La Ligue 4

Darras tome 35 p. 453

 

   45. Après l'assassinat des Guises, les échevins de Paris se hâtèrent de donner, aux provinces, avis du funeste événement, pour qu'elles eussent à imiter la capitale. Les Seize se mirent à la tête du mouvement et formèrent un conseil chargé de pourvoir aux nécessités des circonstances. Le duc d'Aumale fut nommé gouver­neur de Paris. Le peuple, qui comprenait aussi bien que ses chefs la nécessité de tout sacrifier à la cause de la foi, s'imposa de lui-même extraordinairement ; on vit les plus pauvres d'entre les métiers apporter à l'hôtel de ville les quelques écus de leur épargne. Pendant les fêtes de Noël, les prédicateurs célébrèrent, dans les chaires, la mémoire des deux frères martyrs et se répan­dirent en invectives contre le roi, qu'ils ne craignaient plus d'appeîer publiquemenl le tyran, l'hérétique, l'excommunié, le vilain Hérode, anagramme de Henri de Valois. Au sortir d'un de ces sermons, le peuple brüla les armoieries du roi et jeta les restes dans le ruisseau. La municipalité  en corps tint sur les fonts du baptême le fils.

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posthume du duc de Guise et l'appela, Paris de Lorraine. Presque chaque jour des processions gravissaient, au chant des cantiques, la montagne de Sainte-Geneviève. Cependant, si l'immense majorité de la population sympathisait à la cause catholique, il y avait des opposants au Parlement et dans la haute bourgeoisie ; les Seize en avaient fait arrêter quelques-uns. La Sorhonne consultée avait porté cette décision : «Le peuple de ce royaume est délivré, délié du serment de fidélité et d'obéissance prêté au susdit roi Henri. Le même peuple peut licitement et en assurée conscience, être armé et uni, recueillir, deviser et contribuer pour la défense et conser­vation de l'Église catholique romaine, contre les conseils pleins de méchanceté du dit roi. » Les Seize, avec cette hardiesse qui caractérise les pouvoirs populaires, résolurent de briser l'opposition du parlement des opposants, ils firent incarcérer les uns et accordèrent aux autres permission de se retirer. D'autres magistrats furent appelés à rendre la justice. Le Parlement, ainsi reconstitué, se hâta d'adhérer au mouvement populaire, et rendit, le 26 janvier, la déclaration suivante : « Nous soussignés, jurons et promettons à Dieu de vivre et mourir en la religion catholique, apostolique et romaine, d'employer nos vies et nos biens pour l'accroissement et la conservation d'icelle, sans y rien épargner jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Jurons aussi d'étendre notre pouvoir et puissance à la décharge et soulagement du pauvre peuple ; jurons pareillement de défendre et conserver envers et contre tous, les privilèges et libertés des trois ordres et États du royaume, et de permettre qu'il ne soit fait aucun tort en leurs personnes et biens, et résister de toutes nos forces à l'effort et intention de ceux qui ont violé la foi publique, rompu l'édit de la réunion, franchise et liberté des États de ce royaume, par le massacre et emprisonnement commis en la ville de Blois, et en poursuivre la justice par toutes voies. » Plusieurs conseillers signèrent cette déclaration de leur sang; d'autres, seulement par peur, et se rendirent bientôt à Tours, pour former, près du roi, un parlement de valets du pouvoir. Toulouse et toutes les autres villes du Midi, de la Gascogne, du Languedoc et de la  Guyenne  déclarèrent renoncer à l'obéissance   royale.

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Marseille et Lyon se prononcèrent clans le même sens. Enfin le mouvement gagna la France entière. « Une infinité de villes, écrivait Fasquier, se démettent de l'obéissance du roi : Amiens, Abbeville, Laon, Soissons, Péronne, Troyes, Rennes, Rouen, Nantes, Bourges, Le Mans, Sens, Auxerre, Melun, Nantes et plusieurs autres, dont je ne puis faire le registre. Que dis-je, ville? il n'est pas que les provinces entières se mettent de la partie: une Normandie, Bretagne, Picardie, Champagne ; un Lyonnais, Forez, Beaujolais, en tous lesquels pays, il n'est demeuré entre les mains du roi que des petits brins (1). » Un conseil général de gouver­nement, qui renfermait en son sein toutes les forces du parti catholique, entre en fonctions le 17 février. Son premier acte fut de nommer le duc de Mayenne lieutenant général de l’Etat royal et couronne de France et de convoquer les États généraux à Paris, pour le 13 juillet 1389, a l'effet d'élire un nouveau roi et de constituer un gouvernement définitif. En attendant, pour qu'il fût bien entendu que Henri III était déchu du trône, on fit graver un nouveau sceau d'État, qui avait pour inscription : scel du royaume de France. Le Parlement déclara que ses arrêts seraient rendus au nom des gens tenant le Parlement, et que les lettres de grâce, rémission, abolition, etc., porteraient : Mayenne, pair et lieutenant général de l'Etat et couronne de France. La Sorbonne déclara que le canon de la messe ne ferait plus mention du roi qui avait violé la paix publique, au notoire préjudice de la religion et des États du royaume. Enfin le conseil général de l'Union rendit un édit portant que tous ceux qui étaient entrés ou entreraient dans l'Union, seraient tenus de faire serment, conformément au formulaire enregistré au Parlement, auquel serait ajouté le serment d'obéissance aux magistrats. Les contrevenants seraient traités comme hérétiques ; leurs biens, confisqués. Pour aviser à la nomination aux bénéfices, il était stipulé qu'on entrerait en relation avec le Saint-Siège. Après divers règlements concernant les charges de justice et de finances, il était prononcé diminution d'un quart des tailles, avec obligation de ;payer les trois autres quarts. Le gouvernement du roi avait

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(1) Lettres de Pasquier, t. I, p. SSi

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disparu ; Mayenne et le conseil faisaient tous les actes qui sont du ressort de l'autorité souveraine.

 

46. « Celui qui se sert de l'épée périra par l'épée, » a dit le Sauveur ; nous allons voir l'accomplissement de cette prophétie. Le roi avait été assez lâche pour commettre le crime, il ne fut pas assez habile pour en recueillir les fruits déshonorés. Au lieu de voler à Paris, pour profiter de la consternation des ligueurs, Henri qui vient de dire : Désormais je suis roi, oublie ce qu'il a dit ou s'aperçoit qu'il s'est trompé. La nation était dans son droit en ré­sistant à Henri III, elle l'eût dépassé en le déclarant prématuré­ment déchu du trône. La déchéance que le conseil avait prononcée était plutôt comminatoire ; il est évident que les catholiques se replaceraient eux-mêmes sous l'obéissance du roi, dès qu'il leur aurait donné des garanties sérieuses d'un changement de conduite. Henri ne paraissait pas se refuser à cette perspective; il n'entre­prenait directement rien contre la religion ; il affectait même d'en­treprendre, avec le Saint-Siège, des négociations qui furent bientôt rompues. Dans la réalité, le roi se préparait à entrer en campagne contre les catholiques. Un traité d'alliance l'unissait à Henri, chef du parti protestant, accepté en violation de la loi française, comme héritier présomptif du trône. Ce traité causa une profonde indi­gnation ; plusieurs villes qui hésitaient encore, se déclarèrent ouvertement pour la cause catholique et le duc de Mayenne, après avoir fortifié Paris, pour empêcher la jonction des deux Henri, se disposa à se mettre en campagne. « Toutes les bonnes villes du royaume, dit Palma Cayet, désiraient faire leur profit de la faute des Parisiens : où le roi fait sa résidence, le peuple s'enrichit. La ville de Tours avait souvenance de combien de commodités le pays de Touraine avaient profité durant que les rois Loys XI, Char­les YIII et Loys XII avoient fait leur résidence aux chasteaux de Plessis-les-Tours, Amboise et Blois ; aussi les habitants de cette ville despeschèrent des principaux d'entre eux vers Sa Majesté, le pressèrent de venir en leur ville et se souvenir qu'ils avaient esté toujours très fldelles aux roys. » Henri III, effrayé d'un succès mi­litaire que venait de  remporter Mayenne, se rapprocha de Henri

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de Navarre ; les deux princes se rencontrèrent à Plessis-les-Tours. Leurs armées réunies s'élevaient à 140,000 hommes. Mayenne essaya vainement de les entamer à Tours ; se replia vers la Nor­mandie et les attaqua sans plus d'utilité près de Senlis. La France entière était sous les armes. D'un côté, il y avait le peuple catho­lique des villes avec ses municipalités, ses maires, ses capitouls, ses consuls, ses parlements, son clergé, ses gardes bourgeoises, sous la directon civile et militaire du duc de Mayenne, qu'entourait une portion de la noblesse ; de l'autre, les princes du sang, la plus grande partie des seigneurs etgentilshommes, rangés sous la ban-nière du roi et de son héritier naturel. La Ligue avait la supério­rité du nombre ; le parti royal avait en main la force militaire. De plus, la Ligue ne pouvait compter ni sur le Pape, qui n'avait pas d'armée, ni sur le roi d'Espagne, qui ne voulait pas lui en prêter, ni sur le duc de Savoie, que tenait en échec Lesdiguièrcs. Le parti royal, au contraire, pouvait tirer des troupes de Suisse et recevait des secours en hommes et en argent, tant de l'Allemagne que de l'Angleterre. Les deux rois quittent Tours, passent à Orléans qui refuse d'ouvrir ses portes, prennent Etampes et Pontoise, et vien­nent mettre le siège devant Paris. La population était résolue à se défendre, Mayenne ne négligeait rien pour appuyer sa résolution. Quand, arrivé sur les hauteurs de Saint-Cloud, Henri avait eu à ses pieds la ville qui l'avait chassé précédemment, il s'était écrié dans le délire de la joie : «Paris, chef du royaume, mais chef trop gros et trop capricieux, tu as besoin d'une saignée pour te guérir. » Henri venait de prophétiser comme Balaam. Le 1er août 15S9, un religieux dominicain, ou son sosie, frère Jacques Clément, admis à l'audience du roi, lui remit une lettre. Pendant que le prince la lisait, le frère s'approcha comme pour lui parler, et, tirant un couteau de sa manche, lui en porta un coup au bas ventre. Le roi tira le couteau et en frappa le meurtrier. Aux cris du prince, les gentilshommes accourent, se précipitent sur l'assassin, le mas­sacrent et jettent son cadavre dans la cour. Le roi mourut dans la nuit, rachetant devant Dieu, par une mort chrétienne, les hontes et les scandales de sa vie. Mais, devant les hommes, si l'on ne peut

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oublier les souvenirs glorieux de sa jeunesse et les repentirs de son agonie, les torts faits à la religion, les atteintes portées à la royauté et à la constitution du royaume, les meurtres de Blois et les désor­dres de sa vie, font, avant tout, un devoir à la conscience de le flétrir.

 

   47. Nous n'avons pas ici à justifier la Ligue au point de vue du droit national. A nos yeux, une nation qui résiste aux prévarica­tions de la souveraineté politique, n'est point une nation insurgée ; c'est une nation qui use de son droit de légitime défense et se rend par elle-même les services qu'elle devrait recevoir du prince. Une nation qui résiste pour la défense de sa foi et de ses droits tradi­tionnels, accomplit un acte de réparation sociale et de justice sur­naturelle, contre lequel, tout ce qui se dit, est nul de plein droit. Selon nous, la justification de la Ligue est tout entière dans ce fait, que les papes l'ont revêtue de leur approbation. Mais on demande si les papes ont eu raison d'approuver la Ligue.  En principe, oui ; par la raison très simple, et à elle seule déci­sive, que les catholiques, en se liguant pour la foi, exerçaient le droit nécessaire de légitime défense. — Les philosophes, les théologiens et les jurisconsultes distinguent, pour la situation légale de l'Église, trois hypothèses : ou bien les chrétiens ne sont dans la société qu'une minorité peu considérable n'ayant, à cause de ce petit nombre, qu'une organisation imperceptible ; ou bien, ils coexistent, dans un État, en nombre à peu près égal au nombre des adhérents du schisme et de l'hérésie et possèdent comme eux un titre d'existence ; ou bien ils forment la totalité d'une nation vivant, comme chrétiens et comme citoyens, sous la loi de l'Eglise catholique. Dans le premier cas, les chrétiens sont couverts du droit divin de leur foi, et les prêtres du droit divin de leur mandat apostolique. Au nom de leur conscience, éclairée par la foi, les uns ont le droit de professer leur culte ; au nom de leur mission, donnée par Jésus-Christ, les autres ont le droit de prêcher l'évangile. Tel est le droit dont usa Jésus-Christ lui-même, le droit dont usèrent les premiers apôtres et les premiers chrétiens, le droit dont usent encore aujourd'hui, dans tous les pays infidèles,

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les missionnaires et les convertis. Souvent, dans l'exercice de ce droit, ils peuvent être empêchés, vexés, opprimés, tués par la tyrannie ; mais la tyrannie n'empêche pas le droit, et, par la grâce de Dieu, elle prépare même son triomphe, en multipliant les mar­tyrs. Jésus mort en croix, enlève tout à lui ; depuis sa mort sur le gibet, par la puissance de son immolation, le sang des martyrs est une semence de chrétiens, le tombeau de nos morts est un berceau d'Église. — Dans le second cas, l'Église, sans négliger l'exercice des droits de la conscience et de l'apostolat, vit, sous le bénéfice de la loi civile, au même titre que les sectes protestantes ou les synagogues du judaïsme. Abstraction faite des circonstances qui peuvent affecter cette situation légale, les chrétiens et les sectaires devraient, d'après la théorie libérale, vivre sur le pied de l'égalité. L'Église, sans approuver ce régime de promiscuité, l'accepte en pratique et ne manque pas d'en tirer quelques profits. Mais il est à observer qu'en dépit des théories libérales, sous ce régime de soi-disant liberté, ni les gouvernements ne font à l'Eglise catholique les mêmes avantages qu'aux sectes, ni les sectes ne supportent longtemps la part égale de la liberté catholique. Dès que l'infirmité de leur vertu laisse éclater, dans l'Église, la grâce divine, elles veulent reprendre par la persécution, ce que leur refuse la grâce de Dieu. Comme cela se voit aujourd'hui en Italie, en Suisse, en Allemagne et au Brésil, aussitôt que la liberté assure à l'Église les avantages, les sectes et les gouvernements, pour y mettre opposition, frustrent l'Église de sa liberté. — Dans la dernière hypothèse, tous les sujets d'une nation sont catholiques, et l'Eglise, soit comme puissance formatrice et prépondérante, soit comme puissance alliée, mais revêtue d'un bénéfice légal de suprématie, ne connaît, pas plus que l'État, l'existence légale des sectes ou des synagogues. Dans ce dernier cas, tout essai pour introduire une foi divergente est une double menace à la Constitution de l'État et à la prépondé­rance de l'Église; toute conspiration pour y réussir est un attentat et toute tentative d'exécution est, même aux yeux de la loi civile, un crime. Que l'ennemi se produise à l'intérieur par la voie de sédition, qu'il agisse du dehors par la séduction ou par les armes

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le danger est le même, la légalité identique. Si donc, cette légalité est violée, si ce danger presse, les citoyens ont, comme citoyens, le droit de défendre la constitution de l'État ; les chrétiens ont, comme chrétiens, le devoir de défendre leur foi ; les gouverne­ments ont, comme gouvernements, le devoir de faire respecter la loi ; et l'Eglise a, comme Église, et le devoir et à plus forte raison le droit d'unir toutes les forces religieuses et sociales contre le danger commun. — Dans la première hypothèse, l'Eglise est ordinairement persécuter par la violence ; dans la seconde, en attendant la persécution, elle est ordinairement opprimée par une légalité inique ; dans la dernière, elle use du droit de défense, qui, en ses mains, grâce à la vérité de son symbole et à la sainteté de son décalogue, ne peut jamais, tant qu'il reste à la direction de l'Église, dégénérer en persécution. — Quant à la fameuse utopie d'une coexistence pacifique de la vérité et de l'erreur, sous le sceptre indifférent et équitable d'un pouvoir politiquement sans religion, nous dirons que ce conte bleu n'a pas encore pris pied en histoire: c'est une fiction pour abuser les simples, un mirage pour séduire et énerver les souverains, une couverture à l'abri de laquelle tous les ennemis de la vérité peuvent, à leur aise, pra­tiquer des menées souterraines et établir des torpilles. — Dans les trois cas, il n'y a que l'Église qui use du droit, et qui le respecte ; l'erreur, au contraire, recourt invariablement aux brutalités de la persécution. Faible comme doctrine puisqu'elle est l'erreur, c'est-à-dire le néant, elle n'a point de force par elle-même ; elle ne peut avoir qu'une force d'emprunt et cette force ne peut être que la force des passions ou des intérêts, et la force du bras séculier, qui volon­tiers, ne s'inspire que des intérêts et des passions. Qui dit erreur, dit violence ; qui dit vérité, dit vertu, liberté et justice. L'entre-d'eux rêvé relève de Charenton ou de Salente, et mène toujours à la boucherie des chrétiens. Le cri de guerre n'est pas toujours : Les chrétiens aux lions ! mais il est toujours : Les chrétiens aux bêtes !

 

   48. Mais c'est assez discuter ces points ; disons quels furent les résultats de ce mouvement national. On peut dire que la Ligue ar-

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racha la France au péril imminent de déchoir de la foi catholique. Ce faisceau si fort de répugnances traditionnelles à une doctrine mensongère et toute récente, montra aux huguenots le danger de leur entreprise, et au lieu de chercher à faire de nouveaux prosé­lytes, ils s'employèrent de toutes leurs forces à confirmer dans leur foi les adeptes qu'ils avaient convertis. Supposez un instant que la Ligue ne se fût point levée pour venir en aide à la foi de tous, à la pusillanimité d'un grand nombre, et pour effrayer un peu Cathe­rine de Médicis avec ses tendances quasi-protestantes, la France eût marché dans la voie qu'a suivie l'Angleterre. Il se serait bien trouvé des évêques pour protester,  des paysans pour courir en armes à la défense de leur foi, mais, comme en Angleterre, les biens des couvents auraient converti nombre de courtisans, étouffé bien des remords, ébranlé bien des convictions ; il se serait trouvé dans l'épiscopat français une âme de boue, comme le cardinal de Châtillon,  pour remplacer Cranmer, et créer chef de l'Eglise de France,  le roi huguenot, Henri IV ; on aurait bien trouvé un Nor­folk français pour écraser,  pendre et faire écarteler les paysans insurgés,  et si l'on  avait eu peine à trouver un maître aussi mé­prisable,  aussi insinuant,  aussi hypocrite que Cromwell,  on peut assurer que l'on n'aurait pas manqué de bourreaux pour faire à Paris,  sur la place de Grève et au Cbatelet, ce qu'on faisait avec tant d'adresse à la tour de Londres et à Tyburn ; Henri IV serait devenu un Henri VIll français ; le siècle de Louis XIV, si bien pré­paré par Richelieu, n'eût point produit ses chefs-d'œuvre ; Bossuet n'eût point rendu  d'oracles, Pascal n'eût point manié sa plume si savante et si forte, Bourdaloue n'eût point prêché devant les rois, les mystères des humiliations d'un Dieu,  Fénelon et Massillon ne nous  eussent  point charmé aux accents de leur mélodieuse élo­quence, Racine n'eût point écrit Esther et Athalie, et le monde eût été déshérité de ces mille chefs-d'œuvres que fit éclore la foi catho­lique, et qui eussent avorté sous le souffle glacé de la discussion sophistique de Genève.  La Ligue sauva la France non seulement de la domination protestante, mais encore de la domination étran­gère, des Allemands et des Anglais que les huguenots avaient ap-

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pelés à leur aide, et qui aspiraient à démembrer le royaume de Clovis. Henri de Guise vainquit les reîtres et les lansquenets à Aulneau et à Timory, et le Havre, livré aux Anglais et sur les murs duquel flottait l'odieux léopard, fut arraché à leur puissance. Il est vrai que les ligueurs appellèrent à leur secours les troupes de Phi­lippe II, et qu'il y eut un projet de mariage entre Henri de Guise et l'infante d'Espagne. Mais ce projet ne fut jamais bien sérieux, et l'eût-il été, un prince français montait encore sur le trône de France, et, par son mariage, donnait, à la France, la Franche-Comté et les provinces des Pays-Bas. Cependant, il faut bien remar­quer que rien ne prouve que Henri de Guise ait prêté la main à ce projet que caressait Philippe II, et que la plus grande partie des ligueurs aurait certainement repoussé ; c'est ce projet sérieux ou non qui poussa Henri IV à se faise instruire dans la religion catho­lique, et à faire abjuration de l'hérésie calviniste à Saint Denis. Le 47 septembre 1595, Clément VIII donna à Henri IV l'absolution des censures ecclésiastiques. La Ligue était désormais sans but, elle prit fin ce jour-là, et laissa au monde un exemple mémorable de ce que peut la foi catholique, quand elle vient en aide au véritable patriotisme (1).

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon