Richelieu 3

Darras tome 36 p. 544

 

37. « Le roi, dit dom Vaissette, dans ses instructions aux com­missaires, ajoute que n'y ayant que les deux tiers des fortifications de Nismes et d'Uzès qui dussent être rasées, ils feraient (les com­missaires) travailler à cette démolition dans les endroits les plus

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forts, et que, pour Montpellier, Privas et les autres places du Vivarais et des Cévennes ils eussent à tenir la main pour que toutes les fortifications fussent entièrement rasées,  nonobstant les brevets particuliers qu'il avait accordés pour contenter ceux de Montpellier, Nismes et Uzès, suivant lesquels il réduisait la démolition des  for­tifications de la première de ces deux villes aux deux tiers et celle des deux autres à la moitié; son intention étant que toutes les for­tifications de Montpellier fussent rasées et les deux tiers de celles des autres villes. Le roi ordonna ensuite aux commissaires de faire détruire les deux tiers des fortifications de Castres aux endroits les plus forts, nonobstant le brevet particulier qui en réduisait la dé­molition à la moitié et supposé qu'on leur fît instance de se con­former au brevet, de faire entendre au duc de Rohan  que l'inten­tion du roi était qu'il fût procédé aux deux tiers de la démolition et que le brevet n'a été fait à son instance  que pour servir de pré­texte au contentement du peuple.» On ne saurait dire plus claire­ment que le traité signé par le roi n'était qu'un leurre ; qu'on n'y avait inséré telle ou telle clause que pour contenter les huguenots, c'est-à-dire les tromper, les rendre plus dociles et plus confiants dans la paix qu'on leur accordait. Qu'un roi,  dans sa souveraine puissance, retire des concessions faites spontanément, cela se con­çoit ; mais qu'il signe avec la révolte des traités de paix, recon­naissant cette révolte comme une puissance, puis viole ce traité, cela ne se peut comprendre. Le respect dû à la monarchie et à la religion ne permet pas d'excuser de tels agissements ; on ne peut les innocenter qu'on se référant aux rubriques de Machiavel.

 

38. La Rochelle était le dernier boulevard du protestantisme militant ; la Rochelle, perdue ou amoindrie, c'était, comme le pen­sait Richelieu, la faction protestante réduite à l'impuissance maté­rielle et morale. Pour la désarmer, Richelieu s'était d'abord adressé à Rohan et à son frère Soubise. Désespérant de les gagner par des avantages personnels, il décida le roi à déployer la plus grande rigueur contre les rebelles de l'Ouest et du Midi. Le duc de Mont­morency, en sa qualité d'amiral de France, prit le commandement

de la flotte destinée à réduire Soubise et la Rochelle ; tandis que le
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duc d'Épernon, le maréchal de Thémines et le duc de Ventadour eurent ordre de marcher contre le duc de Rohan chacun avec un corps de six mille hommes. Nous ne suivrons pas, dans leurs ex­péditions, ces trois corps d'armées ; nous raconterons seulement la prise de la Rochelle, événement qui décidait la ruine irrémédia­ble des protestants français. En 1627, sur l'assurance des secours de l'Angleterre, la Rochelle s'était donc soulevée, la ville fut aussi­tôt investie par l'armée royale. Richelieu, nommé lieutenant géné­ral dans les armées royales de Poitou, de Saintonge,  d'Angoumois et d'Aunis, qui eurent ordre de lui obéir comme à la personne même du roi, prit la direction du siège. Pour fermer le port aux flottes anglaises, il fit construire dans l'Océan, devant La Rochelle, comme autrefois Alexandre devant Tyr, une digue prodigieuse, dont l'exé­cution était regardée comme impossible. Mais le génie de Richelieu dompta la mer et les tempêtes. Il n'était guère moins difficile de dompter l'indocilité du soldat français, fortifiée par une longue ha­bitude de licence et de pillage, et le mécontentement des chefs, dont l'autorité nouvelle accordée à Richelieu blessait l'orgueil mi­litaire. Tout céda à la fermeté du cardinal. L'ordre le plus rigou­reux, la discipline la plus parfaite  régnèrent dans l'armée. Les plus mécontents, ceux même qui sentaient combien la réduction de La Rochelle allait ajouter au pouvoir déjà excessif de Richelieu, se plièrent à l'obéissance. Subjugués par un ascendant irrésistible, ils servaient avec exactitude, et même avec zèle ; et le maréchal de Rassompierre disait à ses collègues : Nous serons assez fous pour prendre La Rochelle.

 

Cependant les Rochellois semblaient invincibles. Guiton, leur chef, leur inspirait l'audace et le fanatisme dont il était animé. Élu maire par ses concitoyens, il avait d'abord refusé d'accepter la charge qu'ils lui offraient ; enfin, vaincu par leurs instances, il avait saisi un poignard, et leur avait dit : Vous le voulez, je serai maire, mais c'est à condition qu'il me sera permis d'enfoncer ce fer dans le cœur du premier qui parlera de se rendre ; qu'on s'en serve contre moi, si jamais je songe à capituler. Le poignard demeura sur une table, dans la salle du conseil, jusqu'à la fin de la guerre. La

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famine seule put triompher de l'opiniâtre résistance des habitants. Ils capitulent, après un siège de quatorze mois. Louis XIII était alors à l'armée. La Rochelle lui ouvre ses portes le 1er novembre 1628. Guiton lui présente les clés, et, conservant sa fierté jusque dans la soumission : Sire, dit-il au monarque, il est plus glorieux pour nous de reconnoître le roi qui a su prendre notre ville, que celui qui n'a pas su la secourir. De près de trente mille habitants, il en restait à peine cinq mille (1). On leur laissa leurs biens et l'exer­cice de leur religion ; mais leurs fortifications furent rasées et leurs privilèges abolis. Ainsi tomba cette ville fameuse par sa puis­sance et par ses révoltes, et qui, durant près de deux cents ans, avait aspiré à se rendre indépendante de ses souverains. Il en avait coûté quarante millions pour la réduire à l'obéissance ; et Ri­chelieu ne crut pas sa ruine trop chèrement achetée, même à ce prix (2).

 

39. Nous retrouverons Richelieu dans la guerre de Trente Ans. Ici, pour achever l'histoire du ministre de Louis XIII, nous devons défendre le cardinal contre l'imputation d'un schisme. Il est vrai que Richelieu inaugura, en France, une politique diamétralement

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(1) « On ne peut pas s'imaginer une opiniastreté ny une patience plus grande que celle des Rochellois, ayant souffert un siège de près de quinze mois et en­duré une telle nécessité, qu'il est certain que la faim en tua plus de huit ou dix mille ; qu'il y eust quelques femmes qui mangèrent leurs enfans ; qu'il falloit faire garder les cimetières, de peur qu'on allast desterrer les morts pour les manger ; que le prix des vivres y devint sur la fin si excessif, qu'un mouton y estoit vendu trois cents livres et une vache deux mille.... Or, ces gens-là ne s'estoient pas laissés réduire à de telles extrémités par le seul motif de la religion et de la liberté, mais aussy parce que le bon estât où ils pensoient estre par le moyen de leurs grandes fortifications, de leur union avec tous les huguenots de France, et principalement de Guienne et de Languedoc, et des intelligences qu'ils avaient en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, les avoit telle­ment enorgueillis, que ne reconnoissant le roy qu'autant qu'il leur plaisoit et leur tournoit à compte, ils l'avoient encore tellement offensé en donnant retraite à tous les mécontens, entrant dans toutes les factions, et se joignant avec tous ceux qui avoient voulu prendre les armes contre luy et luy faire la guerre, qu'ils croyoient impossible qu'il leur peust pardonner, et ne les ruinast entièrement, quand il en auroit le pouvoir. Mais il leur fit voir qu'ils le connoissoient mal, etc. » (Mëm. de Fonienau-Mareliu.)

(2)Ragon, Hist. gên. des temps modernes, t. II, p. 278.

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contraire à celle des pontifes romains ; il est vrai qu'il poursuivit cette politique avec une âpreté froide et une résolution presque violente. Mais peut-on dire qu'il voulut fonder, en France, un christianisme nouveau, pourvu de ses dignitaires, sous Armand Duplessis, premier patriarche et digne émule de Photius ? Ce fantasma­gorie de patriarcat, née sous François 1er, n'avait jamais pu pré­tendre à aucun succès. En France, on n'avait déjà que trop du calvinisme. Deux contagions diverses, dans l'ordre physique, ne se déclarent jamais à la fois : les hérésies autrefois attendaient de même la chute de leur devancière ; de petits esprits changeaient un mot à une doctrine, prenaient un nom différent, et, s'appuyant sur quelque prince imbécile, apportaient une pâle lumière que le courage éclairé de Rome savait dissiper ou éteindre. Que Riche­lieu ait voulu courir sur ces brisées et se heurter à des impossibili­tés absolues, on ne le peut admettre d'un homme qui savait rai­sonner les affaires et méditer avec une prudence rare les chances de la politique. Renverser le crédit d'un frère du roi, intimider les serviteurs d'un prince de la famille, arracher à Louis XIII tous ses courtisans, abattre une des têtes les plus glorieuses de l'État, bri­der Gaston d'Orléans et exiler Marie de Médicis, tout cela était et devint possible. Mais attaquer Rome en face, abattre la chaire du prince des Apôtres, se heurter à toutes les nations catholiques, et à tous les siècles chrétiens, élever des échafauds comme Elisa­beth, et, après avoir réduit les protestants vouloir exterminer les catholiques, cette supposition ne paraît point admissible. C'est déjà trop pour la gloire de Richelieu qu'on ait pu s'arrêter à cette hy­pothèse. « Par des gardes qui le portaient dans une litière, et ne le quittaient jamais, roi qu'il était de cette France qu'il avait res-suscitée, dit Artaud de Montor, il répondait aux inquiétudes de ses amis et aux entreprises de ses ennemis. Mais les gardes, les par­lements, son vrai roi lui-même, n'eussent pas résisté à une excom­munication qu'il se serait attirée, à un interdit public jeté sur sa personne par la même cour qui avait vu à genoux les coupables d'un crime analogue, quoiqu'il ne se présentât pas avec la même, dénomination. II faut en convenir, le calvinisme pouvait séduire

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les esprits hargneux, hostiles à toute autorité; mais qu'avait à dire un catholicisme sans tête, reposant sur la santé d'un homme qui pouvait à peine recevoir des aliments, que le travail consumait, qui ne dormait plus, et qui enfin conservait dans une tête nette, la pensée du scope qu'il voulait atteindre, (scope puisqu'il a parlé ainsi) dans le succès duquel il voyait les bénédictions de l'histoire, précédées il est vrai de la malédiction des contemporains. Richelieu avait, en religion, l'esprit juste, nous dirions presque craintif; car les réserves de son milieu, où il dit ce qu'on doit exiger d'un côté et ce qu'il y a à considérer de l'autre, peuvent faire penser qu'il n'abandonnait rien au hasard. Si Richelieu a eu l'esprit juste, il n'a pas voulu être patriarche. Je conçois une imbécillité secon­daire qui accepte ce rôle par ordre d'un prince ambitieux ; mais je ne conçois pas, devant toute la magnificence et la grandeur de Rome, je ne conçois pas qu'un maître, né sujet, qui n'a pas sur­monté tous les obstacles, qui voit la mort près de lui, dans de lon­gues insomnies, ait laissé entrer dans son esprit, pour consolations de plus grandes misères, pour secours dans l'existence la plus bourrelée, des angoisses, des poisons, des fers ardents qui auraient en peu de temps, et par mille voies inconnues, tranché cette vie qu'il aimait tant, et qui, déchirée par d'autres plaies, allait s'anéan­tir. Les hommes d'État de Rome que j'ai consultés sur cette ques­tion estiment que Richelieu est exempt de tout soupçon, de tout blâme indirect, malgré tant d'accusateurs. Tout au plus, si le car­dinal avait vécu longtemps, et toujours assuré des complaisances de son maître, la rancune de la défaite subie à l'occasion du ma­réchal d'Estrées aurait amené des paroles comme celles qu'on entendit, plus tard, de la bouche du duc de Créquy. Je persiste dans ce sentiment, parce que je me suis beaucoup préoccupé de cette question, à propos du patriarcat proposé par un aide de camp au cardinal de Grégorio, pendant l'occupation de Rome. Le cardi­nal avait répondu, au premier moment, en riant, et, le lendemain, avec une sainte indignation. Depuis, il avait étudié les fragments d'histoire qui peuvent jeter quelque jour sur cette étrange halluci­nation ; et il défendit Richelieu  avec une énergie spirituelle et

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logique, ne voyant pas, le bon cardinal Grégorio, que cette vivacité le louait lui-même, et le constituait en même temps l'un des supports les plus généreux du Saint-Siège, l'un des ornements les plus brillants de la grande Église romaine (1).

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