St Jean Chrysostome 25

Darras tome 11 p. 544

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CHAPITRE  V.

SOMMAIRE.

PCVEÏinUAT Ù£ SAINT INNOCENT I (401-417 ). (Suite).

§  I.  RAPPEL   DE CHRYS0STOME.

I. Exaspération du peuple de Constantinopie. — 2. Émeute ce tremblement de terr». — 3.   Lettre d'Eudosia à Chrysostome. — 4. L'eunnuque Briso.

5. Rentrée trîompliale. — 0. Allocution de Chrysostome à son peuple.

7. Message de félicitations d'Eudoxia. — S. Homélie de saint Chrysos­tome post rediium.

g  II.  NOUVELLES   INTRIGUES

9. Enthousiasme des fidèles. Protestation de Théophile — 10. Rixe au fau­bourg de Chalcédoine. Fuite de Théophile. — 11. Épispde de saint Nilammon. — 12. Rhéhabilitation de Chrysostome. Deux mois de calme. — 13. La statue d’argent d'Eudoxia. — 14. Nouvelle réunion du conciliabule du Chêne. Instructions envoyées d'Alexandrie par Théophile.

§   III.   SECOND EXIL  DE CHRYSOSTME.

15. Appel du conciliabule à l'empereur. — 16. Internement de Chrysostome dans sa demeure épiscopale. — 17. La nuit du samedi saint de l'an 404.

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CHAP.  V.  — RAPPEL DE  CHRYSOSTOME.

 

!8. Massacres du jour de Pâques. — 19. Lettre de Chrysostome au pape saint Innocent 1. — 20. Réponse du pape. — 21. Départ de Chrysostome pour l’exil.


§ IV. MORT DE CHRYSOSTOME.


12. Incendie de la basilique de Sainte-Sophie. — 23. Intrusion d'Acacius. Sainte Nicareta. — 24. Le préfet Optatus. Confesseurs et martyrs. — 25. Lettre du pape saint Innocent I à Chrysostome. — 26. Lettre du pape saint Innocent I au clergé et au peuple de Constantinople. — 27. Noble attitude du souverain pontife. — 28. Exil à Cucusa, — 29. Déportation à Arabissus. — 30. Dernière translation. Mort de saint Jean Chrysotome.


I. Rappel de Chrysostome.


1. Le départ de Chrysostome ne fit que redoubler la fureur po­pulaire. Cette fois, dit l'historien Socrate, ce fut un tumulte effroyable 1. La multitude se porta en masse sur le palais impérial, vociférant des malédictions contre Arcadius, le conciliabule impie et surtout contre Théophile et Severianus de Gabala. L'attaque fut vive ; il fallut toute l'énergie des soldats et des gardes pour proté­ger la demeure et peut-être la vie des souverains, dans ce premier moment d'effervescence. « Ainsi qu'il arrive d'ordinaire dans ces sortes de révolutions, ajoute Socrate, ceux mêmes qui précédem­ment n'avaient eu pour l'archevêque que des sentiments d'indiffé­rence ou même de jalousie secrète, prenaient hautement son parti et s'apitoyaient sur son sort. Ils se joignaient à la foule pour récla­mer contre l'injuste sentence du synode et pour flétrir la violence d'Eudoxia. Théophile était devenu surtout l'objet de l'animadversion publique. C'était sur lui qu'on faisait retomber la responsa­bilité de tous les événements. Il faut dire qu'en effet ce patriarche ne prenait guère la peine de dissimuler sa fourberie. Car, aussitôt

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1.Socrat. Hifi. eccles., lit). VI, cap. xvi.

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après l'exil de Jean, on le vit rétablir dans sa communion Dioscore et les Grands-Frères. Il était donc évident que ces moines n'étaient pas à ses yeux des hérétiques. Dès lors, l'accusation d'origénisme intentée primitivement contre eux, n'avait été qu'un faux prétexte imaginé par Théophile pour obtenir la déposition de l'archevêque. Cette conclusion se présentait naturellement à tous les esprits. Jointe à mille autres indices non moins certains, elle perçait à jour l'odieux complot dont saint Chrysostome venait d'être vic­time 1. »

 

2. Severianus de Gabala voulut braver le courant d'opinion, et entreprendre la justification du conciliabule sacrilège. « Il parut dans la basilique, continue Socrate, et, du haut de l'ambon, pro­nonça un discours où il ne craignit pas d'insulter l'archevêque dé­posé. Quand même, disait-il, Jean n'aurait pas été très-légitimement condamné pour beaucoup d'autres forfaits, son insolence était à elle seule un crime impardonnable. Dieu lui-même, Dieu dont la miséricorde infinie se montre indulgente pour tous les autres péchés que peuvent commettre les hommes, Dieu résiste aux su­perbes. C'est la parole de l'Écriture. — A ces mots, le peuple éclata en cris de fureur et d'indignation. Théophile, averti du danger que courait l'orateur téméraire, se mit à la tête d'une escouade de soldats pour venir le défendre. Son apparition aux portes de l'église fut le signal d'une lutte acharnée où le sang coula des deux parts. Cette fois, il ne fut plus possible d'apaiser la fureur du peuple ni de tromper sa vigilance. Résolue à obtenir sa­tisfaction ou à renverser le trône d'Arcadius, la multitude vint de nouveau envahir les abords du palais. Déjà les portes ébranlées cédaient sous les efforts de mille bras. L'impératrice, éperdue, sentait toute l’horreur du danger. « C'en est fait de nous ! disait-elle toute en pleurs. Qu'on ramène Jean. Autrement l'empire nous échappe ! » En ce moment, comme si le ciel lui-même eût pris parti pour l'innocence persécutée, un orage épouvantable, accom­pagné de secousses de tremblements de terre, éclata sur la cité, le peuple s'écriait que la vengeance divine allait enfin punir tant d’orgueilleux scélérats.

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3. Eudoxia se mit à une table et écrivit de sa main à l'illustre proscrit. « Je conjure votre sainteté, disait-elle, de croire que je ne suis pour rien dans ce qui s'est passé. Tout a été fait à mon insu. Je suis innocente du crime qui a été commis. Des pervers avaient juré de répandre votre sang; seuls, ils ont tramé tout ce complot. Dieu voit les larmes que je répands et que je lui offre en sacrifice. Revenez au milieu de nous. C'est vous qui avez baptisé mes enfants, venez leur conserver le trône et la vie ! »

 

4. Ce billet, écrit à la lueur de la foudre, entrecoupé par les terreurs simultanées de l'émeute grondante et des éléments dé­chaînés, conserve encore aujourd'hui, dans sa rédaction brusque et les hachures de ses phrases, comme un témoignage vivant d'au­thenticité. Eudoxia ne se repentait pas devant le ciel et la terre conjurés, elle mentait, persuadée que le mensonge qui avait tou­jours été son moyen de règne suffirait encore à la sauver, elle et ses enfants. Cette femme était vraiment un type d'ignominie. Tou­tefois ii s'agissait, d'une part, d'apaiser le peuple ; de l'autre, de trouver moyen de faire parvenir le plus tôt possible à l'illustre proscrit ce nouvel ordre de la cour. On proclama devant la foule assemblée le décret qui rappelait l'archevêque, et l'on expédia en même temps un courrier à Chrysostome. Ce fut Briso1, l'un des

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1 Précédemment (page 394 de ce volume), en parlant du conflit survenu entre les processions ariennes et celles des catholiques de Constantinople au temps de Gaïnas, nous avons reproduit le récit de Socrate qui semblait faire entendre que Briso avait reçu alors une blessure mortelle. BdW.efai jièv >.î6u> xarà |1£T(ôtto'j Bpîatirv ô :?,; {2saùî5o; ejvoûyo;, avyv.fô^tùv xo-.z to'j? CifivwSoû;. 'Ara).)-WTai 8è »aï twe; -zo\> ).ioO, è? àfiiotÉptùv tûv jtïftjv. (Socrat., Hist. eccles., lib. VI, cap. vm.) Maintenant, c'est le même historien Socrate qui nous ap­prend que l'eunuque Briso fut chargé en cette fameuse nuit, d'aller à la recherche de Chrysostome exilé. LUjiçOsîc oîv Epîïtov, ô t?,; paci/.ÏSo; èuvoù^o;. (Socrat., Hist. eccles., lib. IV, cap. xvi.) Sozomène tient ici la même langage que Socrate : 'E^ xâya -.% Bpt<7<7<ovoe tôv au.?' aùrrjv ntutèv ê-jvoû^ov ziïfyiGO.. (Sozomen., Hist. eccles., lib. V11I, cap. ^vin.) A moins donc de supposer qu'Eudoxia ait eu successivement deux eunuques ou chambellans du nom de  Briso, ce qui n'est pas probable, il faut entendre le premier récit de Socrate dans le sens que Briso, frappé d'une pierre au front par les ariens, et laissé pour mort sur la place, avait survécu à cette blessure et avait plus tard re­pris son service au palais.

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chambellans de l'impératrice, qui reçut ce message. Il mit en ré­quisition tous les navires légers, toutes les barques du port, et les lança à la poursuite du navire qui la veille avait emmené Chrysostome. De son côté, Briso, suivant la route de terre et franchissant rapidement les distances au moyen des relais de la poste impé­riale, se dirigea sur Prœnetos, et y arriva quelques heures seule­ment après Chrysostome. Il se jeta à ses genoux, le conjura d'oublier le passé et de revenir à Constantinople. En même temps, il expédiait un courrier à Eudoxia, pour la prévenir de l'heureux succès de son voyage et lui mander que le saint archevêque ne tarderait pas à rentrer dans sa métropole.

 

5. A l'arrivée de ce message, l'ivresse de la population byzan­tine fut au comble. Le tremblement de terre était passé ; l'émeute oubliée. En un clin d'œil, la Corne-d'Or fut envahie par la multi­tude impatiente de revoir les traits de son pasteur bien-aimé. Le Bosphore se couvrit d'embarcations pavoisées qui, à force de rames et de voiles, se dirigeaient à la rencontre du navire attendu. Les femmes, les enfants, les vieillards, échelonnés le long de la côte, voulaient avoir le bonheur de l'apercevoir de loin. Les qua­rante évêques demeurés fidèles à Jean Chrysostome durant les jours d'épreuve, avaient été amenés en triomphe jusqu'au port d'embarquement, où un navire les avait reçus à son bord et con­duits au devant de l'illustre proscrit. On voulait qu'après lui avoir donné le dernier témoignage d'un dévouement inébranlable, ils fussent les premiers à saluer son triomphe. Enfin, le vaisseau qui portait tant de joie et d'espérances parut dans le détroit, et des acclamations enthousiastes s'élevèrent jusqu'aux cieux. Bientôt Chrysostome mit pied à terre. Les cris de joie redoublèrent et des larmes coulèrent de tous les yeux. On se prosternait pour baiser la frange de son manteau, le sable du rivage où il avait posé le pied. Des torches de cire, des cierges furent allumés, el au chant d'un hymne de joie, une procession spontanément organisée se di­rigea vers Constantinople. De temps en temps, la foule se retour­nait, pour s'assurer qu'on ne la trompait pas et qu'elle était bien réellement en possession de son patriarche bien-aimé. Quand tous

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les yeux l'avaient aperçu de loin, inclinant la tête sur sa poitrine et poursuivant modestement sa marche, de nouvelles acclamations interrompaient les chants sacrés. La foule prévoyait de nouvelles déceptions. Mais elles devaient venir du côté où on les attendait le moins. Les artifices de Théophile et de sa faction ne devaient point se produire en ce jour de publique allégresse. « Or, dit Socrate, lorsqu'on fut arrivé au faubourg de Mariana, près d'un palais appartenant à l'impératrice et nommé Anaplos, Jean s'ar­rêta tout à coup, déclarant qu'il n'irait pas plus loin et ne poserait pas le pied dans la ville jusqu'à ce qu'un concile régulièrement assemblé n'eût reconnu son innocence et levé l'interdiction pro­noncée contre lui par le synode du Chêne 1. » Ainsi parle Socrate, dont le récit est d'ailleurs confirmé par le témoignage identique de Sozomène. C'est là une nouvelle preuve du scrupuleux res­pect de saint Chrysostome pour chacune des prescriptions cano­niques. Il était de règle, en effet, qu'un évêque ou un clerc déposé par un concile, ne pouvait être réhabilité que par une nouvelle décision synodale. L'homme de Dieu connaissait cette règle et la mettait en pratique. « Mais, ajoute Socrate, le peuple ne comprit rien à ce scrupule. Il s'imagina que c'était une nouvelle intrigue de l'impératrice. Des cris séditieux retentirent. Pour ne pas pro­longer une scène qui pouvait dégénérer en émeute, Jean consentit à reprendre sa marche. Les rues qu'il avait à traverser étaient jonchées de fleurs et décorées de tentures. On parvint ainsi à la basilique constantinienne. Mais là encore, Jean refusa de monter sur le trône épiscopal. Sans entendre aucune raison, la foule le prit dans ses bras, le porta sur la chaire sacrée, et le contraignit de bénir son peuple. Ce n'était pas assez, et comme il persistait à dire qu'à moins d'une réhabilitation solennelle il ne voulait pas remplir ses fonctions épiscopales, mille bras le portèrent à l'ambon. Quand il y fut ainsi porté malgré lui et que cette multitude se fut comme enivrée du bonheur de le revoir, il se fit un silence solennel et Chrysostome fut obligé de prendre la parole 2. »

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1 Socrat., lib. VJ, cap. svi; SozoniL-n., lib. VJIlj cap. irai. — 2.Socrat. et Sozonicu. lue. cit.

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6. « Que dirai-je? s'écria-t-il. Quels mots puis-je avoir sur les lèvres? Que le Seigneur soit béni dans les siècles des siècles! Ce fut mon adieu au départ, c'est ma salutation de bienvenue en ce retour inespéré. Je n'ai pas d'ailleurs cessé de répéter cette parole sur la route de l'exil. Je vous l'avais léguée comme un gage de consolation, je vous la rapporte comme une action de grâces. « Béni soit donc le Seigneur dans les siècles des siècles ! » Les situations sont différentes, l'hymne est le même. Fugitif et pros­crit, je bénissais; revenu de l'exil, je bénis encore. Béni soit Dieu qui a permis mon expulsion; béni soit le Dieu qui a préparé mon retour! Béni soit le Dieu qui avait déchaîné les tempêtes; béni soit le Dieu qui les a calmées. Oh ! puissé-je vous apprendre à le bénir toujours! Bénissez-le dans les épreuves, pour en abréger la durée; bénissez-le dans la prospérité, pour la rendre durable! Job lui avait rendu grâces dans l'opulence, il le glorifia dans l'ad­versité. Qui suis-je donc pour vous parler ainsi? Mais il n'importe, et quelle que soit ma faiblesse personnelle, je puis du moins vous dire que, dans les conjonctures si diverses qui viennent de se suc­céder pour moi, la disposition de mon âme est restée constamment la même. Le courage de votre pilote n'a été ni brisé par la tem­pête, ni amolli par le retour du calme. En m'éloignant de vous, je bénissais le Seigneur; en vous contemplant de nouveau, mes bien-aimés, je le bénis encore. On m'avait séparé de vous par la distance, on ne vous avait point ravis à mon cœur. A quoi donc ont abouti les intrigues des méchants? Elles ont redoublé l'affec­tion de mes anciens amis ; elles m'ont créé des amis nouveaux. Autrefois, dans cette enceinte, mes regards ne tombaient que sur des chrétiens. En ce moment, je vois des païens, des juifs, qui pleurent de joie en me contemplant. Autrefois nous n'avions d'au­ditoire que dans l'intérieur de l'église, aujourd'hui la place pu­blique continue l'église, et du fond de la place jusqu'ici on dirait une seule tête ! Nul ne commande le silence, et tous sont silencieux et recueillis. Qui se doute seulement en ce jour qu'il pourrait y avoir des jeux au cirque? Tout le monde est ici. Constantinople tout entière s'est donné rendez-vous à la maison de Dieu. On s'y

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précipite comme un terrent, avec le fracas des grandes eaux. La torrent, c'est votre zèle; le bruit des eaux, c'est votre voix répétée par cent mille bouches et faisant monter jusqu'aux cieux le témoignage de votre filiale tendresse. Vos prières sont ma couronne, plus précieuse que tous les diadèmes. Je vous revois dans cette basilique sacrée, ou reposent les reliques des apôtres. Banni comme eux, je reviens près de ces illustres bannis de l'antiquité. Là sont les cendres de Timothée, ici celles de Paul, ce stigmatisé de Jésus-Christ. Courage donc, et ne laissez jamais votre âme succomber devant les difficultés de la vie. C'est par le chemin de l'épreuve qu'ont marché tous les saints. Plus ils ont souffert dans leur corps, plus la paix de leur âme était parfaite. Et plût à Dieu que nous fussions toujours dans l'affiction ! Le pasteur se réjouit quand il souffre pour son troupeau. Quelle joie n'est donc pas la mienne ! Je rentre au milieu de mes brebis, le loup a disparu. Il a pris la fuite. Qui l'a chassé? — Le pasteur? — Non, le pasteur était exilé. Ce sont les brebis qui ont écarté le ravisseur! Nobles brebis ! En l'absence du berger, elles ont repoussé la bête cruelle ! Chaste épouse, en l'absence du mari, elle a éconduit l'adultère ! — Et comment cela s'est-il fait? Par les armes, la lance ou le bou­clier ?— Non, mais par la force de la vertu, par la puissance de la prière. Les brebis ont témoigné leur docilité; l'épouse, son amour fidèle. Et cela suffisait. Maintenant où sont-ils, les ennemis, les ravisseurs? Enveloppés dans leur manteau de honte, ils tremblent et se cachent. Cependant nous triomphons en plein jour. L'empe­reur, la noble Augusta, les princes sont avec nous et pour nous» Que vous dirai-je donc? Je ne sais qu'une seule parole. Que le Seigneur soit béni ; qu'il répande sa bénédiction sur vous et sur vos enfants. A lui la louange et la gloire dans les siècles des siècles." Amen1 ! »

 

7. Pour un homme paralysé des parties inférieures du corps, le­quel venait de passer trois jours au milieu d'une émeute, quatre autres jours sur les grands chemins de l'exil, et enfin cette dernière

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1.  S. Joaun. Chryjost., Post reditum; Pair, 'jrœc, loin. LIT, col. 4S9-U1.

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journée parmi des émotions capables d'anéantir le tempérament le plus vigoureux, il faut convenir qu'un tel discours ne manquait pas tout à fait de souffle. La moderne critique n'y avait pas songé. Cependant, Eudoxia avait envoyé tous ses courtisans grossir le cortège de l'archevêque. Le soir même, lorsque Chrysostome put enfin goûter quelque repos dans sa demeure épiscopale, elle lui adressa un message ainsi conçu : « Mes vœux sont exaucés; j'ai obtenu ce que je voulais. J'ai rendu au troupeau son pasteur, au navire son pilote. C'est là pour moi une couronne que j'estime plus précieuse que mon diadème. »

 

8. Le lendemain, la multitude aussi nombreuse que le jour pré­cédent envahit la basilique. L'impératrice Eudoxia vint elle-même pour rajeunir en quelque sorte sa popularité, au milieu de ces tou­chantes démonstrations. Chrysostome parut sur le trône épiscopal et des applaudissements sans fin ébranlèrent les voûtes de l'édifice. Le discours de la veille n'avait été qu'une sorte d'allocution de circonstance. On attendait une homélie en règle. Le peuple comp­tait sur son orateur. L'orateur s'éleva plus haut encore que les espérances populaires. Jamais peut-être le génie de Chrysostome ne brilla d'un plus vif éclat. Nous allons reproduire en entier cette improvisation aussi brillante que mesurée, aussi éloquente que modeste, où l'illustre archevêque passe en revue tous les faits accomplis avec autant d'à-propos que de modération, avec une finesse, un tact, un goût merveilleux. « Autrefois, dit-il, le Pha­raon d'Egypte, dans sa barbarie native, rencontra l'épouse d'A­braham, dont la beauté frappa ses regards adultères. Un rapt eut lieu alors. La Providence divine le permit pour faire éclater à la fois la vertu de l'épouse, la patience du patriarche, la méchanceté du barbare, et enfin la justice et la bonté célestes qui ne laissent jamais le crime impuni. Cette histoire du Testament antique, c'est la nôtre, mes bien-aimés. Il s'est retrouvé un Égyptien pour jouer parmi nous le rôle du Pharaon. Le roi d'Egypte au temps d'Abra­ham commandait à des soldats; l'Égyptien moderne a mis en avant ses protecteurs. Le Pharaon fit enlever Sara, l'Égyptien moderne a voulu envahir cette église. Sara fut détenue captive

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pendant une seule nuit; cette église pendant un seul jour. Encore ce jour ne fut-il pas complet. La captivité de Sara mit en relief l'honneur de la vertueuse épouse; l'oppression de cette église a fait connaître votre fidélité. Jusqu'ici le parallélisme se soutient entre l'histoire patriarcale et notre histoire actuelle. Mais le dé­noument diffère. Le Pharaon, ce roi barbare, fut attendri par la vertu de Sara. Il déplora son erreur et dit à Abraham : « Pour­quoi m'aviez-vous trompé, en me disant que cette femme était votre sœur 1? » Et Sara fut rendue à son époux. Mais le nouvel Égyptien après avoir commis son crime n'a pas connu le repentir; il a continué la lutte et la violence. Malheureux, « tu as péché, arrête-toi2! » N'ajoute pas d'autres forfaits au premier. Tu avais exilé le pasteur, pourquoi disperser le troupeau? Tu avais éloigné le pilote, pourquoi briser le gouvernail? Tu avais chassé le vigne­ron, pourquoi arracher la vigne? Pourquoi violer les monastères et reproduire les désastres d'une invasion de barbares? Dieu a permis tout cela, mes bien-aimés, afin de mieux faire éclater votre vertu et de montrer à la face de l'univers qu'il y a dans cette cité de Constantinople un troupeau fidèle dont Jésus-Christ est vrai­ment le chef. Même en l'absence du pasteur, ce troupeau est resté invincible. La parole de l'Apôtre s'est accomplie. « Vous avez poursuivi avec crainte et tremblement l'œuvre de votre salut, non-seulement quand j'étais là pour diriger vos efforts, mais en mon absence, alors qu'on m'avait éloigné de vous 3. » Nos ennemis connaissaient parfaitement votre courage, la force de votre amour pour moi et l'ardeur de mon amour pour vous. Tant que Chry- sostome sera dans la cité, disaient-ils, nous n'oserons rien faire. Qu'on le force d'en sortir. — Eh bien ! vous y avez réussi. L'é-vêque a été exilé. Mais vous avez vu alors ce que peut l'attachement d'un troupeau fidèle à son pasteur légitime, vous avez connu par expérience la générosité de mes fils, leur constance inébran­lable. Spectacle inouï ! Le berger est absent et le troupeau combat ; le chef est éloigné et les soldats prennent les armes. Non-

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1. Gènes., su, 18, 19. — 2. Gènes., XII, 4-7. —3. Philipp., n, 12,

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seulement l'Église a eu son armée, mais la ville entière est deve­nue l'Église. Un souffle d'héroïque sainteté purifiait les rues, les places, l'atmosphère de la ville. Les hérétiques se convertissaient, les Juifs eux-mêmes confessaient la divinité de Jésus-Christ et accouraient dans nos rangs. Ainsi en fut-il au temps évangélique. Le grand-prêtre Caïphe attachait le Sauveur à la croix, mais le bon larron se convertissait. Les princes des prêtres mirent à mort celui que les mages avaient adoré. Église de Constantinople, ne vous troublez donc pas. Sans ces épreuves, jamais on n'eût apprécié les trésors de fidélité et de grâces déposés dans votre sein. L'ennemi a tendu ses embûches, il a déclaré la guerre, mais il a été vaincu. Quelles étaient ses armes? Des bâtons. — Quelles étaient les vôtres? La prière. — C'est le mot de l'Évangile: « Si l'on vous frappe sur la joue droite, tendez l'autre 1. » Les insensés! Ils ont envahi ce temple, ils l'ont assiégé, ils ont changé le sanctuaire de la paix en un champ de carnage, sans respect pour la majesté du Dieu qui y réside, ni pour la dignité du sacerdoce, ni pour la piété des princes. La piscine du baptistère a été remplie de sang; le bain de la régénération est devenu le théâtre des égorgements. Quoi ! l'empereur en entrant dans cette église dépose le bouclier et le diadème; et vous, vous êtes venus ici l'arme au poing, la massue levée! Le souverain laisse à la porte les insignes de l'em­pire, et vous, vous avez porté la guerre jusqu'au pied de l'autel. Ainsi avez-vous fait. Mais votre sacrilège n'a pu atteindre la sain­teté de cette église, noble épouse que Jésus-Christ m'a donnée. Elle a conservé, malgré tous vos forfaits, l'éclat immaculé de sa vertu. Et voilà ce qui me comble d'allégresse. Je suis heureux, moins encore de votre victoire, que de ce que vous avez triomphé sans moi. Si j'eusse été au milieu de vous, on aurait pu m'attribuer une part dans le succès. Vainqueurs sans moi, la gloire vous appartient tout entière. Mais aussi c'est là un mérite qu'on ne sau­rait me contester. Je vous ai élevés de telle sorte que, loin de votre père, vous savez déployer le même courage que vous auriez sous

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1. Mat th., v, 39.

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p555 CHAP. V.      RAPl'EL  DS   Cn&Y'SOSTOUE.

 

ses yeux. Tel un généreux athlète n'a pas besoin de l'œil du maître pour faire honneur aux leçons qu'il en a reçues. Qu’ai-je besoin d'insister davantage? Les pierres elles-mêmes, les muraillent crient et proclament votre valeur. Au palais impérial on vante la fidélité du peuple de Constantinople! Les rives du Bosphore, le désert, les rochers, les campagnes, retentissent de la même accla­mation. Votre éloge est écrit dans tous les cœurs et redit par tous les échos. Et comment avez-vous remporté cette éclatante vic­toire? Par les armes, la violence, l'intrigue et l'or? Non, mais par la foi. Constantinople fidèle à son évêque ! Constantinople éprise d'amour pour son père! Cité bienheureuse, ce ne sont pas tes édi­fices superbes, tes magnifiques colonnades qui font ta richesse, c'est ta vertu. Quoi! parmi tant de dangers, d'embûches, de vio­lences et de menaces, vos prières ont suffi pour vaincre! Oui, et ce n'est pas sans raison, car vos prières étaient assidues, vos larmes comme un torrent forcèrent la miséricorde de Dieu. L'ennemi avait des glaives, vous des oraisons; il respirait le carnage, vous la mansuétude. Qu'on fasse de nous ce qu'on voudra! disiez-vous. Et vos prières redoublaient. Maintenant ces envahisseurs où sont-ils? Avons-nous armé des soldats, bandé nos arcs, lancé des flèches contre eux? Nous avons prié et ils ont disparu. Leur trame était une toile d'araignée, votre foi était le rocher inébranlable. J'ai donc le droit d'être fier de vous! Et pourtant ce triomphe ne m'a pas surpris, parce que je connaissais depuis longtemps les ressources inépuisables de votre dévouement et de votre piété. On pouvait bannir le pasteur, je savais que le troupeau, que la cité entière le suivrait dans l'exil. Un homme avait disparu, et Cons­tantinople se croyait transformée en un désert. Les femmes, Ies époux, les vieillards, les petits enfants, tous voulaient s'embarquer pour aller rejoindre, à travers les flots, parmi les solitudes, leur père qu'on avait ravi. L'esclave, sans s'inquiéter de son maître; la femme, sans souci de sa faiblesse, tous prenaient ce chemin. Le forum fut déserté pour l'église. Il vous souvient d'avoir vu alors l'auguste impératrice elle-même se mêler à vos rangs et partager votre sollicitude. Je ne veux point passer sous silence cet acte de

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piété auguste. Mes lèvres ne connaissent pas l'accent de l'adulation. Je le dis en sa présence, parce que c'est la vérité. Pendant que des intrigues dont vous connaissez les auteurs me faisaient prendre la route de l'exil, l'impératrice s'est souvenue de sa piété; elle a mêlé ses prières aux vôtres, et le triomphe de ce jour est aussi son œuvre. Oubliez donc tous les souvenirs amers, pour ne plus songer qu'aux bienfaits du Seigneur et à la reconnaissance que nous lui devons. Redisons avec l'Apôtre : « Ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans l'allégresse. Ils allaient et pleuraient, répandant le grain sur les sillons, mais ils reviendront dans la joie recueillir des gerbes de salut et de grâce1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon