Allemagne 2

Darras tome 16 p. 638

 

   44. Charles Martel ne trahit point la confiance que lui témoignait saint Grégoire II. II accueillit avec honneur le nouvel évêque, lui accorda son patronage et lui délivra la sauvegarde suivante, l'un des plus glorieux monuments de la chancellerie des ducs austrasiens : « Aux seigneurs saints et apostoliques les évêques, nos pères dans le Christ, aux ducs, comtes, vicarii, domestici (palatins), à tous nos agents, juniores missi, decurrentes, à tous nos alliés; Charles, homme illustre, maire du palais, votre ami. — Sachez que l'homme apostolique, notre père dans le Christ, l'évêque Boni-face est venu vers nous et nous a demandé de le placer sous notre sauvegarde (sub nostro mundeburdo seu defensione) ; ce que nous lui avons octroyé de grand cœur. Nous avons voulu lui en faire déli­vrer un acte authentique confirmé par notre signature, afin qu'en quelque lieu qu'il passe, avec votre affection et sous notre mundeburdum, il ne soit en aucune sorte inquiété, mais qu'il puisse rendre

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1 S. Gregor. II, Epist. il; Pair, lat., tom. LXXXIX, col. 498-501.

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justice, la faire et la recevoir. S'il vient à se trouver dans quelque altercation ou nécessité dont le cas ne serait point prévu et défini par la loi, il devra être laissé libre et paisible, lui et tous ceux qui se réclameront de son patronage, jusqu'à ce qu'il ait pu se consti­tuer en notre présence, où la cause sera entendue. Que nul ne soit assez téméraire pour exercer contre lui aucune vexation ni dom­mage; que toujours et partout notre mundeburdum lui assure paix et sécurité. En témoignage de quoi nous avons souscrit ces lettres de notre propre main, et les avons scellées de notre anneau 1. » Ce langage de Charles Martel, acceptant le protectorat des futures églises de Germanie, contrastait avec la conduite de ce prince qui faisait peser alors son despotisme militaire sur les églises des Gaules. Les contradictions de ce genre ne sont rares en aucun siècle : l'enivrement du pouvoir et les illusions politiques sont de tous les temps et de tous les pays. Le missionnaire muni de sa lettre de sauvegarde quitta la cour austrasienne, et laissa le jeune duc entouré des indignes bénéficiers de la commende militaire, qui dévastaient sous la robe de pasteurs le troupeau de Jésus-Christ. Il s'enfonça de nouveau dans les contrées païennes de la Hesse. Grâce au patronage du prince des Francs, sa vie du moins et celle de ses collaborateurs étaient en sûreté. « Sans la crainte qu'inspire le nom du duc Charles, disait Boniface lui-même, je ne pourrais ni diriger le peuple, ni défendre les prêtres, les diacres, les moines, les servantes de Dieu, ni interdire les superstitions païennes et le culte sacrilège des idoles 2. » Cette considération qu'il exprimait dans une lettre à Daniel de Winchester l'avait déterminé, malgré sa profonde répugnance, à solliciter la sauvegarde du duc d'Austrasie. « Je trouverai à sa cour, disait-il, de faux et hypocrites pasteurs ennemis de l'Église et de Dieu, des meurtriers, des adul­tères investis de titres épiscopaux, qui se perdent eux-mêmes en perdant les peuples. Sans doute je m'abstiendrai de communiquer avec eux dans la célébration des saints mystères, mais il me sera

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1   Carob Martell., Epist.; Pair, lat., tom. LXXXIX, col. S05.

2   S. Bonifac, Epist. xn ad Daniel. ; Pair, lut., tom. LXXXIX, col. 700 B.

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impossible, au milieu du palais, d'éviter leur rencontre et leur con­versation 1. — De plus, que n'ai-je point à craindre de l'influence de tels hommes sur les peuples auxquels je vais prêcher dans sa pureté immaculée la foi de Jésus-Christ 2 ?» Boniface triom­pha de toutes ces difficultés qui rappelaient, ainsi qu'il le dit encore, la situation de saint Paul lui-même : Foris pugnœ, intus timores 3. « Son éloquence, son dévouement, soutenus, dit l'hagio-graphe, par tant de zèle et d'austérité personnelle, attiraient les barbares. Beaucoup abjurèrent définitivement leurs erreurs, mais d'autres en grand nombre sacrifiaient encore ostensiblement ou en secret aux arbres et aux fontaines, pratiquaient les divinations, les incantations magiques, consultaient le chant des oiseaux. Alors, par le conseil des plus sages d'entre les nouveaux chrétiens, et pour entraîner par un grand exemple les esprits ébranlés, il réso­lut de renverser un arbre d'une hauteur extraordinaire, que les païens dans leur langue nommaient le chêne de Thor (robur Jovis) et qui s'élevait au lieu appelé Gicesmer (Geismar). Une grande multitude de barbares était accourue, menaçant de défendre à main armée ce dernier signe du culte de leurs pères et de mettre à mort l'ennemi des dieux. L'évêque parut, entouré de ses clercs. Aux premiers coups de cognée, un grand vent, qu'on regarda comme un signe du ciel, fit plier le chêne gigantesque. Il s'inclina sous le poids de ses branches, tomba, et se brisa en trois endroits, de sorte que, sans aucun travail, il se trouva partagé en quatre tronçons d'une égale longueur. Témoins du prodige, les païens rétractèrent leurs imprécations, bénirent le Dieu des chrétiens et embras­sèrent son culte 4. » — « Le coup porté au paganisme en un jour, dit excellemment M. Ozanam, voulait être soutenu par un effort de plusieurs années. Du bois de l'arbre sacré, on construisit un ora­toire en l'honneur de saint Pierre. Deux autres églises s'élevèrent auprès d'Altenberg et d'Ohrdruff; puis, remontant le cours de la Werra, Boniface reprit le chemin de la Thuringe, qu'il trouva livrée

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1. Pair, lat., tom.  LXXX1X,   col. 702. A.  — 2. Pair,   lai., tom.  LXXX1X, col. 702. B. —3. II Cor., vu, 5. 4. Villibald., Vit. S. Bonifac, cap. vin; Pair, lai., tom. cit., col. 619.

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à tous les désordres de l'anarchie militaire, au point que le peuple, fatigué de la tyrannie des comtes austrasiens, s'était donné aux Saxons. En même temps des prêtres concubinaires prê­chaient la doctrine du conciliabule quinisexte, transmise proba­blement d'Espagne par Vitiza 1, et propagée jusque dans les forêts germaines. Ils ameutaient les nouveaux chrétiens contre le délégué de Rome, dont fis redoutaient l'autorité. Boniface les con­fondit publiquement dans des réunions solennelles, et arrachant la multitude à leurs séductions, il continua de propager la parole de Dieu. Le nombre des fidèles s'accrut rapidement, les églises se multiplièrent; de nouveaux oratoires furent érigés à Fritzlar, à Erfurth, pour devenir le centre d'autant de bourgades et plus tard de cités. La moisson grandit bientôt de telle sorte que les ouvriers, les prédicateurs évangéliques, commencèrent à manquer 2. »

 

   45. Boniface fit appel à ses frères les anglo-saxons de la Grande-Bretagne. « Il écrivit, reprend M. Ozanam, aux évêques, aux abbés, aux saintes femmes qui gouvernaient des monastères; il leur con- fiait sa détresse, le petit nombre de prêtres, les sollicitudes de sa responsabilité épiscopale. « Pour le missionnaire appelé au minis­tère de la parole, disait-il, c'est peu de vivre saintement. S'il rou­git ou s'il craint de poursuivre les hommes égarés, il périra avec ceux qui périssent par son silence. » Il sollicitait donc leur secours ; il demandait des ornements sacerdotaux, des cloches, principa­lement des livres. On devait chercher pour lui dans les archives des couvents les Quœstiones de saint Augustin de Cantorbéry apôtre des anglo-saxons, avec les Responsiones de saint Grégoire le Grand, les Passions des martyrs, les commentaires sur saint Paul, et un volume contenant les Prophetœ minores, d'une écriture nette et sans abréviations ni liaisons, comme il le fallait « pour le soulagement de ses yeux déjà fatigués par l'âge. » L'abbesse Eadburga était priée de lui faire transcrire les épîtres de saint Pierre en lettres d'or, « afin d'honorer les saintes Écritures devant les regards charnels des païens1. » Surtout il implorait de nou-

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1 Cf. pag. 516 de ce présent volume. — 2. Ozanam, La Civilisation chrétienne chez les Francs, pag. 181-182.

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veaux ouvriers pour la moisson blanchissante de l'Evangile. Les monastères anglo-saxons s'ouvrirent à son appel : il en sortit un grand nombre de serviteurs de Dieu, lecteurs, écrivains, hommes habiles en différents arts, et ils se rendirent en Germanie. Une génération de disciples se forma autour du maître : c'était Lullus (saint Lul) qui devait lui succéder un jour; Willibald, revenu du pèlerinage de Jérusalem, destiné à devenir le biographe de l'apôtre ; enfin Wunnibald et Gitta. Déjà Boniface avait auprès de lui le jeune Grégoire du monastère de Palatiolum, et Wigbert, qu'il mit tous deux à la tête de la colonie monastique de Fritzlar. Peu après, un homme noble de la province du Norique vint lui présenter son jeune fils, pour l'élever au service de Dieu. Celui-ci s'appelait Sturm, et devint le fondateur de l'abbaye de Fulda. On vit sortir aussi des couvents de la Grande-Bretagne un essaim de veuves et de vierges, mères, sœurs, parentes des missionnaires, jalouses de partager leurs mérites et leurs périls. Chunihild et Berathgit, sa fille, s'arrêtèrent en Thuringe. Chunidrath fut en­voyée en Bavière, Thecla demeura à Kitzingen sur le Mein. Lioba, « belle comme les anges, dit l'hagiographe, ravissante dans ses discours, savante dans les Écritures et les saints canons, » gouver­na l'abbaye de Bischofsheim. Walpurgis (sainte Walburge) sœur de Willibald et de Wunnibald, avait accompagné ses frères dans leur pèlerinage aux lieux saints. Elle les suivit en Germanie, et devint la première abbesse du couvent de Heidenheim. Les fa­rouches germaines, qui autrefois aimaient le sang et se mêlaient aux batailles, venaient maintenant s'agenouiller au pied de ces douces maîtresses. Le silence et l'humilité ont caché leurs travaux aux regards du monde; mais l'histoire marque leur place aux ori­gines de la civilisation germanique. La Providence a mis des femmes auprès de tous les berceaux 2. »

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1 Willihald, S. Othlon, I, 23, 24, 23. Epist. Bonifacii, 22. Danieli, 37. Cuthberto, 38 et 42. Egberto, 39. Pechthelmo, 40. Nothelmo, 17, 18, 19, 20. Eadburgœ, 20. (Note de M. OzaDam, pag. 183.) Cf. Patr. lat., tom. LXXXIX, col. 707-738.

2Ozanara, La Civilisation chrétienne chez les Francs, pag. 182-184. Cf. Vita

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46. Les conversions devinrent si nombreuses qu'elles atteignirent en quelques années le chiffre de cent mille. Une prédication qui opéra des fruits si merveilleux a laissé des traces dans les recueils homiliaires. Il nous reste de saint Boniface quinze sermons1, pro­bablement ceux qui, répétés plus souvent par l'apôtre, émotionnèrent le plus vivement l'âme des auditeurs. Nous avons déjà dit que la tachygraphie, dont l'Orient et quelquefois Rome faisaient encore usage, resta inconnue dans les Gaules et la Germanie. De là, l'infériorité relative des œuvres de nos docteurs nationaux com­parées à celles des pères grecs et latins des cinq premiers siècles. Nous ne saurions trop insister sur ce point qui n'a jamais, que nous sachions, été suffisamment mis en relief. On avait cru jusqu'à ce jour que le polythéisme grec et romain était, au point de vue intellectuel et moral, fort supérieur à l'idolâtrie des peuplades dites barbares. Cette prétendue supériorité s'établissait uniquement par celle des polémistes chrétiens dont nous possédons, grâce à la tachygraphie, les œuvres complètes et jusqu'aux moindres impro­visations. La vérité est qu'Athènes et Rome, sous le rapport moral, n'étaient pas plus avancées au siècle d'Auguste que ne l'étaient en 723, sous le chêne de Thor, les tribus germaines de la forêt de Geismar. L'avantage, s'il y en eut, aurait été pour les peuplades barbares, chez lesquelles ne s'étaient pas produits, comme en Grèce et en Italie, les systèmes philosophiques du pyrrhonisme ou scepticisme universel. D'ailleurs, sous le chêne de Dodone pas plus que sous celui de Geismar, il n'y avait d'enseignement reli­gieux ou moral d'aucune sorte. La prédication, l'émission du verbe dans le monde, datent exclusivement de l'incarnation du Verbe. Le paganisme avait des pontifes, des sacrificateurs, des druides, des oracles, des devins, des sorciers, des mages ; il n'eut jamais de prédicateurs. On venait à ses théories et à ses fêtes ; on se plongeait dans la volupté pour plaire à Vénus, dans le sang pour honorer Mars et Teutatès; on se couronnait de lauriers en

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S. Liobce {suinte Lièbe), Bolland, 27 sept.   Vit.  S.   Sturmii  (saint  Storm), 17 décembre ; Vila S. Willibaldi (saint Guillebaud), Bolland., 7, jul.

1 S. Bonifac, Sermones; Pair, lut., tom. LXXXIX, col. 813-872.

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l'honneur d'Apollon, de verveine en l'honneur d'Isis, de Cybèle, ou d'Odin ; on faisait à Rome la procession des Champs-Elysées et dans les forêts germaines celle du Walhalla; mais nulle part un verbe enseignant ne s'adressait à une âme croyante, n'élevait à la hauteur d'une vertu le rite du programme officiel. Pourquoi ces choses n'ont-elles été dites par personne, dans notre siècle où l'on se console, dit-on, de tous les désastres par les prétendus progrès de la science historique? Ayons donc enfin le courage de la bonne foi. La science loyale constate les faits tels qu'ils sont, elle ne doit pas les dissimuler lors même qu'ils ne se prêtent pas aux préjugés en vogue. Les prédications de saint Boniface, telles qu'elles nous sont parvenues, ne sont pas complètes. Chaque au­diteur rappelait de mémoire le passage qui l'avait le plus frappé; un scribe recueillait ces fragments épars, en les rejoignant par quelque transition plus ou moins heureuse. Le charme de la parole, des mœurs locales, du mouvement oratoire a donc disparu. Nous n'avons plus que le squelette du discours, sa charpente osseuse, si l'on peut dire. Et pourtant, ainsi disséqué, le missionnaire chrétien nous émeut encore. Voici une allocution de saint Boniface aux nou­veaux baptisés ; on pourra la comparer aux fragments cités plus haut de la prédication de saint Éloi1. «Écoutez, frères, et méditez atten­tivement la formule d'abjuration que vous venez de prononcer à l'heure de votre baptême. Vous avez renoncé au démon, à ses œuvres, à toutes ses pompes. Que sont les œuvres du démon? Ce sont l'orgueil, l'idolâtrie, l'envie, l'homicide, la calomnie, le men­songe, le parjure, la haine, la fornication, l'adultère et tout ce qui souille l'homme ; le vol, le faux témoignage, la gourmandise, l'ivro­gnerie, les turpitudes, les paroles honteuses, les querelles. C'est de s'attacher aux sortilèges et aux incantations, de croire aux strygœ (magiciennes) et aux hommes loups (lupos fictos), de porter des amulettes (phylacteria) et de désobéir à Dieu. Ces œuvres et toutes celles qui leur ressemblent sont du démon ; vous les avez abjurées au baptême : selon la parole de l'apôtre, « ceux qui les com­mettent n'entreront point dans le royaume des cieux 2. » Mais

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1 Cf. pag. 67 de ce présent volume. — 2. Galat., v, 21.

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comme nous croyons que par la miséricorde divine vous avez renoncé de fait et d'intention à tout cela, il me reste, frères bien aimés, à rappeler le sens exact des promesses faites par vous au Dieu tout-puissant. Vous avez d'abord juré de croire en lui, en Jésus-Cbrist son fils et en l'Esprit-Saint, un seul Dieu dans une trinité parfaite. Or, voici les commandements que ce Dieu vous  prescrit d'observer et de mettre en pratique : Vous aimerez de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, ce Dieu que vous avez confessé pour le vôtre, et vous aimerez le prochain comme vous-mêmes. Soyez patients, miséricordieux, bons, chastes, purs ; enseignez la crainte de Dieu à vos enfants et à vos servi­teurs 1; mettez la paix dans les discordes. Que le juge ne reçoive pas de présents, « car les présents aveuglent l'esprit des sages 2. » Observez le dimanche, jour du Seigneur; rendez-vous à l'église pour y prier, non pour y tenir de vains discours. Donnez l'aumône selon vos facultés. A vos festins, laissez une place pour les pauvres, exercez l'hospitalité, visitez les malades, secourez les veuves, prenez la défense de l'orphelin, rendez la dîme aux églises; ne faites point à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît à vous-mêmes: ne craignez que Dieu, mais craignez-le toujours. Croyez que le Christ viendra une seconde fois : alors sera la résurrection de toute chair, et le jugement universel auquel comparaîtront tous les hommes 3

   47. « Tout indique dans ce discours, reprend M. Ozanam, une église constituée, qui a ses oratoires, ses fêtes, ses observances régulières4. » Cependant Boniface, préoccupé de l'avenir, comprenait que ses néophytes étaient encore incapables de se prêter à toute la

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1 Filios docete ut Deum timeant. Nous recommandons cette devise à tous les États qui se préoccupent d'organiser sur des bases solides un système social d'instruction publique. C'est uniquement parce que, de toutes les prescriptions de saint Boniface, les Germains n'ont oublié ni celle du repos dominical, ni celle de l'éducation des enfants dans la crainte de Dieu, qu'ils font trembler de nos jours les descendants de Pépin d'Héristal et de Charles Martel.

2. Deuieron.. XVI, 19. — 3 S. Bonifac, Serm. XV; Patr. lut., tom. LXXXIX, col. 870-872. —4 Civilisation chrétienne chez les Francs, pag. 187.

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rigueur des observances édictées par le droit canonique. Ce fut pour lui l'objet d'une lettre qu'il adressa au pape saint Grégoire II, et dont le texte n'est pas arrivé jusqu'à nous. Heureusement la ré­ponse du souverain pontife, échappée aux ravages du temps, nous initie au secret de cette correspondance apostolique. «Le religieux prêtre Denval, votre envoyé, dit le pape, est arrivé heureusement, et nous a donné les plus intéressants détails sur le succès de votre mission. Les lettres dont vous l'avez chargé contiennent une série de douze questions que vous adressez à la sainte église de Rome, où préside le bienheureux Pierre, principe de tout épiscopat, foyer de la science apostolique. C'est donc lui qui va vous répondre par notre bouche, au nom du Dieu qui rend diserte la langue des enfants eux-mêmes1.» Après ce début, le pape reprend chacune des questions formulées par l'évêque missionnaire; il y répond avec ce mélange de fermeté et de condescendance qui distingue toutes les décisions romaines. II traite de la législation du mariage, de la discipline cléricale, de l'administration des sacrements. Il interdit l'usage des viandes immolées aux idoles. En cas de ma­ladies contagieuses, il ordonne aux prêtres et aux religieux de rester et, s'il le faut, de mourir à leur poste. « Quant à ce qui con­cerne les empêchements canoniques en matière matrimoniale, dit-il, nous sommes d'avis qu'il serait mieux de s'abstenir jusqu'au degré où la parenté cesse d'être reconnaissable; mais comme nous penchons à l'indulgence plutôt qu'à l'application du droit strict, surtout en faveur d'une nation barbare, nous accordons la faculté de se marier après la quatrième génération. — Les lépreux, s'ils sont fidèles chrétiens, doivent être admis à la participation du corps et du sang du Sauveur; mais on les communiera séparément. Nous défendons d'ailleurs de les admettre aux banquets publics.— En ce qui concerne les prêtres et évêques irréguliers, ne refu­sez pas de les admettre à vos entretiens et à votre table. Il arrive souvent que les esprits rebelles aux corrections de la vérité se laissent captiver par la familiarité d'une réception gracieuse, par

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1 S. Gregor. II, Epist. xiv; Pair. lat.: tom. LXXX1X, col. 524.

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les séductions d'un avertissement amical. Vous en userez de même à l'égard des chefs temporels qui vous prêteront leur appui1. » Cette lettre, où Grégoire II remplissait pour la Germanie le minis­tère apostolique que saint Grégoire le Grand avait jadis exercé à l'égard de la Grande-Bretagne, fut sa dernière œuvre. Les fatigues d'un long et orageux pontificat avaient usé la santé déjà chan­celante du saint pape; il mourut le 10 février 731. Son gouver­nement fut un règne de sagesse, de gloire et d'héroïsme.

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1 S. Gregor. II, Epist. xiv, loc. cit. Trad. de M. Ozanam, Civilisât, chrét., pag. 188.

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