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3. Augustin, dans son ouvrage contre Cresconius, en 406, nous apprend que la constitution de l'article précédent était en usage à cette époque en Afrique, et que les évêques et les autres clercs d'un ordre inférieur qui revenaient à l'Église exerçaient leur propre ministère ou en étaient privés, selon qu'il paraissait utile à la paix de l'Église et au bien des peuples ; car c'est dans leur intérêt que sont établis les dignités et le ministère ecclésiastiques (4). Il défend cette discipline contre les donatistes qui la blâmaient (5). Dans un lettre au comte Boniface, il dit que cela ressemble à l'incision qu'on fait à l'écorce d'un arbre, pour y enter une greffe (6). Il est certain que les évêques donatistes des endroits où il n'y avait point d'évêques catholiques, gardaient la conduite de leurs peuples, lorsqu'ils les ramenaient à l'Église (7). Cela dura jusqu'à l'année 407. C'est ce qui explique le grand nombre d'évêques catholiques que l'on voit dans la conférence de Carthage, ayant été autrefois du parti de Donat. Quelques-uns mêmes de ceux qui avaient rebaptisé avaient été maintenus dans leur dignité (8). Un certain Théodose ayant demandé à Augustin comment il accueillerait les clercs schismatiques qui abandonneraient le donatisme (car, le concile avait laissé cela au jugement des évêques), notre saint répondit de vive voix qu'il ne dépouillerait personne de sa dignité ; ce qu'il lui écrivit plus tard de sa propre main en le priant d'en instruire les clercs donatistes et de leur laisser même sa lettre, s'ils le demandaient comme un gage de sa parole (9). Ce Théodose, qu'Augustin nomme son frère, paraît avoir joui à Hippone d'une grande influence; c'est  de lui qu'Augustin se servait pour traiter avec les donatistes. En effet, c'est par les mains de

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(1) Ibíd., can. LXIX. (2) Md., can. LXXXV. (3) &,,,. can. LXV111. (4) Contre Cre'9Pe. Il eh xi, n. 13- ( lbz'd. eh.x, n. 12. (6) Lettre GLXXXV, eh. x, n. 44. (7) Co~. des Can. JAfrique Can. xeix.' (8)*Contre Cresc.I. eh . xvr, n. 19. (9) Lettre LXI, 11. 1.

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Théodose  et de Maxime, qu'Augustin appelle ses très chers et très honorés fils (1), qu'il fit parvenir la première fois une lettre à Macrobe, évêque donatiste d'Hippone (2) Le nom de frère qu'il donne à Macrobe ne doit point étonner, car Augustin le donnait quelquefois aux laïques eux-mêmes. Pour agir selon sa promesse, il reçut deux diacres de Proculéien (3). Ceux-ci  étant tombés plus tard dans une faute, donnèrent au peuple l'occasion d'insulter l'administration de Proculéien et de dire, en exaltant la vertu d'Augustin, qu'aucun des clercs formés sous sa discipline n'était tombé en de tels péchés. Augustin n'approuvait pas cette conduite, et ne voulait point que l'on se glorifiât de lui, ni qu'on reprochât aux hérétiques autre chose que leur hérésie. Pendant qu'il expliquait le psaume XXXVI, il recommande, aux prières du peuple, un sous-diacre donatiste dont il a la joie d'annoncer le retour à la communion de l'Église (4). Quant à ceux qui, après avoir abandonné l'unité pour le parti de Donat, avaient voulu être rebaptisés chez les hérétiques, il ne se montrait pas si facile à les recevoir que ceux qui avaient été dans le schisme dès leur enfance (5). L'Église les aimait les uns et les autres, et travaillait à leur guérison avec une égale tendresse de mère; mais si elle ne recevait ni les uns ni les autres sans pénitence, elle était plus indulgente envers ceux qu'elle n'avait pas comptés au nombre de ses enfants, et plus sévère pour ceux qui s'étaient éloignés de son unité (6). En effet, elle excluait ces derniers des honneurs ecclésiastiques, comme ceux qui, après avoir abjuré le schisme une première fois, s'étaient de nouveau éloignés de l'Église, soit qu'ils n'eussent été que simples laïcs, soit qu'ils eussent fait partie du clergé chez les donatistes. Et si quelque évêque ne les écartaient pas des dignités, ou même voulait les y attacher, les fidèles, plus diligents, l'en reprenaient fraternellement (7). Dans une autre circonstance, au contraire, Augustin ressentit un vif chagrin et une grande douleur en apprenant qu'un donatiste, qui revenait à l'Église en se reconnaissant coupable d'avoir reçu une seconde fois le baptême, s'était vu refuser l'entrée de l'église et la pénitence ecclésiastique, sous prétexte que la crainte seule des lois le portait à demander d'être admis. « Je veux bien, dit-il, que c'est parce qu'il a été contraint d'être catholique qu'il demande la pénitence; qu'est-ce qui le force à demander d'être placé parmi ceux qui doivent se réconcilier, si ce n'est sa propre volonté? Accueillons donc sa faiblesse, et éprouvons ensuite sa volonté.(8). » Cependant il y eut des clercs donatistes, à qui on interdit l'exercice de leurs fonctions; toutefois, on n'imposait pas les mains en public à ceux qui pouvaient l'exercer, de peur que cela ne tournât au détriment du respect du sacrement de l'ordre, qui ne peut jamais être effacé en personne; mais s'il arrivait qu'on le fit quelquefois, on le pardonnait facilement pourvu qu'on ne défendît pas avec passion ce qui avait été fait, et qu'on corrigeât avec piété ce qu'on avait eu tort de faire, dès qu'on était informé qu'on avait mal fait (9). Augustin observait les mêmes règles à l'égard des prêtres et des diacres qui avaient, par la grandeur de leurs fautes, mérité de perdre leur dignité. Le bienheureux Optat nous apprend que le saint chrême était respecté par l'Église catholique et tenu pour pur et pour saint, quoique administré chez les donatistes (10). Bien plus, ceux qui avaient été simples prêtres dans la même secte étaient quelquefois même promus à l'épiscopat. On en voit plusieurs exemples dans la conférence de Carthage. Le plus célèbre est celui de Sabin qui, après avoir rempli les fonctions sacerdotales à Tucca, dans le diocèse de Milève, fut demandé pour évêque par son peuple qu'il avait ramené à l'Eglise, et reçut en effet cette charge. Pour les laïques baptisés par les donatistes avant d'être sortis de l'enfance, on leur permettait quelquefois d'être promus aux ordres sacrés (1). Mais comme ce parti n'avait été dicté que par le manque de clercs, Augustin,

