Duns Scott

Darras tome 30 p. 559

I. LE RÉALISTE DUNS SCOT

 

   1. Dès le commencement du quatorzième siècle, dont nous touchons maintenant la fin, et même dans les dernières années du treizième, s'était produit un mouvement intellectuel qui tendait à restreindre, sinon à renverser la domination philosophique de saint Thomas. Sa théologie n'en était que légèrement atteinte ; elle ne pouvait pas l'être au fond, parce que la réaction s'opérait dans les limites de la plus rigoureuse orthodoxie. Or, il ne faut pas oublier la pa­role du Dante : « Ce que Thomas dit, la théologie le dit. » Le doc­teur Angélique demeurait alors en pleine possession de sa royauté: la Somme n'était pas seulement le texte des maîtres, elle était aussi le manuel des écoliers. Combien d'hommes comptons-nous main­tenant en état d'aborder ce livre et surtout de l'interpréter? Je ne parle pas de la jeunesse appelée studieuse. Ma question n'est pas non plus un argument et n'ouvre pas une induction pour la fa­meuse loi du progrès. Contre l'Ange de l'école se leva le premier Jean Duns Scot, le docteur le plus subtil du moyen-âge, et de là son surnom ; l'un des plus habiles dialecticiens de tous les temps. En philosophie, Duns Scot n'était pas un novateur; il passait sur la théorie thomistique, pour donner la main aux réalistes de l'é-

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poque antérieure, Albéric de Reims, Guillaume de Champeaux et le grand saint Anselme, qu'il attaquera cependant plus d'une fois. Avant d'exposer sa doctrine, retraçons sa vie, autant du moins que nous le permettent la pénurie et l'obscurité des documents. Ils nous laissent incertains déjà sur le lieu de sa naissance ; on ne le détermine pas sans dilficulté. L'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande se disputent l'honneur d'avoir été sa patrie. Toujours est-il qu'il ap­partient à la Guande Bretagne, comme Alexandre de Halès et Ro­ger Bacon. La dispute s'agite entre les parties diverses du Royaume-Uni : c'est une querelle de patriotisme local, maintenue pendant plusieurs siècles. Les irlandais Wadding, l'annaliste des Frères Mi­neurs, Mac-Caghwell et d'autres ont dépensé beaucoup d'érudition pour démontrer qu'il était leur compatriote, qu'il avait reçu le jour dans la verte Erin, comme son homonyme Scot Erigène. L'écossais Mackenzie, sur l'autorité de Camerarius et de Dempster, contem­porains du philosophe, le déclarent né dans le bourg écossais de Duns, au Nord-Ouest de Berwick. Le nom même de Scot semble appuyer cette hypothèse. Les Anglais Gambden, Leland, Pitts et Warton tiennent pour un petit village appelé Dunston et situé dans le Northumberland, où s'étendait l'ancienne Scotie. Une note ma­nuscrite, primitivement insérée dans les œuvres de Scot, apporte à ce sentiment un grave témoignage : elle dit formellement que l'auteur était un enfant de la Nortumbrie, d'une partie de cette province appartenant au collège de Merton. Lui-même fut admis dans ce collège ; ce qui n'aurait pas eu lieu, d'après les statuts qui ne souffraient nulle exception, s'il n'avait pas été d'origine an­glaise1. Le» étymologies données par Fabricius et Sixte de Sienne, tout ingénieuses qu'elles soient, ne peuvent contrebalancer ces preuves historiques.

 

   2. On n'a guère moins débattu la date précise de la naissance de Scot. Les uns optent pour 1274, les autres pour 1266. A défaut de preuves directes, une considération suffit pour se prononcer. Dans la première hypothèse, Duns Scot,mort bien certainement en 1308,

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1.  Waddimg., Annal. lUinor., auuo 130S.

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aurait à peine atteint sa trente-quatrième année. Serait-il possible qu'il eût écrit dans un si court espace la valeur de douze gros vo­lumes in-folio, sans compter les œuvres inédites ou perdues? On n'est pas trop généreux en lui donnant quarante deux ans de vie ; le problème reste encore assez difficile. Jean entra de bonne heure dans l'ordre de Saint-François, au couvent de Newcastle, et bientôt après ses supérieurs l'envoyèrent à l'université d'Oxford. Il étudia la théologie sous Guillaume Ware, et, quand ce professeur dut al­ler à Paris continuer son enseignement, il lui succéda dans sa chaire et fit honneur à cette redoutable succession, n'ayant que vingt-trois ans. Le nombre des élèves qu'il attira par ses leçons est exa­géré sans doute par les chroniqueurs et les biographes; mais, en re­tranchant même les deux tiers de leur évaluation, nous pouvons dire que l'école d'Oxford vit se renouveler sous Duns Scot le prodi­gieux concours de Paris et de Cologne sous Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin. La population scolaire, allant toujours en augmentant, dépassa le chiffre de dix mille. C'est là que l'illustre professeur composa pour la majeure partie son vaste commentaire sur les sentences de Pierre Lombard. C'est à Paris qu'il devait le terminer. Comme tous les hommes éminents de l'époque, il dut s'é­loigner de sa patrie pour aller enseigner dans cette capitale. Selon l'opinion la mieux accréditée, il s'y rendit en 1304, l'année même du Pontificat de Benoît XI. Il y fut reçu docteur ; ce qui n'ajoutait rien à sa supériorité scientifique déjà reconnue, pas même à sa ré­putation, qui s'étendait à toutes les contrées de l'Europe. Si les détails manquent sur sa vie, sa gloire n'en est pas moins éclatante; elle paraît même grandie par l'attrait du mystère.

 

   3. On rapporte que Jean s'étant un jour  prosterné  devant  la  Sainte-Vierge pour lui demander le secret de sa vocation,  était bien jeune encore, Marie lui répondit qu'il posséderait la plénitude de l'intelligence et de la science, à la condition de les  con­sacrer en son honneur. Cette promesse ne repose pas sur une don­née certaine, ou n'a probablement d'autre donnée que la direction imprimée plus tard aux études marianiques du pieux   franciscain. A ce point de vue, la légende  est admirable,  bien  qu'elle perde
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l'auréole de la prophétie. Pendant un voyage qu'il fit en Angle­terre, Duns Scot se promenant dans les champs à l'époque des semences, s'approcha d'un paysan qui remplissait cette royale et sacerdotale fonction, sans en soupçonner la dignité comme à l'or­dinaire, et tâchait de l'appeler à de plus hautes idées en lui parlant du salut. « Pourquoi me dites-vous ces choses? demanda le paysan ; si Dieu a prévu que je serai damné, je le serai, quoi que je fasse ; rien ne saurait m'en préserver. Il en est de même, s'il a prévu que je dois être sauvé. — Mais alors, répondit le philosophe, à quoi bon semer? Si Dieu a prévu que cette terre doit produire du blé ou ne doit pas en produire, la chose aura lieu selon ses prévisions; dans les deux cas, ton travail est inutile. » Wadding rapporte en
détail une solennelle discussion soutenue par Duns Scot, devant le légat du Saint-Siège, à l'Université de Paris, concernant l'Immacu­lée Conception de la Sainte Vierge. Il aurait, toujours d'après cet historien, appuyé sa doctrine sur deux cents arguments, pas davan­tage, et déployé contre les Dominicains, tenants de l'opinion con­traire, toutes les subtilités et toutes les ressources qui lui valurent son surnom. A ce dramatique récit, une difficulté qui n'est pas sans importance : c'est que le débat n'était pas encore soulevé. Sur cette question, nulle divergence entre les Dominicains et les Francis­cains. La polémique viendra dans la suite ; Scot en a seulement donné le signal. Deux siècles s'écouleront avant que les théologiens universitaires de Paris se soient prononcés sur cette matière, puis­que leur décision ou leur décret dogmatique, exemptant Marie du péché originel, est de 1495. Si le docteur Subtil a pesé sur cette décision, il faut reconnaître que c'est d'une manière bien éloi­gnée.

   4. Il enseignait depuis quatre ans dans la capitale de la France, avec le même succès qu'il avait d'abord obtenu dans sa patrie, lorsqu'il reçut de son général l'ordre de partir pour Cologne, dont les magistrats, secondés par l'archevêque Baudouin, désiraient restau­rer l'université par le prestige d'un nom célèbre. En ce moment d'ailleurs les Béghars et les sectes similaires remuaient le nord de la Germanie. Il importait de les confondre pour mieux  les  répri-

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mer. Cet ordre sans explication et sans commentaire lui parvint comme il était avec ses disciples dans le Pré-aux-Clercs, hors de l'enceinte de la capitale. Il leur fit aussitôt ses adieux et se mit en route pour Cologne. On lui demanda s'il ne rentrerait pas à Paris pour aller prendre congé de ses frères. « Le général se tait la-des­sus, répondit il, je dois simplement obéir à son ordre. » Et le saint religieux, leur léguant cette sublime leçon d'obéissance, prit immé­diatement à pied la route de la vieille cité Rhénane. L'espoir qu'elle avait fondé sur lui ne devait pas se réaliser ; il mourut dans cette même année 1308. Cologne ne reverra jamais les triomphes scolastiques et les beaux jours d'Albert le Grand. Au seizième siècle, Paul Jove, nous ignorons sur quelle autorité, d'après quelle tradi­tion, rapporte qu'on ouvrit le tombeau de Scot peu de temps après sa mort et qu'on trouva le cadavre retourné ; d'où l'opinion que le célèbre docteur aurait été enseveli dans un état d'extase ou de léthargie, et qu'il aurait expiré dans son sépulcre. La supposition serait plausible si le fait était prouvé; mais nous avons les meilleu­res raisons de penser qu'il est purement imaginaire. Ainsi donc peu de traits réels et quelques fables constituent la biographie d'un homme supérieur qui domina son époque par la double puissance de la dialectique et de l'idée, qui disputa l'empire des intelligences à saint Thomas l'Aquin lui-même, soit de son vivant, soit dans la suile des âges, si bien que les écoles partagées ont marché paral­lèlement sous les drapeaux du thomisme et du scotisme. On aurait beau chercher dans l'immense collection des œuvres du docteur anglais un renseignement quelconque, la plus vague indication sur sa personne ou sa vie; pas même une allusion. Rien de l'homme ne palpite dans ses écrits. Aucun souvenir d'enfance ou de famille, aucun regard distrait sur les événements extérieurs, ni sur le drame intime de l'existence ; aucune émotion de tristesse ou de joie ; nulle amitié, nulle haine, nulle admiration qui retentisse dans les pro­fondeurs du sanctuaire.

 

   5. Scot n'est pas le seul à dépouiller ainsi sa personnalité, pour s'absorber dans la vérité pure. Plusieurs de  ces  anciens  docteurs  nous apparaissent dans le lointain du passé comme  les  Melchisé-   

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dech de la doctrine, sans généalogie, sans histoire individuelle ou collective, ne se montrant qu'à l'autel, dans l'exercice de leur auguste ministère. On pourrait aussi les comparer à ces anciens che­valiers qui descendaient dans l'arène, bataille ou tournoi, visière baissée, frappant d'estoc et de taille, marchant droit au but, dis­paraissant après l'action, fuyant les hommages et se dérobant à la curiosité. Ils ne laissent qu'une devise énigmatique et mystérieuse où s'enveloppe leur pensée. Nous tâcherons d'interpréter celle de Duns Scot. Ses œuvres, et toutes n'ont pas été publiées, ne rem­plissent pas moins de douze gros volumes in-folio, comme nous ve­nons de le dire. C'est l'historien Wadding, un minorite Irlandais, qui les édita dans la première moitié du dix-septième siècle, à Lyon, avec le concours de plusieurs érudits ses compatriotes, Antoine Hic-key, Jean Ponce, Cavellus (Caghwell) et François Lychet. Les six premiers volumes renferment divers traités de grammaire, d'onto­logie, de logique, de métaphysique surtout, commentant les œuvres correspondantes d'Aristote, dont l'auteur n'avait pas entièrement secoué le joug. Les six autres volumes sont occupés par son prin­cipal ouvrage, Opus oxoniense, le Commentaire des Sentences, avec un supplément qui reproduit ou résume les leçons faites à Paris. Quoique l'auteur ne semble encore ici qu'un interprète, passant d'Aristote à Pierre Lombard, il acquiert plus d'indépendance, il obéit mieux à sa propre inspiration, il accentue sa méthode philo­sophique. Plus tard, en 1739, fut publiée à Rome par le minime Jérôme de Montefortino la somme théologique dont la substance appartient réellement à Duns Scot, mais dont la forme paraît cal­quée sur celle de Saint Thomas. Les deux éditeurs littéraires ont modifié, chacun à sa guise, le texte de l'auteur. Ce texte même peut n'avoir été souvent qu'une rédaction des leçons orales, faite après coup par le professeur ou ses disciples ; ainsi s'expliqueraient les longueurs et parfois les incohérences de cet immense travail. La théologie n'embrasse que le dogme, par la raison, selon toute pro­babilité, que pour la morale le théologien regardait comme défi­nitifs les traités de ses devanciers, et d'une manière toute particu­lière la Secunda secundae de saint Thomas.

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   6. Telle n'était pas sa conviction touchant  la méthode philosophique dans l'exposition des dogmes sacrés. Ce n'est  pas  exclusivement par la matière et la forme, la puissance et l'acte, par la  distinction entre le possible et le réel, qu'il entend saisir l'essence des êtres, la pure notion de la vérité ; c'est par les deux grandes catégories aristotéliques, l'universel et l'individuel, le genre et l'es­pèce. Une fois sur ce terrain, il pose la réalité dans les idées géné­rales : à ses yeux, l'homme existe en vertu de l'humanité, l'univer­sel est un principe et non une abstraction. Or, cette théorie, nul ne l'a mieux fouillée dans tous les sens ; il la pousse aux dernières conséquences. Sans juger le fond du débat, sans même examiner la valeur intrinséque et comparée des données philosophiques, ne pour­rait-on pas estimer avec un penseur allemand que la réaction intel­lectuelle de Scot contre la domination universelle de Thomas fut une heureuse tentative? Ce que nous n'admettons pas comme lui, c'est que le système soit un véritable progrès ; nous y voyons plu­tôt une réminiscence, un retour vers le passé. Mais ce retour même n'était-il pas un mouvement ascensionnel, n'établissait-il pas une agitation salutaire? Accordons que la lutte fut un bien pour la science et pour l'Église : pour la science d'abord, que l'antago­nisme de deux systèmes, opposés sur tant de points, et les longues rivalités de deux écoles, se partageant le monde chrétien dans les monastères et les universités, préservèrent d'une fatale stagnation ; pour l'Église ensuite, qui ne subirait plus l'empire d'un nom ou d'une idée et consacrerait mieux son indépendance dogmatique. En effet, reconnaissant les deux systèmes comme également auto­risés, les prenant l'un et l'autre sous sa protection, elle les soumit tous deux à sa divine puissance. Aucun ne pouvait avoir la préten­tion d'être l'absolue vérité, de réclamer comme un droit la soumis­sion générale, d'enrayer l'activité de l'esprit humain dans le domaine des discussions permises, d'absorber à son profit l'infailli­bilité de l'Église elle-même ou de son chef spirituel. Les spécula­tions théologiques étaient de la sorte arrêtées sur le seuil du sanc­tuaire où sont gardés les inviolables trésors de la révélation et de la tradition. Les disputes dépasseront quelquefois  les  bornes,  il y

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aura de regrettables excès, comme dans toutes les guerres d'inté­rêt ou d'entendement, politiques ou doctrinales ; mais cela n'altère en rien la portée de cette première observation, si même cela ne la confirme. Scot eut pleinement l'intuition des besoins de l'humanité, la conscience de sa propre initiative et le respect du dogme chré­tien, dans sa critique permanente, dans son rigoureux examen de la méthode thomistique. Il fait ressortir, avec moins d'ampleur peut-être, mais avec autant de sagacité et plus de persévérance que Roger Bacon, l'étroitesse, l'arbitraire et le faux de l'aristotélisme. Il le combat sans ménagement, bien qu'il l'ait pris pour base, en accep­tant ses catégories.

 

   7 . La polémique de Scot est toujours calme et digne. Son coup d’œil est d’une remarquable sûreté. Nul ne s’est montré plus hardi dans les questions qu'il se pose, dans les théories qu'il émet, dans les arguments qu'il prête à son adversaire, ni plus ferme dans la solution des difficultés. Il côtoie les abîmes et n'en éprouve jamais les éblouissements. Ni le panthéisme, où pouvait l'entraîner l'entité des idées générales, comme plusieurs de ses devanciers, ni le scep­ticisme, dont parfois il revêt les apparences, n'ont le droit d'invo­quer un mot du Docteur Subtil. Ce n'est pas seulement au point de vue philosophique, c'est encore sur certains points de théologie qu'il s'éloigne de saint Thomas, en demeurant toujours ortho­doxe. Il fut, sinon l'initiateur, ce qui n'appartenait à personne, du moins le zélé défenseur de l'Immaculée-Conception. A cet égard, il procède avec une réserve qui semble voiler sa pensée. Après avoir établi la thèse: « La Sainte-Vierge a-t-elle été conçue sans péché? » il énonce, comme principe de solution, une triple possi­bilité qui ne permet aucun doute : 1° Dieu certainement a pu faire que Marie n'ait pas été conçue dans le péché ; 2° il a pu faire qu'elle n'ait subi le péché qu'un instant ; 3° il a pu faire que la purifica­tion de la tache originelle soit venue plus tard. » De ces trois hypothèses, laquelle faut-il choisir, quelle est la plus probable? La première évidemment, celle qui parait le mieux en rapport avec la sagesse divine et la dignité, la sublime destination de la  Mère1 du

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1 Sentenc. lib   III, quest. 1, disl. 3.

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Verbe incarné. Quoique cette croyance puisse être considérée comme résidant au fond des plus anciennes traditions et se ratta­chant à l'essence même du christianisme, elle était alors repoussée par les théologiens en renom, et spécialement par toute l'école thomistique. A Duns Scot revient l'honneur de l'avoir inaugurée dans l'enseignement théologique ; il heurtait de front le domini­cain Albert le Grand et le franciscain Alexandre de Halès, saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure. Il prévaudra bientôt contre toutes ces autorités. Le dogme de l'Immaculée-Conception triom­phera de toutes les résistances. Quatre-vingts ans seront à peine écoulés que la Sorbonne condamnera la proposition d'un autre dominicain, Jean de Montesono, disant que la Sainte Vierge a été conçue dans le péché; et l'évêque de Paris ratifiera cette condam­nation ; puis viendront en foule, donnant leur solennelle adhésion, les Églises particulières, les conciles provinciaux, les docteurs de toutes les écoles, les saints de toutes les contrées, les Papes eux-mêmes, jusqu'à celui qui devait proclamer le dogme de l'immaculée-Conception en plein dix-neuvième siècle. Dans cette procla­mation ne peut-on pas voir le triomphe posthume de Duns Scot? Ce n'est donc pas la piété filiale toute seule qui l'inspirait dans cette campagne doctrinale qu'il ouvrit à la gloire de Marie, c'est encore et surtout l'intuition dogmatique. Il était considéré comme un saint ; il reste l'un des plus étonnants esprits du moyen-âge.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon