Croisades 3

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Darras tome 23 p. 252

 

16. Le 3 juin 1093, Urbain II consacrait la nouvelle cathédrale de Côme, dédiée à saint Abundius évéque et patron de cette ville1. Il traversa ensuite les cités de Verceil, Pignerol, Asti, prê-

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1 Eadmer. Ristor. Novor. ; Pair, lat., t. CXIX, col. 380-388.

2.S. Abundius, évéque de Côme, dont il devint plus tard le patron et dont la fête se célèbre le 2 avril, vivait, comme nous l'avons dit, au siècle de saint Léon-le-Grand. Il avait été envoyé à Constantinople pour préparer la tenue du concile de Chalcédoine IVe œcuménique. (Cf. tom. XIII de cette Hisl., p. 267.)

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chant comme Pierre l'Ermite la croisade contre les infidèles, la réconciliation des peuples avec l'Eglise de  Dieu, la paix entre les chrétiens2. « Ayant ainsi réglé toutes  choses en  Lombardie, le  seigneur pape, dit la chronique  de Bernold, prit la voie de  mer pour se rendre en France3. » D'après la topographie des localités parcourues en der­nier lieu, le pontife aurait dû  s'embarquer à Gênes, le port le plus voisin, avec l'escorte d'honneur que lui avait ofTerte la cité de Bolo­gne et avec la  nombreuse  suite de cardinaux et d'évêques italiens qui l'accompagnèrent sur notre territoire. Mais Albéric d'Aix, dans son récit de la première croisade intitulé Historia Hierosolymitana, contredit formellement la donnée de Bernold ; il affirme que le pon­tife et sa suite franchirent les Alpes par le Mont-Cenis, ce qui n'of­frait à la saison la plus chaude de l'année (fin juillet 4093) aucune difficulté sérieuse. En l'absence de tout autre témoignage contempo­rain, il nous  est impossible de  prononcer  entre les  deux chroni­queurs. Ce qui est certain c'est que le 13 août suivant Urbain II cé­lébrait en  grande  pompe à  Anicium (Le Puy en Velay) la fête de l'Assomption de la Vierge mère de Dieu, et datait de cette ville les lettres apostoliques portant indiction dans la cité de Clermont, ca­pitale des Arvernes, d'un concile de toutes les provinces occidenta­les de l'Europe pour l'octave de la  prochaine fête de saint Martin (dimanche 18'novembre 1095). Nous n'avons  plus le texte de l'en­cyclique solennelle  adressée  en cette  circonstance par Urbain II à tous les évoques et à tous les princes de l'Europe chrétienne. On peut cependant juger de l'insistance que mettait Urbain II dans cet appel à la catholicité par la notification suivante que le métropolitain de Reims Raynald adressait au nouvel évéque d'Arras Lambert : « Votre très-chère fraternité voudra bien accueillir la communication d'une lettre que nous adresse le seigneur pape Urbain II, pour nous convoquer au concile qu'il doit célébrer en personne en l'octave de la saint Martin XIV des calendes de décembre, dans l'église des Arvernes à Clermont. Il nous enjoint de nous y rendre nous-même avec tous les évêques suffragants et tous les abbés de notre métro­pole ; il nous

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1. S. Urban II Vita ; Pair, lat., tom. CLI, col. 150.

2. Bernold. Chronic. ; Pair, lai., t. CXLVUI, col. 1425.

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   17. La mention spéciale de Baudoin de Mons, un des héros de la  future croisade,   dans le  mandement de l’archevêque de Reims à  Lambert son suffragant, nous permet de conjecturer, en l'absence d'autres documents analogues, le soin avec lequel Urbain II dans chacun des exemplaires de son encyclique adressée aux divers métropolitains avait dû désigner personnellement les princes, seigneurs et chevaliers de chacune des provinces ecclésiastiques pour leur transmettre une invitation directe. Nul doute que Godefroi de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles, Hugues comte de Vermandois, Robert comte de Normandie et tous les autres princes du territoire français destinés à immortaliser leur nom et leur race par la con­quête de Jérusalem, n'aient été l'objet de désignations semblables. L'apparition d'Urbain II, faisant appel au royaume très chrétien pour assurer l'indépendance de l'Europe et repousser l'invasion tur­que et musulmane, produisit sur le caractère national un enthou­siasme patriotique dont Guibert de Nogent s'est fait l'interprète. « Le pape Urbain, dit-il, était un fils de l'illustre nation des Francs. Les instances et les prières de l'empereur grec Alexis Gomnène l'avaient

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1 Lambert. Atrebat. De primai, sed. Alreb. ; Pair, lat., t. CLXH, col. 615.

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d'autant plus impressionné que l'invasion musulmane menaçait l'Europe elle-même, et qu'on savait par les cruautés des Sarrasins en Espagne le sort réservé aux vaincus par les farouches soldats de Mahomet. Ce fut en France que le pontife vint chercher du secours contre les infidèles. La tradition du siège apostolique n'a jamais va­rié sur ce point. Les papes Etienne et Zacharie, à l'époque de Pépin le Bref et de Charlemagne, avaient eu recours à la France. Entre toutes les autres nations, celle-ci s'est toujours montrée la plus sou­mise et la plus dévouée au bienheureux Pierre prince des apôtres ; jamais elle n'a imité la téméraire audace des peuples qui se révol­tent contre Dieu sous un faux prétexte de liberté. Depuis longtemps nous avons vu l'empire teutonique, par je ne sais quelle barbare obstination, résister à l'autorité des pontifes successeurs du bien­heureux Pierre et préférer la mort dans les liens d'un éternel anathème à la soumission due par les chrétiens au siège apostolique. L'année dernière, ajoute le chroniqueur, je m'entretenais avec un archidiacre de Mayence de cet esprit d'insubordination de l'Allema­gne. Il me disait: « Votre roi, vos princes, vous tous n'êtes plus des Français ! » Et il en trouvait la preuve dans l'accueil fait chez nous au pape Pascal II, lors de sa récente visite dans notre pays (1107). « Si nous sommes à ce point dégénérés, lui répondis-je, comment se fait-il que les Français, à l'appel du pontife Urbain II, ont par leur bravoure invincible repoussé l'invasion des Turcs. Vous autres Teu­tons, on ne parla point alors de vos faits d'armes : sans les cheva­liers du royaume de France que vous insultez aujourd'hui, votre empire teutonique anéanti par la barbarie musulmane aurait cessé d'exister. » — Oui, Dieu avait entre toutes les nations prédestiné les Français à une triple gloire, la fidélité à la religion, la vaillance dans les combats, la loyauté du caractère. Leur nom est devenu synonyme de franchise ; si l'on rencontre cette qualité chez un Bre­ton, un Anglais, un Italien, on dit pour en faire l'éloge : C'est un homme franc1. »

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1. Guibert. Novig. Gest. Dei per Franc, 1. II, cap. i: Patr. lat., t. CLVI, col. 697.

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18. Nous enregistrons avec bonheur ce témoignage de patriotisme  chrétien, sans toutefois  en  partager le sentiment trop  exclusif. L'abbé de Notre-Dame de Nogent-sous-Coucy paraît oublier que l'Allemagne et l'Italie fournirent un contingent glorieux à la première croisade ; Boémond et Tancrède figurèrent glorieusement à côté de Godefroi de Bouillon sous les murs de Jérusalem ; les Allemands eux-mêmes, nous le verrons bientôt, ne  restèrent pas étrangers à cette expédition glorieuse. Si Guibert de Nogent a pu donner au ré­cit de la première croisade le titre de Gesta Dei per Francos, il con­vient pour rester dans l'exactitude  historique de prendre l'expres­sion de Francos au sens le plus large, tel qu'il subsiste encore dans nos jours en Orient où tous les catholiques européens sont désignés par les races arabes sous le nom de Frangi. Il est vrai que la situa­tion religieuse créée en Allemagne par le schisme de l'antipape Wibert et par la révolte du pseudo-empereur Henri IV contre le saint-siége ne permit pas à Urbain II de parcourir les provinces germani­ques pour y prêcher la croisade, ainsi qu'il le fit en France. L'infa­tigable pontife en attendant l'époque fixée pour le concile de Cler­mont parcourut successivement les provinces du Dauphiné, du Gévaudan, du Rouergue, et descendit par le Rhône en Provence. Le concours des populations à son approche se renouvela aussi consi­dérable que pour Pierre l'Ermite. «Aussitôt que le pape Urbain eut mis le pied sur le territoire de notre royaume, dit Guibert de No­gent, un pieux enthousiasme se communiqua aux cités, aux bour­gades, aux plus humbles villages. On accourait de toute part avec d'autant plus d'empressement et d'allégresse que la génération ac­tuelle n'avait point vu de pape visiter la France1. » On trouve des monuments de son passage au castrum de Romans (apud Romanos), château-fort situé au confluent de l'Isère et du  Rhône, où les deux évêques saint Hugues de Grenoble et Guy de Bourgogne métropoli­tain de Vienne devaient se présenter pour faire juger par le pape un conflit de juridiction concernant l'archidiaconé limitrophe de Salmorenc. …..

 

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§ IV. Concile de Clermont.


21. Cette date mémorable entre toutes devait marquer une ère vraiment nouvelle, et devenir le point de départ d'un mouvement qui allait changer la face de  l'Europe. La cité  de  Clermont n'avait point d'abord été choisie par le pontife  pour devenir le  théâtre   de ce grand événement. Guillaume de Tir nous apprend qu'Urbain II  avait eu en premier lieu la pensée de convoquer le concile à Vézelay 1, point beaucoup plus central et plus accessible à la  foule  des pèlerins. Mais l'excommunication  pesait toujours  sur le roi  de France Philippe I. Au mépris des engagements contractés  par ses ambassadeurs à Plaisance 2,  le roi n'avait pris nul souci de se faire relever de l'interdit dans le délai accordé à sa propre requête. Tout faisait prévoir qu'il persisterait dans son obstination coupable ; dès lors on pouvait craindre pour la sécurité d'un concile qui se fût trouvé sous la main d'un prince excommunié, à la portée de son ressentiment peut-être même de ses violences. Abandonnant donc son projet primitif, Urbain II reporta sa pensée sur le Puy, « la ville de sainte Marie, » comme l'appelle Albéric d'Aix 3.

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1. Concilium générale prius apud Vigiliacum, cleinde apud Podium, convocare disposuit. (Wilielm. Tyr. Uist. rerum Iransmarinar., lib. I, cap. xiv; Pair, lat., t. CCI, col. 231.)

2. Cf. N" 9 de ce présent chapitre.

3.Conventum totius accidentatis Francis et concilium apud Podium, civila-
lem sancts Maris, fieri dccrevit.
tAlberic. Aquens. Histor. Eierosol., 1. I,
cap. v. ; Patr. lat., t. CLXYI, col. 391.;

 

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p263  CHAP.   111.     CONCILE   DE  CLERMONT  (1095).       

 

Placer la croi­sade sous le patronage de la mère de Dieu était en consacrer d'avance le succès. Ce fut dans cette disposition d'esprit que le pape vint au Puy célébrer la fête de l'Assomption. Mais il put se convaincre que suffisantes pour le concours ordinaire des pèlerins que la dévotion à la sainte Vierge y attirait, les ressources de la ville du Puy ne le se­raient nullement pour l'affluence inouïe et sans précédent qu'il vou­lait convoquer. Clermont, dominant les fertiles plaines de la Limagne, offrait tous les avantages qu'on pouvait souhaiter pour la fu­ture assemblée : tel fut le motif qui valut à la capitale de l'Arvernie l'immortel honneur d'avoir été le berceau des croisades. « La voix du seigneur apostolique retentit comme l'appel de Dieu lui-même, legatione divina, dit Albéric d'Aix. Les évêques de toute la France, les ducs et comtes, les grands et princes de chaque ordre et de tous les degrés, consentirent à entreprendre à leurs frais l'expédition au sépulcre du Seigneur. Dans le très-ample royaume de France, ce fut comme une conjuration sainte entre les plus puissants; ils se donnèrent la main en signe d'engagement mutuel au grand voyage. A l'heure même où ils échangeaient ainsi leurs serments, une secousse de tremblement de terre ébranla le sol, présage du mouvement qui allait précipiter en Orient des légions armées sorties de France, de la Lotharingie, de l'empire des Teutons, du royaume des Anglais et jusque des régions Danoises 2. »

 

   22. Un tel courant d'opinion, prenant sa source dans les inspirations les plus élevées du patriotisme et de la  foi, était  irrésistible. La politique étroite et passionnée de Philippe I chercha pourtant à y mettre quelque obstacle. Un incident du voyage de l'un  des  évêques de France se rendant au concile de Clermont nous en fournit la preuve. «Lambert évêque d'Arras, pour répondre, disent les actes, à l'invitation du seigneur pape Urbain, se mit en marche  le jour de la fête des saints apôtres Simon et Jude (28 octobre  1095),   qui tombait cette année-là un dimanche. L'archidiacre Clérembald,   les vénérables abbés Alold de Saint-Vaast et Aymeric d'Anchin, le pré­vôt Gualbert, le praecentor Odo, l'écolâtre Achard, le prêtre et cha­noine Hugues,

2. Id.. ibid.

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p264       l'OXTIFICAT  DU  B.   URBAIN   II   (2e   PÉRIODE   dO'J4-10°6).

 

l'archiprêtre Mascelin. le diacre Jean du Mont-Saint-Eloi plus tard archidiacre d'Arras, Drogo économe de la mense épiscopale, Otbert scolastique de Béthune,  accompagnaient  leur évêque. Le VIII des ides de novembre (6 novembre), après avoir traversé Provins castellum célèbre appartenant au comte Etienne deBlois1, les voyageurs furent assaillis sur la route par un chevalier du nom de Garnier, seigneur du château de Pont.  L'évêque fut fait captif avec ses clercs et conduit au château de Pont-sur-Seine par Garnier et ses satellites. Alod abbé de Saint-Vaast qui, du gré de l'évêque, avait pris un jour d'avance, échappa à cette embuscade. Or, Garnier était frère de Philippe évêque de Troyes. Celui-ci intervint près  du ravisseur, et par la miséricorde du Dieu tout-puissant les captifs re­couvrèrent la liberté. Le V des ides de novembre (9  novembre)  de grand matin, Garnier vint pieds nus se prosterner devant l'évêque d'Arras, s'accusant d'avoir porté la main sur l'oint du Seigneur, et implorant avec effusion de larmes le pardon de son attentat.  Lam­bert le  releva  avec   bonté, reçut ses excuses,  et se fit conduire par lui à l'église du monastère. Là, le chevalier toujours pieds  nus et suivi des hommes d'armes qui avaient pris  part  au  guet-apens, fut absous par l'évêque de l'excommunication encourue  pour ce fait. Le chevalier escorta ensuite l'évêque et ses  compagnons jus­qu'à Auxerre, où se trouvaient déjà réunis le métropolitain de Sens Richer avec tous  ses suffragants,   ainsi que  les  évêques Gervin d'Amiens et Gérard de Térouanne. Lambert se joignit à eux pour achever son voyage 2. » Cependant le seigneur pape Urbain II, à la nouvelle de l'attentat, avait écrit à Garnier de Pont et au métropo­litain de Sens Richer deux lettres aussi courtes qu'énergiques. « Nous apprenons, disait-il à l'archevêque, que Garnier fils de Pontio s'étant emparé de la personne de notre vénérable frère l'évêque d'Arras, pendant que celui-ci se rendait au concile, le relient en cap­tivité. Nous vous

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1 Étienne-Henry comte de Blois, de Chartres, de Sancerre, de Meaux et suzerain du reste de l'hérédité de Thibaut IIIe du nom comte de Blois et Ier du nom comme comte de Champagne. (Cf. D'Arbois de Jubainville. Bist. des ducs et comtes de Champagne, t. II, p. 63-65.1

2.  Lambert. Atrebat. De primai, sed.  Atrebat.; Pair,  lat., t. CLXII, col. 646. 3

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p265 CHAP.   III.      CONCILE   DE   CLERMONT  (1095).      

 

enjoignons d'adresser immédiatement un monitoire au ravisseur, pour qu'il ait à mettre en liberté l'évêque d'Arras et tous ses compagnons de voyage. Si Garnier fait résistance, frap­pez-le personnellement d'excommunication avec interdit sur tout son territoire, aussi longtemps qu'il détiendra son vénérable cap­tif1 . » La citation du pape adressée directement à Garnier reprodui­sait les mêmes termes avec une phrase plus significative : « Nous sommes d'autant plus surpris de votre acte de violence, disait Ur­bain II, que le roi des Francs (Philippe I) déclare que non-seule­ment il ne s'oppose point au passage des étrangers qui doivent tra­verser son territoire pour se rendre à notre concile, mais qu'il a donné licence à tous les évêques et abbés de son royaume d'y ve­nir eux-mêmes 3. » Garnier de Pont était, comme on l'a vu, frère du complaisant évêque de Troyes qui naguère avait prêté son con­cours à Philippe pour la cérémonie sacrilège du mariage avec Bertrade 3, et au métropolitain Richer pour l'injuste persécution diri­gée contre saint Ives de Chartres 5. L'entreprise du châtelain de Pont contre l'évêque d'Arras était sans doute inspirée par le même sentiment ; en arrêtant l'évêque, Garnier crut faire sa cour au roi. Son zèle se trouva intempestif et fut désavoué. Pour empêcher la tenue du concile, ce n'était pas un évêque mais l'Europe entière qu'il aurait fallu arrêter, car de tous les points de l'Europe on ac­courait à Clermont, sans autrement se préoccuper des vengeances de Bertrade et de l'aveugle attachement du roi de France pour une femme déshonorée.

 

23. « L'an de l'incarnation du Seigneur 1093, en l'indiction IVe, le XIV des calendes de décembre (18 novembre), s'ouvrit à Clermont en Arvernie le grand synode présidé par le seigneur pape Urbain ll; siégeant treize archevêques, deux cent vingt-cinq évêques, une multi­tude infinie d'abbés, de princes, de chevaliers, de personnages du plus haut rang. » Ainsi débutaient les actes malheureusement perdus de ce fameux concile. Cet exorde est le seul fragment qui nous

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1. B. Urban. Epist. clvi ; Patr. lat., t. CLI, col. 430. 2 Ibid. Epist. clv, col. 429. 3 Cf. chap. précèdent, N° 75. 4 Ibid. N° 69.

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en soit resté. Mais les monuments authentiques et le récit d'une foule d'his­toriens contemporains nous permettent de suppléer à peu près com­plètement à cette lacune. Modestement assis à un rang hiérarchique fort inférieur, Pierre l'Ermite avec sa cuculle d'une longueur extra­ordinaire et son vêtement semi-oriental, nouveau Jérémie représen­tant en sa personne les malheurs de la Jérusalem  chrétienne, atti­rait après Urbain II les regards de l'immense multitude. De chaque côté du pape, formant comme la couronne pontificale, avaient pris place les cardinaux de la sainte église romaine Jean de Porto, saint Bruno de Segni, Waltier d'Albano, Daïmbert archevêque  de Pise, Rangerius archevêque de Reggio, Richard abbé de Saint-Victor de Marseille, Jean de Gaëte chancelier du saint-siége, Grégoire de  Papareschi (depuis pape sous le nom d'Innocent II),   Hugues  de Ver­dun, Richard de Metz, Henri de Sicile, Teuzo et   Ranchio ;  les  lé­gats apostoliques pour la France Hugues de Lyon et Amat de Bor­deaux ; pour l'Espagne Bernard   archevêque  de Tolède ; puis les métropolitains Raynald de Reims, Aldebert de Bourges, Radulf de Tours, Bicher de Sens, Dalmatius de Narbonne,  Guy  de Vienne, Pierre d'Aix et Bérenger de Tarragone. Le nouveau  primat d'An­gleterre saint Anselme de Cantorbéry était représenté canoniquement par un prêtre nommé Boson1. Près de chaque métropo-

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1 Voici d'après la liste soigneusement dressée par Mabillon et Ruinart les noms des autres évêques et abbés dont la présence au concile de Clermont a pu être constatée. — Province de Reims : Lambert d'Arras, Gérard de Té-rouanne, Gerviu d'Amiens, Roger de Blois de Beauvais, Létald de Senlis, Gauthier de Cambrai, Hugues de Pierrefonds de  Soissons  qui prit part à la croisade et mourut à Aquilée en se rendant en Palestine, Hilgod évêque dé­missionnaire de Soissons et retiré alors à Marmouiiers. — Province de Trêves: Poppo de Metz. Pibo de Toul et le délégué canonique de Richer de Verdun. (Le fameux Egilbert créature du pseudo-empereur Henri IV et de l'antipape Wibert occupait toujours le siège de Trêves; il ne parut point au concile.) — Province de Lyon : Agano d'Autun, Landry de Brézé de Mâcon. — Province de Rouen : Odo de Bayeux (il prit la croix et suivit en terre sainte le duc Robert de Normandie son neveu). Gislebert d'Évreux, Serlon d'Orgéres de Séez, mandataires des autres évêques de la province. — Province de Tours ou Lyonnaise IIIe : Hoël du Mans, Geoffroi de Mayenne d'Angers, Bénédict de Cornouailles de Nantes, Roland de Dol dont les prétentions au titre mé­tropolitain de Bretagne ne furent point admises et qui siégea au rang des évêques. — Province de Sens ou Lyonnaise IVe ; Ives de Chartres, Jean

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p267 CHAP.   III.   — CONCILE  DE CLERMONT  (1093).      

 

litain se groupaient les évêques et les abbés de sa province. L'affluence des ambassadeurs, des princes, des chevaliers, était encore plus considérable qu'à Plaisance, où l'évaluation approximative des chro­niqueurs fixait leur nombre à trente-mille. La suite de chacun d'eux, la population flottante qu'un tel concours avait attirée, portaient à plus de cent mille âmes cette assemblée synodale, dont le nombre s'est reproduit de nos jours à l'ouverture du concile œcumé­nique du Vatican. La cité de Clermont ni les villages d'alentour

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d'Orléans, Robert de Nevers évêque d'Auxerre. — Province de Vienne : saint Hugues de Châteauneuf évêque de Grenoble, Gontard de Valence. — Pro­vince d'Arles: Didier de Cavaillon qni mourut au concile; Guillaume d'Orange qui fut adjoint comme auxiliaire à l'évêque de Puy Adbémar de Mon-teil dans les fonctions de légat apostolique pour la croisade, et qui mourut eu 1098 avant d'avoir atteint Jérusalem. — Province de Bourges : Durand de Clermont dont nous allons raconter la mort survenue le lendemain même de l'ouverture du concile et dont le successeur Guillaume de Baffle ou de Baïf fut sacré par Urbain IV ; Humbald de Saint-Sévère évêque de Limoges ; Adhémar de Monteil évêque du Puy légat apostolique à l'armée des croisés. Province de Bordeaux : Aymar d'Angoulème, saint Pierre de Poitiers, Ramnulf Facaudi de Saintes, Raymond de Rodez, Arnold de Périgueux qui prit part à la croisade et fut martyrisé par les Musulmans. — Province de Narbonne : Godefroi de Maguelonne, Bertrand de Montrond de Nimes, Bernard de Provencbères, évêque de Lodève, mort en Palestine. — Royaume d'Es­pagne : Dalmatius évêque de Compostelle dont le siège fut érigé l'année sui­vante en archevêché ; Pierre de Pampelune, Oldegarius de Barcelone et plu­sieurs autres dont le nom n'a point été conservé. — Parmi les abbés on comptait Robert de Saint-Remi de Reims l'un des futurs historiographes de la croisade ; Lambert de Saint-Bertin ; Lanzo de Saint-Vincent de Metz ; Balderic de Bourgueil en Anjou, auteur de l’Historia Jerusolymitanae expeditionis, plus tard évêque de Dol ; saint Hugues de Cluny ; Bernard de Marmoutiers; Etienne de Noyers au diocèse de Tours; Geoffroi de Vendôme, Jarento de Saint-Bénigne de Dijou, Gontard de Jumiéges qui mourut au concile ; Noël de Saint-Nicolas près d'Angers ; Guillaume  de   Saint-Florent. Gausmard de Saint-Pierre en l'Ile Germanique ou Moutier-la-Cel!e près Troyes ; Raynald de Saint-Cyprien, Gervais de Saint-Savin, Pierre de Char-roux au diocèse de Poitiers; Pierre d'Aniane an diocèse de Maguelonne ; Adhémar de Saint-Martial de Limoges ; Gérard dTJzerches près de Brives ; Ansculf de Saïut-Jean-d'Aogely ; Pierre de Saint-Allyre de Clermont ; Pierre d'Aurillac; Prult de la Chaise-Dieu ; l'abbé de Saint-Symphorien in Thegerno (Thiers) ; le doyen de Saint-Pierre de Mauriac ; Alold de Saint-Vaast, Ayme-ric d'Anchin, Ermengaud de Cluses dans la province de Turin ; Séguin de Lézay : Bertrand de Saint-Pierre de la Court, ou du Mas-Garnier, au diocèse d'Auch.

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ne purent suffire à cette exubérance d'étrangers. La plupart des pè­lerins furent forcés, malgré la rigueur de la saison et l'âpreté du froid, de camper dans les plaines et sur les collines du voisinage, attendant ainsi sous la tente que le synode eût terminé ses délibé­rations préalables sur diverses questions de discipline et de juris­prudence canonique.     

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