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(t) Lettre cvii-cviii, n. (2) Lettre cv.,. (2) Lettre LXXVI> 11- 8- (4) comm. des Psaum. XXXVI, Serm. ii, ii- 11. (5) Contr. Cncsc. il, ch. xvi, n. J9. (6) Lettre xciii, n. 53. (7) Sur t'unit. du Bapt. Ch» xii, n. 20. (8) Serm-e ccxcvi, eh. xi, n. 12. (9) Contre la lettre de Parm. 11, eh. il", n- 28- (10) Opta., Vil. (11) Cod des Can d'.Jft,itlue, Can. tvii.

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consulté un jour par Possidius, qui lui demandait s'il pouvait ordonner un sujet baptisé dans le parti donatiste, lui répondit qu'il ne le lui conseillait pas, mais que si la nécessité le demandait, il ne l'en blâmait pas non plus (1). À l’égard de ceux qui, en raison de quelque faute, avaient été suspens, par les schismatiques, de leur dignité et de leur ordre, Augustin, dès le début de son épiscopat, prit pour règle de conduite, que ceux qui voudraient revenir à l'Église catholique, seraient reçus dans l'humble condition de pénitents à laquelle les donatistes eux-mêmes les auraient réduits, par respect pour la discipline, et qu'ils auraient subies s'ils étaient restés dans leur société, car il pensait qu'on ne doit jamais souffrir que quelqu'un passe impunément d'une Église dans une autre pour échapper à la sévérité de la discipline. Il ne semble pas improbable que tel était celui dont il parle dans le psaume XXXVI, en ces termes bien propres à nourrir la piété des fidèles : «Un hérétique de la secte de Donat, accusé et excommunié par les siens, était venu à nous, pour chercher chez nous ce qu'il avait perdu chez eux; mais on ne pouvait le recevoir que dans l'état où il se trouvait, car ce n'est point comme un homme qui n'avait rien à se reprocher qu'il avait quitté les siens, et qui s'était décidé par choix, non par nécessité. Comme il ne pouvait obtenir chez les siens ce qu'il ambitionnait, car il cherchait une vaine élévation, un frivole honneur (paroles qui ne semblent pas désigner une simple communion), et qu'il ne trouvait point chez nous ce qu'il avait perdu chez les siens, ce fut sa perte. Son cœur, profondément blessé, poussait des gémissements, on ne pouvait le consoler, parce que de secrets remords grondaient au fond de son âme. Nous avons essayé de le consoler par la parole de Dieu, mais il n'était pas comme ces fourmis prévoyantes qui ont amassé pendant l'été de quoi se nourrir pendant l'hiver. Cet homme n'avait point fait sa provision de la parole de Dieu; l'hiver est venu, et il n'a pas trouvé ici ce qu'il cherchait; la parole de Dieu seule pouvait le consoler, mais il n'en avait point en réserve. Il n'avait rien dans son cœur; ce qu'il cherchait au-dehors, il ne le trouvait point; les feux de l'indignation et de la douleur le consumaient; son esprit fut longtemps et violemment agité, en secret, jusqu'à ce qu'il se répandît en de tels gémissements qu'il n'avait même pas conscience d'être entendu au milieu de ses frères. Nous les voyions, et nous en gémissions amèrement, Dieu le sait, ces peines, ces supplices, cet enfer, ces tortures de l'âme. Bref, ne pouvant supporter l'humble condition qui l'eût sauvé s'il avait aimé la sagesse, il se montra tel qu'on dut le chasser (2). » Cependant Augustin semble reconnaître qu'un certain QuodvultDeus, chassé par les donatistes, sous l'accusation d'un double adultère, avait été reçu, soit dans la communion, soit dans quelque autre fonction ecclésiastique : mais ce ne fut qu'après qu'il eut bien prouvé son innocence (3).

4. Pour en revenir au concile de Carthage, parmi les statuts qui concernaient les donatistes, il s'en trouve quelques-uns sur la discipline. Entre autres, comme c'était l'usage en Afrique toutes les fois qu'une Église était vacante, de la confier temporairement à un évêque, il fit un statut sur ces évêques temporaires, qu'on appelait intervenants ou intercesseurs. Il existe dans Augustin une accusation des donatistes qui reprochaient faussement aux orthodoxes d'avoir donné la mort à un intervenant qu'ils avaient envoyé à Carthage, avant que Majorin fût sacré pour succéder à Cécilien, (4). Ce sont ces intervenants supplémentaires, comme les appelle Augustin, que les donatistes envoyaient à leurs partisans à Rome, avant qu'ils leur eussent donné des évêques chargés de les diriger, en qualité de propres évêques (5). Le concile défend de faire évêque d'une église celui qui l'a dirigé en qualité d'intervenant et si cet intervenant ne peut faire nommer un évêque dans le délai d'une année, il ordonne que, dès son année expirée, on nomme un autre inter-

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(1) Lettre CCXLV, il. 2.(2) Comin. des Pgaumes. XXXYL Serm, li, n. 11. (3) C.,tre la lettre de Potil. III, eh. xxxii, n. 37. (4) Lettre XLIV,eh. iv, a. 8. (5)Du Bapt. uniq., eh.xvi, n. 28.

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venant à sa place (1). Ce même concile décréta, qu'une année pour prouver leur innocence était accordée aux clercs qui avaient été suspendus de leurs fonctions, par suite d’une accusation; passé ce temps, ils ne pouvaient plus faire admettre leur justification (2). Augustin fait mention de ce décret dans une lettre dont nous allons bientôt parler (3) il semble aussi que c'est du canon qui vient après celui-là qu'il parle, en disant qu'il a été promulgué par le dernier synode: « canon qui défend d'admettre ceux qui se seraient retirés d'eux-mêmes, ou qui auraient été expulsés de quelques monastères, à aucune fonction ecclésiastique dans une autre Église, ou au gouvernement d'un autre monastère (4). » Il y fait encore allusion à ce canon dans une lettre à Aurèle qu'il engage à l'observer. Le synode comprend en général tous les moines d'un monastère établi dans un diocèse étranger, et il sépare l'évêque, qui en aurait promu aux ordres ou aux fonctions ecclésiastiques, de la communion de tous les fidèles, leurs ouailles seules exceptées. La cause de Cresconius de Villa-Rége, fut aussi agitée dans ce concile (5), ainsi que celle de l'évêque Equitius d'Hippone, Zarrite: on ne sait pas ce qu'il avait fait. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il fut condamné par un jugement d'évêques pour ses crimes, et que, non seulement il ne s'est point soumis à ce jugement, comme il l'aurait dû, mais qu'il a troublé l'Église par sa révolte et son impudence. C'est pour cela que le concile du 16 juin 401, ordonna aux légats envoyés à l'empereur de poursuivre Equitius par tous les moyens de droit, s'ils le rencontraient en Italie (6). Il ne manquait point, dans la ville, de personnes favorables à sa cause, et attendant son retour, tandis qu'il y en avait d'autres d'un avis différent qui ne voulaient point de sa communion: ces dernières étaient en possession des édifices consacrés à Dieu, mais n'avaient pas encore d'évêque. Comme le concile ne pensait point que cette Église dût rester plus longtemps abandonnée, il délégua vingt évêques parmi lesquels étaient Alype, Augustin et Évode, pour se rendre en ce lieu et, d'un commun accord avec le peuple, nommer un évêque si on pouvait toutefois amener les partisans d'Equitius à se joindre aux autres; si on ne pouvait y réussir, ils devaient travailler à ce que les mécontents n'apportassent aucun retard à l'élection du nouvel évêque. Augustin, dans une lettre qu'il écrivait immédiatement après la clôture du synode, nous apprend que l'évêque de Vigésilis, ou du moins du diocèse auquel Vigésilis appartenait, fut déposé de sa charge dans le concile général d'Afrique et que si, pour cette raison, le peuple du pays ne voulait point le recevoir, il agirait comme il le devait, cependant on ne pouvait ni ne devait l'y forcer. Quant à l'évêque, lui-même essayait de recourir à la puissance séculière comme il semblait menacer de le faire, pour le contraindre à le recevoir, il montrerait ce qu'il est et ce qu'il était quand on voulait qu'on ne crût pas de mal de lui : « Jamais, dit-il, on ne discrédite autant sa propre cause que lorsqu'on emploie la puissance séculière, la violence, l'agitation et la discorde pour recouvrer un honneur qu'on a perdu. Car alors ce qu'on veut ce n'est point obéir à la volonté du Christ, mais dominer les chrétiens contre leur volonté (7).» Enfin le concile se termine en donnant à l'évêque de Carthage au nom de tous les évêques, le pouvoir de dicter et de signer les lettres que les conciles avaient établi qu'on enverrait. C'est ainsi que furent consignés par écrit, les mandements, de tout ce qui devait être fait touchant les donatistes.

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(1) Code des Can. d'Afrique. Can. LXXIV. (2) Ibi'd., can. LXXIX. (3) Lettre LXv, n. 2. (4) Code des Con. dAfi-ique. Cala. LXXX. (,5) [bid., Call. LXXVIL (6) Ibid., Call, LXV. (7) Lettre Lxiv, n 4.

T. 1.

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1. Victorin et Xantippe se disputent la primauté. - 2. Pammachius ramène à l'Eglise ses fermiers qui avaient embrassé l'hérésie de Donat. - 3. Donat quitte, avec son frère, le monastère d'Augustin. - 4. Ce dernier écrit au prêtre Quintien qui plaidait près d'Aurèle. - 5. Plaintes de ce prêtre à cause de la réception de Privation dans le monastère d'Augustin. - 6. Augustin suspend de ses fonctions un prêtre de son diocèse nommé Abundance. - 7. À la fin de cette même année 401, Crispin rebaptise les paysans du territoire de Mappalie.

 

1. Le primat de Numidie à qui le concile avait décidé qu'on écrirait au sujet de Cresconius de Villa-Rége mourut certainement peu de temps après (1). En effet, vers la fin de 402, Xantippe, évêque de Tagaste, avait obtenu le titre de primat de cette province (2), et l'avait encore en 407 (3). Or, dans le commencement, le titre de primat lui fut contesté, car le 9 novembre, à l'approche de la nuit, une lettre encyclique de Victorin, se disant primat, fut remise à Augustin, l'invitant à se rendre au concile de Numidie (4). Dans cette lettre, ou plutôt dans cette sommation comme on l'appelle, il y avait qu'il avait été écrit aussi aux deux Mauritanies, quoiqu'elles eussent leurs primats : si les évêques de ces provinces devaient être convoqués à un concile en Numidie, il fallait qu'on lût dans cette sommation, les noms de quelques évêques des premiers sièges de Mauritanie. Augustin ne les y trouvant pas, en fut très surpris. De plus, il vit avec peine son nom placé le troisième sur la liste quoiqu'il y eût plusieurs évêques plus anciens que lui. Il ne fut pas moins étonné de voir que Xantippe qui disait que le titre de primat lui avait été donné du consentement de plusieurs évêques, et qui en vertu de ce titre, envoyait des lettres comme font les primats, sans que son nom se lût dans ces lettres, tandis que c'était à lui le premier de se rendre au concile de même qu'il devait être nommé le premier. Ces vices lui firent craindre que cette sommation ne fût apocryphe. Ce seul doute pouvait le dispenser de répondre à cette convocation; mais la difficulté du temps, les occupations graves et nombreuses dont il était accablé, et, peut-être aussi sa mauvaise santé ne lui permettaient pas de se rendre à ce synode. Il crut assez faire en écrivant à Victorin, d'abord pour s'excuser et pour lui dire que c'était chose à régler entre lui et Xantippe pour savoir qui était le primat et avait le droit de réunir le concile; ou plutôt que c'était à tous les deux en même temps à convoquer le concile en réservant l'un et l'autre leurs droits et en laissant aux anciens évêques le soin de décider, une fois le concile assemblé, qui des deux était le primat. Or cette controverse sur le doyenné et la primatie des provinces d'Afrique fut remise par le concile au jugement de l'évêque de Carthage. Cette discussion fut probablement cause que le concile de l'année suivante rendit plusieurs décrets pour écarter toute espèce de doute au sujet du sacre des évêques (5).

2. C'est sans doute dans le courant de cette même année 401 qu'Augustin fit remettre une lettre à Pammachius, par l'entremise des légats du concile de Carthage (6). Il lui dit qu'il ne lui parlera point des dispositions hostiles des donatistes contre les chrétiens, parce qu'il pourra plus aisément les apprendre de la bouche même de ses frères qu'il lui recommande. Pammachius possédait des biens dans la Numidie centrale, et ses colons avaient embrassé le parti de Donat. C'est pourquoi sous l'inspiration de sa piété et de sa charité, il leur écrivit pour les engager à embrasser l'unité de l'Église : l'accent de sa lettre était si pressant que, contre toute attente, ils embrassèrent avec empressement le parti qu'un homme si distingué et si éminent leur conseillait, persuadés que la vérité seule avait pu le déterminer à le suivre lui-même. Augustin en fut si content qu'il crut devoir en exprimer sa joie à Pammachius, dans la lettre dont nous parlons. Il ne veut pas cependant qu'il mesure aux

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(1) Code des Ca~?. (i'Af~,'q. CU1. LXXVIL (2) Lettre Lxv, n. 2. ) Code de.9 Can. d'Afriq. Can. c. (4) Lettre

  LIX (5) Code des Ca~?. d'Alrique can. LXXXVI. (6) Lettre ni, n. 2

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expressions de sa lettre le bonheur qu'il ressent et la vivacité de son affection pour lui : " Par la pensée, lui dit-il, descendez dans mon cœur, et voyez quels sentiments s'y treuvent pour vous. De l'oeil de la charité lisez dans le sanctuaire de la charité que nous fermons aux bruyantes vanités du siècle et dans lequel nous adorons Dieu, et vous verrez la joie pleine de délices que je ressens pour une oeuvre si sainte mais que ni ma langue ni mon cœur ne peuvent exprimer, et qui s'exhale en un sacrifice brûlant de louanges en l'honneur de celui qui, par sa grâce et son secours, vous a fait vouloir et pouvoir une pareille chose. » Il ajoute qu'il désire fort vivement voir les autres chrétiens agir de même, mais il n'espère point qu'il ose lui-même les exhorter à suivre son exemple « peut-être, ajoute le saint prélat, ne le feraient-ils pas, et les ennemis de l'Église l'emporteraient sur nous dans leur esprit, et en profiteraient pour tendre des embûches aux faibles. » Il le prie donc seulement de leur lire sa lettre : Il pourrait se faire que la seule cause capable de les empêcher d'entreprendre la conversion de leurs colons, ne fût que le peu d'espoir d'y réussir. Il semble, d'après cette manière de parler, que cela arriva à l'époque où les conversions nombreuses de donatistes revenant à l'unité de l'Église, étaient rares, c'est-à-dire avant l'année 405, probablement même avant les actes de violence des circoncellions envers les catholiques, lorsqu'ils virent ces derniers, suivant l'ordre du concile de Carthage tenus en cette année, divulguer partout l'histoire des maximianistes. Augustin ne rapporte que les périls qu'on redoutait de la part du circoncellions, tout en reconnaissant que la crainte était regardée comme vaine par quelques personnes ; et il prie qu'on ne méprise point ceux qui craignent même plus qu'il ne faut.

3. Il goûtait bien des consolations dans son monastère, mais y trouvait aussi quelques chagrins; et quel que fût le soin avec lequel il veillât à la discipline de ceux qui vivaient avec lui, il sentait qu'il était homme et qu'il vivait au milieu d'autres hommes, et qu'il ne pouvait espérer ne rencontrer que des saints dans cette société, quand il n'en a point été ainsi dans l'assemblée de ceux qui brillèrent par la sainteté de leur vie, ni dans l'entourage du Christ Notre Seigneur, ni même au ciel (1). Il éprouva en effet, alors même, la misère des choses humaines. Il y avait dans son monastère deux frères, nés à Carthage ou dans le voisinage de cette ville; l'un d'eux se nommait Donat. Poussés par un sentiment de vaine  gloire, ils songèrent à quitter le monastère sous prétexte, à ce qu'il parait, d'aller servir leur patrie dans le ministère clérical. Augustin, désireux de leur salut, multiplia, autant qu'il put, les empêchements, pour qu'ils ne missent point leur mauvais dessein à exécution. Mais ils ne se laissèrent point détourner de leur résolution et vinrent à Carthage, où Aurèle, persuadé qu'ils ne venaient point sans l'agrément d'Augustin, admit Donat  dans le clergé. Augustin dit que son frère fut la seule cause du départ de ce dernier. Or, cela arriva avant le concile du 13 septembre 405, dans lequel on fit des règlements sur ceux qui quittent leur monastère avant leur ordination. Nous ne voyons pas néanmoins dans ce synode qu'Augustin ait parlé de cette affaire avec Aurèle, quoique dans sa lettre, ce mot : « Nous avons réglé, » indique clairement qu'il était présent à ce concile, Mais la lettre qu'Augustin reçut d'Aurèle peu après le départ des deux frères, parle de ces derniers. Le saint évêque hésita longtemps sur la réponse qu'il devait faire à Aurèle; mais enfin, dans l'intérêt du salut de ceux pour qui il était consulté, il répondit que ce serait donner aux moines un sujet de tentation bien périlleux et faire une chose blessante pour le clergé, dans les rangs duquel se trouvaient les évêques, que d'admettre les déserteurs du cloître aux ordres; tandis qu'on n'accordait cet honneur qu'aux moines les plus éprouvés, lesquels bien souvent n'étaient pas eux-mêmes capables de remplir les fonctions ecclésiastiques. Il ajoute qu'Au-

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(1) Lettre LXXVIII, n. 8-9,

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rèle peut se servir de Donat comme il l'entendra s'il s'est dépouillé de son orgueil, puisqu'il l'a ordonné avant que le concile eût statué quelque chose à ce sujet : « Quant à son frère, dit-il, vous savez ce que j'en pense, aussi je ne sais quelle réponse vous faire. » Ce qui montre clairement qu'on ne pouvait l'ordonner sans violer le décret du concile. Il ajoute cependant qu'il ne veut point révoquer en doute la sagesse et la charité d'Aurèle, qui ne fera, dans cette circonstance, que ce qu'il jugera le plus utile à l'Église. Le titre de pape, dont il salue Aurèle, ne nous permet pas de douter que ce dernier était l'évêque de Carthage.

4. Nous ne savons pas non plus s'il est le même que celui que, dans sa lettre à Quintien, il appelle à différentes reprises le vénérable Aurèle, titre (l) qu'un usage réservait seulement aux doyens ou aux primats d'Afrique; mais qu'il n'est pas bien certain qu'on donnait également à l'évêque de Carthage à cause de sa dignité. Si cette lettre est antérieure au jour de Noël de cette même année, il est hors de doute que ce n'était point Aurèle qui était primat de Numidie à cette époque, puisque ce titre appartenait à Victorin ou à Xantippe. Nous n'osons  pas affirmer que cet Aurèle ait eu la dignité de primat dans une autre province d'Afrique, par exemple dans la Bizacène à laquelle appartenait l'église de Bédésilis dont il est fait mention dans cette lettre (2). Mais, quel qu'ait été cet Aurèle, le prêtre Quintilien gouvernait l'église de Bédésilis ou une église voisine dans son diocèse, ou certainement du moins dans sa province. Il avait fait lire dans son église plusieurs livres qui n'étaient pas compris dans le canon des Écritures fixé par l'autorité du synode. C'étaient de ces livres apocryphes dont les hérétiques se servaient pour abuser les peuples et les induire en erreur, surtout les manichéens. On disait même qu'il y avait un grand nombre de ces derniers cachés dans cet endroit (2). Ce fut certainement le motif qui détermina Aurèle à séparer Quintilien de sa communion, bien que ses occupations ne lui eussent pas encore laissé le temps de juger définitivement cette affaire. Il avait résolu de se rendre aux fêtes de Noël dans l'église de Bédésilis (4).

5. Il arriva aussi à cette époque qu'un jeune homme nommé Privation, qui avait lu une fois seulement un passage de ces livres apocryphes dans cette église, vint trouver Augustin, le priant de l'admettre dans son monastère (5). Le saint évêque pensa qu'il ne devait pas être tenu pour lecteur ni, par conséquent, soumis au canon qui défendait de recevoir un clerc d'un diocèse différent. Cependant il soumit l'affaire à Aurèle par lettre, en lui disant qu'il suivrait son avis sur ce sujet. Quintien écrivit donc à Augustin au sujet, d'abord de ce même Privation, prétendant qu'il ne pouvait être reçu qu'en violant les canons; puis il lui parle du débat qu'il avait avec Aurèle, en se plaignant de ce que ce dernier ne jugeait pas sa cause. Augustin reçut sa lettre la veille ou l'avant-veille de Noël: il l'envoya à Aurèle, afin de lui faire connaître les réclamations de Quintien et les raisons qu'il avait résolu de faire valoir pour sa défense. Il répondit ensuite au même Quintien de la manière la plus polie, et en même temps il l'exhorta à supporter patiemment la manière dont on agissait à son égard comme s'il se croyait innocent; cependant, on comprend bien qu'il ne voulait pas s'arroger le droit de statuer sur cette affaire. Bien plus, il le blâme d'avoir fait lire des livres apocryphes, et lui fait remarquer en outre, qu'il s'est trop ému des choses qui regardaient Privation. Il s'excuse de ne pas s'occuper de son affaire, en disant qu'il y a d'autres évêques qui, par leur âge, leur autorité ou leur voisinage sont plus à même que lui de le faire. Il lui dit qu'il a fait parvenir sa lettre à Aurèle, mais qu'il n'a pu écrire au peuple qu'on lui a confié qui d'ailleurs ne lui a point écrit lui-même, soit parce que la lettre de Quintien lui était parvenue trop tard, soit parce qu'il n'osait ou ne pouvait convenablement écrire de son propre mouvement à un peuple dont il n'avait point la con-

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(1) EpiSe. LXlv, n. 2-3. (2) Ibid., 19, 4. (3) Ibid,, a. 3. (4) Mid., n. 2. (5) Ibid., n. 3.

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duite. Toutefois, il pense que sa réponse satisfera aisément tout le monde et lui dit qu'il peut venir vers lui quand il lui plaira; mais qu'il ne peut admettre à sa communion celui qui n'est pas en communion avec Aurèle. Dans cette lettre, il fait remarquer ce qu'un concile a récemment réglé touchant les déserteurs du cloître; ce qui nous porte à croire qu'il reçut, vers l'époque de Noël, la lettre de Quintien en date de la fin de cette année; il ne dit pas autre chose de ce concile, sinon qu'il se tint à Carthage le 13 septembre. 


6. A peu près vers cette époque, Augustin rendit une sentence dans l’affaire d'Abondance, cent jours, comme, il le dit lui-même, avant le Jour de Pâques, (1) qui devait être le 6 avril, Xantippe était alors primat de Numidie (2). À cette époque, Pâques ne tomba le 6 avril qu'en l'an 402. Il jugea donc cette affaire le 27 décembre 401. Abondance était prêtre de Strabonias, dans le diocèse d'Hippone, c'est dans ce poste qu'il commença à avoir une mauvaise réputation. Bien que le saint prélat en fût contristé, il ne voulut point y croire à la légère. Mais, inquiet de ces bruits, il fit tout ce qu'il put pour découvrir quelques indices certains de sa mauvaise conduite. Il trouva d'abord qu'il ne pouvait rendre un compte satisfaisant d'une somme qu’un paysan lui avait confiée en dépôt, et qu'il avait employée à son profit. Il fut de plus convaincu de s'être rendu, sans se faire accompagner d'un clerc, le jour de jeûne qui précède la fête de Noël, en quittant le prêtre de Gyppita, sur les cinq heures, c'est-à-dire, d'après notre manière de compter, sur les onze heures, chez une femme qui avait une mauvaise réputation, et, bien qu'on observât le jeûne dans l'Église de Gyppita comme dans les autres Églises, il dîna et soupa chez cette femme mal famée et, ce qui est plus grave y passa la nuit. En ce même temps, un clerc de l'Église d'Hippone avait aussi reçu l'hospitalité en cet endroit, ce qui permet de croire que c'était une sorte d'hôtellerie publique. Aussi, quand Augustin instruisit cette affaire, Abondance ne put nier ce chef d'accusation. C'est pourquoi le saint prélat, tout en remettant entre les mains de Dieu les autres choses que niait l'accusé, crut l'aveu qu'il avait fait suffisant pour l'éloigner de l'administration de l'Église, alors environnée d'hérétiques, et même pour le suspendre de ses fonctions sacerdotales à cause de sa mauvaise réputation. Il porta cette sentence le 27 novembre, cent jours avant Pâques. Abondance résolut de se retirer près du prêtre d'Arméma sur le territoire de Bouille, d'où il était venu. Bouille ou Bouille la Royale se trouvant dans la province proconsulaire, ce prêtre pria Augustin d'écrire au prêtre de cette Église pour l'informer de son affaire, dans la crainte qu'il ne le crût plus coupable encore qu'il ne l'était. Augustin accéda à ses désirs, par un mouvement de pitié, afin que, suspens de ses fonctions sacerdotales, il pût veiller davantage sur sa réputation, ou, comme dit le saint prélat, vivre plus honnêtement dans cet endroit. Possidius, dans sa table des lettres d’Augustin, en cite une à Victorin, prêtre du territoire de Bouille. (3). Augustin prévint Abondance que s'il voulait en appeler du jugement porté contre lui, il avait pour le faire l'espace d'un an, d'après le décret du dernier concile (4), et que passé ce délai, il ne pourrait plus appeler de sa sentence. Il écrivit aussi à Xantippe, primat de cette province pour lui rendre compte de ce qu'il avait fait. Comme Abondance avait le droit d'en appeler, en dernier ressort, au jugement de six évêques, Augustin déclare que si, dans ce nouveau jugement, il n'était pas trouvé digne de suspense, les autres évêques pourraient lui confier la direction d'une église de leur propre diocèse, mais que lui ne le ferait pas, de peur qu'on ne le rendît responsable des conséquences fâcheuses qui pourraient en résulter. Il écrivit cette lettre vers la fin de 402, et certainement avant la fête de Pâques. 


   7. Nous croyons devoir rapporter à la fin de l'année 401 un événement plus triste encore, qu'Augustin déplorait au commencement de 402. Crispin, évêque donatiste de Calame, loin 
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(1) Leltre LXx, n. 2. (2) Ibid., Tiffie. (3) Table, ch. vii. (11) Code des Con. dAfrique. can. LXXIX.

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d'éprouver pour les richesses cette crainte dont Pétilien prétendait ses sectateurs pénétrés (1), les aimait au contraire beaucoup. Ayant donc amassé une forte somme d'argent, il acheta le territoire de Mappalie, situé près d'Hippone (2). Il en tourmenta et opprima les malheureux colons au point de ne pas craindre d'en rebaptiser environ quatre-vingts qu'il avait remplis de terreur et qui poussaient de tristes gémissements (3). Augustin, accablé de douleur à la nouvelle d'un tel crime, écrivit à Crispin une lettre où il lui dit qu'il pourrait le faire condamner à l'amende de dix livres d'or dont l'empereur Théodose avait frappé les clercs hérétiques; mais qu'il préférait l'engager à penser d'avance à ce qu'il pourrait répondre à Dieu lui-même. S'il prétendait que les colons de Mappalie avaient embrassé sa communion de leur plein gré, Augustin le prie d'avoir avec lui et en leur présence une conférence sur la cause de l'Église, en notant de part et d'autre, par écrit, tout ce qui serait dit et en le signant pour être traduit en punique à ces pauvres paysans, après quoi Crispin leur laisserait la faculté d'embrasser la communion qu'ils voudraient. Il ajoute que si Crispin pense que quelques populations se sont séparées des donatistes par crainte de leurs maîtres, il ne refuse pas qu'on agisse de même pour elles, c'est-à-dire qu'on leur fasse entendre les raisonnements des deux partis, et qu'on les laisse ensuite libres de faire leur choix comme il leur plaira. Augustin prie ensuite, par le Seigneur Christ, Crispin de répondre à cette lettre (4). Bien que celui-ci ne pût se dispenser de répondre sans avouer, par là même, qu'il n'avait point la vérité pour lui, néanmoins il est vraisemblable qu'il n'osa jamais accepter ce défi  de peur qu'une défaite évidente ne lui fût plus funeste que le silence.

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