Les Articles organiques 3

Darras tome 40 p. 182

 

L'article 35 exige que les évêques soient autorisés par le gouver­nement pour l'établissement des chapitres. Cependant cette autori­sation leur était accordée par l'article 11 du Concordat. Pourquoi donc en exiger une nouvelle, quand une convention solennelle a déjà permis ces établissements? La même obligation est imposée par l'article 23 pour les séminaires quoiqu'ils aient été, comme les chapitres, spécialement autorisés par le gouvernement. Sa Sainteté voit avec douleur que l'on multiplie de cette manière les entraves et les difficultés pour les évêques. L'édit de mai 1763 exemptait formellement les séminaires de prendre des lettres patentes, et la déclaration du 16 juin 1659 qui paraissait les y assujettir ne fut enregistrée qu'avec cette clause : « sans préjudice des séminaires, qui seront établis par les évêques pour l'instruction des prêtres seulement. » Telles étaient aussi les dispositions de l'ordonnance de Blois, article 25, et de l'édit de Melun, article 1er. Pourquoi ne pas adopter ces principes ? A qui appartient-il de régler l'instruc­tion dogmatique et morale du séminaire, sinon à l'évêque? De pareilles matières peuvent-elles intéresser le gouvernement temporel?

 

Il est de principe que le vicaire général et l'évêque sont une seule personne, et que la mort de celui-ci entraîne la cessation des pouvoirs de l'autre : cependant, au mépris de ce principe, l'ar­ticle 36 proroge aux vicaires généraux leurs pouvoirs après la mort de l'évêque. Cette prérogative n'est-elle pas évidemment une concession de pouvoirs spirituels faite par le gouvernement sans l'aveu, et même contre l'usage reçu de l'Église ?

 

Ce même article veut que les diocèses, pendant la vacance du siège, soient gouvernés par le métropolitain ou par le plus ancien évêque.

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Mais ce gouvernement consiste dans une juridiction spiri­tuelle. Comment le pouvoir temporel pourrait -il l'accorder? Les chapitres seuls en sont en possesion. Pourquoi le leur en­lever, puisque l'article 11 du Concordat autorise les évêques à les établir?

 

Les pasteurs, appelés par les époux pour bénir leur union, ne peuvent le faire, d'après l'article 54, qu'après les formalités devant l'officier civil. Cette clause restrictive et gênante a été jusqu'ici inconnue dans l'Église. Il en résulte deux inconvénients.

 

L'une affecte les contractants, l'autre blesse l'autorité de l'Eglise et gêne ses pasteurs. Il peut arriver que les contractants se conten­tent de remplir les formalités civiles, et qu'en négligeant d'observer les lois de l'Église ils se croient légitimement unis, non seulement aux yeux de la loi, quant aux effets purement civils, mais encore devant Dieu et devant l'Église.

 

Le deuxième inconvénient blesse l'autorité de l'Église et gêne ses pasteurs. Il peut arriver que les contractants se contentent de remplir les formalités légales, croient avoir acquis le droit de forcer les curés à consacrer leur mariage par leur présence, lors même que les lois de l'Église s'y opposeraient.

 

Une telle prétention contrarie ouvertement l'autorité que Jésus-Christ a accordée à son Église, et fait à la conscience des fidèles une dangereuse violence. Sa Sainteté, conformément à l'enseigne­ment et aux principes qu'a établis sur la Hollande un de ses prédé­cesseurs, ne pourrait voir qu'avec peine un tel ordre de choses ; elle est dans l'intime confiance que les choses se rétabliront à cet égard, en France, sur le même pied sur lequel elles étaient d'abord, et telles qu'elles se pratiquent dans les autres pays catholiques. Les fidèles, dans tous les cas, seront obligés à observer les lois de l'Église, et les pasteurs doivent avoir la liberté de les prendre pour règle de conduite, sans qu'on puisse, sur un sujet aussi important, violenter leur conscience. Le culte public de la religion catholi­que, qui est celle du consul et de l'immense majorité de la nation, attend ces actes de justice de la sagesse du gouvernement. Sa Sainteté voit aussi avec peine que les registres soient enlevés aux

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ecclésiastiques, et n'aient plus, pour ainsi dire, d'autre objet que de rendre les hommes étrangers à la religion dans les trois instants les plus importants de la vie, la naissance, le mariage et la mort ; elle espère que le gouvernement rendra aux registres tenus par les ecclésiastiques la consistance légale dont ils jouissaient précé­demment : le bien de l'État l'exige presque aussi impérieusement que celui de la religion.

 

   Article 61. Il n'est pas moins affligeant de voir les évêques obligés de se concerter avec les préfets pour l'érection des succur­sales ; eux seuls doivent être juges des besoins spirituels des fidèles. Il est impossible qu'un travail ainsi combiné par deux hommes trop souvent divisés de principes, offre un résultat heureux ; les projets de l'évêque seront contrariés, et par contre-coup le bien spirituel des fidèles en souffrira.

 

L'article 74 veut que les immeubles autres que les édifices affec­tés aux logements et les jardins attenants ne puissent être affectés à des titres ecclésiastiques ni possédés par les ministres du culte à raison de leurs fonctions. Quel contraste frappant entre cet article et l'article 7, concernant les ministres protestants ! Ceux-ci, non seulement jouissent d'un traitement qui leur est assuré, mais ils conservent tout à la fois les biens que leur église possède et les oblations qui leur sont offertes. Avec quelle amertume l'Église ne doit-elle pas voir cette énorme différence ! II n'y a qu'elle qui ne puisse posséder les immeubles, les sociétés séparées d'elle peuvent en jouir librement ; on les leur conserve, bien que leur religion ne soit professée que par une minorité bien faible, tandis que l'immense majorité des Français et les consuls eux-mêmes professent la reli­gion que l'on prive légalement du droit de posséder des immeubles.

 

        15. Les articles organiques sont nuls et de nulle valeur par défautd'acceptation du Saint-Siège.

 

   En présence des déclarations autorisées du légat, l'adversaire convaincu, mais non vaincu, nous objecte que le Pape a accepté ces articles. Si le Pape les avait, en effet, acceptés, il les eût revê­tus, malgré leur vice originel et leur défaut d'accord avec l'Église, d'une incontestable valeur légale ; mais l'a-t-il fait ?

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Non ; l'Église, représentée nécessairement par le Pape et par les évêques, n'a jamais accepté, sous aucun rapport et pour aucun motif, les articles organiques. •

 

Le premier aveu que nous en avons est de Cacault, ministre de France à Rome. C'est le 18 avril que le Concordat avait été publié ; le 12 mai suivant, après une audience de Pie VII, l'ambassadeur écrivait au chargé d'affaires ecclésiastiques : « Le Pape m'a parlé des articles organiques ; il est très affecté de voir que leur publica­tion, coïncidant avec celle du Concordat, a fait croire au public que Rome avait concouru à cet autre travail. » On le remarque, il ne s'agit pas encore des articles eux-mêmes, mais de leur publi­cation simultanée, et cette publication seule, parce qu'elle porte sur un objet que Rome ne connaît pas, parce qu'elle donne au Concordat un supplément que rien n'a permis au Saint-Siège de soupçonner, le Pape n'éprouve pas seulement quelque déplaisir, il est très affecté et cette expression dit beaucoup sous la plume d'un diplomate.

 

Aussi Cacault ajoute-t-il ces traits remarquables : « Ce qui a contrarié le Pape, ainsi que je viens de vous l'annoncer, n'a pas permis de se livrer ici à la joie qu'on doit ressentir de l'heureux accomplissement du Concordat. Le Pape n'a pas fait chanter le Te Deum à Saint-Pierre » (1). Les articles organiques avaient manifestement influé, pour une large part, sur cette résolution de deuil ; et certes il fallait que la douleur du Pape fût très profonde, pour qu'il s'arrêtât ainsi sur sa première impression, au parti du silence, quand il avait appelé la conclusion du Concordat par tant de vœux, quand il avait par tant d'efforts mené cette grande entre­prise à bonne fin, quand il avait fait tant de concessions pour arriver au but que souhaitait sa foi.

 

Nous venons d'entendre Cacault ; écoutons maintenant Consalvi, négociateur du Concordat, écrivant, comme secrétaire d'État, une dépêche officielle : « Par ordre du Saint-Père, le soussigné ne doit pas vous laisser ignorer que plusieurs concomitances de la publi­cation faite, en France, du Concordat ont affecté la sensibilité de Sa

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(1) Artaud, Hisi. du pape Pie VII, 1.1, p. 2i8, 3° édition.

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Sainteté et l'ont mise dans un embarras difficile relativement même à la publication qu'on doit faire ici. Le soussigné entend parler, et toujours par ordre de Sa Sainteté, des articles organiques qui, inconnus à Sa Sainteté, ont été publiés avec les dix-sept articles du Concordat, comme s'ils en faisaient partie, ce que l'on croit d'après la date et le mode de publication » (1). On sent ici toute la réserve d'un ministre écrivant une dépêche officielle et dont l'écho, sinon le texte, doit arriver jusqu'au premier consul. Mais sous ce tempé­rament de langage, on reconnaît aisément qu'il est l'interprète d'une douleur profonde. Cette douleur va si loin que, sous ces impressions pénibles, Pie VII hésite à publier le Concordat à Rome quoiqu'il soit déjà publié en France. C'est là manifestement le sens de ce mot embarras difficile, locution qui ne dit les choses qu'à demi et ne les exprime que mieux.

 

Dans ses Mémoires, Consalvi s'exprime en termes plus expressifs, parce qu'il a plus de liberté. Quelques semaines après qu'il eut été informé de la publication faite en France, Pie VII réunit un con­sistoire, et publia le Concordat à son tour. Après avoir parlé de la satisfaction que lui donnait ce grand acte, il ne craignit pas d'ajou­ter, c'est Consalvi qui l'assure : «que la consolation qu'il éprou­vait du rétablissement de la religion en France lui était rendue pourtant bien amère par les lois organiques, qui avaient été rédi­gées sans qu'il en sût rien, surtout sans qu'il les eût approu­vées » (2).

 

A la protestation du cardinal secrétaire d'État, il faut joindre la protestation du cardinal légat. Le 18 août 1803, Caprara adresse à Talleyrand, ministre des relations extérieures, ses réclamations au sujet des articles organiques. Nous avons reproduit plus haut en substance ses observations sur chaque article ; voici ce qu'il dit du principe même de cette réglementation subreptice : « La quali­fication qu'on donne à ces articles, dit-il, paraîtrait d'abord qu'il ne sont que la suite naturelle et l'explication du Concordat reli­gieux ; cependant il est de fait qu'ils ont extension plus grande que

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(1)Artaud, Hist. du pape Pie VII, t. I p. 260, 3e édition.

(2)Mémoires du C, Consalvi, t. I, p. 406,

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le Concordat et qu'ils établissent en France un Code ecclésiastique sans le concours du Saint-Siège. Comment Sa Sainteté pourrait-elle l'admettre, n'ayant même pas été invitée à l'examiner? Ce Code a pour objet la doctrine, les mœurs, la discipline du clergé, les droits et devoirs des évêques, ceux des ministres inférieurs, leurs relations avec le Saint-Siège et le mode d'exercice de leur juridic­tion. Or, tout cela tient aux droits imprescriptibles de l'Église ; elle a reçu de Dieu seul l'autorisation de décider les questions de doctrine sur la foi et sur les règles des mœurs, ou de faire des canons et des règles de discipline (1).

 

M. d'Héricourt, l'historien Fleury, les plus célèbres avocats gé­néraux et M. de Castillon lui-même avouaient ces vérités. Ce der­nier reconnaît dans l'Église « le pouvoir qu'elle a reçu de Dieu pour conserver par l'autorité de la prédication, des lois et des jugements, la règle de la foi et des mœurs, la discipline nécessaire à l'économie de son gouvernement, la succession et la personnalité de son minis­tère » (2).            

 

« Sa Sainteté n'a donc pu voir qu'avec une extrême douleur qu'en négligeant de suivre ces principes, la puissance civile ait voulu régler, décider, transformer en lois des articles qui intéressent essentiellement les mœurs, la discipline, les droits, l'instruction et la juridiction ecclésiastique. N'est-il pas à craindre que cette inno­vation n'engendre les défiances, qu'elle ne fasse croire que l'Église de France est asservie, même dans les objets purement spirituels au pouvoir temporel, et qu'elle ne détourne de l'acceptation des places beaucoup d'ecclésiastiques méritants ? » (3).

 

Aux paroles de Cacault, de Consalvi et de Caprara s'ajoutent les paroles de Pie VII. Le 24 mai 1802, le doux et vaillant Pontife dit au Sacré Collège : « Nous avons remarqué qu'à la suite de notre convention ont été promulgués quelques articles à nous entièrement inconnu. Marchant sur les traces de nos prédécesseurs, c'est pour

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(1)Arrêtés du Conseil du 16 mars et du 31 juillet 1731.

(2)Réquisition contre les actes et l'assemblée du clergé de i765.

(3)La protestation de Caprara se trouve dans le cours de droit canon de Mgr André,

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nous un devoir que ces articles reçoivent les modifications con­venables et subissent les changements nécessaires. » Le lO juin 1809, dans la bulle d'excommunication, Pie VII, parlant de l'amertume de son cœur, dit : « Cette amertume nous ne l'avons dissimulée ni à l'Eglise, ni à nos véritables frères les cardinaux, dans l'allocution du 24 mai 1802, lorsque nous déclarâmes que, dans la promulgation rappelée plus haut, on avait ajouté à la convention certains articles » que nous n'avons pas connus, articles que nous désapprouvions à l'instant même (1).

 

Ainsi Pie VII se dit très affecté des articles organiques ; il ordonne à Consalvi et à Caprara de protester ; il proteste lui-même de la profonde amertume de son cœur, et cela dans un discours public, où l'on ne dit les choses qu'à demi. En 1809, déclarant plus expres­sément sa pensée sur les articles organiques, il dit : Improbavimus.

 

On objecte que le Saint-Siège, en signant le Concordat, a accepté d'avance les règlements à intervenir de par l'État, et par conséquent accepté, en principe, les articles organiques. Le Saint-Siège, en effet, a reconnu au gouvernement le droit d'édicter des règlements de police, mais avec cette restriction formelle que c'était dans le seul intérêt de la tranquillité publique. Par cette restriction, l'Église n'est pas assujettie au pouvoir laïque, mais concède seulement ce qu'elle ne peut pas refuser pour les besoins de la paix. La police concédée est affaire de commissaire, de maire ou de préfet, mais pas du tout acte législatif on décret césarien : ce serait asservir l'Église. Sur ce point Consalvi fut inflexible ; il aurait plutôt rompu les négociations que de consentir un pacte d'asservissement ; la France accepta, par ses représentants, la rédaction du Concordat dans le sens défini par le cardinal. Arguer de cet article pour charger l'Église de chaînes, c'est un acte d'ignorance, un mauvais raisonnement, une fausse interprétation servant de prétexte à un attentat.

 

On ajoute que le premier Consul, en signant le Concordat, a voulu rétablir l'ancienne église de France. Non, il ne l'a point voulu il a même voulu tout le contraire et il a fait table rase pour que son

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(1) Mémoires du C. Pacca, t. I, p. 131.

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établissement n'eût rien de commun avec l'Église gallicane de l'ancien régime. De plus, quand on voulut s'appuyer sur le galli­canisme pour l'arrêter, il le rejetta expressément. Enfin le Concor­dat reconnaît, au chef de l'État français, les droits et prérogatives près de la cour de Rome dont jouissait les anciens rois, c'est-à-dire les droits reconnus, acceptés, consacrés par le Saint-Siège, et non pas les prétentions épiscopales ou parlementaires, les actes et dé­clarations que le Saint-Siège, sous l'ancienne monarchie, avait toujours frappés d'anathèmes.

 

« Il ne s'est jamais dit une parole, ajoute Consalvi, il ne s'est jamais fait accord sur autre chose que sur les articles dont se com­pose le Concordat. » Aussi quand le cardinal lut à Rome les articles organiques il fut renversé : « Les lois véritablement constitutionnelles, dit-il, renversaient à peu près le nouvel édifice que nous avions pris tant de peine à élever. Ce que le Concordat statuait en faveur de la liberté de l'Église et du culte, était remis en question par la juris­prudence gallicane et l'Église de France devait craindre de se voir encore réduite en servitude. »

 

En 1804, la cour de Rome adressait, au gouvernement impérial un mémoire demandant la révocation des organiques ; en 1817, Pie VII renouvelait la même demande au comte de Marcellus. Ces deux actes ne prouvent pas que le Pontife ait jamais accepté ce code de la tyrannie.

 

On objecte qu'en 1804, Pie VII, n'ayant pas obtenu la révocation des organiques, en avait rabattu de ses prétentions, avait accepté deux ou trois concessions insignifiantes et par conséquent avait implicitement approuvé les organiques. Dites qu'il s'était résigné à les subir. Le forçat qui porte sa chaîne, parce qu'il ne peut pas la briser, ne l'accepte pas, il se résigne.

 

On objecte encore qu'à l'époque du sacre, il y eut un serment pour les lois du Concordat : Leges concordatas. Ces expressions sont empruntées aux bulles relatives au Concordat de Léon X et de François Ier ; elles en ont le même sens et ne signifient pas deux lois. « Les lois du Concordat, disait Talleyrand, sont essentiellement, le Concordat lui-même; elles ne supposent nullement une assimilation

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du Concordat et des articles organiques. Par conséquent, on serait mal venu d'y voir une implicite acceptation desdits articles. »

 

En 1864, le grand pape Pie IX, édictant le Syllabus, plaçait parmi les erreurs condamnées la plupart des propositions érigées en lois par les articles organiques. On peut donc dire que non seu­lement le Saint-Siège n'a jamais accepté ni explicitement ni impli­citement les organiques, mais qu'il les a toujours rejetés comme lois sans valeur et les a même proscrits comme hérétiques et schismatiques.

 

Il n'était pas, au reste, besoin d'une si longue démonstration pour établir la non-valeur des articles organiques aux yeux de l'Église. A voir l'estime et l'usage qu'en font tous ses ennemis, on peut bien croire qu'ils n'obtiendront, pas plus dans l'avenir que dans le passé, l'agrément de la Chaire Apostolique.

 

Je citerai ici, à l'appui de cette conclusion, le témoignage con­forme et très inattendu de Jules Favre. En 1850, ce député avait proposé d'établir l'inamovibilité en faveur de tous les desservants; pour motiver sa proposition, il disait que le concordat ne contenait que des curés inamovibles et que la révocabilité ad nutum n'a­vait été introduite légalement que par les organiques.

 

« La doctrine de l'inamovibilité, dit-il, était respectée, conser­vée, confirmée par le Concordat. Cependant, vous savez qu'un autre monument législatif y vint porter une grave atteinte : je veux parler des lois organiques, qui, elles, vous ne l'ignorez pas non plus, furent l'œuvre exclusive de la puissance temporelle ; or, dans ces lois organiques, l'inamovibilité, qui paraissait conservée pour toutes les classes de curés, disparut en ce qui concernait la classe la plus nombreuse, c'est-à-dire la classe des curés de campagne, qu'on a nommés succursalistes et desservants

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« De quoi s'agit-il en effet ? Il s'agit tout simplement comme le dit le comité des cultes, dans le vœu qu'il exprime, de demander à la puissance civile, à l'autorité souveraine qui fait la loi, et dont vous êtes ici l'expression ; il s'agit de lui demander de revenir sur un point de la législation civile. En effet, messieurs, c'est l'article 60 de la loi organique qui est annexée au Concordat, c'est cet article

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60 seul qui est en cause ; et il n'est pas douteux que les articles organiques, ainsi que je le disais, soient émanés du pouvoir tem­porel, soient son ouvrage, et n'aient en rien reçu l'adhésion du pouvoir spirituel.Tout le monde sait que les articles orga­niques n'ont pas été acceptés par le Saint-Siège, qu'il a con­stamment protesté contre eux. C'est un point historique, et je rougirais de le développer devant cette assemblée, de discuter ma pensée par des citations historiques. Ainsi, les articles organi­ques sont en dehors de l'action pontificale, de l'action du Saint-Siège,
et n'ont jamais été acceptés comme autorité, pouvant en quoi que ce soit toucher à la discipline ecclésiastique. »

 

On peut, d'un ennemi; recevoir la leçon.

 

16. Enfin les articles organiques sont nuls et de nul effet par défaut d'accord avec les principes constitutionnels et législatifs de la France.

 

Un traité, sanctionné et érigé en loi, ne peut avoir de véritable force légale que s'il est un véritable traité. Tout ce qui pourra vicier le traité et le rendre nul, viciera en même temps la loi ; de telle sorte qu'il n'y aura point de loi, s'il n'y a point de traité. Or, en examinant le Concordat et les articles organiques, nous recon­naissons bien, dans le concordat, une véritable convention, dont les clauses et conditions ont été réglées et régulièrement échangées entre les parties, mais il nous est impossible de reconnaître le même caractère aux articles organiques.

 

Les articles organiques, qui devaient faire partie du traité, n'eu­rent rien de ce qui doit constituer une véritable convention. Ils furent dressés par le gouvernement tout seul, à huis clos, comme un acte de conspiration et à l'insu du souverain pontife. L'essence du pacte, qui réside dans la concurrence et l'accord des deux par­tis, accord sans lequel il ne peut y avoir d'obligation mutuelle, ne se trouve nulle part dans les organiques. Ils n'avaient rien ni d'un traité, ni d'une convention quelconque, puisqu'ils n'émanaient que du gouvernement français tout seul ; ils ne pouvaient pas être non plus une loi véritable, puisque le Corps législatif ne les vota pas comme tels, mais les accepta seulement comme annexes d'un traité.

 

« Toutes ces opérations, disait Portalis, ne pouvaient être matière

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à projet de loi. La convention avec le Pape et les articles organi­ques de cette convention participent à la nature des traités diplo­matiques, c'est-à-dire à la nature d'un véritable contrat. »

 

Ainsi, de par Portalis, voilà qui est bien entendu. Les organiques ne pouvaient pas être matière à projet de loi et ne devaient pas, comme tout projet, passer au laminoir législatif. Autrement, on eût nommé une commission parlementaire, discuté le fond et la forme du projet, nommé un rapporteur, produit en séance publi­que des amendements, voté article par article à la majorité des voix. Tout cet appareil a été mis de côté, parce qu'il ne s'agissait pas d'une loi civile.

 

Il ne peut donc s'élever ici aucun doute ; non seulement le Con­cordat et les articles organiques devaient former par eux-mêmes une grande convention, participant à la nature des traités diploma­tiques, mais encore, ils furent présentés comme tels par le gouver­nement consulaire, et c'est comme tels qu'ils furent admis sans discussion contradictoire et par un vote unique, au Corps législatif.

 

C'est là, si nous ne nous trompons, le vice radical des arti­cles organiques. Ils ne sont, en réalité, ni un traité, puisqu'ils sont l'œuvre d'un seul ; ni une loi civile, puisqu'ils manquent des con­ditions de légitimité législative. Nous ne pouvons y voir qu'un règlement de police qui s'est glissé furtivement, sous le manteau d'une convention mémorable, dans le sanctuaire du Corps législa­tif et qui ensuite, à la faveur d'un titre coloré, a trouvé place dans le Bulletin des lois.

 

Les publicistes qui ont voulu défendre la légalité des articles organiques, ont dit que les protestations du Saint-Siège ne s'appli­quaient pas à tous les articles, et, par conséquent, que ceux-là au moins formaient loi qui avaient été admis par les deux puissan­ces. Nous répondrons : 1° que la protestation pontificale est géné­rale, qu'elle embrasse en bloc tous les articles et atteint le principe même de la loi ; 2° que si certains articles n'ont pas été censurés, c'est qu'on les trouvait moins mauvais, tout en répudiant leur ori­gine, ou qu'on n'y découvrait pas alors tout ce qui a mis la mau­vaise foi des clercs de la basoche.

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On dit encore que les protestations du Pape ne peuvent rien pour infirmer une loi de l'Etat. Cela est vrai si l'on parle d'une loi véritable, d'une loi proprement dite ; et nous répétons que les ar­ticles organiques ne sont qu'une loi civile, mais qu'ils peuvent être seulement les annexes légitimes d'un traité converti en loi. Or, après les protestations du Saint-Siège, ils ne revêtent nullement le caractère d'une convention internationale, et par le fait, ils ne jouissent pas des conditions de la légitimité politique.

 

Ce qui prouve que les organiques, même aux yeux du gouverne­ment, n'ont pas le caractère de loi, c'est la manière dont il en use. Dans les temps pacifiques, on n'en parle pas plus que s'ils n'exis­taient pas ; on les viole tous les jours, sans que personne y prenne garde ; et le gouvernement pas plus que les citoyens n'en a cure. Lorsqu'on parle de s'en servir c'est qu'on veut aller au feu ; le sim­ple rappel des organiques est l'équivalent d'une déclaration de guerre. Encore que ces articles ne soient qu'une arme, le gouver­nement en a modifié plusieurs et laissé tomber les autres en désué­tude. Ainsi, le 28 février 1810, il a modifié l'article 1er en ce qui regarde les brefs de la pénitencerie qui n'auront plus besoin d'au­torisation pour être exécutés ; l'article 26 relativement aux ordina­tions laissées à la liberté des évêques ; et l'article 36 qui attribuait pendant la vacance du Siège, aux vicaires généraux, le pouvoir épiscopal. Ainsi l'article 43, relatif au port du costume ecclésiastique, a été modifié en 1804. Ainsi on a dérogé par érections de sièges nouveaux à différentes dates. Peut-on regarder comme une vérita­ble loi celle qui n'a pas besoin d'une autre loi pour être modifiée ; celle qui s'abroge par un décret, par une ordonnance, quelquefois par un simple arrêté ; celle dont on prend et dont on laisse arbi­trairement ce qu'on veut, et qui meurt et qui ressuscite à volonté, suivant les temps, les hommes et les circonstances. Pour nous, en fait, comme en droit, nous contestons absolument la valeur légale des articles organiques.

 

Maintenant oublions le vice inné de cette loi et les vicissitudes qu'elle a éprouvée ; supposons que la légalité des organiques ail été aussi réelle qu'elle nous le paraît peu, ne conviendra-t-on pas

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au moins qui, depuis 1814, nos constitutions libérales ont dû porter une mortelle atteinte à cette législation exceptionnelle et oppressive ? Comment concilier avec nos chartes, qui toutes pro­clament la liberté des cultes , l'existence d'une loi, qui met tant de restrictions arbitraires à la liberté du culte catholique.

 

On dit que nos chartes, loin de favoriser la religion catholique, lui ont enlevé, au contraire, sa qualité de religion d'État ; et l'on ne sait pas qu'en enlevant à la religion ses privilèges, on a forcé­ment augmenté son indépendance, et que moins l'Église tient à l'État, plus l'État doit nécessairement la laisser libre. Les ancien­nes maximes des parlements n'avaient cours que pour rendra les lois de l'Église exécutoires dans l'État et porter, contre les con­trevenants, des peines temporelles. Du moment que l'Église est, jusqu'à un certain point, séparée de l'État, les anciennes maximes tombent, et si vous ne nous prêtez plus aide, vous n'avez pas le droit de nous opprimer.

 

On ajoute que le Concordat, d'accord avec nos chartes, déclare que le catholicisme est la religion de la majorité des Français et que, par conséquent, sous nos régimes successifs, les rapports doi­vent rester les mêmes. Mais d'abord on oublie les protestations du Saint-Siège contre ces lois d'esclavage. Ensuite on oublie que la Constitution de l'an VIII, sous laquelle a été fait le Concordat, ne s'occupait pas de la liberté religieuse, tandis que nos chartes la pro­clament solennellement ; on ne veut pas voir que le catholicisme entre dans la Constitution de l'an VIII à l'aide d'une transaction, tandis qu'il est inscrit dans nos constitutions nouvelles, comme un droit, qui n'a pas d'autres bornes que le droit des autres cultes reconnus ; on ne veut pas voir qu'en 1802, la liberté religieuse pro­cédait en quelque sorte du pouvoir et que, depuis 1814, c'est le pouvoir qui procède de la liberté. Eh quoi ! vous voulez donc que la religion seule n'ait rien gagné depuis quatre-vingts ans. Toutes et les libertés publiques se sont développées, consolidées, du moins vous le dites et vous vous en décorez comme d'un titre d'honneur, l'Église resterait toujours chargée des vieilles chaînes ! La liberté n'existera que pour les cultes rivaux et pour les saturnales de l'im-

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p195 CHAPITRE XI.   — LES ARTICLES  ORGANIQUES,   ETC.        

 

piété. On respectera la conscience de la minorité, on opprimera la conscience de la majorité. Le catholicisme seul sera banni du banquet de la constitution; vous souffrirez qu'après tant d'années il soit ce qu'il était au lendemain de la persécution et vous appelle­rez cela revenir au Concordat. Alors on fut heureux de se donner la main ; cependant on ne négligea pas de réclamer contre d'injus­tes servitudes et on obtint des modifications importantes. Hommes d'aujourd'hui, vous ne pouvez pas ressembler à ceux de l'an VIII, à moins de préparer le retour de l'Empire ; vous pourrez encore moins ressembler aux sicaires du jacobinisme sans rentrer à pleines voi­les dans l'ère des persécutions et des tempêtes. Vous vous dites libéraux, soyez-le. Entre vous et nous, la question serait simple si les préjugés et les passions ne la compliquaient pas. Nous vous demandons de faire pour la liberté religieuse, ce que vous avez fait pour la liberté politique ; nous vous demandons de ne pas invoquer contre nous des lois empruntées aux régimes que vous avez pros­crits ; nous vous demandons de nous traiter en citoyens d'un pays libre. Si vos sentiments répondaient à nos vœux, il y a longtemps qu'il ne serait plus question des articles organiques. Ce code de servitude ne peut pas rester debout en face du code agrandi de nos libertés, sans préparer, par sa contradiction et par le vice de ses influences, le retour du despotisme.

 

Nous pourrions multiplier ici les considérations ; mais il y a certaines bornes qu'il ne faut pas dépasser. (1)

 

Vice d'origine, atteinte à la religion et à l'Église, incompatibilité avec la monarchie de la Chaire Apostolique et avec les principes constitutionnels de l'État, œuvre d'une tyrannie aveugle et rétro­grade : telles sont les caractères des articles organiques et les preu­ves de leur non-valeur au point de vue légal. La révocation des articles organiques est donc nécessaire au salut de la France ; c'est un des plus précieux triomphes que puisse ambitionner l'Église.

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(1) Le lecteur consultera avec fruit sur cette importante question, les Institu­tions diocésaines de Mgr Sibour, le tome 1 du Recueil des actes épiscopaux, publié en 1845, et l'ouvrage spécial du chanoine Hébrard, Les articles organi­ques.

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