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Ainsi la foi chrétienne, au cours de son évolution historique, s'est trouvée d'abord devant la réalité de ce triple visage de Dieu. Il est clair qu'elle a dû commencer très vite à réfléchir pour voir comment concilier ces différentes données.
Elle a dû se demander comment ces trois formes de rencontre de Dieu dans l'histoire s'accordent avec la réalité intime de Dieu. Cette triple forme de l'expérience de Dieu serait‑elle simplement son masque historique, sous lequel, en des rôles différents, c'est toujours ]'Unique et le même Dieu qui vient vers l'homme?
Cette « triade » nous renseigne‑t‑elle seulement sur l'homme et sur ses différents modes de relation à Dieu, ou bien manifeste‑t‑elle aussi quelque chose de la constitution intime de Dieu?
Si nous sommes enclins aujourd'hui à considérer trop rapidement la première interprétation comme seule pensable, et à croire que nous avons ainsi résolu tous les problèmes, nous devrions, avant de recourir à cette échappatoire, prendre conscience de l'ampleur de la question.
Il s'agit en effet de savoir si l'homme, dans sa relation à Dieu, est livré aux mirages de sa propre conscience, ou s'il lui est possible de saisir une réalité au‑delà de lui, de rencontrer Dieu même.
Les conséquences, dans l'un et l'autre cas, sont d'importance: dans le premier cas, la prière ne serait qu'un dialogue de l'homme avec lui‑même; la racine pour une véritable adoration, et aussi pour la prière de demande, est coupée. N'est‑ce pas là d'ailleurs une conclusion que l'on tire de plus en plus?
Mais il est d'autant plus urgent de savoir si cette conclusion n'est pas une solution de facilité pour la pensée qui, sans se poser beaucoup de problèmes, s'engage sur le chemin de la moindre résistance.
Mais si l'autre réponse est la bonne, alors l'adoration et la prière, non seulement sont possibles, mais obligatoires; elles constituent une exigence pour cet être ouvert à Dieu qu'est l'homme.
Celui qui prend conscience ainsi de la profondeur de la question, comprendra en même temps la lutte passionnée menée autour d'elle par l'Église ancienne; il comprendra qu'il s'agissait là de tout autre chose que d'un ergotage conceptuel et d'un culte de formules, comme il pourrait sembler à un observateur superficiel.
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Il se rendra compte que la lutte de ce temps‑là est à nouveau engagée aujourd'hui, la même, la lutte perpétuelle de l'homme à la recherche de Dieu et de lui‑même; il comprendra que nous ne saurions subsister comme chrétiens si nous croyons pouvoir nous en tirer à moins de frais que nos ancêtres.
Anticipons la réponse qui fut trouvée alors; elle constitue le point de séparation entre le chemin de la foi et un autre chemin qui aurait conduit à une simple apparence de foi: Dieu est tel qu'il se montre; Dieu ne se montre pas autrement qu'il n'est. Sur cette affirmation repose la relation chrétienne à Dieu; en elle s'enracine la doctrine trinitaire, elle est cette doctrine.
b) Les thèmes dominants
Comment la foi est‑elle arrivée à se déterminer en ce sens? Trois attitudes fondamentales de la pensée chrétienne ont joué ici un rôle décisif.
On pourrait désigner la première comme la foi dans l'immédiateté de la relation de l'homme avec Dieu. Ce qui est en question, c'est que l'homme, en prenant contact avec le Christ, rencontre en Jésus ‑ en cet homme, semblable à lui, qu'il peut atteindre et aborder- Dieu lui‑même, non pas un être mixte qui s'interposerait entre eux.
La préoccupation de l'Église primitive pour défendre la vraie divinité de Jésus a la même racine que la préoccupation de sa véritable humanité. Il ne saurait être notre médiateur, s'il n'était véritablement homme; il ne saurait faire aboutir la médiation, s'il n'était véritablement Dieu comme Dieu.
Il n'est sans doute pas difficile de voir que c'est l'option fondamentale du monothéisme, l'identification, décrite plus haut, du Dieu de la foi et du Dieu des philosophes, qui est ici en question et qui reçoit ici sa forme la plus incisive: seul le Dieu qui est à la fois le fondement réel du monde et le Tout‑Proche par rapport à nous, peut devenir l'objet d'une piété qui doit répondre aux exigences de la vérité.
Par là se trouve déjà indiquée la deuxième attitude fondamentale : l'attachement indéfectible à une option strictement monothéiste, à la confession de foi au Dieu unique.
Il fallait à tout prix éviter de créer finalement à nouveau, par le biais du médiateur, toute une sphère d'êtres intermédiaires, et par le fait même une sphère de dieux sans consistance de vérité, où l'homme adore ce qui n'est pas Dieu.