St Jean Chrysostome 24

Darras tome 11 p. 534

 

48. « Le questeur Aquilinus, dit-il, intima à Jean Chrysostome l'ordre de comparaître. Si vous ne venez pas, lui mandait-il, et si les débats contradictoires ne peuvent s'établir en notre présence, aux termes de la loi, nous serons obligés de vous condamner comme contumace. Si vous consentez à paraître et que vous rédui­siez à néant les griefs articulés contre vous, nous serons les pre­miers à poursuivre le châtiment de vos calomniateurs. — Jean vint donc avec une grande foule de peuple. Les juges exigèrent alors que l'on fît sortir tous les partisans de Théophile et qu'on ne laissât point non plus entrer ceux de Jean. L'un et l'autre ne de­vait être assisté que de cinq évêques. Alors le très-sage Aquilinus ayant pris place au tribunal avec les autres commissaires impé­riaux, dit: Qu'on introduise les religieux de Nitrie qui ont déposé un mémoire contre Théophile. — Ces religieux furent introduits.

=========================================

 

p535 CHAP.   IV.     CONCILIABULE DU   C1JÊNE.  

 

Deux d'entre eux avaient été récemment ordonnés prêtres par Jean Chrysostome. Aquilinus connaissait leur sainteté. Il les con­sidéra d'un air de bienveillance et dit à Théophile: Illustre évêque, pour quel motif, sous quel prétexte, avez-vous, à la tête d'une escouade armée d'épées et de bâtons, envahi les cellules de ces vénérables serviteurs de Dieu? Pourquoi les avez-vous cruellement frappés? Pourquoi avez-vous brûlé leur monastère? Quelle raison aviez-vous de poursuivre ainsi le prêtre Isidore auquel ils avaient donné asile? — Théophile repondit : J'ai dû les traiter ainsi parce que ce sont des hérétiques et qu'ils pervertissaient tout mon dio­cèse. — Mais, reprit le questeur, ne songiez-vous donc pas à la prescription de l'Apôtre : « Avertissez l'hérétique une première fois, puis une seconde, et s'il persévère rompez tous rapports avec lui 1? » C'était de la sorte qu'il vous fallait agir et non pas scanda­liser le monde par tant de violences et d'excès! — Théophile de­meura muet à cette objurgation. Le questeur s'adressant aux moines leur dit : Vous aussi, vous n'êtes pas sans reproches. Com­ment, habitués que vous l'êtes à lutter contre les puissances de l'enfer, avez-vous pu montrer si peu de courage? Vous auriez dû rester dans vos déserts et ne les jamais quitter. — Nous n'avons cédé qu'à la force, dirent les moines. Sans cela rien ne nous eût arrachés à une solitude que nous habitions depuis plus de qua­rante ans. Notre conscience est en règle sur ce point. Nos illustres et vénérables pères Pierre et Timothée et les autres saints abbés auxquels nous avons demandé conseil, nous ont témoigné de vive voix leur approbation et nous en ont donné des attestations écrites dans lesquelles ils daignent même se recommander à nos humbles prières. Du reste nous n'exigeons rien. On nous a flagellés, on nous a bannis. C'est à Dieu que nous laissons le soin de juger ces actes iniques. Tout ce que nous demandons, c'est qu'il nous soit permis de retourner dans nos déserts et d'y continuer notre vie d'austérités et de pénitence. — Aquilinus et les hauts commis­saires, en entendant cette réponse, dirent: Votre langage est celui

-------------------

1. Tit., m, io.

=========================================

 

p536 PONTIFICAT DE SAINT INNOCENT I (401-417).

 

de véritables serviteurs de Dieu. Vous pratiquez la maxime de l'Apôtre: « Qui nous séparera jamais de l'amour de Jésus-Christ1?» Recevez donc nos félicitations. Dès ce moment vous êtes libres de retourner dans vos monastères. — Les préteurs impériaux adres­sèrent sur-le-champ à Arcadius une demande de sauf-conduit pour les Grands-Frères. L'empereur l'accorda. Il voulut y joindre des présents considérables. Mais les moines se refusèrent à les accep­ter. Ils partirent donc pour retourner en Egypte. L'empereur écrivit au gouverneur de la province afin qu'on reconstruisît leurs cellules telles qu'elles étaient avant l'incendie, qu'on fournît à ces religieux tout ce dont ils auraient besoin pour le voyage, et qu'on prît des mesures pour qu'à l'avenir ils ne fussent plus inquiétés. Ces divers ordres furent contresignés par l'impératrice Eudoxia2. »

 

49. « Cependant, continue Théodore de Trimithunte, le questeur Aquilinus, s'adressant à Jean Chrysostome, lui dit : N'avez-vous jamais lu le précepte de l'apôtre saint Pierre : « Craignez Dieu et honorez le roi3? » Comment donc avez-vous pu vous laisser en­traîner au point d'injurier publiquement la pieuse Augusta? — Severianus et les autres évêques se levant alors s'écrièrent : Longue vie à Augusta! La Proconèse 4 à ses ennemis! — Aquilinus les in­terrompit en disant : Laissez aux laïques ces sortes d'acclamations. Elles ne conviennent point à la gravité du caractère épiscopal. — Malgré cette observation des commissaires impériaux, le tumulte

------------------

1.         Rom., vin, 35. — 2.Theodor.Trimithunt..,n°21,Ioc. cit. — 3II Petr.,u, 17.

2. Ti5; k\j-fo\njTr,z T.o)Xè. Ta lvrh y.aî xûv êy_6pûv a-jTîjî t^ Ilfoy.ov^cu. Cette simple exclamation est à elle seule une preuve irréfragable d'authenticité. Un faus­saire posthume n'aurait pu l'imaginer à distance et après coup. L'île de Pro­conèse, aujourd'hui Marmara, était alors désolée et sauvage. C'était là qu'on reléguait les criminels d'état condamnés à l'exil. Les rochers à pic dont elle était bordée la rendaient dangereuse pour les navigateurs. Lors de la tempête qui faillit engloutir saint Jean Chrysostome et ses compagnons de voyage, Palladius nous apprend que les matelots firent les plus grands eforts pour éviter cette côte inhospitalière : 'E-iYsvojjtsvo-j Si oçoSpoû àvéjioy (Jopp^'ow, çoëriGÉvres cl vauTixoï îva y.ii et; tyjv IIpoxovvi;<70v txpiçûffi, tA ÎTiap^ta 6évte; tj faW.ojXîvij û^oTfe'xouci to ôpoç tov Tpiiûvoî. (Pallad., Dialog. de vita S. C.'irytosl^ cap. xv, loc. cit., col. 50.)

=========================================

 

p537 CHAP. IV. CONCILIABULE DU CHÊNE.    

 

et les cris continuèrent. Enfin Théophile prit la parole et dit : J'ai à présenter une humble requête. Je demande pour quel motif Jean Chrysostome a prononcé une sentence de déposition centre moi. Je demande comment il a pu se permettre de conférer l'ordination sacerdotale à des religieux connus pour hérétiques et qui s'étaient constitués en hostilité ouverte avec moi? — Aquilinus répondit : Ce n'est pas Jean Chrysostome qui a prononcé contre vous une sentence d'interdit; c'est le prince des apôtres en la personne du grand pape Innocent. Vous n'avez donc en aucune façon le droit d'incriminer telle ou telle ordination. C'est vous qui êtes l'accusé. — A ces mots, Théophile trembla et se tut. Les préteurs, s'adressant alors à Jean Chrysostome, lui dirent : Il vous faut répondre à l'accusation de lèse-majesté dont vous êtes l'objet. Pour quel motif avez-vous proféré publiquement, contre la très-glorieuse Augusta, tant et de si graves injures? — Jean répondit : Si l'on m'accuse d'avoir blasphémé contre la divinité de Jésus-Christ, c'est Jésus-Christ lui-même qui me jugera. Mais s'il s'agit d'un homme ou d'une femme, je n'ai point à répondre. — Puis, se levant, il sortit sans avoir rien dit pour sa défense. Le questeur Aquilinus dit alors aux évêques : Je n'ai point à me prononcer en matière canonique. Voyez ce que vous voulez faire. — Après avoir ainsi parlé, il se leva et quitta la salle, suivi des autres juges impériaux 1. »

 

30. Telle est cette scène jusqu'à ce jour complètement inconnue dans l'histoire du conciliabule du Chêne. « Après le départ des juges impériaux, ajoute Théodore de Trimithunte, Théophile rédi­gea avec les évêques de sa faction une formule de jugement qu'il présenta à l'empereur comme l'oeuvre de tout le synode réuni. Chrysostome y était solennellement déposé. L'empereur lut cette pièce et dit : C'est votre affaire. Vous avez jugé selon qu'il vous a convenu. Vous en serez seuls responsables. — Marianus, grand maître du palais de l'impératrice, fut alors député près de Jean. Il se fit accompagner des clercs précédemment déposés par l'arche­vêque, et signifia à ce dernier l'ordre de quitter le siège épiscopal

-------------------

1 Theodor. Tîùmitb., n* £2, loc. cit.

==========================================

 

p538    PONTIFICAT  DE  SAINT  INNOCENT  I   (101-417).

 

de Constantiaople. Jean leur répondit : Cette église m'a été confiée par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne l'abandonnerai pas à moins que vous ne m'en chassiez à force ouverte. Je dois ce témoignage de fidélisé à l'épouse spirituelle que Dieu m'a donnée. —Marianus fit avancer ses soldats et Jean fut conduit en exil 1. » — Ce dénoûment, raconté avec tant de laconisme par Théodore de Trimithunte, est présenté avec un peu plus de détails par Photius. « Le conciliabule, dit-il, ne s'arrêta que pour la forme sur le premier chef d'accusation, relatif à la déposition par Chrysostome des deux diacres du clergé de Byzanne. On déclara que le fait était suffisam­ment prouvé, et l'on passa immédiatement à l'examen du second et du septième grief, c'est-à-dire à l'incarcération des clercs envoyés par le patriarche d'Alexandrie, et aux prétendus outrages dont Severianus de Gabala avait à se plaindre. Ce sujet fut traité lon­guement et avec beaucoup de véhémence. Puis on revint sur !a troisième articulation, relative à la vente des vases sacrés opérée par Chrysostome. Je ne sais, dit naïvement Photius, comment l'archiprêtre Arrace, celui-là même qui devait bientôt être choisi pour s'asseoir par intrusion sur le siège épiscopal de Constantinople, eut le courage de venir déposer à propos de cette accusa­tion contre le bienheureux Chrysostome. Les prêtres Atticus et Elpidius firent de même. Tous trois, ils affirmèrent que l'illustre archevêque avait vendu les vases sacrés de l'église et les marbres de l'Anastasie (c'était d'ailleurs, on se le rappelle, un fait de noto­riété publique, puisqu'il avait eu lieu lors de la contribution forcée de Gaïnas). Après quoi, les prêtres déjà nommés et les clercs Eudœmon et Onésime requirent le synode d'abréger les formalités et de procéder immédiatement à la déposition de Chrysostome: En conséquence Paul d'Héraclée, qui présidait cette session, recueillit les voix. La question fut posée en ces termes : L'accusé doit-il être chassé du siège de Constantinople? — Chacun des assistants devait à tour de rôle donner son avis. Toutes les réponses furent affirma­tives. Gerontius de Nicomdie parla le  premier,  et Théophile

-----------------------

1 Theodor. Trimit., n» 23, loc. cit.

==========================================

 

p539 CHAP.   IV.  — PREMIER  EXIL DE  CU&YSOSTOllE.    

 

d'Alexandrie le dernier. Il y eut en tout quarante-cinq suffrages. On rédigea alors une lettre synodale au peuple de Constantinople, pour l'informer de la déposition de son archevêque. Puis la sen­tence fut envoyée à l'empereur, avec une supplique de Gerontius, Faustinus et Eugnomonius, lesquels demandaient à être rétablis sur leurs sièges respectifs, dont ils avaient, disaient-ils, été injus­tement déposés par la tyrannie de Jean. L'empereur fît sur-le-champ répondre au synode qu'il acceptait la décision et la ferait exécuter. Après quoi, l'on prononça la clôture de la douzième ses­sion. Il y en eut plus tard une treizième et dernière, dans laquelle on procéda à la déposition d'Héraclide. métropolitain d'Éphèse1. »


§ IV» Premier exil de Chysostome.

 

51. Les notes laconiquement rédigées par Photius, sur les procès-verbaux officiels, nous font assister en quelque sorte à ce conven-ticule où la vénalité, l'ambition, la perfidie et la vengeance se coalisaient dans une alliance commune contre le génie et la vertu. De tels forfaits, commis par des ministres de Jésus-Christ, par des évêques, ou par des aspirants aux évêchés, ne sont pas seulement un affreux scandale, une ignominie ou un sacrilège. Sans doute, c'est là leur caractère évident, leur stigmate en quelque sorte indé­lébile. Mais l'historien ne doit pas s'arrêter uniquement au phéno­mène extérieur et comme à l’épiderme des événements. Il lui faut pénétrer plus profondément dans le vif des situations et chercher à mettre à nu les causes premières, la racine cachée des faits. Or, ce qui frappe tout d'abord l'esprit, en étudiant ce lamentable épi­sode de l'histoire ecclésiastique, c'est qu'il serait absolument im­possible de voir se produire, au sein de l'Eglise actuelle, un attentat analogue. En faisant une part aussi large qu'on le vou­dra aux défaillances individuelles, aux calculs de la vénalité, à ceux de l'ambition subalterne, aux velléités de complaisance ou de flatterie pour n'importe quel pouvoir civil, jamais, en aucun pays

-------------------

1 Pholius, Myriobillon, cod. Lix; Pair, grœc, fcrjtn. GUI, col. U2, US.

=========================================

 

p540    TOSTIFICAT DE   SAINT INNOCENT I   (401-417).

 

du mondes quarante-cinq évêques catholiques ne souscriraient au­jourd'hui, sciemment et volontairement, une sentence aussi mani­festement injuste que celle dont le conciliabule du Chêne assuma la responsabilité devant Dieu et devant les hommes. Pour qui­conque a eu l'occasion de connaître un évêque, cela est incontes­table. De nos jours, on obtiendrait peut-être le silence de celui-ci, la louange de celui-là. A force d'obsessions, on pourrait faire tom­ber isolément une ou deux consciences; mais arracher, pour une injustice flagrante, la signature collective de quarante-cinq évêques réunis en synode, jamais ! Il y a donc là une différence radicale entre le caractère des deux époques. C'est la raison de cette diffé­rence qu'il convient de rechercher. Au commencement du Ve siècle, peu de temps après que la lutte engagée entre le christianisme et l'idolâtrie se fut définitivement close par le triomphe du premier, une foule d'ambitieux cherchèrent, dans l'Eglise et par elle, de l'influence, des dignités, de la fortune et des honneurs. Nous avons déjà signalé, sous les règnes de Constance et de Valens, le despo­tisme avec lequel ces princes distribuaient les sièges épiscopaux à des intrigants notoires, à des courtisans, à des soldats, à des par­venus de tout genre. Chrétiens à peine, ces favoris étaient de suite envoyés en possession des évêchés. Cette tradition de vénalité n'était point perdue en Orient, à l'époque de saint Jean Chrysostome. Nous en avons eu sous les yeux des preuves lamentables. Un Gerontius à Nicomédie, un Porphyre à Antioche, et tant d'autres, sans compter Antoninus d'Ephèse et les simoniaques in­trus qu'il avait consacrés, pouvaient bien porter le titre usurpé d'évêques; mais ils n'avaient ni la sainteté, ni le véritable esprit de l'épiscopat. Pasteurs indignes, les fidèles valaient mieux qu'eux. Ils opprimaient le troupeau de Jésus-Christ, et ne se maintenaient à sa tête qu'à force de violences et de tyrannie. C'est là, croyons-nous, la véritable cause du succès de Théophile. Palladius, dans son récit, le laisse clairement entendre. « On eut, dit-il, cet hor­rible spectacle d'une réunion d'évêques, dont la plupart ne con­naissaient pas même Chrysostome, ne l'avaient jamais vu, n'avaient jamais entendu sa voix, et qui cependant, après avoir ourdi la

===========================================

 

p541 CHAP.   IV.     J'HEMlElt  EXIL  DE   CIIKYSOSTOME.      

 

trame de leurs complots, comme l'araignée fait sa toile, poussés par une méchanceté vraiment infernale, sans admettre ni observa­tions, ni conseils, et avec une audace diabolique, condamnaient unanimement l'innocence. Leur rapport à l'empereur s'exprimait ainsi : Chrysostome, accusé de plusieurs crimes et en ayant cons­cience, a refusé de comparaître. Les lois canonises prononcent la déposition contre un contumace. Nous l'avons donc déposé. Parmi ses autres attentats, Chrysostome s'est rendu coupable du crime de lèse-majesté. Votre piété impériale daignera, nous l'espérons, chasser ce factieux et lui infliger les châtiments qu'il mérite. Pour nous, notre tâche est achevée ! — 0 trois fois misérables ! s'écrie Palladius. Vous rougissiez d'exécuter vous-mêmes l'odieuse per­fidie que vous aviez conçue, préparée et menée à la fin ! Vous rejetiez sur l'empereur l'accomplissement de votre crime. Ce n'est pas la crainte de Bien qui vous retenait; mais vous n'auriez pas osé vous présenter devant les hommes, ayant sur le front la tache du sang innocent 1! »

 

52. Le peuple de Constantinople protestait contre ces attentats par une invincible fidélité à son archevêque. Durant ces tristes jours où l'on attendait d'heure en heure le dénoûment fatal, Chrysostome ne quitta pas la basilique sans cesse remplie par une foule sympathique et émue. Comme autrefois à Milan, les fidèles passaient la nuit à la porte de l'église ou du palais épiscopal, prêts à repousser l'agression, veillant à la sécurité de leur pasteur et de leur père. Nous avons encore deux ou trois discours prononcés alors par le grand orateur. On y sent comme un frémissement de l'anxiété générale. « Les flots sont soulevés, disait Chrysostome, la tempête gronde. Mais ne craignons pas d'être submergés, car nous sommes établis sur la pierre ferme. Avec toutes ses fureurs, la mer n'ébranle pas le rocher ; les vagues peuvent bondir en écumant, la barque de Jésus-Christ ne sombre jamais. Et que puis-je donc craindre? La mort? Mais le Christ est ma vie et mourir m'est un gain. L'exil ? Mais la terre, avec toute son étendue, appartient au

-------------------

1. Palladius, loc. cit., col. 30.

==========================================

 

p542    PONTIFICAT  CE  SAINT INNOCENT  I   (40i--il7J.

 

Seigneur. La perte des biens de ce monde? Mais je n'ai rien emporté ici-bas, et je ne saurais rien emporter au tombeau. — A ceux qui prétendent m'accabler, ma réponse est bien simple. Vous croyez n’attaquer que moi, leur dirais-je, mais c'est l'Église que vous attaquez. Vous ne réussirez qu'à illustrer le nom de votre victime, sans avoir rien gagné pour vous-mêmes. 0 homme! sois-en sûr, rien n'est plus puissant que l'Église. Fais ta paix avec elle, ne déclare pas la guerre à Dieu ! — Donc, mes bien-aimés, conser­vez le calme et la paix au milieu de cet orage. Je vous en conjure, demeurez inébranlables dans votre foi. Souvenez-vous de Pierre marchant sur les flots. Sa confiance faisait son unique force, le moindre doute l'eût exposé à périr. Sont-ce des calculs humains qui m'ont fait arriver ici? Est-ce la main d'un mortel qui m'a élevé sur ce siège épiscopal, pour que la main d'un mortel puisse m'en précipiter? Quand je parle ainsi, Dieu m'est témoin que ce n'est ni par un sentiment de vaine gloire, ni par aucune recherche d'amour-propre. Non. Je veux seulement affermir en vous un cou­rage qui pourrait chanceler. Cette église de Constantinople pros­pérait dans la paix et la grâce du Seigneur. Le démon a voulu y jeter le désordre et le trouble. Mais rassurez-vous. L'Église ne consiste pas dans les murailles d'un édifice. Ce sont les fidèles qui la composent. Or, un seul fidèle suffit à déjouer tous les efforts d'une armée de persécuteurs. — On pourra me bannir, me tuer même, on ne me séparera jamais de vous. La mort n'atteindrait pas mon âme, et mon âme se souviendra toujours de son peuple. Et comment vous oublierai-je jamais, vous, ma famille, vous, ma vie, vous, ma gloire? Pour vous, je suis prêt à répandre jusqu'à la dernière goutte de mon sang. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Qu'ils m'égorgent, qu'ils me tranchent la tête ! Une telle mort est le gage de l'immortalité, l'assurance d'une union éternelle! Disons donc avec le patriarche antique : Déni soit le Seigneur dans les siècles des siècles 1! »

-------------

1. S. Joann.  Chrysost-,  Homiliœ unie exitum ; Pair, yrœc, tom.  XLVII, »ol. Va -436.

=========================================

 

p543 CHAP.   IV.   — rUEJIIEK EXIL I/E  CITRYSOSTOISiE. 

 

53. « Cependant, dit Sozomène, quand la sentence eut été pro­noncée par le conciliabule, la nouvelle s'en répandit vers le soir dans la ville et y souleva une véritable sédition. Le lendemain, au point du jour, un attroupement se forma aux alentours de la basi­lique. Le peuple faisait entendre des clameurs irritées. On deman­dait un concile plus nombreux pour réformer l'inique jugement d'une poignée d'évêques. Les officiers impériaux, chargés d'arrêter Jean pour le conduire en exil, furent repoussés une première fois. Ils revinrent à la charge. Une mêlée terrible s'engagea, et le peuple encore cette fois resta vainqueur. Cette situation dura trois jours. Mais Chrysostome était plongé dans la douleur la plus amère. D'une part, il ne voulait point donner le scandale d'une résistance factieuse aux décrets de l'empereur; d'autre part, il rejetait abso­lument la responsabilité d'une émeute sanglante1. » Enfin, le troi­sième jour, vers l'heure de midi, comme les rangs de la foule s'étaient éclaircis un peu, il réussit à quitter secrètement la demeure épiscopale et vint se livrer lui-même aux soldats d'Arcadius, Ceux-ci attendirent la nuit pour essayer de sortir de la ville avec leur illustre prisonnier. On le recouvrit d'un manteau qui dissimu­lait complètement les traits de son visage, et l'escorte se dirigea vers la Corne-d'Or, où un navire était préparé. Malgré ces précau­tions, le peuple soupçonna la réalité. En un clin d'oeil, une foule immense ce mit à poursuivre le groupe suspect. Mais les soldats accélérèrent leur marche et purent gagner le navire. On leva l'ancre, et, remontant le Bosphore, on aborda le lendemain au port d'Hiéro, à l'entrée du Pont-Euxin. L'auguste proscrit devait être conduit dans la petite bourgade de Proenetos, en Bythinie, pour y être interné.

--------------

1 Sozomen., lii. YIîl, cap. xv:n,

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon