.) Dans ce nombre, il n'y a que deux femmes, l'une fille, l'autre petite‑fille du patriarche.

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Mais en examinant la chose attentivement, on ne voit pas que l'Écriture veuille dire que la postérité de Jacob ait été si nombreuse dès le jour ou l'année de son entrée en Égypte. En effet, dans cette énumération, sont même compris les arrière‑petits‑fils de Joseph, qui, certainement, ne pouvaient être nés alors, car Jacob avait cent trente ans et son fils Joseph trente‑neuf. Or, il est certain que Joseph ne s'est marié qu'à l'âge de trente ans ou même un peu plus tard; comment donc, dans l'espace de neuf ans, et n'ayant eu qu'une seule femme, aurait‑il pu avoir des arrière‑petits‑fils? Et, puisque les fils de Joseph, Éphraïm et Manassé, étaient non‑seulement sans enfants, mais n'avaient pas encore neuf ans à cette époque, comment leurs fils et même leurs petits‑fils sont‑ils compris dans les soixante‑quinze personnes qui entrèrent en Égypte avec Jacob? Car l'Écriture nomme ici Machir fils de Manassé, petit‑fils de Joseph, et Galaad fils de Machir, petit‑fils de Manassé et arrière‑petit‑fils de Joseph; là, se trouve aussi la postérité d'Éphraïm, autre fils de Joseph, c'est‑à‑dire Utalaam, petit‑fils de Joseph et Édem fils d'Utalaam, petit‑fils d'Éphraïm et arrière petit‑fils de Joseph (Gen. L); cependant quand Jacob vint en Égypte, il ne put trouver ses petits‑fils et leurs descendants avec les fils de Joseph, âgés de moins (de) neuf ans. Aussi, en rapportant l'entrée de Jacob en Egypte, avec soixante‑quinze personnes de sa famille l'Écriture ne veut certainement pas parler du jour ou de l'année de cet événement, mais de tout le temps que vécut Joseph, qui avait fait venir son père dans ce pays. Car l'Écriture, au sujet de Joseph, s'exprime ainsi : « Et Joseph demeura en Égypte avec ses frères et toute la maison de son père, et il vécut cent dix ans, et Joseph vit les enfants d'Éphraïm jusqu'à la troisième génération. » (Gen. L, 22 et 23) ce qui veut dire son troisième descendant par Éphraïm, car c'est ce que l'Écriture appelle troisième génération : le fils, le petit‑fils et l'arrière‑petit‑fils. Ensuite elle ajoute : « Et les fils de Machir, fils de Manassé, naquirent sur les genoux de Joseph. » il s'agit ici du petit‑fils de Manassé, arrière‑petit-fils de Joseph. L'Écriture en parle au pluriel, comme elle le fait d'ordinaire; ainsi, en parlant de l'unique fille de Jacob, elle l'appelle : ses filles : le même usage existe chez les Latins qui disent enfants au pluriel, pour n'en désigner qu'un seul. Si donc, l'Écriture célèbre le bon-

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p353 LIVRE XVI. ‑ CHAPITRE XLI.                  

 

heur de Joseph, parce qu'il pût voir ses arrière-petits‑fils, il ne faut pas s'imaginer qu'ils existaient déjà, quand Joseph, leur bisaïeul, était à sa trente‑neuvième année et lorsque Jacob, son père, vint en Egypte près de lui. Mais ce qui trompe ceux qui y regardent avec moins d'attention, ce sont les paroles suivantes: « Tels sont les noms des enfants d'Israël, qui entrèrent en Égypte avec Jacob, leur père. » (Gen. XLVI, 8.) Or, l'Écriture ne mentionne pas ces soixante-quinze personnes, parce qu'elles étaient toutes avec Jacob, à son entrée dans l'Égypte, mais, comme je l'ai déjà dit, elle compte tout le temps de la vie de Joseph, qui fut la cause de l'entrée de sa famille en Égypte.

 

CHAPITRE XLI.

 

De la bénédiction que Jacob promit à son fils Juda.

 

Si donc, à cause du peuple chrétien, en qui la Cité de Dieu accomplit son pèlerinage sur terre, nous recherchons dans la postérité d'Abraham la descendance charnelle du Christ; laissant de côté les fils des concubines, nous y trouvons Isaac; dans la postérité d'Isaac, mettant de côté Esaü ou Edom, nous trouvons Jacob, qui s'appelle aussi Israël; et dans la postérité d'Israël, mettant aussi de côté les autres, nous trouvons Juda, car le Christ est né de la tribu de Juda. Aussi, quand Israël, sur le point de mourir, bénit ses enfants, écoutons la bénédiction prophétique qu'il donna à Juda: «Juda» lui dit‑il, « tes frères te loueront. Ta main fera courber le dos de tes ennemis; les fils de ton père se prosterneront devant toi. Juda est un jeune lion; tu t'es élevé, mon fils, comme un rejeton plein de vigueur; tu t'es couché pour dormir comme le lion et le lionceau ; qui le réveillera? Le prince ne fera pas défaut à la maison de Juda, ni le chef de sa race, jusqu'à ce que soit accompli ce qui lui a été confié; celui-là sera l'attente des nations; et il attachera à la vigne son poulain et le petit de son ânesse. Il lavera sa robe dans le vin et son vêtement dans le sang de la grappe de raisin. Ses yeux sont rouges de vin et ses dents plus blanches que le lait. » (Gen. XLIX, 8, etc.) J'ai expliqué tout ce passage, en réfutant Faustus le Manichéen ; et c'en est assez, je pense, pour faire briller la vérité de cette prophétie. Le sommeil est la prédiction de la mort du Christ; le lion, c'est en

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lui la puissance et non la nécessité de mourir. Cette puissance, Notre‑Seigneur lui‑même la révèle, dans l'Évingile : «J'ai, dit‑il , le pouvoir de quitter mon âme, et le pouvoir de la repren­dre. Personne ne peut me l'ôter, mais je la quitte de moi‑même et je la reprends. » (Jean, x, 18.) Ainsi le lion rugit, ainsi il accomplit ce qu'il a dit. C'est à cette même puissance qu'ap­partient ce que l'Écriture ajoute, touchant la résurrection : « Qui le réveillera? » c'est‑à‑dire que personne ne le peut, si ce n'est lui‑même, qui a dit aussi de son corps : « Détruisez ce tem­ple, et je le relèverai en trois jours. » (Jean, II, 19.) Le genre de mort, c'est‑à‑dire l'élévation sur la croix, est annoncé par cette seule parole: « Tu t'es élevé. » Et ce qui suit : « Tu t'es cou­ché pour dormir, » l'Évangéliste le traduit ainsi : « Et inclinant la tête, il rendit l'esprit. » (Jean, xix, 30.) On peut bien aussi appliquer ces paro­les à sa sépulture, à ce tombeau où il s'est éten­du pour dormir, d'où nul ne l'a retiré, selon que les prophètes ou lui‑même l'avait fait pour plu­sieurs; mais il s'est relevé lui‑même et en est sorti comme d'un sommeil. Sa robe, qu'il lave lui‑même dans le vin, c'est‑à‑dire qu'il purifie de tout péché dans son sang, dont les baptisés savent l'auguste mystère, comme aussi : « Son vêtement purifié dans le sang de la grappe de raisin, » qu'est‑ce donc, sinon l’Eglise? « Et ses yeux rouges de vin, » qu'est‑ce encore? sinon ces hommes spirituels, saintement enivrés de cette coupe dont le psalmiste célèbre l'excellence, en disant : « Que le calice de ta liqueur enivrante est magnifique?» (Ps. xxii, 5) Et «ses dents sont plus blanches que le lait, » qui est la boisson donnée par l'Apôtre aux petits enfants (I Cor. iii, 2), c'est‑à‑dire ses paroles qui nourrissent ceux qui ne sont pas encore capables de recevoir des aliments solides. C'est donc sur lui que reposaient les promesses faites à Juda, et jusqu'à leur accomplissement, jamais les princes, c'est‑à‑dire les rois d'Israël, n'ont manqué dans cette race. Et « celui‑là même est l'attente des nations. » La réalité dont nous sommes les témoins, est plus lumineuse que toute espèce d'explication.

 

CHAPITRE XLII.

 

Bénédiction des deux fils de Joseph.

 

Comme les deux fils d'Isaac, Esaü et Jacob, sont la figure de deux peuples, les Juifs et les Chrétiens, (bien que, selon la chair, les Juifs ne descendent pas d'Esaü, mais les Iduméens; ni les nations chrétiennes de Jacob, mais les Juifs, car la figure ne porte que sur ces mots : «L'aîné sera le serviteur du plus jeune; » (Gen. xxv, 25) ainsi arriva‑t‑il pour les deux fils de Joseph; car l’ainé représente les Juifs, et le jeune les Chrétiens. Aussi Jacob, pour les bénir, pose sa

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p355 LIVRE XVI. ‑ CHAPITRE XLIII.                

 

main droite sur le plus jeune, qui était à sa gauche, et sa main gauche sur l’ainé, qui était à sa droite. Leur père, très‑surpris et voulant remédier à ce qu'il prenait pour une méprise, avertit son père, en lui montrant quel était l’ainé. Mais Jacob ne changea point la position de ses mains et dit : « Je sais, mon fils, je sais, celui‑ci sera le chef d'un peuple et deviendra très‑puissant; mais son jeune frère sera plus grand que lui : de sa postérité sortira une multitude de nations. » (Gen. XLVIII, 19.) Voilà encore ici deux promesses : « l'un, chef d'un peuple; l'autre, d'une multitude de nations. » Quoi de plus évident que l'application de ces deux promesses au peuple d'Israël et à toutes les nations de la terre, qui devaient tous également sortir d'Abraham, l'un selon la chair, les autres selon foi?

 

CHAPITRE XLIII.

 

Des temps de Moïse, de Jésus Navé, des juges et des rois jusqu'à David.

 

Après la mort de Jacob et de Joseph, pendant cent quarante‑quatre ans, c'est‑à‑dire jusq'à la sortie d'Égypte, le peuple d'Israël se multiplia prodigieusement, bien qu’il fût persécuté d'une manière si cruelle, qu'à une certaine époque, tous les enfants mâles étaient mis à mort aussitôt leur naissance. Tant les É‑ gyptiens étaient surpris et effrayés du développement extraordinaire de cette nation. Alors Moïse, soustrait à la fureur des meurtriers, fut conduit par la main de Dieu, qui préparait en lui de grandes choses, jusqu'au palais du roi; (Exod. 11, 5, etc.) là, nourri et adopté par la fille de Pharaon (nom donné communément à tous les rois d'Égypte,) il devint si puissant qu'il affranchit ce peuple merveilleusement multiplié, de la servitude accablante sous laquelle il gémissait, ou plutôt ce fut Dieu qui se servit de lui pour réaliser la promesse de délivrance faite à Abraham. D'abord il s'enfuit, effrayé d'avoir tué un Égyptien, en défendant un Israélite (Exod. 11, 14); il revint peu de temps après; sur un ordre du ciel et par la puissance de l'Esprit de Dieu, il triompha des mages qui lui résistaient. Alors les Égyptiens refusant de laisser partir son peuple, Dieu les frappa de dix plaies mémorables; l'eau changée en sang, les grenouilles, les moucherons, les mouches cruelles, la mort des troupeaux, les ulcères, la grêle, les

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p356 DE LA CITÉ DE DIEU.

 

sauterelles, les ténèbres et la mort des premiers-nés. Enfin, domptés par tant et de si grands fléaux, les Égyptiens laissent partir les Israélites; puis, se mettant à leur poursuite, ils sont engloutis dans la mer Rouge. Les eaux se divisent pour livrer passage au peuple de Dieu, elles se réunissent pour submerger ceux qui les poursuivent. Ensuite le peuple délivré passa quarante ans dans le désert; là, parait le tabernacle du témoignage, où s'offrent à Dieu des sacrifices qui figuraient les choses à venir. La loi y fut donnée avec une solennité effrayante ; des signes et des voix extraordinaires rendaient évidente la présence de la Divinité. Ceci arriva aussitôt après la sortie d'Égypte et l'entrée du peuple dans le désert, le cinquantième jour après la célébration de la Pâques par l'immolation de l'agneau, figure tellement précise du Christ, victime auguste, passant du monde à son Père, par son sacrifice sur la croix (Pâque en hébreu veut dire passage) que, quand se révéla le Testament nouveau par l'immolation de Jésus‑Christ qui est notre Pâque, cinquante jours après l'Esprit‑Saint descendait du ciel. Or, il est appelé dans l'Évangile le doigt de Dieu (Luc, xi, 20), afin de nous faire souvenir de l'ancienne figure, car l'Écriture rapporte que la loi fut écrite sur des tables, par le doigt de Dieu.

 

2. Après la mort de Moïse, Jésus Navé gou­verna le peuple et le fit entrer dans la terre promise, dont il fit le partage. Ces deux admirables chefs terminèrent avec un bonheur merveilleux de grandes guerres, où Dieu montra bien que les victoires du peuple bébreu devaient être moins attribuées à ses mérites, qu'aux péchés des nations vaincues. Ces deux chefs eurent pour successeurs les juges, le peuple étant déjà établi dans la terre promise; ainsi s'accomplissait la première promesse faite à Abraham, touchant un seul peuple, le peuple hébreu et la terre de Chanaan; ce n'était pas, encore le temps de celle qui avait rapport à toutes les nations et à toute la terre. Pour cette autre promesse, la venue du Christ dans sa chair devait en marquer l'accomplissement, non par les anciennes observations légales, mais par la foi de l'Évangile. Cet événement fut préfiguré en ce que ce ne fut pas Moïse, bien qu'il eût reçu pour le peuple la loi sur le mont Sinaï, mais Jésus, ainsi appelé par l'ordre de Dieu, qui fit entrer les Hébreux dans la terre promise. Sous les juges, les guerres se succédèrent avec des alternatives de succès et de revers, réglées par

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p357 LIVRE XVI. ‑ CHAPITRE XLIII.

 

les péchés du peuple ou la miséricorde de Dieu.

 

3. De là, nous arrivons aux temps des rois; Saül fut le premier réprouvé et tué dans une bataille où il avait été défait, sa race est rejetée, des rois n'en sortiront plus; David lui succède sur le trône, c'est lui principalement dont le Christ est appelé le fils. En lui commence pour ainsi dire la jeunesse du peuple de Dieu, dont l'adolescence s'était prolongée jusqu'à David, à partir d'Abraham; et ce n'est pas sans intention que l'Évangéliste saint Matthieu, dans sa généalogie, mentionne quatorze générations pour ce premier espace de temps, qui s'écoule entre Abraham et David. En effet, c'est depuis l'adolescence que l'homme commence à être capable d'engendrer; c'est pour cela que l'Évangéliste ouvre sa généalogie par Abraham qui fut établi père des nations, au moment même où son nom est changé. Avant Abraham, c'est‑à‑dire depuis Noé jusqu'à lui, c'était pour le peuple de Dieu, comme l'âge de l'enfance, c'est pour cela qu'alors, parut la première langue, c'est-à‑dire l'hébreu. Car, au sortir de l'enfance, ainsi appelée à cause de l'impuissance où l'on est de s'exprimer, l'homme commence à parler. Ce premier âge est enseveli dans l'oubli, comme le premier âge du genre humain disparut dans le déluge. Et qui de nous se souvient de son enfance? Du reste, dans le développement de la Cité de Dieu, comme le livre précédent renferme le premier âge seul, celui‑ci se complète en deux âges, le second et le troisième; en ce troisième âge, la génisse, la chèvre et le bélier de trois ans, figurent l'imposition du joug de la loi; on vit paraitre alors une multitude de crimes et les premiers fondements du royaume terrestre où cependant se rencontrèrent encore quelques hommes spirituels, figurés mystiquement par la tourterelle et la colombe.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon