La Trinité 16

Daras tome 27

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CHAPITRE VIII.

 

Tout ce qui se dit de Dieu, par rapport à la substance, se dit également de chacune des trois personnes et de la Trinité tout entière.

 

9. Retenons donc bien ceci avant tout, c'est que tout ce qui est affirmé de la très‑excellente et divine sublimité par rapport à elle‑même, l'est de sa substance, et ce qui n'est affirmé d'elle que par rapport à quelque chose, ne l'est point de sa substance, mais seulement de sa relation à une autre chose, retenons aussi que telle est la force de la substance dans le Père, le Fils et le Saint‑Esprit, que tout ce qui est dit de l'un des trois par rapport aux trois, doit s'entendre, en somme, non pas au pluriel, mais au singulier. En effet, comme personne ne doute que c'est selon la substance qu'il est parlé quand on dit: le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint‑Esprit est Dieu, et qu'on ne dit point que ce sont trois Dieux, mais seulement que la très‑excellente Trinité n'est elle‑même qu'un seul Dieu, ainsi quand on dit: le Père est grand, le Fils est grand, le Saint‑Esprit est grand, ce ne sont point trois grands mais un seul grand. Car ce n'est pas seulement du Père, comme le pensent les hérétiques à tort, mais du Père, du Fils et du Saint‑Esprit qu'il est dit dans l'Ecriture : « Vous êtes le seul Dieu grand. » (Ps. LXXXV, 10.) Le Père est bon, le Fils est bon, et le Saint‑Esprit est bon; ce ne sont pas trois bons Dieux, il n'y a qu'un seul bon Dieu, dont il a été dit : « Nul n'est bon si ce n'est Dieu. » (Luc, XVIII, 19.) Aussi le Seigneur Jésus, pour empêcher que celui qui lui adressait la parole comme s'il n'eût été qu'un homme, en lui disant : « Bon maître, » ne le considérât que comme un homme, se garde‑t‑il bien de dire : Nul n'est bon si ce n'est le Père, mais : « Nul n'est bon si ce n'est Dieu; » attendu que dans le nom de Père , il n'y a proprement que le Père de nommé, tandis que dans celui de Dieu

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se trouvent compris également le Fils et le Saint‑Esprit, puisque la Trinité ne fait qu'un seul Dieu. La position et l'extérieur, les lieux et les temps se disent en Dieu non point au sens propre, mais au sens figuré et par similitude. En effet, il est dit qu'il est assis sur les chérubins (Ps. LXXIX, 2), ce qui a rapport à la position; que l'abîme est comme son vêtement (Ps. CI, 6), ce qui a rapport à l’extérieur; il est dit aussi : « Vos années ne finiront point, » (Ps. CI, 28) ce qui se rapporte au temps, et encore : « Si je monte au ciel vous y êtes,» (Ps. CXXXVIII, 8) ce qui regarde le lieu. Mais pour ce qui se rapporte à l'action, peut‑être n'y a‑t‑il que de Dieu seul qu'on puisse le dire en toute vérité, car il n'y a que lui qui fait et qui ne soit point fait, et qui, quant à sa substance par laquelle il est, ne connait point le patir. C'est pourquoi s'il y a le Père tout‑puissant, le Fils tout‑puissant, et le Saint‑Esprit tout‑puissant, il n'y a pourtant qu'un seul tout‑puissant, « de qui, en qui, et par qui tout est, et à qui soit la gloire. » (Rom., XI, 36.) Par conséquent, tout ce qui se dit de Dieu par rapport à Dieu, se dit également et au singulier, de chacune des trois personne c'est‑à‑dire du Père, du Fils et du Saint‑Esprit, et aussi de la Trinité même, non pas au pluriel, mais au singulier, attendu que pour Dieu ce n'est pas autre chose d'être et d'être grand, pour lui, au contraire, être et être grand, c'est tout un; par conséquent, de même que nous ne disons point qu'il y a trois essences, de même nous ne disons point qu'il y a trois grandeurs, mais qu'il n'y a qu'une essence et qu'une grandeur. Je dis essence, en grec ousia, mais nous disons plus communément substance.

 

10. Il est vrai que les hérétiques se servent aussi du mot hypostase; mais je ne sais pas quelle différence ils veulent qu'il y ait entre ousia et hypostase, car la plupart de ceux qui traitent de ces choses en grec, ont coutume de dire miane oussiane, treis unostaseis,  c'est‑à‑dire une essence, trois substances.

 

CHAPITRE IX.

 

En Dieu il n'y a qu'une essence; les Grecs comptaient en lui trois hypostases et les Latins trois personnes.

 

Mais comme l'usage parmi nous a prévalu d'après notre manière de parler, de comprendre, par le mot essence, ce qu'on entend par celui de substance, nous n'osons point dire une seule essence et trois substances; mais, nous disons une seule essence ou substance, et trois personnes, ainsi que se sont exprimés beaucoup d'auteurs latins d'une certaine auto-

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rité, en traitant de ces choses, parce qu'ils ne trouvaient pas de manière plus propre d’exprimer par des paroles ce qui se comprend sans paroles. En réalité, le Père qui n'est point le Fils, et le Fils qui n'est point le Père, et le Saint‑Esprit qui s'appelle aussi le don de Dieu, et qui n'est pas non plus ni le Père ni le Fils, sont réellement trois; voilà pourquoi il est dit au pluriel : « Mon Père et moi nous ne faisons qu'un; » le Seigneur ne dit pas mon Père et moi, c'est un, comme disent les sabelliens, mais « ne faisons qu'un.» Cependant si on demande que sont ces trois, la langue humaine se trouve dans une grande pénurie de mots ; et l'on dit ce sont trois personnes, moins pour dire ce que ce sont, que pour ne point garder le silence.

 

CHAPITRE X.

 

Ce qui ne convient absolument qu'à Dieu, comme l'essence ne se dit qu'au singulier non au pluriel.

 

Il. De même donc que nous ne disons point trois essences, ainsi nous ne disons point trois grandeurs, ni trois grands. Dans les choses qui sont grandes par participation à la grandeur, c'est autre chose d'être et d'être grandes, telles qu'une grande maison, une grande montagne, une grande âme; dans ces choses donc autre chose est la grandeur, autre chose ce qui est grand par cette grandeur, et certainement ce qui est la grandeur n'est point une grande maison. Mais la vraie grandeur c'est celle par laquelle non‑seulement est grande une grande maison, est grande une grande montagne, mais par laquelle est grand tout ce qui est grand, en, sorte que autre chose est la grandeur même, autre chose est ce qui est appelé grand par participation à la grandeur. La grandeur qui est grande dès le principe, l'est d'une manière bien plus excellente que les choses qui ne sont grandes que par participation à cette grandeur. Or, Dieu n'étant pas grand d'une grandeur qui ne soit point ce qu'il est lui‑même, comme s'il participait à cette grandeur, quand il est grand, autrement cette grandeur serait plus grande que Dieu, or, il n'y a rien de plus grand que Dieu; Dieu n'est donc grand que par la grandeur par laquelle il est lui‑même la grandeur. Aussi de même que nous ne disons point trois essences, ainsi nous ne disons point non plus trois grandeurs; car pour Dieu être, c'est la même chose qu'être grand. C'est pour la même cause que nous ne disons point trois grands, mais un seul grand, c'est parce que ce n'est point par participation à la grandeur que Dieu est grand, mais il est grand par lui‑même qui est sa propre grandeur. Que cela soit dit de la bonté, de l'éternité et de la toute‑puissance de Dieu, enfin de tous les prédicaments, sans exception , qui peuvent être affirmés de Dieu,

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toutes les fois que ce n'est point affirmé de lui par manière de figure et de similitude, mais au sens propre, si, pourtant il peut être affirmé de Dieu quoi que ce soit au sens propre, par la bouche de l'homme.

 

CHAPITRE XI.

 

Ce qui se dit de la Trinité d'une manière relative.

 

12. Mais pour les choses qui proprement se disent séparément les unes des autres, dans la seule et même Trinité, elles ne se disent pas le moins du monde chacune par rapport à elle-même, mais par rapport les unes aux autres, ou par rapport à la créature, aussi est‑il manifeste que ce n'est pas substantiellement mais relativement qu'elles se disent. En effet, si la Trinité est appelée seul Dieu, grand, bon, éternel, tout-puissant, et que ce même Dieu puisse s'appeler sa propre déité, sa propre grandeur, sa propre bonté, sa propre éternité, sa propre toute-puissance, on ne peut pas dire de la même manière que la Trinité est le Père, à moins que ce ne soit par figure relativement à la créature, à cause de son adoption au rang des enfants de Dieu. Cette parole de l'Ecriture: « Ecoutez Israël, le Seigneur votre Dieu est le seul et unique Seigneur, » (Deut., VI, 4) ne doit point s'entendre à l'exclusion du Fils ou du Saint-Esprit, que nous tenons avec raison pour notre unique seigneur Dieu, et même pour notre Père, attendu qu'il nous régénère par sa grâce. Mais le Fils ne saurait en aucune manière être appelé Trinité. Quant au Saint‑Esprit, selon ce qui est écrit : « Dieu est esprit, » (Jean, IV, 24) il peut se dire au sens général, attendu que le Père est esprit et le Fils également, de même que le Père est saint et le Fils aussi, par conséquent, le Père, le Fils et le Saint‑Esprit étant un seul et même Dieu, et d'un autre côté Dieu étant saint et esprit, il s'ensuit que la Trinité peut également être appelée un Esprit saint; toute­ fois le Saint‑Esprit qui est dans la Trinité mais n'est point la Trinité, quand il est proprement désigné par le nom d'Esprit-Saint, est appelé ainsi d'une manière relative, c'est‑à‑dire par rapport au Père et au Fils, attendu que le Saint‑Esprit est Esprit du Père et Esprit du Fils. Mais si cette relation n'apparait point dans l'emploi même de ce nom, elle se montre clairement quand on la désigne sous le nom de don de Dieu; en effet, il est le don du Père et du Fils, attendu qu'il procède du Père, comme le Seigneur le dit (Jean,. XV, 26), et que l’Apôtre, en parlant évidemment du Saint‑Esprit même, dit : « Quiconque n'a point l'Esprit du Christ, n'appartient point au Christ. » (Rom., VIII, 9.) Lors donc que nous parlons du don du

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donateur et du dénateur du don, nous parlons de l'un par rapport à l'autre et réciproquement. Le Saint‑Esprit est donc une sorte de commu­nion ineffable du Père et du Fils, peut‑être même n'est‑il appelé du nom qu'il a que parce que ce nom peut parfaitement convenir tant au Père qu'au Fils. Ce qui est le nom propre par rapport à lui est nom commun par rapport aux deux autres, puisque le Père est Esprit, et le Fils Esprit aussi, de même que si le Père est saint, le Fils est également saint. Par consé­quent, pour que la communion de ces deux personnes fût rendue par un mot qui leur con­vint à l'une et à l'autre, le don de l'un et de l'autre a été appelé Esprit saint. La Trinité ne fait donc qu'un seul Dieu, unique, bon, grand, éternel, tout‑puissant, et il est lui‑même sa propre unité, sa déité, sa grandeur, sa bonté, son éternité, sa toute‑puissance.

 

CHAPITRE XII.

 

Quelquefois les expressions manquent pour rendre les rapports mutuels.

 

13. Il ne faut pas voir une difficulté dans ce que nous avons dit que c'est d'une manière relative que le Saint‑Esprit, non pas celui qui s'entend de la Trinité même, mais celui qui est dans la Trinité, est appelé Saint‑Esprit d'une manière relative, par la raison qu'on ne voit point de mot qui lui soit réciproque. En effet, nous ne pouvons pas nous exprimer ici de la même manière que lorsque nous disons le serviteur du maître et le maître du serviteur, le fils du père et le père du fils, expressions qui ne s'emploient que l'une relativement à l'autre. Nous disons bien, en effet, le Saint‑Esprit du Père, mais nous ne disons point le Père du Saint‑Esprit, de peur qu'on ne comprenne que le Saint‑Esprit est son Fils. De même nous disons bien le Saint‑Esprit du Fils, mais non pas le Fils du Saint‑Esprit, de peur que le Saint-Esprit ne soit regardé comme son Père. C'est que dans une multitude de relatifs il arrive qu'il ne se trouve point d'expression pour rendre le rapport réciproque des choses entre elles. En effet, qu'y a‑t‑il qui indique plus manifestement une relation que le mot gage, car le gage a évidemment rapport à ce dont il est le gage, et toujours un gage est gagé de quelque chose? Est‑ce que après avoir dit le gage du Père et du Fils, nous pouvons dire réciproquement le Père du gage, le Fils du gage? Quand nous disons le don du Père et du Fils, nous ne pouvons dire le Père du don ou le Fils du don; mais pour que ces choses répondent réciproquement, nous disons le don du donateur et le donateur du don, parce que dans ce cas on a pu trouver un mot usité et qu'on ne l'a point pu dans l'autre cas.

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CHAPITRE XIII.

 

En quelle manière le mot principe se dit relativement dans la Trinité.

 

14. On dit donc d'une manière relative, le Père, et, en parlant de la même personne, on dit également d'une manière relative le principe, et le reste qui pourrait se rencontrer. Mais le Père n'est appelé Père que relativement au Fils, tandis qu'il est appelé le principe, relativement à tout ce qui est de lui. De même c'est relativement que le Fils est appelé Fils, et encore Verbe, image, et dans toutes ces appellations son nom se rapporte au Père, cependant le Père n'est appelé le Père à aucun de ces titres. Le Fils est aussi appelé principe; en effet, quand on lui dit : « Et vous, qui êtes-vous? » il répondit: « Je suis le principe qui vous parle.» (Jean, VIII, 25.) Est‑il le principe du Père? En s'appelant principe, il a voulu se montrer créateur, il en est de même du Père qui est aussi le principe de la créature, puisque tout est de lui. Créateur se dit relativement à créature, de même que seigneur se dit relativement à serviteur. Aussi quand nous disons que le Père est le principe, et que le Fils est aussi le principe, nous ne parlons point de deux principes de la créature, attendu que le Père et le Fils ne sont en même temps qu'un seul et même principe par rapport à la créature, comme ils ne font qu'un seul et même créateur, un seul et même Dieu. Or, si tout ce qui, sans sortir de soi, engendre ou fait quelque chose, est un principe par rapport à la chose qu'il engendre ou qu'il opère, nous ne pouvons nier que le Saint‑Esprit ne puisse être appelé également avec raison principe, attendu que nous ne le séparons point dans notre pensée, quand nous nommons le Créateur : or, il est écrit de lui qu'il opère (Jean, V, 36), ce qu'il fait certainement sans sortir de lui‑même; car, il ne se convertit ni ne se change en rien de ce qu'il opère. Or, voyez quelles sont ses oeuvres : « Les dons du Saint‑Esprit qui se font connaitre au dehors, dit saint Paul, sont donnés à chacun pour l'utilité ; car l'un reçoit de l'Esprit le parler avec sagesse; un autre reçoit du même Esprit le parler avec science; un autre reçoit la foi par le même Esprit; un autre reçoit par le même Esprit la grâce de guérir les malades; un autre le don de faire des miracles; un autre celui de prophétie; un autre celui du discernement des esprits; un autre le don de parler diverses langues; un autre le don d'interpréter les langues. Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, et distribue à chacun selon qu'il lui plait, » (I Cor., XII, 7 à 11) c'est-à‑dire selon qu'il plait à Dieu. Car qui peut opérer de si grandes choses, s'il n'est Dieu? « Or, il n'y a qu'un seul et même Dieu qui opère tout cela. » (Ibid., 6.) En effet, si on nous interroge en particulier sur le Saint‑Esprit,

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nous répondons avec une parfaite vérité qu'il est Dieu, et qu'il ne fait qu'un seul Dieu avec le Père et le Fils. Ainsi en parlant de Dieu on dit qu'il est le principe, non pas deux ou trois principes par rapport aux créatures.

 

CHAPITRE XIV.

 

Le Père et le Fils ne font qu'un seul et même principe par rapport au Saint‑Esprit.

 

15. Si, relativement l'un à l'autre, dans la Trinité, celui qui engendre est principe par rapport à celui qu'il engendre, le Père est principe par rapport au Fils, attendu qu'il l'engendre. Mais le Père est‑il aussi principe par rapport au Saint‑Esprit, parce qu'il est dit que ce dernier «procède du Père, » ce n'est pas une petite question. En effet, s'il en est ainsi, il sera le principe non‑seulement de la chose qu'il engendre ou qu'il fait, mais encore de celle qu'il donne. Et là on voit clairement, autant du moins que cela est possible, ce qui fait ordinairement une difficulté pour bien des gens, à savoir pourquoi le Fils n'est pas aussi Saint‑Esprit, quoique le Saint‑Esprit soit comme lui du Père, ainsi qu'on le lit dans l'Evangile. En effet, il en sort non pas par voie de naissance, mais par voie de don (Jean, XV, 26); c'est même ce qui fait qu'il n'est point appelé fils, c'est parce qu'il ne nait point du Père, comme le Fils unique, et il n'est point non plus amené, comme nous, à naître en adoption, par la grâce de Dieu. Ce qui est né du Père se rapporte seulement au Père, quand on dit le Fils, c'est le Fils du Père qu'on veut dire, non point notre fils à nous : mais ce qui est donné, se rapporte en même temps à celui qui donne et à celui à qui il est donné; aussi le Saint‑Esprit est‑il l'Esprit non‑seulement du Père et du Fils qui nous l'ont donné, mais encore de nous qui l'avons reçu; c'est de la même manière que le salut est appelé le salut du Seigneur qui le donne, et en même temps notre salut à nous qui le recevons. (Ps. III, 9.) L'Esprit est donc en même temps l'Esprit de Dieu qui le donne et notre Esprit à nous qui le recevons. Il n'est point notre Esprit dans le sens de l'esprit par lequel nous existons, car l'esprit de l'homme c'est l'esprit qui est en lui; mais il est notre Esprit d'une autre manière, de la manière dont nous disons :. «Donnez‑nous notre pain. » (Matth., VI, 11.) Il est vrai pourtant aussi que nous avons également reçu l'esprit qui s'appelle l'esprit de l'homme; car comme dit l'Apôtre : « Qu'avez‑vous que vous n'ayez reçu? » (l Cor., IV, 7.) Mais autre chose est ce que nous avons reçu pour être, autre est ce que nous avons reçu pour être saint. Aussi est‑il écrit de saint Jean, qu'il devait venir dans l'esprit et la vertu d'Elie (Luc, I, 17); or, l'esprit d'Elie c'est le Saint-Esprit que reçut Elie. C'est ce qu'il faut encore

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comprendre au sujet de Moïse, quand le Seigneur lui dit : « Je prendrai de votre esprit et je le leur donnerai; » (Nomb., XI, 17) c'est‑à-dire, je leur donnerai du Saint‑Esprit que je vous ai déjà donné à vous. Si donc ce qui est donné a pour principe celui par qui il est donné, attendu qu'il n'a point reçu d'un autre ce qui procède de lui, il faut avouer que le Père et le Fils sont le principe du Saint‑Esprit, mais ne sont point ses deux principes. De même que le Père et le Fils ne font qu'un seul et même Dieu relativement à la créature, un seul et même Créateur, un seul et même Seigneur, ainsi relativement au Saint‑Esprit, ils ne font qu'un seul et même principe; mais par rapport à la créature, le Père, le Fils et le Saint‑Esprit ne font qu'un seul et même principe, comme ils ne font qu'un seul et même Créateur, un seul et même Seigneur.

 

CHAPITRE XV.

 

Le Saint‑Esprit était‑il don avant d'être donné.

 

16. On va plus loin, et on demande si, comme le Fils a non‑seulement ce qui fait qu'il devient Fils en naissant, mais encore ce qui fait qu'il est, de même le Saint‑Esprit, par le fait qu'il est donné, a non‑seulement ce qui fait qu'il est un don, mais encore ce qui fait qu'il est; c'est‑à-dire s'il existait avant que d’être donné, et s'il était sans être un don, ou bien, si par le fait que Dieu devait le donner, il était un don avant d'être donné. Mais s'il ne procède que quand il est donné, il s'ensuit que sa procession n'aurait point eu lieu avant que l'être auquel il pût être donné existât lui‑même; comment pourrait‑il, s'il n'existe qu'autant qu'il est donné, être la substance même, comme le Fils qui a la substance même faisant non‑seulement qu'il est Fils en naissant, ce qui n'est qu'une relation, mais encore qu'il est, absolument parlant? Est‑ce que le Saint‑Esprit, procède toujours, non point de tout temps, mais de toute éternité, et, comme il ne procédait que pour être un don, était‑il un don déjà avant même qu'il fût donné? Car, don n'a pas le même sens que donné. En effet, le don peut exister avant même d'être donné, mais on ne peut dire donné que de ce qui effectivement a été donné.

 

CHAPITRE XVI.

 

Ce qui se dit de Dieu dans le temps, n'exprime pas un accident en lui, mais une relation.

 

17. Il ne faut pas voir une difficulté dans ce qu'on dit que le Saint‑Esprit, bien que coéternel au Père et au Fils, a été quelque chose dans le

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p305 QUINZE LIVRES SUR LA TRINITÉ.

 

temps, tel, par exemple, que donné. Car si l’Esprit saint est don de toute éternité, il n'a été donné que dans le temps. En effet, si on n'est appelé Seigneur que lorsqu'on commence à avoir un esclave, cette appellation, qui indique un rapport, n'est aussi appliquée à Dieu que dans le temps, attendu que la créature n'est point éternelle; or, c'est de la créature qu'il est le Seigneur. Comment donc obtiendrons‑nous que ce qui est relatif ne soit point accidentel en Dieu, attendu qu'il n'y a point pour Dieu d'accident temporel, puisqu'il n'est pas sujet au changement, comme nous l'avons établi au commencement de ce traité? Voilà donc l'être Seigneur qui n'est point éternel en Dieu, si nous ne voulons être forcés de dire que la créature est éternelle, puisqu'il ne pourrait être Seigneur de toute éternité si la créature ne lui était soumise également de toute éternité; car de même qu'il ne saurait y avoir d'esclave là où il n'y a point de maître, de même il ne saurait y avoir de maître là où il n'y a point d'esclave. Mais quiconque se rencontrera pour dire qu'il n'y a que Dieu qui certainement soit éternel, et que les temps ne sauraient être éternels, parce qu'ils sont sujets à des variations et à des changements, mais que pourtant ils n'ont point commencé dans le temps, car le temps n'a point existé avant les temps, et par conséquent ce n'est point dans le temps qu'il est arrivé à Dieu d'être Seigneur, puisque d’ailleurs il était le Seigneur des temps, qui bien certainement n’ont point commencé d'être dans le temps; que répondra-t‑il au sujet de l'homme qui a été fait dans le temps, et dont Dieu n'était point le Seigneur avant qu'il fût? Assurément c'est dans le temps qu'il est arrivé à Dieu d'être le Seigneur de l'homme; certainement enfin, pour faire disparaître toute chicane, c'est dans le temps que Dieu a commencé d'être le Seigneur, soit de vous, soit de moi qui ne datons que d'hier. Ou bien, si cela semble encore incertain, à cause de la question de l'âme qui est obscure, l'est‑ce également pour le fait qu'il est devenu le Seigneur d’Israël? Je ne cherche pas si déjà la nature de l'âme que ce peuple avait existait alors; quoi qu'il en soit de cela , ce peuple même n'existait pas auparavant, et on sait quand il a commencé d'être. Enfin, pour être le Seigneur de cet arbre, de ce champ de blé, c'est dans le temps que cela lui est arrivé, puisque ces êtres n'existent que depuis peu de temps. Je veux bien que la matière dont ils sont composés existât auparavant, cependant autre chose est d'être le Seigneur de la matière, autre chose de l’être d'une nature faite. En effet, le temps où l'homme fut le maître du bois n'est pas le temps où il fut le maître de l'arche, bien que celle‑ci ait été faite de bois, lequel bois n'existait pas encore que déjà le maître du bois existait. Comment donc obtiendrons‑nous qu'il ne soit rien affirmé de Dieu selon l'accident, si ce n'est parce qu'il

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p306 QUINZE LIVRES SUR LA TRINITÉ.

 

n'arrive, à sa nature, rien de tel qui puisse y causer un changement, et que, les choses qui arrivent avec quelque changement du côté des êtres dont elles sont affirmées, soient des accidents relatifs. Ainsi ami se dit par rapport à un autre, car il ne saurait commencer d'être ami, qu'il ne commence d'aimer; il se fait donc en lui un certain changement de volonté pour qu'il soit dit ami. Une pièce de monnaie quand elle s'appelle prix, n'a ce nom que par rapport à une autre chose, et pourtant elle n'a point éprouvé de changement quand elle a commencé d'être le prix de quelque chose; non plus que lorsqu'on l'a appelée gage, ou qu'on lui a donné tout autres noms pareils. Si donc une pièce de monnaie peut être désignée si souvent d'une manière relative, sans qu'elle éprouve aucun changement en elle, et sans que, soit au moment où elle commence à être appelée d'un nom, soit au moment où elle cesse d'avoir ce nom, il s'opère le moindre changement dans sa forme ou sa nature par laquelle elle est pièce de monnaie, combien plus facilement devons‑nous accepter au sujet de l'immuable substance de Dieu qu'il soit affirmé d'elle, par rapport à la créature, quelque chose d'une manière relative, de telle manière que tout en commençant dans le temps à être l'objet d'une telle affirmation, il soit bien entendu cependant qu'il ne se trouve rien d'accidentel dans la substance même de Dieu , et que ce qu'il y a d'accidentel ne se trouve que dans la créature par rapport à laquelle se produit l'affirmation. « Seigneur, dit le Prophète, vous êtes devenu mon refuge.» (Ps. 1, XXXIX, 1.) C'est donc relativement que Dieu est appelé notre refuge; c'est en effet par rapport à nous qu'il est refuge, et il n’est notre refuge que lorsque nous nous réfugions en lui. Est‑ce que alors il se fait, dans sa nature, quelque chose qui n'y était point avant que nous nous réfugiassions en lui ? C'est donc en nous que se fait un certain changement; en effet, nous étions pires avant de nous réfugier en lui, et nous devenons meilleurs en nous y réfugiant; mais, en lui, il n'y a absolument aucun changement. De même il commence à être notre Père quand nous sommes régénérés par sa grâce, parce qu'il nous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. (Jean., I, 12.) Notre substance se trouve donc changée en mieux, quand nous devenons ses enfants, de même il commence aussi à devenir notre Père, mais sans aucun changement du côté de sa substance. Ainsi il est manifeste que lorsque Dieu commence à être l'objet, dans le temps, d'une affirmation dont il n'était pas l'objet auparavant, cette affirmation est relative ; elle ne se produit point selon un accident de Dieu parce qu'il lui serait arrivé quelque chose, mais bien selon un accident de l'être par rapport auquel Dieu commence à être l'objet d'une affirmation quelconque. Si le juste commence à être ami de Dieu, c'est le

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juste qui change, car le ciel me garde de dire que Dieu aime quelqu'un dans le temps, comme si c’était d'un amour nouveau qui n'existait point auparavant en lui, en qui le présent même est passé et le futur déjà fait. Il a donc aimé les siens avant même l'établissement du monde (Ephés., I; 4), de même qu'il les a prédestinés. Mais quand ils se convertissent et le trouvent, alors on dit qu'ils commencent à être aimés de lui, mais c'est pour parler de manière à être compris des hommes. De même quand on le dit irrité contre les méchants et pacifique pour les bons, ce sont eux qui changent, non pas lui. C'est ainsi que la lumière est insupportable pour les yeux malades et douce pour les yeux bien portants; toutefois cela n'a pas lieu par suite de quelque changement en elle, mais bien d'un changement en eux.

 

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