Pie IX Hiérarchie en Angleterre 2

Darras tome 41 p. 300

 

   15. Des articles de journaux, on passa aux faits, et le 5 novem­bre 1850, anniversaire de la découverte de la conspiration des poudres, on conduisit en procession des images des évêques et du pape, qu'on brûla au milieu des plus ignobles insultes et des plus vils outrages. Le fanatisme anglican s'éleva à un tel degré, qu'un très riche seigneur offrit publiquement une récompense à celui qui jetterait, au visage du cardinal Wisman, la première pierre, et promit de payer tous les frais du procès qu'occasionnerait cet attentat. Prédications, assemblées, invectives, suppliques et lettres inondèrent l'Angleterre, par suite de la bulle pontificale; et le Morning Herald s'étonna de ce que l'agitation produite par cet acte apostolique n'eut pas exercé d'influence sur la cote des fonds à la Bourse de Londres.

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L'épiscopat anglais, qui devait éprouver plus spécialement les conséquences du bref pontifical, ne restait pas passible spectateur de cette agitation. Les hauts dignitaires de Westminster deman­dèrent conseil à l'évêque de Londres pour savoir la conduite qu'ils devaient tenir en présence du danger qui les menaçait. L'évêque répondit ; : La désignation des évê2,ques constitués par le pape nie virtuellement l'autorité (religieuse) de la reine d'Angleterre et de l'épiscopat anglais ; elle nie la validité de nos ordres sacrés ; c'est une prétention (et même plus, Monsieur) à la juridiction spi­rituelle sur la population chrétienne du royaume. » L'archidiacre de Londres dit au clergé de son archidiaconat protestant: « Nous vivons dans un temps ou tous ceux qui apprécient la foi protes­tante doivent se lever pour sa défense et ne point cacher leur épouvante à la vue des périls qui menacent notre église et notre pays, par suite du rétablissement de la juridiction papale dans le royaume et de la publication d'une bulle du pape, qui nous montre l'Angleterre comme devenue une dépendance du Siège de Rome. » L'évoque de Londres avertissait encore les anglais dans la cathédrale de Saint-Paul « de ne point exposer au péril leurs convictions et leur affections pour l'Eglise anglicane en assistant aux offices et aux prédications des oratoriens. »

 

Les oratoriens donnaient, en effet aux clergymen anglais, un parti­culier souci. «Je suppose, écrit le P. Faber à un ami, que vous lisez les journaux et vous savez alors qu'elle est notre position actuelle en Angleterre ; nous avons l'honneur de porter plus que notre part de l'indignation publique et nous le devons peut-être au mande­ment que l'évêque de Londres a bien voulu diriger contre nous. Sur tous les murs vous voyez : « A bas les oratoriens ! » Gare aux oratoriens ! » «N'allez pas à l'Oratoire. » « Chassons les oratoriens. » Leicester square, un triple placard ne mâche pas les termes : « Pas de Papisme ! à bas les oratoriens ! plus de religion ! » On nous maudit dans les rues ; même les gentlemen nous huent de la por­tière de leur voiture. Tout cela est très-bien ; mais le grand point qui me met en peine, c'est comment notre monde se conduira.

 

« Dernièrement, en priant pour le cardinal j'étais fortement

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tenté de demander pour lui un grand esprit de mortification. Voilà ce dont nous avons besoin; et si les clameurs actuelles nous y conduisent, ce sera pour nous une véritable bénédiction. Nous avons tous trop élevé la tête ici en Angleterre, catholique et con­vertis. Nous nous sommes conduits comme si nous avions le jeu en mains. Nous nous sommes lancés dans les cérémonies d'appa­rat, les belles églises, les grandes manières, la publicité, et nous n'avons pas correspondu a ce que Dieu faisait pour nous à l'exté­rieur, par une augmentation de prières, de mortifications et de pra­tiques de vie intérieure. Nous devenions chaque jour plus vides et plus présomptueux. Que Dieu laisse le démon aboyer pour nous instruire, ou mordre pour nous châtier ; j'espère que l'avertisse­ment ne sera pas rejeté, mais qu'il produira son effet. Hélas! le malheur est que si peu de gens prennent le côté surnaturel des choses : Diminutae sunt veritates a filiis hominum.  Tout ceci, je le dis à mon crucifix chaque jour et je me le redis en écrivant. C'est peut-être Xiav ûfuÀn de ne faire que grogner le jour de sainte Gertrude, mais cela pourra vous donner des idées en priant pour nous » (1).

 

   16. Si les masses étaient agitées, si un mystique comme le p. Faber avait ses inquiétudes, les hommes politiques ne res­taient pas oisifs. Lord John Russel écrivait à l’évêque de Durham: « Mon cher lord, je suis d'accord avec vous pour envisager comme insolente et insidieuse la dernière agression du Pape con­tre notre protestantisme, et l'indignation que j'en ressens est égale à la vôtre. Non seulement je favorisais de tout mon pouvait les prétentions des catholiques romains à tous leurs droits civils, mais je croyais aussi juste et désirable que leur organisation ecclésiastique eût les moyens de donner l'instruction aux nom­breux Irlandais qui émigrent à Londres ou ailleurs et qui resteraient autrement dans une déplorable ignorance.

 

   « Mais tout cela aurait pu se faire sans aucune de ces innova­tions dont nous sommes les témoins. Il est impossible d'assimiler les nouvelles mesures du Pape avec la division de l'Ecosse en

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 (1) Vie et lettrée de P. Faber, t. II, p. 179.

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diocèses par l'Église épiscopalienne ou avec le partage de l'An­gleterre en districts par la conférence Vesleyenne.

 

« Il y a une usurpation de pouvoir dans tous les documents arrivés de Rome, une tendance à la suprématie sur le royaume d'Angleterre, des prétentions à une autorité unique et individuelle qui ne peut s'accorder ni avec la suprématie de la reine ni avec les droits des évêques et du clergé, ni avec l'indépendance spiri­tuelle de la nation, comme cela a été soutenu même au temps que le pays était catholique romain.

 

« J'avoue pourtant que mes craintes ne sont pas égales à mon indignation.

 

« Ainsi, s'il est prouvé que les agents et serviteurs du Pape dans le pays n'ont pas violé la loi, je suis persuadé que nous aurions tort après de repousser leurs attaques extérieures. La liberté du protestantisme existe depuis trop longtemps en Angleterre pour donner quelque espoir de succès à une entreprise qui voudrait imposer un joug étranger à nos esprits et à nos cons­ciences. Non, il n'y a pas de prince ni de potentat étranger qui puisse donner des fers à une nation qui a si longtemps et si noble­ment revendiqué ses droits à la liberté des opinions, soit civiles soit politiques, soit religieuses.

 

« Là-dessus je puis vous dire seulement que l'état présent de la loi sera examiné avec soin et le débat appelé sur le droit que nous avons, d'adopter des mesures en rapport avec celle récente usurpation de pouvoirs.

 

« Il y a néanmoins un danger qui m'alarme plus que toute agression de souverain étranger.

 

« Des clergymen de notre Église qui ont signé les trente-neuf articles et reconnu, en termes explicites, la suprématie de la reine ont été des plus empressés à conduire leur troupeau, pas à pas jusque sur le bord du précipice. L'honneur rendu aux saints, la prétention à l'infaillibilité pour l'Église, l'usage superstitieux du signe de la croix, un marmottage de la liturgie qui va jusqu'à déguiser la langue dans laquelle elle est écrite, la recommandation de la confession auriculaire, l'administration de la pénitence

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et de l'absolution, toutes ces choses sont prônées comme dignes d'adoption par des clergymen de l'Église d'Angleterre et aujour­d'hui l'évêque de Londres doit, à ciel ouvert, faire acte épiscopal pour combattre ces novateurs auprès du clergé de son diocèse.

 

« Qu'est-ce donc que le danger de tomber aux mains d'un prince étranger dont le pouvoir n'est pas bien grand, comparé au danger sans issue qui vient de fils indignes de l'Église d'Angle­terre elle-même ?

 

« J'ai peu d'espoir que les promoteurs et les fauteurs de ces innovations se désistent de leurs menées insidieuses. Mais je com­pte avec confiance sur le peuple, et je ne perds pas un brin ni de cœur ni d'espoir, aussi longtemps que les glorieux principes et les immortels martyrs de la réformation vivront dans le respect de la grande masse de la nation qui voit avec mépris les mascarades de la superstition, et avec dédain les efforts laborieux qui se font maintenant pour confiner l'intelligence et asservir les âmes ». (1).

 

 17. Le cardinal Wiseman, dans son magnifique Appel à la raison et aux bons sentiments du peuple Anglais, tint tête à I'orage et justifia le rétablissement de la hérarchie catholique au triple point de vui légal, politique et religieux. Dans son préambule, il démontrait :

 

1° Que cet acte n'est pas un acte gratuit et imprévu, que ce n'est pas une mesure d'un caractère usurpateur et agressif, que c'est, au contraire, un acte longuement médité et exécuté ouvertement; qu'il est fondé sur les besoins de l'Église catholique, de son régime intérieur, de sa saine organisation. Le besoin d'avoir un code a engendré la nécessité d'avoir le seul gouvernement qui put le faire mettre en vigueur.

 

2° Que le blâme, s'il y en a, et la responsabilité de la mesure reviennent à l'auteur, à ses collègues et non pas à Sa Sainteté le Pape, le meilleur et, dans cette circonstance, le plus calomnié des hommes. Le Pape a cédé comme un tendre père, aux sollicitations pressantes de ses enfants, et ceux-ci lui ont indiqué les détails d'exé-

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(1) Abbé de Mabaiwe, Ignace Spencer et la renaissance catholique en Angleterre p. 381.

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cution qu'ils jugeaient les plus utiles. Loin d'être un acte d’hostilité de sa part, cette mesure est un acte de condescendance envers ses vicaires, son clergé et son peuple. Quiconque lira de sang-froid ses lettres apostoliques se convaincra facilement de cette vérité. Il serait impossible, en ce moment, d'arrêter les torrents d'insultes grossières et dégoûtantes que la populace vomi contre sa per­sonne sacrée, au milieu des encouragements de ceux dont la mis­sion, s'ils en avaient une, devrait être une mission de paix. Le temps dissipera les ombres du mensonge et montrera les faits dans leur véritable jour. En attendant, l'auteur de ces pages se déclare prêt (et s'il est sûr de n'être pas le seul) à se placer entre le Pontife et ceux qui l'insultent en blâmant cette mesure, car il croit que cet acte a été souverainement juste, convenable et, de plus, extrêmement utile à la prospérité de l'Église catholique en Angleterre. Il aurait dû suffire de dire à des Anglais : « C'est un acte strictement légal. »

 

Dans le corps de sa brochure, le cardinal établissait : 1° que, depuis 1829, les catholiques pouvaient rejeter la suprématie reli­gieuse de la reine, sans détriment pour leurs droits civils et politiques; 2° que, au point de vue strictement légal, premièrement, la loi accorde aux catholiques le droit d'être gouvernés par des évêques ; secondement, qu'il n'y a aucune loi ni aucune autorité qui les oblige à être toujours gouvernés par des vicaires apostoliques, et qu'ils ont la faculté de posséder une hiérarchie, c'est-à-dire un archevêque et des évêques ayant des titres locaux ou des titres tirés des villes de ce pays ; troisièment, que ces titres ne sont par conséquent contraires à aucune loi dès qu'ils ne sont pas les titres mêmes portés par la hiérarchie anglicane ; quatrièmement que toutes ces conditions ayant été fidèlement observées, dans l'é­rection récente de la hiérarchie catholique, elle est parfaitement légale, parfaitement légitime et inattaquable en vertu de la loi actuellement existante.

 

Les catholiques anglais, ainsi renfermés dans leur droit, pou­vaient-ils obtenir leur hiérarchie d'une autre que du Pape? Non,

le Pape seul peut constituer une hiérarchie et nommer des évêques.
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p306    PONTIFICAT DE PIE IX (1846-1878)

 

    Il en est ainsi dans le monde catholique tont entier ; même dans le pays ou le pouvoir civil, en vertu d'un concordat avec le Pape, nomme, c'est-à-dire propose des candidats à l'épiscopat, les évê­ques ne peuvent être consacrés sans la confirmation ou l'accepta­tion du Pape, et, s'ils sont consacrés, ils ne peuvent exercer aucune fonction de leur ressort sans la sanction du Saint-Siège. Si donc les catholiques anglais devaient jamais avoir une hiérarchie, ils ne pouvaient l'avoir que du Pape, lui seul pouvant l'accorder.

 

En recevant cette hiérarchie du Pape n'empiétaient-ils pas sur les droits de la couronne ? « Le Pape, dit le cardinal, exerce par tolérance au moins, une juridiction ecclésiastique en Angleterre et on ne peut l'accuser d'outrepasser les limites de cette tolérance, aussi longtemps qu'il n'exerce pas une juridiction qui puisse avoir force de loi, ou qu'il ne cherche pas à exercer et ne prétend pas avoir une juridiction reconnue par la loi. Or, personne, je pense, ne peut croire un seul instant que le Pape ou les catholiques de l'Angleterre et leurs évêques prennent la nomination de la hiérar­chie pour un acte ayant aux yeux des anglicans force de loi. Ils regardent cette acte comme étant en dehors de la loi, comme un acte de juridiction spirituelle, qui n'est obligatoire que pour les consciences de ceux qui reconnaissent, par leur foi, par leur conviction, la suprématie papale.

 

« Est-ce que cette attribution de titres s'est renfermée dans les termes de la loi ? Y a-t-il quelque loi qui défende de prendre le titre d'évêque ? Ce titre fut pris par un certain docteur Dillon, qui put même ordonner de soi-disant prêtres sans que personne songeât à le poursuivre. Les Moraves ont des évêques dans toute l'Angleterre ; les Ivringites ou Apostoliques ont aussi les leur? et cependant personne ne les accuse d'illégalité. Ainsi, nous ne commentons point une illégalité en prenant le titre d'évêques. Y a-t-il une loi qui nous défende de prendre le nom d'une ville n'ayant point d'évêque anglican ? Personne ne peut dire qu'une pareille loi existe.

 

« Je demanderais aux hommes qui sont plus versés que moi dans la connaissance des lois, si un acte accompli par un sujet

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p307  § 2.   — PIB IX RÉTABLIT LA HIÉRARCHIE  EN ANGLETERRE     

 

de Sa Majesté, dans les conditions requises par la loi, est une infraction à la prérogative royale? Si cela n'est pas, j'en conclus que la prérogative royale n'a nullement été violée par la nouvelle création d'évêques catholiques ». (1).

 

Le cardinal établissait encore que la marche suivie pour établir cette hiérarchie avait été très-prudente et nullement séditieuse, et qu'enfin le bref avait été montré a lord Minto deux ans aupa­ravant ; il concluait : « Cette tempête passera ! Un peuple dont l'esprit est honnête et droit verra bientôt par quels artifices on a cherché à le tromper, et le sentiment de la générosité reprendra son empire. Les yeux sont ouverts pour examiner ; les mérites res­pectifs des Églises seront mis à l'épreuve avec des arguments précis et non par des considérations mondaines, et la vérité, pour laquelle nous combattons, triomphera tranquillement.» Et la vérité triompha en effet !

 

Pendant que l'Angleterre s'agitait pour la question catholique, en Italie, et principalement en Piémont, la presse libérale faisait cause commune avec les Anglicans, et désapprouvait Pie IX, dont l'imprudence, selon elle, et le zèle mal entendu avaient suscité cette tempête et avaient été nuisibles à la religion, tout en préten­dant lui apporter des avantages considérables. C'est dans ce sens qu'écrivaient le Statuto de Florence, le Risorgimento de Turin, et le Carrière mercantile de Gènes. Cependant on lisait et relisait dans le Parlement anglais le bill contre les titres catholiques, et, après l'avoir amendé, on passait à la troisième lecture. Les croyants de peu de foi, hésitaient, quelques-uns, osant s'ériger en conseillers du Pape, désapprouvaient le bref comme intempestif. Lord John Roussel dit quelques mots de ces terreurs dans la chambre des communes le 5 février 1831 : « En Angleterre, un ordre de vous, dicté par une pieuse et excellente intention, mais blâmé comme injuste par les catholiques les plus judicieux, a donné lieu à de profondes profanations à Londres, et à de sanglantes émeutes dans les provinces ; il a rallumé les colères et les fureurs religieu­ses éteintes ou au moins apaisées depuis  longtemps, et a fait

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(1; Appet au peuple anylais, p. 47.

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p308   PONTIFICAT DE PIE IX  (1840-1878)

 

en peu de mois perdre au catholicisme plus qu'il n'avait acquis depuis de longues années. » Modicae fidei, quare dubitasti ? L'agitation anglaise se calma, le bill fut condamné par ses propres auteurs. Pie IX vainquit ; le bref pontifical fut mis et est encore en vigueur et l'archevêque de Westminster, et les douze évêques ses suffragants gouvernent l'Église catholique d'Angleterre, qui tous les jours fait de nouveaux progrès, et reçoit dans son sein l'élite des hommes qui appartenaient à l'anglicanisme.

 

18. Pie IX était venu quelques années auparavant au secours de l'Irlande. Mais, pour comprendre la portée de cette assistance charitable du Pontife romain, il est nécessaire de remonter plus haut. Aussi bien l'histoire de l'Église en Irlande est tout un procès, intenté par la raison humaine, à l'anglicanisme, et jugé contre lui par toutes tes consciences équitables du monde civilisé.

 

La condition politique et civile de l'Irlande était des plus tristes au commencement de ce siècle. On venait de lui enlever son assemblée nationale et elle n'était gouvernée que par un procon­sul anglais ayant titre de vice-roi. Contrée entièrement catholique elle était obligée de payer de fortes redevances pour l'entretien d'un clergé anglican, et elle ne pouvait envoyer ses enfants catho­lique aux chambres du Parlement anglais. Son culte, longtemps proscrit, ne pouvait encore s'exercer qu'en plein air. Ses habitants, en haillons, travaillaient comme fermiers pour des maîtres déployant au milieu d'eux un luxe oriental. Enfin le paupérisme ne tendait qu'à s'accroître par l'exorbitance de l'impôt, le système de fermage et la confusion de la dette irlandaise avec la dette nationale de l'Angleterre. Aussi ce pays de neuf millions d'habi­tants était-il condamné à voir ses pauvres enfants demander par l'émigration à d'autres cieux une meilleure patrie.

 

Cet édifice d'iniquité fut ébranlé d'abord par la perte des colo­nies anglaises d'Amérique et par l'éclat de la révolution française. On accorda, aux catholiques la permission de s'absenter des offi­ces de l'Église établie sans payer d'amende et d'assister sans la moindre gêne à leurs propres offices. Vers 1809 l'Irlande s'incarna dans un homme qui dès lors représenta tous ses intérêts, Daniel

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p309 2.   — PUS DC RÉTABLIT  LA  HIÉRARCHIE EN ANGLETERRE     

 

O'Connell. O'Connell était né en 1775 dans le comté de Kerry, d'une honnête famille de fermiers dont l'origine remontait, dit-on, à un roi d'Irlande régnant au IIIe siècle. Avocat, et l'un des premiers catholiques qui ont exercé cette profession, il était sur­chargé de causes. Le travail et le talent lui permirent de faire face aux devoirs de sa profession ; il lui laissèrent même des loisirs pour s'occuper de l'affranchissement de son pays. A partir de 1800, il se fit agitateur et devint, plus tard, roi d'Irlande, roi-men­diant, comme l'appelaient les anglais, mais roi effectif avec toute la puissance, s'il n'avait pas la couronne. En 1829, l'agitateur fonda l'association catholique dont les membres devaient donner par mois deux sols; c'était la rente de l'émancipation. Six ans après O'Connell élu par le comté de Qarck, entrait au Parlement et l'acte d'émancipation était promulgué pour les catholiques des trois royaumes.

 

Cet acte abolissait l'ancien Test, assurait la liberté au clergé, permettait aux catholiques d'entrer dans le conseil privé, dans la magistrature et dans l'armée, de bâtir de somptueuses églises, de convoquer au bruit des cloches les fidèles à la prière, etc., etc. Mais ces concessions laissaient subsister les antipathies du gouvernement anglais. Du reste les franchises municipales étaient refusées aux villes ; le droit de posséder des armes inter­dit aux citoyens ; la foule des pauvres catholiques payait toujours la dîme aux opulents dignitaires de l'église anglicane et les paysans demeuraient soumis à la dure oppression des tenanciers anglais. O'Connell pensa qu'on ne pourrait réformer ces abus qu'autant que l’lrlande aurait sous un roi anglais, un parlement irlandais. Ce parlement avait été détruit en 1801 par l'acte d’Union. Pour renverser cet acte inique et illégal, O'Connell ouvrit une nouvelle campagne et forma l'association des repealers. L'agitation prit des proportions immenses, toutes les villes eurent leurs meetings et tous les Irlandais jurèrent d'obtenir le rappel de l'Union. O'Connell était partout : un jour il mettait en déroute les banques anglaises d'Irlande, un autre jour il déterminait ses com­patriotes à repousser tous les produits anglais, un peu plus tard

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p310      po.vmij'at de me ix (1810 1878)

 

il était nommé lord-maire de Dublin où il organisait une judicature nationale qui laissait déserts les tribunaux officiels. Le mou­vement grandissant toujours, on vit des meetings ou assistaient un demi-million d'hommes. Le gouvernement prit ombrage et lui qui avait dit : plutôt la guere que le rappel de l'union, traduisit O'Connell en cours d'assises. L'agitateur fut condamné en 1844, mais le verdict fut annulé en appel. Les forces d'O'Connell étaient épuisées. On lui conseilla les voyages, il prit le chemin de Rome qu'il ne devait point voir. Le libérateur de l'Irlande mourut à Gênes le 15 mai 1847. Son cœur fut envoyé à Rome et ses restes mortels retournèrent en Irlande. Ce grand homme qui avait reconquis la nationalité de sa patrie et les droits politiques de huit millions de catholiques, eut après sa mort la gloire d'être loué par les deux plus grands orateurs de l'époque, le P. Ventura et le P. Lacordaire (1).

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