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12. Les montagnes du pays de Salzbourg servaient d'asile à des Hussites et à des Vandois ; le mauvais état des chemins leur permettaient d'y pratiquer leur religion sans être découverts. Avant la guerre de Trente ans, on en avait contraint plusieurs à quitter le pays. En 1684, Gandolf, archevêque de Salzbourg, voulut user du droit que lui reconnaissaient les traités de Westphalie, d'expulser de ses États ceux qui ne professaient pas une des trois religions autorisées dans l'Empire. En conséquence, il contraignit un certain nombre de ces sectaires à quitter son territoire. Un de ces successeurs, Léopold de Firmian, eut encore plus à cœur d'établir dans sa principauté, l'unité de croyance. Le prélat fit enlever aux descendants des Vandois, les livres qui les entretenaient dans l'erreur, envoya des missionnaires pour les prêcher, et employa, soit comme prince, soit comme archevêque, tous les moyens pour venir à bout de ses desseins. Hencke, dans son Histoire des églises chrétiennes, publiée en 1801, avoue qu'il se trouvait, parmi les religionnaires, des têtes ardentes, qui se portèrent à tous les excès ; ils regardèrent comme une tyrannie, les procédés de l'archevêque et recoururent aux voies de fait. Le soulèvement se propagea. L'empereur Charles VI publia une ordonnance par laquelle il défendait aux protestants de se faire justice à eux-mêmes et leur prescrivait d'exposer paisiblement leurs griefs. Le mal était fait, l'impulsion donnée ; il fallut envoyer des troupes pour contenir les mécontents. On arrêta beaucoup de gens prévenus d'avoir pris les armes et excité le trouble. Enfin le 22 octobre 1731, Frimian bannit 22.000 religionnaires. Leur sort intéressa tout le parti protestant. Les princes, la Prusse surtout, leur accordèrent des asiles et bâtirent des villages. Les historiens protestants, qui ont transmis ces détails accusent fortement l'archevêque d'intolérance et de tyrannie. Cependant, même d'après leurs récits, tous les torts n'étaient pas de son côté, et, de plus, ses sujets avaient eu recours à la révolte. La guerre amena des excès de part et d'autre ; ces désordres provoquèrent une mesure définitive. On ne peut en mettre en doute ni l'équité, ni la justice ; l'archevêque usait de son droit ; il crut opportun d'en user. Les récriminations des protestants prouvent
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tout juste qu'ils trouvaient fort mal qu'on imitât leurs exemples.
L'archevêque de Salzbourg comprenait, du reste, très bien, que des conversions solides devaient se demander à l'édification. Dans ce dessein, il chercha, en 1736, à établir solidement dans son diocèse quatre ordres religieux ; il institua les Augustins à Hall et à Fauenberg ; les Capucins à Werffen, à Rastadt et à Dambsweg ; les Bénédictins à Schevazach et les Récollets à Hansdorff. Pirmian leur recommandait de visiter le territoire, de catéchiser, d'instruire, de ramener ceux qui hésitaient encore, de ne négliger rien pour extirper l'erreur ou pour l'empêcher de renaître. Dans chaque résidence, il devait se trouver quatre missionnaires; l'archevêque assignait des fonds pour leur subsistance ; il cédait, à ceux de Werfen, un bien pour bâtir une église et fonder une maison de mission-niares. Une pieuse veuve, Thérèse Glick, avait donné 12,600 florins pour la mission des Récollets ; d'autres dons furent faits également par les particuliers. L'archevêque les ratifia ; le chapitre métropolitain donna son adhésion aux mesures de l'archevêque. Ces mesures, soumises à l'approbation de la Propagande, furent confirmées ; Clément XII donna des lettres apostoliques pour l'établissement des missionnaires et combla d'éloges le zèle du prélat. L'archevêque de Salzbourg, Firmian, mourut en 1744, après avoir gouverné, pendant dix-sept ans, son diocèse.
13. En France, le Parlement continuait de soutenir le jansénisme et les papes continuaient de repousser ses assauts. Dans un de ses brefs, Clément XII avait rappelé les éloges donnés par les papes et les Conciles à la doctrine de Saint-Thomas et renouvelé les privilèges accordés à l'ordre de Saint-Dominique de conférer des grades aux étudiants qui suivaient ses cours. Les partisans des nouvelles doctrines affectaient d'enseigner que les sentiments sur la prédestination gratuite et la grâce efficace par elle-même étaient des dogmes de foi et cherchaient, par là, à faire brèche dans la bulle Unigenitus ou dans les opinions des écoles catholiques. Pour réprimer ces excès, le Pape publia, le 2 octobre 1733, le bref Apos-tolicœ providentiœ. Après avoir rappelé les brefs de ses prédécesseurs Clément XI et Benoît XIII, il s'exprimait ainsi : « Etant nous-
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même rempli d'une paternelle sollicitude, c'est avec grande douleur que nous voyons que des ténèbres répandues par les enfants de discorde, n'ont pas encore été suffisamment dissipées ; mais que la plupart soutiennent, avec une obstination intolérable, que la doctrine de S. Augustin et de S. Thomas sur l'efficace de la grâce divine a été frappée de censure par la constitution Unigenitus. Afin donc de n'épargner aucun moyen de ramener ceux qui s'égarent, nous défendons rigoureusement en vertu de la sainte obéissance, et sous les peines canoniques, à tous les fidèles de Jésus-Christ, à quelque rang et dignité qu'ils appartiennent, soit dans la dispute, soit dans l'enseignement, soit autrement, aucune proposition qui puisse confirmer les calomnies des novateurs. Cependant, connaissant pleinement les intentions de nos prédécesseurs, nous ne voulons pas que les louanges décernées par eux ou par nous à l'école thomistique, louanges que nous approuvons et confirmons de nouveau, soient en aucune manière préjudiciables aux autres écoles catholiques, qui ont des sentiments différents de ceux de cette école dans la manière d'expliquer la grâce divine, et qui ont aussi rendu, à ce siège apostolique, des services importants. Nous voulons qu'elles puissent continuer à défendre sur cette matière les doctrines qu'elles ont jusqu'ici enseignées et soutenues publiquement et librement, en tout lieu, et même au grand jour de cette ville de Rome. Nous défendons, sous les mêmes peines, d'oser flétrir d'aucune censure théologique, ces écoles ou leurs sentiments, jusqu'à ce que le siège apostolique ait défini et prononcé quelque chose sur cette controverse. Nous devons, en effet, entretenir et fortifier, entre les enfants de l'Église catholique, cette paix que le Seigneur nous a recommandé d'aimer ainsi que la vérité, afin que les différentes écoles unissent leurs efforts, il y ait une défense plus assurée contre les embûches de l'erreur. » (1) Ce bref déplut beaucoup aux jansénistes ; ils cherchèrent inutilement à le mettre en opposition avec le bref précédent Verbo Dei. Ces reproches, reproduits encore dans la Biographie universelle, tombent d'eux-mêmes. L'Église admire certainement le génie et les œuvres de S. Tho-
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(1) P. Perrone, Tractatus de gravas, ch. IV, art. 2.
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mas d'Aquin ; elle recommande certainement d'étudier de préférence les œuvres de l'Ange de l'Ecole et de l'Evêque d'Hippone, comme offrant une magnifique systématisation de la doctrine catholique. Mais, de ces recommandations et de ces approbations, il ne suit pas que ces grands docteurs n'ont payé aucun tribut à la faiblesse humaine ; et il s'ensuit moins encore que d'autres docteurs n'ont pas leur mérite propre et que d'autres écoles n'ont pas fourni des explications dont il est juste de tenir compte. En toutes circonstances, il faut se tenir à la sage maxime: Amicus Plato, sed magis amica veritas.
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18. C'est à cette date que débute Voltaire et que les francs-maçons commencent à ourdir leurs trames. Le Pape avec cette clairvoyance qu'ont les vicaires de Jésus-Christ, pour inspecter le monde et deviner le péril, frappa les francs-maçons d'anathème et applaudit à l'arrêt du Parlement contre les Lettres philosophiques de Voltaire. Déjà un pied dans la tombe, il condamna l’Histoire du concile de Trente, de Paolo Sarpi, traduite en français et accompagnée de notes insultantes par Le Courrayer. Une autre condamnation frappa la Consultation sur la juridiction et l'approbation nécessaire pour confesser. L'auteur de cet écrit était un appelant nommé Travers. Le but de son ouvrage était d'établir que tout prêtre, non approuvé d'aucun évêque, pouvait absoudre validement, et souvent licitement tout pénitent possible et imaginable. Travers avouait qu'il avait contre lui la pratique universelle et constante de l'Église ; mais il ne s'effrayait pas pour si peu. C'est en vain que le concile de Trente a décidé que l'absolution donnée par un prêtre à celui sur lequel il n'a pas de juridiction, soit ordinaire, soit déléguée est une absolution de nulle poids. Travers dit ridiculement que le décret ne paraît fait que contre les prêtres qui vivaient alors ; que, pris à la lettre, il n'oblige à recevoir l'approbation des évêques, que les réguliers. Avec de pareilles défaites, on se débarrasse aisément de toutes les objections. Ailleurs, voici comment Travers parle du même concile général : « J'y trouve un autre défaut. L'approbation des confesseurs par l'évêque, à l'exclusion des curés, peut passer pour un jugement contre des curés qui n'ont pas été appelés, un jugement qui aurait été rendu par ceux qui semblent parties dans cette affaire, n'en devaient pas être les solliciteurs et les juges, contre lequel, par conséquent, les curés sont en droit de se pourvoir. » Et c'est ainsi qu'on parle d'un décret universellement suivi et d'un concile œcuménique, dans le parti ou l'on appelle au futur concile comme à l'oracle souverain
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de l'Église. Et si ce futur concile les eut condamnés ne se seraient-ils pas pourvus encore contre sa décision, parce qu'ils eussent été condamnés par leurs parties ?