L’Origénisme et les trois Chapitres. 4

Darras tome 14 p. 534

 

   45. La quatrième conférence s'ouvrit le 12 mai 533. Après la lecture du procès-verbal, le saint synode dit : « Il convient de procéder enfin à la discussion si longtemps différée des écrits de Théo­dore de Mopsueste, de la lettre d'Ibas et des opuscules nestoriens de Théodoret. Deux questions, l'une de foi, l'autre de personne, ont été soulevées à l'occasion de Théodore de Mopsueste. Elles se­ront traitées séparément. — Les notarii dirent : Nous avons sous la main les extraits de Théodore de Mopsueste, relevés textuelle­ment de ses œuvres complètes. —Lisez-les, dirent les pères. —Le diacre et notarius Callonyme se leva et fit cette lecture. » Elle com­prenait soixante et onze propositions, empruntées aux principaux ouvrages de Théodore de Mopsueste, aujourd'hui perdus : Librincon­tra Apollinarem ; Commentaria in Joannem; Commentaria in actus Apostolorum; in Lucam; in Matthœum; Libri de Incarnatione, etc. Outre des opinions singulières, telles que le prétendu défaut d'au­thenticité du livre de Job et du Cantique des cantiques, l'auteur niait formellement la consubstantialité du Verbe et la divinité de Jésus-Christ. L'Homme-Dieu n'était pour lui que le temple ou l'image de la divinité. » C'est une folie, disait-il, de prendre au pied de la lettre l'expression que l'Érangéliste met sur les lèvres de Notre-Seigneur : Accipile Spirititm Sanctum1. Jésus-Christ n'avait pas le pouvoir d'en­voyer le Saint-Esprit, ni de le communiquer par son insufflation aux apôtres. La preuve qu'il ne leur donnait point alors le Saint-Esprit, c'est qu'avant son ascension, il leur recommanda «de rester à Jérusalem, et d'y attendre l'effusion promise de l'Esprit-

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1 Joan., xx, 22.

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p535 CHAP. VII. II0 CONCILE niO CONSTANTINOPLE Ve ŒCUMÉNIQUE.    

 

Saint 1. » Théodore de Mopsueste, on le voit, n'était pas un grand théologien. Lorsque Notre-Seigneur « soufflant sur les apôtres, » selon la parole évangélique, leur dit : «Recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez, » il leur conférait le sa­crement de l'ordre, et leur communiquait le pouvoir d'en exercer les fonctions sacrées. Mais il réservait après son ascension glo­rieuse l'effusion du Paraclet, qui devait prendre possession de l'É­glise catholique en la personne des apôtres, pour en devenir l'ins­pirateur, le soutien, le guide, jusqu'à la consommation des siècles. La Pentecôte fut donc le baptême par l'Esprit, la confirmation pre­mière, complétant le baptême par l'eau. Nisi quis renatus fuerit ex aquâ et Spiritu Sancto non potest intrare in regnum cœlorum2. Théo­dore de Mopsueste n'était ni plus heureux, ni plus exact à propos de l'exclamation de l'apôtre saint Thomas, convaincu de la réalité de la résurrection et disant au Sauveur : « Mon Seigneur et mon Dieu 3 ! » — « Ce n'est point à Jésus-Christ que s'adressa cette parole, disait l'évêque de Mopsueste, mais à Dieu dont la puissance avait ressuscité Jésus-Christ4. » — «Pour acquérir la perfection, ajoutait-il, le Sauveur eut à lutter moins encore contre les souf­frances physiques que contre les passions de l'âme. Il s'exerçait à vaincre ces dernières par la vertu de la divinité qui habitait en lui 5. » — En entendant ces paroles, qui avaient, on se le rappelle, servi de base à toute la théorie pélagienne 6, les pères ne purent retenir un cri d'horreur. «Tout cela est déjà condamné, dirent-ils. Anathème à Théodore de Mopsueste et à ses écrits ! Cette doc­trine est étrangère à l'Église, étrangère aux orthodoxes, étrangère aux pères et aux docteurs. Ce sont des impiétés, des blasphèmes contre les saintes Écritures. Théodore de Mopsueste est un Judas7! » — Après cette explosion de la foi unanime, le diacre reprit la lecture des passages incriminés. L'évêque de Mopsueste, pour mieux démontrer que Jésus-Christ n'était pas Dieu, compa-

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1 Act., i, 4; Labbe, Concil., tom. V, col. 440. — 2 Joan., m, 5. — 3. Joan., XX, 28. — 4. Labbe, tom. cit., coi. 440. - 5 Labbe, ibid., col. 444. — 6. Cf. tom. Xll de cette Histoire, pag. 283. — 7 Labbe, tom. cit., col. 445.

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p536 PONTIFICAT  DE   VIG1LIUS   (537-553).

 

rait les miracles de l'Évangile à ceux de Moïse. L'éclipse de soleil arrivée à l'époque de la Passion, lui paraissait moins merveilleuse que les miracles de Josué et du roi Ézéchias arrêtant le soleil. Il insistait sur le titre de fils de David, donné au Sauveur par les saintes Écritures. Enfin, dans le Symbolum ou résumé de toute sa doctrine, déjà cité sous son nom et condamné au concile d'Éphèse, il disait : «Nous reconnaissons que Jésus de Nazareth fut adopté par Dieu qui lui donna l'onction de son Esprit et de sa vertu, en sorte que le Verbe s'unit à cet homme de filiation hu­maine par une alliance divine, pour en faire, selon le mot de saint Paul, l'Adam nouveau1. » Après la lecture de ces blasphèmes, le saint synode s'écria : « Ce symbole est l'œuvre de Satan. Anathème à son auteur! Le concile œcuménique d'Éphèse l'a déjà anathématisé. Nous n'avons qu'un symbole, celui de Nicée, maintenu par tous les conciles. C'est dans ce symbole que nous avons été baptisés, dans ce symbole que nous baptisons nous-mêmes. Anathème à Théodore de Mopsueste ! II a répudié les Évangiles; il a outragé l'économie divine de l'Incarnation. Anathème à ses défenseurs! Ses partisans sont des Juifs ou des païens. Longues années à l'empereur, l'orthodoxe empereur, l'empereur très-chrétien, qui nous a convoqués pour extirper cette zizanie ! Tous, nous anathématisons Théodore de Mopsueste ! — Après ces acclamations, le saint synode dit : Tant et de si horribles blas­phèmes contre notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ appelaient naturellement nos anathêmes. Cependant, comme il importe de ne rien précipiter dans une matière si grave, nous remettrons à un autre jour l'examen de la question personnelle, et la décision à prendre par rapport à la mémoire de Théodore de Mopsueste 2. »

 

   46. La question personnelle était en effet la plus délicate de celles que le concile avait à traiter. Un grand nombre d'esprits, nous l'a­vons vu précédemment, pensaient que l'Église n'a pas le pouvoir de condamner les morts. D'autres, moins absolus et tout en ad­mettant ce pouvoir en principe, contestaient l'opportunité de son

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 1 Labbe, Concil., tom. V. — » ld., ibid., col. 435-456.

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p537 CHAP. VII. IIe CONCILE DE COSSTASTIXOPLE Ve (ECUMÉMIQUE.    

 

usage dans la circonstance présente. Les deux conciles œcumé­niques d'Éphèse et de Chalcédoine avaient défini, jugé et condamné les erreurs de Théodore de Mopsueste, aussi bien que celles d'Ibas et de Théodoret. Mais ils avaient solennellement réhabilité, après rétractation, Théodoret et Ibas ; de plus, ils n'avaient pas cru devoir flétrir Théodore de Mopsueste déjà mort à cette époque. Il y avait donc lieu de craindre qu'en allant plus loin, on n'affaiblît l'autorité des assemblées de Chalcédoine et d'Éphèse. Cette appréhension n'é­tait pas seulement une conjecture hypothétique; elle se justifiait su­rabondamment par les manœuvres des eutychéens, lesquels ne dis­simulaient point leurs coupables espérances. Les évêques d'Occi­dent étaient surtout frappés par cette considération. Dans leurs lettres au pape Vigilius, ils ne cessaient d'y insister, répétant qu'on ne devait rien entreprendre ni rien permettre contre l'autorité de Chalcédoine et d'Éphèse. Le caractère des orientaux, si versatiles dans la conduite et si tenaces dans l'erreur, n'était pas fait pour inspirer une grande confiance. Eutychius, présidant l'assemblée de Constantinople, ne perdit pas un seul instant de vue ces difficultés multiples et complexes. Le résultat répondit à la prudence et à la sa­gesse de ses efforts. La cinquième conférence s'ouvrit, le 17 mai 533, par la lecture du procès-verbal. L'archidiacre Diodore prit ensuite la parole et dit : « Votre saint synode a pris connaissance des blas­phèmes impies contenus dans les écrits de Théodore de Mopsueste. Il convient maintenant d'examiner le jugement que les pères, les docteurs, les historiens, les empereurs contemporains de cet évêque, ont porté de sa personne. Des extraits nombreux, tirés de sources diverses, ont été réunis : vous plaît-il qu'ils soient lus devant vous? — Les pères répondirent affirmativement, et le notarius commença la lecture par un long fragment des livres de saint Cyrille, où ce grand docteur employait les qualifications les plus sévères contre Théodore de Mopsueste. On lut ensuite une requête des évêques de Perse et d'Arménie, adressée jadis au pa­triarche saint Proclus, dans laquelle Théodore de Mopsueste était encore plus rigoureusement jugé : Fuit aliquis pestifer homo, magis autem fera hominis habens formam diabolikam mentito nomine Théo-

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p538   PONTIFICAT  DE   V1GILIUS  (537-OOo).

dorus qui schema et nomen episcopi habuit, in angulo et ignobili loco orbis terrarum latitans, in Mopsuesteno IIœ Ciliciœ vili oppido, vere quidem et principaliter a Paulo Samosateno descendens, licet Photino et ceteris hœresiarchis in loto suo proposito ipsis verbis inveniatur usus1. — Ce témoignage était écrasant. On y ajouta un passage de l'historien ecclésiastique Hésychius, prêtre de Jérusalem, dont l'ouvrage ne nous est point parvenu. « Longtemps après Photin, disait Hésychius, on vit paraître l'hérétique Théodore, non moins dangereux par la malice de sa doctrine, la fourberie de son lan­gage et la versatilité de son caractère. Attaché dans son adoles­cence au clergé d'Antioche, il avait bientôt cédé à l'entraînement des passions. Converti par une lettre fameuse de Jean Chrysostome, son condisciple, il revint à sa première vocation et fut plus tard promu au siège épiscopal de Mopsueste. Il débuta dans la voie de l'erreur en se faisant le champion du judaïsme. Dans ses Commentaires sur les psaumes, il rejette toutes les prophéties rela­tives au Sauveur. La publication de cet ouvrage souleva l'indigna­tion du monde catholique. L'auteur, feignant de se rétracter, pro­mit de jeter au feu son Commentaire ; mais il n'en fit rien. Il continua dans l'ombre à endoctriner un certain nombre de disciples, il écri­vait à leur usage et débitait sous le manteau des libelles renfermant ses funestes erreurs contre la divinité de Jésus-Christ. Ce fut dans ces sentiments qu'il mourut2. » Outre ces passages si concluants contre la mémoire de l'évêque de Mopsueste, on lut les décrets impériaux de Théodose le Jeune et de Valentinien, où le nom de Théodore se trouvait joint à celui de Nestorius, comme ayant l'un et l'autre pro­fessé les mêmes erreurs, avec la même opiniâtreté. Cependant il circulait dans le public des lettres pleines de sympathie et d'affection,

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1    « Il y eut un homme pestiféré, ou plutôt un loup ravissant, sous la forme diabolique d'un homme. Il s'appelait Théodore (Théo doron, don de Dieu); mais
ses actes démentaieut son nom. Il obtint le titre et les honneurs de l'épiscopat, et vécut dans un coin obscur de la Cilicie IIe, à Mopsueste. Il pro­cédait directement de Paul de Samosate, ce qui ne l'empêchait pas d'em-­
prunter leurs erreurs aux autres hérésiarques, tels que Photin. » (Labbe, ConciL, tom.
V, col. 404.)

2    Labbe, ConciL, tom. V, col. 470.

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p539 CHAP.  VII. — II° CONCILE DE COXSTAXTIXOrLE Ve OBCUMÉNIQUE.    

 

adressées jadis par saint Grégoire de Nazianze à un évêque du nom de Théodore. On croyait faussement que ce Théodore, correspon­dant de l'illustre ami de saint Basile, était l'évêque de Mopsueste. Le concile demanda que ces lettres, au nombre de six, fussent lues intégralement. D'après leur contexte, il devint évident qu'elles n'avaient point été adressées à Théodore de Mopsueste, mais à un évêque de Tyane, homonyme et contemporain. Les diptyques de l'église de Tyane établirent nettement la réalité du fait, et le saint synode rendit cette déclaration : « Il est constant, d'après le texte même et d'après la tradition locale, que les lettres de saint Grégoire de Nazianze étaient adressées à Théodore de Tyane, et non à l'évêque impie de Mopsueste. Il convient maintenant d'exa­miner la question de savoir s'il est permis d'anathématiser les hérétiques après leur mort. — L'archidiacre et primicier se leva : Nous avons, dit-il, réuni un certain nombre de documents propres à éclaircir la difficulté. Le saint synode veut-il les en­tendre1? » — Sur la réponse affirmative des pères, le notarius Photin lut ce passage de saint Cyrille : Recusandum igitur eos qui tam malis culpis obnoxii sunt, sive in vivis sunt, sive non : « Il faut donc répudier tous les fauteurs de l'hérésie, vivants ou non2. » Cette phrase du grand docteur d'Alexandrie ne parut point assez déci­sive ; l'expression d'anathème ne s'y trouvait pas. Un évêque afri­cain, Sextilius, prit la parole et dit : Puisqu'il est permis à chacun, en présence des saints Évangiles, de proposer, dans la mesure de ses facultés, tout ce qui peut servir à résoudre la question, je crois devoir rappeler à votre saint synode qu'autrefois un concile de la province d'Afrique a décrété que les évêques qui auraient fait quelques dispositions testamentaires en faveur des hérétiques, pourraient être anathématisés après leur mort. J'ai entre les mains quelques citations des ouvrages du grand Augustin, de bienheu­reuse mémoire : elles établissent que l'Église a le pouvoir d'anathé­matiser les morts. Voici ces extraits. Si le saint synode le désire, l'un des notarii pourra en donner lecture. » — Le diacre Photin

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1. Id., ibid., col. 479. – 2. Id., ibid.

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p540   PONTIFICAT DE  VIGILIDS (537-535).

 

lut donc d'abord une lettre de saint Augustin au comte Bonifacius. Le grand évêque d'Hippone, en parlant du schisme des donatistes et des calomnies dont la mémoire de Cécilien était l'objet, disait formellement : « Si, au lieu d'être innocent comme il le fut, on pouvait démontrer que Cécilien s'est vraiment rendu coupable des crimes qu'on lui reproche, bien qu'il soit mort depuis longtemps, nous n'hésiterions pas à prononcer contre lui l'anathème1. » Dans la conférence de Carthage contre les donatistes 2, saint Augustin avait dit encore : « Nous défendons la mémoire de Cécilien et de ses collègues injustement accusés. Mais si vous pouviez nous dé­montrer qu'ils furent coupables, je serais le premier à leur jeter l'a­nathème 3. » Enfin, dans son ouvrage contre Cresconius, il disait formellement : « L'Église a le pouvoir de juger non-seulement les vivants, mais les morts : Judicium non tantum de vivis sed de mortuis fieri potest 4. » — Benignus, évêque d'Héraclée, représentant du révérendissime Elias, évêque de Thessalonique, se leva et dit : « Quand le bienheureux Augustin, de sainte mémoire, tenait ce langage, il ne faisait que rappeler la tradition constante de l'Église. En effet, les hérésiarques Valentin, Marcion, Basilide, ne furent condamnés de leur vivant par aucun concile, et pourtant l'Église de Dieu les a frappés d'anathème après leur mort. Il en fut de même d'Eunomius et d'Apollinaire. C'est donc à très-juste titre que l'évêque d'Edesse, Rabbula, de sainte mémoire, prononça solennellement une sentence contre Théodore de Mopsueste déjà mort. Le fait résulte de la lettre même que l'évêque Ibas adres­sait à l'hérétique persan Maris. On peut encore apporter en preuve la conduite tenue jadis contre Eusèbe de Nicomédie et Théognis, dont les noms furent flétris par un anathème posthume. Enfin, un fait analogue s'est produit au sein de l'Église romaine elle-même. L'antipape Dioscore fut anathématisé après sa mort, tous les habi-

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1 Si vera essent quœ ab eis objecta sunt Cœciliano, et nobis poisent aliquando monsirari, ipsum jam mortuum anathemaiizaremus. (Labbc, Concil., tom. V, col. 480.)

2. Cf. tom. XII do cette Histoire, pag. 230. —3 Labbe, loc. cit. — 4 Labbe, tom. cit., col. 481.

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p541 CHAP. VII. II0 CO-NCILE DE COSSTANTIKOPLE Ve ŒCUMÉNIQUE.     

 

tants de Rome le savent 1. » — Après ces observations de Benignus, trois autres évêques, Théodore de Césarée, Jean de Nysse, Ba­sile de Justinianopolis, firent la communication suivante : « Le saint synode a déjà manifesté clairement son horreur pour les blasphèmes de Théodore de Mopsueste. Cependant les parti­sans du nestorianisme s'efforcent de justifier la mémoire de cet évêque. Ils citent une prétendue lettre que Cyrille, de sainte mé­moire, aurait jadis adressée au patriarche Jean d'Antioche. Dans cette lettre, que nous mettons sous les yeux de l'auguste assemblée, saint Cyrille aurait dit qu'il fallait s'abstenir de condamner nomi­nativement Théodore de Mopsueste, dans la crainte de rallumer le schisme et de renouveler inutilement les dissensions à peine calmées. Or, cette lettre est apocryphe; elle ne se trouve dans au­cune collection des œuvres de saint Cyrille ; elle porte d'ailleurs dans sa rédaction et son style des preuves évidentes de supposi­tion. Les nestoriens invoquent de plus une autre pièce non moins fausse; c'est une lettre de Proclus, également inventée pour les be­soins de la cause, où l'on fait tenir au patriarche de Constantinople le même langage déjà prêté à saint Cyrille. Nous produisons éga­lement cette lettre, dont la teneur, le style et les expressions sont en contradiction flagrante avec les écrits authentiques de Proclus. Votre sainteté devra donc se mettre en garde contre les manœuvres des hérétiques, afin de sauvegarder la tradition véritable et d'effacer l'opprobre qui rejaillirait sur l'Église, si la mémoire de Théodore de Mopsueste n'était pas flétrie comme elle doit l'être. » —Après cette communication, les notarii donnèrent lecture des procès-verbaux du synode tenu récemment à Mopsueste, pour examiner si le nom de Théodore avait continué à figurer sur les diptyques de cette église. Nous avons déjà dit que l'enquête n'avait pas amené de résultat décisif. Les pères de Constantinople déclarèrent que leur religion était suffisamment éclairée. «La tradition a été solidement établie, dirent-ils. Nul ne saurait douter maintenant que l'Eglise n'ait le pouvoir de frapper les hérétiques d'une sentence posthume. Les impiétés de Théodore de Mopsueste ont été prouvées jusqu'à l'évi-

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1 Cf. chap. vi. N° 2 de ce volume.

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p542   PONTIFICAT DE   VIGILIUS   (537-o5o).

 

dence. Nous réservons de formuler plus tard notre jugement à cet égard. Il nous reste à examiner le second des trois Chapitres, c'est-à-dire les œuvres nestoriennes de Théodoret de Cyr. Nous en de­mandons lecture. — Le diacre Photin lut d'abord douze extraits du livre de Théodoret contre les anathématismes de saint Cyrille 1. Nous n'avons plus aujourd'hui cet ouvrage de l'évêque de Cyr, et pour l'honneur de sa mémoire, nous n'avons pas à le regretter. Théodoret y disait formellement que Jésus-Christ n'avait été qu'un homme uni à Dieu. «Par conséquent, ajoutait-il, le titre de mère de Dieu, qu'on donne à la sainte Vierge, signifie non pas que Marie ait donné le jour à un Dieu, mais à un homme auquel la divinité s'est unie2 . » L'évêque de Cyr appuyait cette erreur nestorienne sur les textes évangéliques : Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me?3 Pater, si potest fieri, transeat  me calix iste4. — Horam illam nemo cognovit, neque filius, nisi Pater 5. — « Si Jésus-Christ était Dieu, disait-il, comment pouvait-il se plaindre que Dieu l'eût abandonné? Comment recourait-il à la puissance de son Père, pour éloigner de ses lèvres le calice de la passion? Comment ignorait-il les  secrets  de la divinité0? »   On lut une lettre de Théodoret adressée à l'évêque André de Samosate, dans laquelle il protes­tait énergiquement  contre  les  décrets du concile œcuménique d'Éphèse. Une autre lettre, écrite vers la même époque à Nestorius, était encore plus compromettante. Théodoret félicitait l'hérésiarque du courage avec lequel celui-ci supportait « l'injuste persécution » de ses ennemis. « Croyez, lui disait-il, que ni le temps, ni la vio­lence, ni les intrigues des hommes ne me sépareront jamais de la vérité. Je ne sais pas, comme nos modernes caméléons, changer de couleur avec le vent, et refléter tantôt la blancheur du rocher, tantôt la verdure du feuillage. » En terminant, le notarius donna lec­ture d'une dernière lettre de Théodoret écrite après la mort de saint Cyrille, et adressée au patriarche Jean d'Antioche. « Enfin, disait

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1 Voir les douze unathématismes de saint Cyrille, tom. XIII de cette His­toire, pag. 48.

2. Lahbe, Concil., tom. V, col. 504. — 3. Matth., xxvn, 46; Marc, xv, 35. — 4. Matth., xxvi, 39. — 5 Matth., xxiv, 3G. — 6. Labbe, Concil., tom. V, col. 504.

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p543 CHAP.  VII. II0 COXCILE DE COXSTANTINOPLE V° ŒCUMÉNIQUE.    

 

Théodoret, il a eu bien de la peine à mourir, ce méchant homme ; mais le voilà mort ! La main du Seigneur a retranché cette pesti­lence, et délivré Israël de son opprobre. Félicitons-nous de lui sur­vivre 1. » Aucune objection ne s'éleva dans l'assemblée au sujet de l'authenticité de cette lettre. Cependant elle était apocryphe. En effet, le patriarche Jean d'Antioche mourut plusieurs années avant saint Cyrille : par conséquent Théodoret ne pouvait absolument pas avoir écrit la pièce en question, fabriquée sans doute par quelques faussaires nestoriens. Cette observation ne fut point faite alors; mais les autres citations empruntées aux œuvres de Théodoret étaient parfaitement exactes. Le saint synode termina la confé­rence en disant : « Après avoir constaté les erreurs que Théodoret eut un instant le malheur de soutenir, nous ne saurions trop ad­mirer la sagesse du saint concile de Chalcédoine à son égard. Les pères de cette auguste assemblée témoignèrent, à plusieurs reprises, par d'unanimes acclamations, l'horreur que leur inspirait une pa­reille doctrine. Théodoret ne fut admis à leur communion qu'après avoir solennellement anathématisé les impiétés sacrilèges de Nes-torius, qu'il avait lui-même professées autrefois 2. »

 

45. La sixième conférence s'ouvrit le 19 mai. Elle fut tout entière consacrée à l'examen de la lettre d'Ibas, le dernier document des trois Chapitres. Cette lettre, écrite au début du concile d'Éphèse, était une sorte d'exposé rapide de la disposition des esprits et de l'état de la controverse3. Elle ne semblait point avoir de prétentions dogmatiques. Cependant, comme elle avait été adressée à un moine persan, Maris, qui s'était depuis, signalé par son attachement au nestorianisme, les hérétiques l'invoquaient à l'appui de leur thèse. Elle renfermait en effet une proposition hétérodoxe. « Ceux qui disent que le Verbe s'est fait homme, écrivait Ibas, sont des apollinaristes. Il faut reconnaître le temple et croire en celui qui l'ha­bite. » Cette proposition longuement discutée, et mise en regard avec les décisions des conciles et des docteurs, fut reconnue et déclarée hérétique. De l'examen attentif des actes de Chalcédoine il résulta

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1 Labbe, Concil.,  tom. V,  col. 507. —  2 lu., col. 508.  — 3 Voir la  lettre d'Ibas, reproduite in extenso, tom. XIII de celte Histoire, pag. 227-228-

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p544  PONTIFICAT DE VIGILIUS  (537-555).

 

que cette dernière assemblée n'avait nullement approuvé la lettre d'Ibas, bien que lecture publique en eût été faite conciliairement, mais que, sans se prononcer sur la valeur intrinsèque de cet écrit, les Pères avaient admis son auteur à leur communion, parce que, de même que Théodoret, Ibas avait préalablement anathématisé Nestorius et son hérésie. En conséquence, le saint synode fit en­tendre les acclamations suivantes : « Anathème à la lettre d'Ibas! Honneur éternel au concile de Chalcédoine et à la mémoire de saint Cyrille ! Honneur éternel aux quatre conciles généraux ! La lettre d'Ibas est contraire à leurs définitions. Anathème à la lettre d'Ibas1

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