Gerbert 7

Darras tome 20 p. 291

 

   81. Ce discours n'a plus rien des emportements et de la violence de celui du promoteur de Saint-Basle, ni des lettres justificatives que Gerbert adressait à Siguin et à Wildérode. Le droit du saint- siège y est solennellement reconnu; des excuses sont faites pour ce que le concile de Saint-Basle avait entrepris en violation des canons. Faut-il croire que Gerbert, sous le poids de ses épreuves, était revenu à un sentiment plus juste de la situation et des faits ? Pour notre part, nous n'en doutons point, et la suite du récit en fournira d'autres preuves. Après avoir terminé son discours, Gerbert en remit un exemplaire écrit de sa main au légat apostolique. Les évêques se levèrent  alors et, accompagnés du comte Godefroy, ils se retirèrent pour délibérer. Bientôt ils appelèrent auprès d'eux Gerbert lui-même, pour lui déclarer qu'après l'avoir entendu dans sa défense, le légat voulait surseoir à la décision jusqu'à ce qu'Arnulf eût été entendu dans la sienne. En conséquence, on fixa pour le 1er juillet suivant un nouveau concile, qui se devait tenir au mo-

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1.  Richer. Histor., lib. IV, cap. ci-cv. Concil. Mosometu.  inter op.  G   erbçri lîd. Olleris, p. 246-219.

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p292   PONTIFICAT DE JEAN XVI (985-996).

 

nastère de Saint-Remy de Reims. Le légat en informait sur le champ le roi de France par un courrier spécial que Gerbert se chargea de faire parvenir sain et sauf à la cour de Hugues Capet. Sur le point de s'éloigner de Mouzon, Gerbert reçut la visite de deux évêques chargés par le légat apostolique de le prier de s'abstenir jusqu'à la prochaine assemblée d'assister à l'office divin. Gerbert refusa et se rendit immédiatement près du seigneur abbé Léon. « Il n'est, lui dit-il, au pouvoir de personne, pape, patriarche, primat ni évêque, de séparer de la communion des fidèles quiconque n'a été convaincu d'aucun crime, et n'a refusé d'obtempérer à aucune citation canonique. Or, je n'ai été convaincu d'aucun crime, je n'ai nullement refusé de comparaître devant vous, je suis au contraire venu, seul de tous les évêques des Gaules. Je ne puis donc me soumettre  à un interdit. » La discussion allait s'envenimer lorsque l'archevêque de Trêves, Léodulf, intervint avec autant de sagesse que de modération. Il représenta à Gerbert combien serait grand le scandale qui résulterait  d'une obstination dont ses ennemis ne manqueraient pas de profiter, en disant qu'il se révoltait contre le  souverain pontife. L'archevêque de Reims s'adoucit, ii fut convenu que jusqu'au 1er juillet, date du prochain synode, il s'abstiendrait seulement de la célébration de la messe, par obéissance pour le légat. Et l'on se sépara en paix1. « Au jour fixé, reprend le chroniqueur, le concile se tint non à Reims mais à Senlis. Gerbert et Arnulf y comparurent en personne devant le légat apostolique, au milieu d'une grande affluence d'évêques, d'abbés,  de clercs et de seigneurs. » Après ces lignes  qui sont presque les dernières de son ouvrage, Richer pose la plume et se tait sur le résultat. Les actes  du concile de Senlis n'étant pas venus jusqu'à nous, il est impossible  de suppléer à cette lacune. Les autres historiens nous apprennent seulement que l'assemblée annula les décisions prises à Saint-Basle et à Chelles, et qu'elle ordonna la réintégration d'Arnulf sur le siège de Reims. Ce ne fut toutefois qu'en 997, après la mort de Hugues Capet, que le bâtard

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1. Çoncil. Motomense, p. 250.

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p293  CHAP.  III.   — GEM3ERT  ARCHEVÊQUE  DE   REIMS. 

 

carlovingien put sortir de sa prison d'Orléans pour rentrer dans sa ville métropolitaine. « Quant à Gerbert, dit la chronique de Fleury, comprenant enfin ce qu'il y avait eu d'irrégulier dans ion élection, il fit pénitence et, se soumettant avec humilité à l'arrêt qui l'avait frappé 1 » il se démit de ses fonctions pour se retirer en Allemagne.

 

  82. Gerbert pénitent, pœnitentia ductus,  comme dit le chroniqueur, nous parait plus grand mille fois que dans l'exaltation du triomphe, alors que, cédant peut-être aux instigations de l'évêque d'Orléans, il se laissait entraîner à des invectives contre le saint-siège qu'il devait occuper un jour, contre l'autorité des souverains pontifes qu'il était destiné à exercer si glorieusement lui-même. Cet hommage que nous rendons aujourd'hui à sa mémoire, il le reçut de son vivant dans sa retraite en Germanie, de la part du légat apostolique Léon qui venait de le condamner au concile de Senlis. Rome attendait toujours l'expédition tant de fois promise d'Othon III en Italie. Le légat en quittant la France s'était donc rendu à la cour d'Allemagne pour presser un voyage si longtemps différé. Il y retrouva Gerbert, et le chargea de plaider lui-même sa cause près du jeune roi. Le pénitent du concile de Senlis accepta cette mission et l'année suivante il accompagnait Othon III en Italie. Une nombreuse armée de Germains franchit les Alpes, dès les premiers jours du printemps 996. Les fêtes de Pâques furent célébrées à Pavie avec une magnificence extraordinaire. Gerbert, devenu le conseiller intime et l'archichapelain du roi de Germanie, détermina ce prince à renouer avec la cour de Byzance les relations interrompues depuis le désastre d'Otrante.  L'évêque Jean de Plaisance fut envoyé à Constantinople afin de solliciter la main de la jeune princesse Hélène pour l'empereur d'Occident. De Pavie, l'armée impériale se dirigea sur Ravenne. Le pape Jean XVI voyait ainsi ses libérateurs s'approcher de Rome, et il se promettait de déposer la

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1 Gerbertus autem intelligent quod injuste pontificalem dignita'em suscepissel pœnitentia ductus est. (Hugo Floriacens. Hislor. Fiàncor. senon. Pair. Lat., tom. CLXIII, col. 863.

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couronne de Charlemagne sur le front d'Othon III. Mais la Providence ne lui réservait pas cette consolation qui l'eût dédommagé des odieux traitements du patrice Crescentius, Il mourut à la fin d'avril 996 : cette triste nouvelle parvint à Othon et à Gerbert au moment où ils faisaient à Ravenne une entrée triomphale.

 

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§ I. Légende et Histoire.

 

    l. La cinquième époque de l'histoire de l'Église renferme la période la plus brillante du moyen âge. C'est le temps des grandes œuvres, de nos cathédrales gothiques, de la chevalerie et des croisades. La papauté brise, par la main de Grégoire Vil, les chaînes que le despotisme impérial lui avait imposées. La grande querelle des investitures se termine à l'avantage du droit, de la civilisation et de l'Église. Les souverains pontifes deviennent les tuteurs des rois, le soutien des empires, les défenseurs des peuples. Toutes les institutions chrétiennes font d'admirables progrès. Les ordres religieux se répandent dans toute la chrétienté, comme d'innombrables armées. Les écoles se multiplient. Des docteurs illustres, des saints dont la renommée universelle  illumine le siècle et l'environne d'un rayonnant éclat, lèguent à la postérité  l'admiration de leur génie et de leurs vertus. La discipline monastique refleurit en Occident: les sciences et les lettres reçoivent de merveilleux déve-loppements. II est vrai que le grand schisme d'Orient vient désoler l'Église et faire comme un funeste contre-poids à ce triomphe glorieux. Mais  les croisades, élan religieux des peuples de l'Europe vers le tombeau du Christ, fondent en Palestine un royaume et à

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Constantinople un empire latin. La foi remue le monde et y fait éclore des merveilles. Au début du onzième siècle, les grands hommes et les grands saints ne font point défaut à l'Église. Le trône impérial d'Allemagne voit succéder à Othon III saint Henri II et l'impératrice sainte Cunégonde ; saint Etienne, roi de Hongrie , se fait l'apôtre de son peuple ; saint Vladimir, grand-duc de Russie, imite ce glorieux et royal exemple ; Robert le Pieux illustre le trône de France par sa vertu, et fait oublier, dans une sainte vieillesse, les égarements et le scandale de ses premières années. Sanche III le Grand porte avec gloire le sceptre héroïque de Navarre. Une généreuse émulation de vertu, une noble et sainte amitié unissent ces trois souverains, en dirigeant tous leurs efforts pour le bien des peuples et l'avantage de la religion. Dans l'épiscopat, la Frane admire saint Gérard de Toul, le bienheureux Adalbéron de Metz, saint Fulcran de Lodève, saint Gilbert de Meaux,  saint Thierry d'Orléans, saint Burchard de Vienne, saint Fulbert de Chartres. L'Allemagne ne le cède point à la France : elle a saint Guebhard de Constance, saint Libentius de Hambourg, saint Bernward et saint Godard d'Hildesheim, saint Vulpode de Liège, saint Héribert de Cologne, saint Hartwich de Sallzbourg, saint Meinwerc de Paderborn ; la Suède a saint Sigfrid, évêque et apôtre, saint Vilfrid, évêque et martyr ; la Norwège un roi martyr, saint Olaüs. L'ordre monastique compte parmi ses  gloires   saint  Abbon de Fleury, saint Romuald fondateur des   Camaldules, saint Odilon successeur de  saint Mayeul à Cluny. Au-dessus de tous ces illustres et pieux personnages, s'élève la   grande figure historique du pape Sylvestre II, le premier Français qui ait eu la gloire de monter sur le trône de saint Pierre. Nous avons vu par quelles voies laborieuses et cachées la Providence avait préparé, l'humble berger d'Aurillac, le pauvre moine Gerbert, à sa mission sublime. Les épreuves ne lui avaient point manqué : ses erreurs mêmes devaient être pour lui de salutaires leçons. Gerbert, prince de la science, philosophe, mathématicien, orateur, musicien, poète, est encore moins grand par tous ces titres que par l'humble  soumission, la sincère pénitence avec lesquelles il accueillit la sentence du légat apostolique

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p331  CHAP. V.   — LÉGENDE   ET  HISTOIRE.  

 

au concile de Senlis. Devenu pape, il résuma par sa piété non moins que par son génie, et développa en les appliquant tous les éléments de progrès religieux et intellectuels. Il fut, comme tous les grands hommes, la personnification vivante de son époque. Avec lui le trône apostolique reprit à la tête des nations européennes le rang qu'il avait occupé sous Grégoire le Grand et saint Nicolas Ier. Un historien français a le droit d'être fier en inscrivant le nom d'un fils de notre France comme celui du restaurateur religieux et social du onzième siècle, comme l'un des précurseurs de l'immortel Hildebrand.

 

   2. Un tel rôle valut à la mémoire de Gerbert les outrages posthumes les plus odieux. Durant la lutte de l'antipape Guibert et de l'empereur Henri IV d'Allemagne contre saint Grégoire VII (1080), Bennon, l'un des cardinaux de l'antipape, dans un. pamphlet intitulé : Vita et gesta Hildebrandi, rattacha le nom de Gerbert à celui d'Hildebrand. Il accusa ces deux grands hommes de sortilège et de magie. « Gerbert, dit-il, tenait école de maléfices et de démonologie sur le siège de saint Pierre. Il transmit ses secrets à quelques-uns de ses disciples qui s'en servirent comme lui pour s'emparer du souverain pontificat et qui se nommèrent Benoît IX et Grégoire VI. Hildebrand reçut d'eux cette tradition sacrilège ; il en usa pour se faire pape à son tour ! » Cette fable, malgré son absurdité, trouva créance en Italie, en Allemagne, en Angleterre et jusque dans les Gaules dont Gerbert avait été l'un des plus glorieux enfants. « Je ne veux pas décider la chose, dit Sigebert de Gemblours, mais on dit que Sylvestre ne doit pas être mis au nombre des papes légitimes, parce qu'il n'est point entré dans le bercail par la porte. On l'accuse de nécromancie, on dit qu'il est mort frappé par le diable2. » Ordéric Vital se fait également l'écho de ces ineptes calomnies. « On rapporte, dit-il, qu'étant encore écolâtre, Gerbert avait des entretiens avec le diable, et le consul-

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1. Benno, Vita et gesta Bildebrandi, apud Jos. Petr. Maffei, Histor.jwîiCr, lib XVt, II pars. p. 89-95. — Cf, OUeris, p. 190.

2. Sigebsrt,. Gemblac. Chronic, ad. ann. 996. Patr. Lat., tom. CLX, col. 197.

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p332   PONTIFICAT DE SYLVESTRE II  (999-1003).

 

tait sur son sort à venir. Le démon lui répondit par cette phrase ambiguë :

Transit ab Gerbertus in R, post papa vigensR;

« Gerbert passe de R (Reims) à R (Ravenne), puis pape il brille à R (Rome). » Ainsi l'on mettait au compte du roi des enfers un jeu de mots éclos sans doute dans quelque récréation de couvent, à l'époque où Gerbert successivement archevêque de Reims et de Ravenne illustrait le siège apostolique de Rome. La légende démoniaque faisait ainsi son chemin ; la crédulité des multitudes trou-vait le savoir de Gerbert tellement au-dessus des proportions accoutumées, qu'elle n'hésitait pas à en faire honneur au diable;

 

   3. Guillaume de Malmesbury en 1120 n'éprouvait aucun scrupule à insérer dans les Gesta regum Anglorum ces rêveries fantastiques. « Je ne crois pas qu'on m'accuse d'absurdité, écrit-il, si je recueille à propos de Gerbert, depuis pape sous le nom de Sylvestre II, des récits qui sont dans toutes les bouches 1. » Après ce début, il nous apprend que Gerbert dès sa plus tendre enfance avait été confié aux moines de Fleury-sur-Loire. Cette première inexactitude, répétée par presque toutes les chroniques subséquentes, venait de la confusion faite entre le cœnobium Auriliacense (monastère d'Aurillac) où fut réellement élevé Gerbert, et le coenobium Aurelianense, (monastère d'Orléans) titre que l'on donnait parfois à Saint-Benoit-sur-Loire. Quelques lettres mal formées parvla main d'un transcripteur produisirent cette erreur géographique 2. « Dès qu'il connut le bivium de Pythagore, continue le chroniqueur, Gerbert s'ennuya de la vie monastique, quitta le couvent pendant la nuit et s'enfuit en Espagne pour étudier chez les Sarrasins l'astrologie et les sciences occultes. En deux ans il apprit sous leur direction à comprendre le chant des oiseaux, à tirer des présages d'après leur vol, à évoquer l'ombre des morts. Plus il avançait dans ces connnissances sacrilèges, plus sa coupable curiosité s'exaltait. Le Sarrasin qui

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1. Orderic Vital. Geste\   ecclesiastic, lib. I,  cap.   xxvn.  Patr. Lai.,  lom, CLXXXVIII, col. 9i.

2. Novaës a répété cette erreur. Cf. Torn. II, Sylvestre II pa;.a 117, p. 203.

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p333  CHAP.   V. — LÉGENDE  ET HISTOIRE.    

 

lui servait de professeur possédait un livre renfermant tout l'ensemble de ce qu'on peut savoir. Après en avoir vainement demandé communication, Gerbert vola le livre précieux et s'enfuit.   Le Sarrasin se mit à sa poursuite ; il allait l'atteindre, mais Gerbert évoqua le démon par une incantation puissante; il lui vendit sou corps et son âme : à ce prix il obtint d'être instantanément transporté dans les Gaules, loin des atteintes de l'Arabe furieux.  On pourrait croire, dit naïvement le chroniqueur, que ce sont là des calomnies comme le vulgaire aime à en inventer pour flétrir la réputation des savants. Boëce, dans son livre de la « Consolation, » se plaint d'avoir été ainsi traité de sacrilège, parce qu'il étudiait la sagesse. Pour moi, ce qui me reste à dire de Gerbert ne me laisse aucun doute sur ses relations démoniaques. Revenu dans les Gaules, il ouvrît des écoles publiques et acquit bientôt une réputation inouïe. Robert fils de Hugues Capet, Othon fils du second empereur germain de ce nom, devinrent ses disciples. En montant sur le trône de France, Robert récompensa son ancien maître par l'archevêché de Reims. Gerbert a laissé dans cette église des instruments d'une composition merveilleuse, entre autres une horloge d'un mécanisme admirable, des orgues hydrauliques où le vent dégagé par la violence de l'eau bouillante, remplit les cavités de l'instrument et rend des sons mélodieux en s'échappant par des tubes d'airain. Othon III devenu empereur créa Gerbert archevêque de Ravenne. En s'élevant ainsi, l'ambition du nécromancien montait toujours. Il avait fondu pour son usage une statuette qui, placée dans une position astrologique déterminée, répondait aux diverses questions qu'on lui adressait. Serai-je pape? lui demandait Gerbert. — Oui, répondait l'oracle. — Combien de temps? reprenait l'ambitieux. — Aussi longtemps que tu ne diras pas la messe à Jérusalem, répondait la statue démoniaque. — Gerbert fut donc pape, grâce à l'influence de son ancien élève l'empereur Othon III. Il fit servir à ses passions des trésors autrefois cachés par les Gentils, et que la nécromancie lui fit découvrir sous des amas de ruines. Trompé par la réponse ambiguë de son oracle il se promettait un long pontificat, sans aucunement songer  à faire pénitence.  II

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n'avait garde,  en effet, d'aller hâter lui-même sa mort en faisant le voyage de Jérusalem. Il ne comprit pas que l'oracle parlait non le la capitale de la Judée mais de la basilique romaine  qui porte le nom de « Jérusalem. » Les papes y chantent la messe les trois dimanches indiqués par le cérémonial sous la rubrique : Statio ad Jérusalem (Sainte-Croix-en-Jérusalem).  Comme Gerbert se préparait pour la messe pontificale, un de ces dimanches, fixés par le cérémonial il se plaignit d'une indisposition subite. Le mal augmentant, il se coucha.  Puis il consulta sa statuette magique, qui lui apprit son erreur et sa mort prochaine. En présence des cardinaux il pleura longtemps ses crimes ; puis, au milieu de la stupeur et du silence des assistants, il ordonna qu'après sa mort ses restes fussent coupés en morceaux et jetés à la voirie. De cette sorte, dit-il, le démon n'aura de moi que le corps, dont je lui ai fait hommage; mais j'ai toujours réservé mon âme en dehors de la convention sacrilège faite avec lui1. »

 

   4. Telle est la légende de Guillaume de Malmesbury. Le Codex Regius dont nous avons précédemment cité le teste, la reproduit en substance 2. Vincent de Beauvais et Albéric des Trois Fontaines l'adoptèrent sans hésitation. Plus tard, l'historiographe de saint Jean de Latran, le diacre Romain Jean, et le moine de Saint-Martiai de Limoges Guillaume Godelle, y ajoutèrent un détail posthume fort étrange. « La rumeur publique, dit le chroniqueur de Saint-Martial, prétend que le tombeau de Gerbert, à la mort de chacun des papes ou des cardinaux,  se couvre de  gouttelettes humides, qui finissent par former une nappe d'eau. » Platina, vers la fin du quinzième siècle, renchérissait encore sur ses devanciers. « Quand un pape est sur le point de mourir, dit-il, on entend le cliquetis des ossements de Sylvestre II qui s'entrechoquent au fond de son tombeau ». » — « Ce choc effrayant aurait dû, dit M. Otteris

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1.  "Willelm. Malmesburiens. Gest. Urg. Anglar., lib. II, Patr. Lut., tom. GLXXIX, col. 1157 et seq.

2. Cf. ch.ji.de ce présent volume, n. 1,7. note.

3. Dovendo morire quaJche yapa, si .entono netla tomba di questo ponv-fice bat— térsi 7e ossa insieme. (PLATINA. Vile de' Ponlefic. p. 280).

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p335  CHAP. V.  — LÉGENDE  ET HISTOIHE.     

 

détruire le corps de Gerbert si déjà, suivant Guillaume de Malmesbury, in ne l'eût immédiatement après sa mort coupé par morceaux. L'occasion de vérifier le fait se présenta en 1648. Le pape Innocent X ayant à faire exécuter à saint Jean de Latran des réparations considérables, il fallut toucher aux tombes des papes placées dans la nef et sous le portique. Le chanoine César Rasponi présida à cette opération, et en a rédigé un procès verbal officiel. La tombe de Gerbert, placée sous le portique, laissait souvent échapper un suintement qui s'explique par la nature même du sol et la température ambiante. « Quand on l'ouvrit, dit le savant chanoine, le corps de Sylvestre II fut trouvé tout entier, couché dans un sépulcre de marbre, à une profondeur de douze palmes (un mètre). Il était revêtu des ornements pontificaux, les bras croisés sur la poitrine, la tête couverte de la tiare. Dès qu'on l'eût changé de place, l'action de l'air extérieur le fit tomber en poussière, et il se répandit tout autour une odenr douce et agréable, peut-être à cause des parfums que l'on avait employés pour l'embaumement. Il n'en resta qu'une croix d'argent et l'anneau pontifical 1. » Le chanome de Latran ne nous dit point où furent déposées, après cette découverte inattendue, les cendres de Sylvestre II. On ne sait pas davantage ce que sont devenus la croix et l'anneau de Gerbert ; mais la table de marbre qui recouvrait sa tombe a été scellée dans le second pilier à droite, en face de la chapelle de Saint-Maxime. Aujourd'hui encore, l'on peut y lire l'épitaphe composée en l'an 1009 par le pape Sergius IV, lequel venge la mémoire de son illustre prédécesseur de tant d'absurdes calomnies 2. »

 

   5. Voici cette épitaphe : « Ce coin de terre où sont ensevelis les restes de Sylvestre, les rendra au  Seigneur quand sonnera la trompette du jugement final. La Vierge, mère de la Sagesse, l'avait donné au monde ; la cité de Rome, capitale de l'univers, l'avait mis à sa tête. Né dans les Gaules, parmi le peuple des Francs, Gerbert fut jugé digne de s'asseoir sur le siège de Reims, métropole de sa patrie.

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1 Mabillon, Ann. ~Bened.., tom. IV, p. 163-164.

2.  Olleris, Vie de Gerbert, p. 197.

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Son mérite le fit promouvoir au gouvernement de la noble et puissante église de Ravenne. Un an plus tard, changeant son nom patronymique pour celui de Sylvestre, il monta sur le siège apostolique de Rome et devint le pasteur du monde catholique. L'empereur Othon III, en reconnaissance de son dévouement et de sa fidélité, lui valut cet honneur. L'un et l'autre illustrèrent leur époque par l'éclat de leur sagesse ; tous les cœurs étaient dans l'allégresse, partout ie crime et le désordre forent réprimés. On vit revivre en ce pasteur, qui avait trois fois changé de siège, les vertus du prince des apôtres, le porte-clefs du royaume des cieux. Après avoir, durant l'espace d'un lustre, tenu ici-bas la place du bienheureux Pierre, il fut ravi par la mort à l'amour et à la vénération des peuples. Le monde fut glacé d'effroi, la paix s'évanouit, l'Église chancela soudain au milieu de son triomphe, et désapprit le repos. Successeur et ami de Sylvestre le pontife Sergius IV, dans un sentiment de tendre piété, lui a érigé ce loculus. Qui que tu sois qui laisses tomber tes regards sur ce sépulcre, dis cette prière : Seigneur tout-puissant, ayez pitié de lui. Il mourut l'an de l'incarnation dominicale 1003, indiction première, le douzième Jour du mois de mai 1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon