Augustin 27

 

CHAPITRE IV


1. Décret du concile de Carthage de l'année 407 pour donner un évêque aux peuples convertis du donatisme. -2.Mandement du même concile aux délégués qu'il envoie à l'Empereur. - 3. Le schisme des rogatistes est limité à la ville de Cartanne et aux endroits voisins. - 4. Augustin réfute la lettre de Vincent, principal évêque des rogatistes. 


1. Le concile d'Afrique qui s'assembla, à Carthage en 407, nous a fourni quelques données relatives à l'histoire d'Augustin et des donatistes. Les synodes précédents avaient défendu d'établir de nouveaux évêchés sans le consentement des évêques dont on devait amoindrir le diocèse pour les former. Le concile de cette année reçoit et montre (2) le consentement du primat et du synode de la province. Toutefois, il excepta de cette loi les églises qui, ayant un évêque propre dans le donatisme, demanderaient qu'il leur fût conservé après leur conversion. Il régla que cela leur serait accordé sans difficulté et sans même attendre le consentement du synode. Mais, si cet évêque meurt, le concile croit que si son troupeau aime mieux être réuni au diocèse voisin que lui donner un successeur, (on) ne doit point rejeter sa demande. De plus, il décrète que les évêques qui auraient ramené leurs populations à l'Église avant la loi d'Honorius, de 405, les conserveraient sous leur direction épiscopale. Quant aux églises revenues à l'unité catholique après ladite loi, ainsi que celles qui sont demeurées dans l'hérésie, elles demeureront, avec tous les objets du culte, sous la direction de l'évêque catholique du diocèse où elles se trouvent. Il est donc évident que, en vertu du décret sur l'unité, les églises donatistes appartenaient de droit aux catholiques. A cette époque, la population de la nouvelle Germanie était en procès avec l'évêque Maurence. Le concile trouva bon de déléguer des évêques des deux partis pour se rendre à Thubursica, afin de porter un jugement avec connaissance de cause sur cette affaire. Mau- 


---------

(1) Retract., liv. II, eh. xxxv. (g) Cod. des Can. dAfr.~ eh. xaviii. 
=================================

 

p272 VIE DE SAINT AUGUSTIN


rence choisit aussitôt Xantippe, Augustin, Florence, Théase, Samsouci, Second et Possidius. Le concile approuva ce choix et chargea Xantippe de leur adjoindre des habitants du pays s'il en était besoin. Maurence montrait assez, par le choix qu'il faisait, qu'il avait pleine confiance en sa cause. Dans la conférence, on retrouve le nom d'un Maurence de Thubursica, qui, suivant Holstein, n'est autre que celui de la nouvelle Germanie. Il se peut donc en effet que la nouvelle Germanie ait été autrefois comprise dans son diocèse, quoique plus tard, elle en ait formé un à elle seule.

2. Le même concile envoya, en qualité de délégués près de l'empereur, Vincent et Fortunat, celui-ci, évêque de Sirca, celui-là, de Culusita. Ces délégués avaient reçu mandat de défendre, avec les autres délégués la cause de l'Église dans la conférence. Ils avaient pour mission de demander à l'empereur, au nom de toute la province, la permission d'instituer des avocats pour défendre l'Église, qui, dans tous les jugements concernant ses affaires, auraient toujours accès aux tribunaux des préfets, (le concile dit au cabinet des juges,) soit comme demandeurs soit comme défendeurs, droit qu'avaient autrefois les prêtres païens de la province. Du reste, on leur accorda tout pouvoir d'agir contre les donatistes et les païens et contre les superstitions de l'idolâtrie. On croit, généralement, que c'est aux instances de ce concile que furent portées les deux lois du 17 août, qui se confondirent en une seule. Elles furent l'une et l’autre publiées à Rome en 407 et adressées à Porphyre, proconsul d'Afrique. La première partie confirme certains priviléges accordés soit à l'Église, soit aux clercs, et leur permet de choisir des défenseurs des Églises et des priviléges ecclésiastiques, parmi les avocats, comme le concile l'avait demandé. La seconde (1) ratifie de nouveau les lois contre les donatistes et les manichéens, et ordonne qu'on les exécute. En outre, le 23 novembre de la même année 407, Honorius, écrivit à Curtius, préfet du prétoire, conformément à la mission que Vincent et Fortunat avaient recue du synode de Carthage. Elle concernait les païens, les hérétiques, et surtout les donatistes, les manichéens, les priscellianistes et les célicoles. Cette loi fut affichée le 5 juin 408 à Carthage, après une proclamation du proconsul Porphyre. Elle fut inscrite, en grande partie dans deux endroits du code théodosien; et, nulle part, on ne lui donne la date du 15 novembre 408. Ce qui est certain, c'est qu'au mois de novembre 408, Honorius n'était pas à Rome, d'où ladite loi est datée, mais à Ravenne. Et, elle n'a pas pu non plus être affichée à Carthage, en 409, sous le consulat de Porphyre, puisque vers la fin de l'année 408, Donat lui avait déjà succédé. À la fin même de cette année, Théodose était déjà préfet du prétoire, et Curtius l'était en 407 et au commencement de 408. 


3. C'est vers cette époque que le rogatiste Vincent, eut un échange de lettre avec Augustin, au sujet des catholiques; en tout cas, ce ne fut certainement pas beaucoup plus tard; car la réponse d'Augustin, bien qu'étendue et traitant uniquement du schisme de Donat, ne contient pas la moindre allusion à la conférence de Carthage. De plus, on n'y parle pas du droit accordé à chacun, vers la fin de l’année 409, de choisir sa religion, quoique toute cette lettre ne soit qu'une justification de la sévérité des lois précédentes. Ajoutez qu'on n'y trouve rien de la mort de Stilicon, ni des événements arrivés en 408. Ce Vincent était le successeur de Bogat, évêque donatiste, auteur du schisme qui porte son nom (2). C'était un petit schisme dans un grand. D'abord prêtre, il était devenu évêque de Carthanne, dans la Mauritanie césarienne (3). Dans la suite en Afrique, les donatistes s'étaient déjà tellement fractionnés, qu'ils n'auraient pas pu dire eux-mêmes le nombre de leurs sectes, si on le leur avait demandé. Quand Julien arriva au pouvoir, vers la fin de 361, les rogatistes ne s'étaient pas encore séparés des donatistes (4), de la part de qui ils eurent à souffrir de cruels traitements quand ils se séparèrent. Les donatistes, en effet, tirèrent parti non seulement des ordres donnés par les 
---------

(1) Cod. de Theod. sur les herdt., loi 41. (2) Contre Cre.9c., liv. iv, n. 73. (3) foid., n.20. (3) Ibid., xii. =================================

 

p273 VIE DE SAINT AUGUSTIN.

 

puissances séculières contre les hérétiques, mais encore de ceux du duc Firmus, en 372, pour abattre les rogatistes (1). Aussi, ceux-ci les appelaient-ils, pour ce motif, des Firmiens (2). Cependant, ils voulaient paraître plus humains et ennemis de la cruauté des autres donatistes, ce qu'Augustin pense qu'on doit attribuer moins à leur amour de la douceur chrétienne qu'à la conscience de leur faiblesse. «Vous prétendez, dit-il, que vous ne vouliez pas sévir, et moi, je pense que vous ne le pouviez pas; car vous êtes si peu nombreux que vous n'osez vous remuer contre la grande masse de vos adversaires quand même vous le voudriez (3). » Cependant, il leur oppose le précepte évangélique : Si quelqu'un veut vous enlever votre tunique et entrer avec vous en jugement, cédez-la-lui et votre manteau en plus(Matth., viii, 50), pour leur donner à entendre qu'il faut non seulement s'abstenir de toute injustice à l'égard des persécuteurs, mais même qu'on doit ne pas leur résister, et il conclut que Rogat, leur père, ne l'a pas compris ainsi, ou du moins ne l'a pas mis en pratique, car, il a réclamé avec un acharnement incroyable, jusque devant les tribunaux, quelques objets que ses partisans prétendaient être à eux. Vincent avait soin du petit troupeau laissé par Rogat à Cartanne et dans les endroits voisins avec neuf ou dix collègues et compagnons.

4. Ce Vincent avait connu Augustin à Carthage, du vivant de Rogat, pendant qu'il y faisait ses études (4). Il avait remarqué dès lors son amour pour la paix et l'honnêteté. Quand il sut qu'il avait embrassé la religion du Christ et qu'il s'adonnait à l'étude des saintes Écritures, il le crut encore plus avide et plus ami de la paix, que précédemment, et plus que jamais éloigné de tout procédé violent dans la pratique; aussi écrivit-il à Augustin au sujet de la sévérité, grâce aux lois obtenues par les prières des évêques catholiques contre les donatistes, en soutenant que l'on ne devait forcer personne à embrasser la justice et l'unité (5), qu'il n'était point permis de porter plainte à l'empereur contre les ennemis de notre communion, que nulle part, ni dans l'Évangile ni dans les Actes des apôtres, on ne lisait qu'on avait eu recours aux princes de la terre contre les adversaires de l'Église (6), et que jamais un Apôtre ne s'était jeté sur la propriété des hommes, sous prétexte de la foi. D'ailleurs, continuait-il, ces violences étaient inutiles pour un grand nombre de personnes (7), et il craignait plutôt que les Juifs et les païens n'en prissent sujet de blasphémer le nom de Dieu (8). Il niait qu'il eût été dit à l'Église de s'accroître et se répandre toujours et prétendait au contraire qu'elle pouvait se conserver dans une seule région de la terre, après avoir péri dans toutes les autres (9). Il appuyait cela du témoignage d'Hilaire qui écrivait que, dans dix provinces de l'Asie, la plupart des habitants ne connaissaient pas véritablement Dieu (10). Il soutenait que cette partie du monde dans laquelle la foi et la religion chrétienne sont florissantes, est bien petite, comparée avec le reste du monde (11), d'où il suit que le nom de catholique ne doit pas lui être donné, à cause de la communion de l'univers entier, mais à cause de l'observation de tous les préceptes divins et de la pratique de tous les sacrements. Pour ce motif, les rogatistes donnaient le titre de catholique à leur petit troupeau. Ils soutenaient que le baptême administré hors de l'Église était nul et s'appuyaient, pour le prouver, sur le martyr saint Cyprien et sur son prédécesseur Agrippin. On devait donc rebaptiser après les hérétiques (12). «Aussi, disait-il, l'Apôtre Paul a baptisé après Jean(13).» Il demandait pour quel motif si les partisans de Donat étaient méchants et hérétiques, ils étaient recherchés avec tant d'ardeur par les catholiques, et reçus par eux sans difficulté (14). Cette lettre fut remise à Augustin par un catholique honorablement connu de lui. Aussi, comme il n'y avait pas lieu de douter que la lettre ne fût de Vincent le roga-

----------

(1) Contre la leitre de Petil. liv. II, n. t84. (2) Leffl'e LXXXVII, n. 10. (3) Lettre xem, n. I 1. '(4) Ibid., n. 1-51 (5 Ibid., n. 5-14. (6) Ibid., n. 1. (7) Ibid., n. 3. (8) I15,V., n. 26. (9) 1Ud., n. 21. (10)[U1., n. A -32. n. 22. (12) Ibid., n. 35-36.(13) Ibid., n. 47. (14) Ibiit., n. 46.

=================================

 

p274 VIE DE SAINT AUGUSTIN.

 

tiste, il lui adressa sa réponse (1). Il la fit assez longue, non pas tant en vue des dispositions de Vincent, que de l'utilité de ceux qui la liraient avec la crainte de Dieu. Il espérait que, sinon Vincent, du moins d'autres personnes en tireraient quelque fruit.

 

CHAPITRE V

 

1. Mélanie l'aînée vient en Afrique. - 2. Augustin écrit à Paulin qui lui répond à son tour. - 3. Insolence et férocité des idolâtres de Calame. - 4. Nectaire prie Augustin pour les coupables de Calame, ses concitoyens. - 5. Possidius se rend à la cour à cause du crime de ces derniers. - 6. Augustin récrit à Paulin. - 7. Il écrit aussi à l'évêque Mémor à qui il envoie son sixième livre sur la musique.

 

   1. Mélanie aînée, dame très célèbre chez les écrivains ecclésiastiques, était restée à Rome quelques années, depuis son retour d'un très long séjour en Orient, quand elle vint en Afrique, où Augustin fut témoin de la résignation avec laquelle elle supporta la mort de Publicola, son dernier fils. Nous ne savons sur quelle raison on s'appuie pour dire que Publicola mourut à l'époque où Firmin, son gendre, ayant embrassé un autre genre de vie plus parfait, se retira de Rome avec Mélanie la jeune, son épouse, comme on le voit dans sa vie, dans ses terres, placées dans la banlieue de Rome, vers la vingt-quatrième année de son âge, la vingtième de celui de Mélanie. Car, en l'an de Notre-Seigneur, 399, qui coïncide avec ces événements, Mélanie l'aînée n'était pas encore de retour d'Orient. Il faut donc admettre qu'il s'est glissé une erreur à cet endroit de l'histoire de Mélanie la jeune, et on doit tenir pour certain que la mort de Publicola arriva à l'époque où Firmin, avec Mélanie, sa femme, et Albine, sa mère, avait pris, sur les conseils de sa belle-mère Mélanie, le parti de quitter leurs propriétés situées près de Rome, pour aller se fixer en Palestine, près du lieu saint. Cependant il ne nous paraît pas non plus invraisemblable que la mort de Publicola soit arrivée à l'époque où ces saints personnages passèrent en Afrique, c'est-à-dire vers la fin de l'année 410. Car, si Publicola avait encore été vivant alors, Albine, son épouse, l'aurait plutôt accompagnée que Mélanie la jeune, sa fille, ou Pinien, son gendre. De plus, les troubles de Calame sont antérieurs à la mort de Publicola; or, nous ne voyons pas que ces troubles aient eu une raison d'être après l'année 408, ce qui nous empêche de placer la mort de Publicola à la fin de l'année 410. Il y a encore une autre raison plus décisive, c'est que les troubles de Calame eurent lieu le ler et le 8 juin, pendant que Possidius était là. Ce n'est donc pas en 411, puisque Possidius se trouvait alors à la conférence de Carthage. On ne peut non plus placer ces troubles en 410, puisque à cette époque, il n'y avait aucune loi récente portée contre les païens ; or, Augustin dit que ce crime avait été commis contre des lois très récentes (2). Lui-même passa l'hiver à Carthage (3) après ces troubles, tandis qu'il était au contraire, pendant l'année 411, à Hippone (4). Nous dirons plus tard pourquoi nous plaçons cette sédition en 408, non en 409. Baronius dit qu'elle eut lieu en 399; mais, outre les arguments qui détruisent cette opinion, nous ne pouvons placer le voyage de Mélanie en Afrique, en 398. Mais la suite de cette histoire jettera un plus grand jour sur ces faits.

2. C est peut-être Mélanie elle-même qui, en venant en Afrique, remit à Augustin la première lettre de Paulin; où déjà il louait la vertu naissante de Publicola : cette lettre est antérieure à celle qu'il écrivit à Augustin en 408, qui commence ainsi : « Votre parole est toujours une lumière pour mes pas (5).» En effet, il n'est point du tout avéré que Publicola soit mort en Afrique ; il est seulement certain qu'il mourut pendant que sa mère s'y trouvait. Augustin fut témoin de ses pieuses larmes et de sa résignation. Il ne put s'empêcher d'écrire à ce sujet à Paulin, pour lui dire que Mélanie lui paraissait moins pleurer la mort d'un fils unique, qu'un reste d'attachement qu'il avait

-----------

(1) Ibid., n. 1. (2) Lettre xci, n. 8. (3) Letfrecxxi, Ch. 111. (4) Lettre cxxiv, n. 1-2. (5) Lettre xciv..

=================================

 

 p275 VIE DE SAINT AUGUSTIN.

 

pour les pompes et les vanités du siècle (1). Il demandait en mème temps à Paulin quel serait, dans le ciel, après la résurrection des corps, l’occupation des bienheureux (2). Il l'entretenait aussi de cet heureux repos nécessaire pour acquérir ou développer la sagesse chrétienne, repos dont il le croyait en possession; mais il apprit plus tard la multiplicité de ses occupations (3). Il confia sa lettre au diacre Quintus, au commencement de l'année 408 (4). Quintus se trouvait, à Rome depuis longtemps, quand Paulin s'y rendit, comme il faisait tous les ans, après les fêtes de Pâques, pour visiter les tombeaux des Apôtres et des martyrs. Or, en 408, Pâques tombait le 29 mars, Paulin reçut donc cette lettre à cette époque ; il ne la lut qu'à Formies, où il avait résolu de s'arrêter un jour entier, en retournant chez lui, parce que les tracas qu'on ne peut éviter à Rome ne lui auraient pas permis de la lire d'un seul trait, comme il le désirait. Cela nous montre que cette lettre, aujourd'hui perdue, était fort longue et justement appelée un petit livre par Paulin. Il n'en fait pas un éloge vulgaire dans sa réponse qu'il écrivit assez précipitamment le 15 mai; car Quintus ne l'avertit de son départ que la veille du jour où il partit, en effet (5). Aussi oublia-t-il de répondre à quelques chapitres de la lettre d'Augustin. Il parle avec une grande humilité et une grande piété de l'occupation des bienheureux, dans la vie future, après la résurrection et, à cette occasion, il donne les plus grands éloges au saint prélat qui lui avait demandé son avis sur ce sujet (6).

3. La loi publiée à Carthage, le 24 novembre 407, comme nous l'avons dit, ne fut promulguée que le 5 juin de l'année 408 (7). Cette promulgation aurait eu lieu auparavant dans la Numidie, si on préfère rapporter à cette année ce qui arriva à Calame aux calendes de juin, plutôt qu'à l'année suivante. Cette opinion résulte pour nous de cette observation, que cette affaire n'était point encore terminée à la fin de mars de l'année suivante (8). Si donc on place cette loi en 409, Possidius se trouvait encore à la cour au mois d'avril 410. Il aurait donc été à peine revenu en Afrique, ce qu'il est bien difficile de croire, lorsqu'il fut délégué vers l'empereur par le concile de Carthage, le 14 juin de cette même année 410. Voici ce qui arriva à Calame en 408 ou 409. Contrairement aux nouvelles lois, le ler juin, les païens, sans que personne s'y opposât, célébrèrent leurs solennités sauvages avec une si insolente audace, que rien de pareil ne s'était vu, même au temps de Julien. Ils firent passer la bruyante troupe de leurs danseurs dans le village et devant la porte même de l'église. Les clercs ayant essayé de s'opposer à une chose aussi indigne et d'ailleurs aussi positivement défendue, des pierres furent lancées de toutes parts contre l'église et dans l'église même. Environ huit jours après, l'évêque rappela aux magistrats de la cité les lois que chacun, du reste, connaissait; les ordres donnés allaient recevoir leur exécution, quand l'église reçut une nouvelle grêle de pierres. Le lendemain les nôtres, pour inspirer de la crainte aux méchants, sollicitèrent, mais en vain, l'insertion de leurs plaintes dans les actes publics. Le même jour, comme si Dieu lui-même avait voulu répandre une salutaire terreur, il tomba sur la ville une grêle qui parut une réponse aux pierres lancées contre le sanctuaire des chrétiens. A peine la grêle eut-elle cessé, qu'une bande ennemie lança, pour la troisième fois, des pierres sur l'église, se mit à brûler les maisons des ecclésiastiques avec les personnes qui se trouvaient dedans et tua un serviteur de Dieu, c'est-à-dire un moine, qui était tombé dans ses mains en cherchant à s'échapper. Les autres se cachèrent ou s'enfuirent comme ils purent. Cependant l'évêque était parvenu à se blottir et à se cacher dans un coin où il ne pouvait être vu, mais d'où il entendait la voix de ceux qui le cherchaient et les menaces qu'ils vomissaient contre lui, en se lamentant d'avoir manqué leur coup, dans tout ce qu'ils avaient fait, s'ils ne parvenaient à trouver l'évêque. Tout cela dura depuis dix heures du matin jus-

-----------------------

(1) Ibid., n. 2-3- (2? Ibid., n. 4. (3) Lettre xcv, n.

n. 6. (7) Cod. de Theod. eh. xii. (8) Lettre civ, n. 1,

9. (4) Lettre xciv, n. 8. (5) Ibid., n. 8. (6) Lettre xciv

=================================

 

p276 VIE DE SAINT AUGUSTIN.

 

qu'à la nuit close : aucun de ceux qui pouvaient intervenir avec autorité n'essaya de réprimer le désordre, ni de secourir l'évêque, excepté un étranger qui sauva de leurs mains plusieurs serviteurs de Dieu, c'est-à-dire plusieurs moines près de périr, ainsi qu'un grand nombre d'objets qu'ils avaient volés. L'intervention de ce seul homme fait voir clairement que ces désordres auraient pu être aisément prévenus et arrêtés si les citoyens et surtout les magistrats s'y étaient opposés (1). Dans un autre endroit, Augustin dit que tout ce qui avait été déposé dans le monastère établi sans doute par les soins de Possidius, pour la nourriture des religieux, avait été pillé par une misérable populace qui avait, en même temps, répandu leur sang en mettant un des leurs à mort (2). Augustin dit encore que la cause des troubles venait de ce que les païens, qui avaient fondu des statues en argent, voulaient les conserver, les adorer, et les honorer publiquement d'un culte sacrilège. Toute la ville était donc dans son tort, puisque les mêmes coupables étaient ceux qui, dans la crainte d'exciter contre eux les ennemis de l'église, dont ils connaissaient la puissance dans la ville, s'étaient contentés de recommander à Dieu par leurs prières l'évêque et les moines. D'où on peut conjecturer avec raison, que ces hommes lâches et craintifs, faisaient cependant partie des chrétiens. Augustin dit en effet qu'un grand nombre d'entre eux trempèrent dans cette faute publique, soit pour n'avoir point porté des secours à l'église en feu, soit pour avoir participé au butin sacrilège des païens. Dans la suite, ils effacèrent leur faute par la confession, la prière et le deuil de la pénitence (3). Baronius place cet événement en 399, après la promulgation des lois d'Honorius contre les idolâtres (4). Toutefois, les fêtes des païens n'étaient pas interdites en 399. Et même une loi du 25 août 399 ne faisait que les confirmer (5). Cette observation a porté quelques écrivains à en attribuer la proscription à la loi adressée à Curtius, comme étant la première à ce sujet (6).

4. Peu de temps après une action aussi impie, Augustin se rendit à Calame : « Pour consoler, dit-il, les nôtres dans l'amertume de leur douleur ou pour apaiser leurs ressentiments : nous avons traité les chrétiens du mieux que nons avons pu. Nous sommes allés voir ensuite les païens, cause de tout le mal, qui nous avaient demandé de venir eux-mêmes nous trouver et nous avons saisi cette occasion pour leur dire ce qu'ils avaient à faire, s'ils avaient quelques bons sentiments, dans leur intérêt présent et pour leur salut éternel ; car ils craignaient non sans motif, de subir un sévère châtiment. Ils ont écouté  tout ce que nous leur avons dit et nous ont aussi adressé beaucoup de prières; mais à Dieu ne plaise, que nous soyons des serviteurs capables d'aimer à nous (à) entendre prier par ceux qui ne prient pas Notre-Seigneur (7) ! Parmi les principaux citoyens de cette ville était Nectaire, dont nous avons fait mention plus haut. Il était païen, quoique son père soit devenu chrétien avant sa mort. En voyant ses concitoyens exposés à un si grand péril à cause de cette révolte à laquelle, il est probable qu'il n'était pas demeuré étranger, il écrivit à Augustin en lui donnant le titre de frère. Il reconnaît que Calame a mérité les peines les plus sévères, suivant les lois, mais il le prie de faire preuve de la charité et de la mansuétude qui conviennent à un évêque. Il s'offre à réparer tous les dégâts qui avaient été faits et le prie de ne point confondre les innocents avec les coupables, et de ne pas recourir aux supplices (8). Augustin profitant des bonnes dispositions qu'il montre en faveur de ses concitoyens, l'exhorte, dans sa réponse, à aimer la véritable patrie et à embrasser la religion chrétienne si sainte et si salutaire. Quant à la sédition de Calame, il répond que les évêques avaient résolu d'en poursuivre le châtiment afin d'empêcher les autres villes de suivre un exemple si odieux. Mais, toutefois, ils ne dépasseront pas les limites de la douceur chrétienne et épiscopale, qui veut non pas venger des injures, mais procurer l'amendement et le salut

----------

( ' 1) Lettre xei, n. 8. (2) Lo-11re eíY, n. 5, (3) Lettre civ, n. T. (4) BARO-S., ann, 379, n. 78. (5) Code Theod. des pazens lív. xvii. (6) Mid, liv. xix. (7) Epi. xei, n. 10. (8) Lettre xc.

=================================

 

p277 VIE DE SAINT AUGUSTIN

 

des coupables(1). On leur laissera la vie sauve et les ressources nécessaires pour subsister. Quand même ils ne se repentiraient point, on ne les privera que des choses dont ils abusaient pour mal faire. De plus, quant à la question, on ne les y soumettrait pas pour ce qu'on ne pourrait obtenir d'eux que par la violence des tourments, comme, par exemple, pour savoir quels étaient les premiers auteurs de la sédition. Mais comme l'affaire était entre les mains et à la décision de l'empereur et des juges civils, il dit que s'il plaît à Dieu, que le crime soit puni sévèrement ou que par un effet plus redoutable de sa colère, il demeure impuni, les évêques n'avaient qu'à s'en rapporter à la sentence du ciel. Toutefois ce serait toujours pour eux une consolation, de s'être proposé dans cette affaire l'issue la meilleure et la plus utile possible (2). Il écrivit cette lettre environ huit mois avant le 1er d'avril, c’est-à-dire, au commencement du mois d'août. Pendant tout ce temps-là, Augustin ne lui répondit pas. Tout cela cadre assez bien avec l'année 408, époque où nous verrons que le peuple prétendait et disait partout que les lois en vigueur du vivant de Stilicon, étaient abrogées par sa mort arrivée au mois d'août de cette année. Aussi, Nectaire persuadé sans doute, que, soit pour ce motif, soit à cause des troubles survenus à cette époque, l'affaire de Calame tomberait dans l'oubli, cessa de presser Augustin.

5. Possidius était encore en Afrique, quand Augustin écrivit à Nectaire. Ensuite, il traversa la mer pour se rendre à la cour impériale, afin de plaider sa cause, contre les idolâtres de Calame et certes, son affection pour eux était plus vraie et plus chrétienne que celle de ceux qui voulaient laisser leur crime impuni. Nous n'avons point vu à quelle époque il entreprit ce voyage. Mais comme au 27 mars, Augustin ne savait point encore s'il avait réussi, on peut croire raisonnablement qu'il n'était parti qu'à la fin de cette année, ou au commencement de l'autre. En effet, la lettre adressée à Paulin par Possidius lui-même peu de temps avant son départ fut écrite pendant l'hiver qu'Augustin passa à Carthage (3). Cette lettre est une réponse à celle que Paulin lui avait fait remettre le 15 mai par le diacre Quintus, ainsi que le montrent les paroles de Paulin citées dans cette lettre, où il parle avec douleur, de la nécessité qui appelait Possidius en Italie. Il se borne à dire à ce sujet : qu'il était d'autant plus obligé de guérir les langueurs des malades, que ceux-ci se trouvaient dans un plus grand péril. Il déclare toutefois que la joie que goûte Possidius par la présence de Paulin, est, pour lui, une source de consolations. Ce passage nous montre dans quel esprit ces saints évêques d'Afrique se rendaient fréquemment à la cour. Augustin assure aussi en cet endroit que le seul désir de voir Paulin aurait suffi pour le déterminer à se rendre près de lui, si les devoirs de sa charge ne l'eussent retenu. En parlant de ce qui avait nécessité le départ de Possidius, il dit : «Est-ce une épreuve? est-ce une punition ? je l'ignore, mais, ce que je n'ignore pas, c'est que le Seigneur ne nous traite point selon nos fautes ni selon nos iniquités, puisqu'il mêle à nos douleurs tant de consolations, et qu'en médecin admirable, il empêche que nous n'aimions le monde et que nous n'y fassions des chutes (4).

6. Augustin répond ensuite à la lettre de Paulin (5) et ce dernier ayant dit qu'il valait mieux savoir comment on doit vivre ici-bas que chercher quel sera notre état dans le ciel, Augustin prit occasion de cette parole pour lui poser la question bien importante, selon lui, de savoir comment il fallait se conduire parmi ceux et à cause de ceux qui ne sont pas encore délivrés et exempts de captivité. Ensuite, après lui avoir déclaré son inquiétude, son anxiété et ses craintes au sujet de plusieurs devoirs de la vie, il le prie d'en conférer avec quelque médecin du cœur pieux ou pacifique, qu'il pourra trouver, soit à Nole, où il passe sa vie, soit à Rome où il va chaque année, et de lui écrire ce que le Seigneur aura découvert à ce saint homme. Ensuite, il aborde la question de

------------

(1) Le/tre xei, n. 6.(2) Ibid., n. 9, (3) Lettre xcv, n. 1. (4) Lettre xcv, yì, 1. (5) Ibid., n. 2. et -`v-

=================================

 

278 VIE DE SAINT AUGUSTIN.

 

l'état des ressuscités principalement quant au corps, puis il touche la question de savoir si les anges ont un corps en rapport avec leur office. Paulin avait établi comme certain que c'étaient des créatures simplement spirituelles. Il demande donc que ce bienheureux lui donne satisfaction sur ce sujet et sur un autre sujet dont il lui avait déjà parlé dans une précédente lettre, le calme nécessaire au chrétien pour acquérir la sagesse, attendu que, pressé par le retour précipité de Quintus, il n'avait pas pu répondre à toutes ces questions. On croit que la lettre où il est question de la forme de la résurrection est celle qu’Augustin répondit à la deuxième consultation de Paulin, et dans laquelle il traitait de l'usage des membres, et que Paulin lui demande de lui envoyer de nouveau, bien qu'elle soit très courte, selon ce qu'il dit (1). Cependant, il est clair qu'il ne peut l'appeler courte que relativement à celles qui forment des livres. Il lui était aussi certainement permis de dire qu'elle était courte, à raison des dogmes de foi dont elle était remplie.

7. Parmi les évêques le plus en commerce de lettre avec Augustin était Mémor ou Memoire, père du Julien, qui plus tard tomba misérablement dans l'hérésie de Pélage (2). Mais la chute malheureuse du fils n'empêcha pas Augustin de considérer ses parents comme des catholiques toujours honorables et bienheureux d'être morts avant d'avoir vu leur fils hérétique (3). Mémor avait donc écrit à Augustin une lettre pleine de respect et de témoignage d'affection en lui demandant les livres qu'il avait composés sur la musique. Le saint docteur les avait repris pour les corriger et les lui envoyer. Mais, comme il était surchargé d'affaires, non seulement il ne put s'occuper de cette correction, mais il ne put qu'à grand'peine retrouver les cinq premiers livres, tellement ses occupations lui refusaient le temps de s'occuper de semblables distractions. Cependant, comme il ne voulait pas envoyer Possidius dans ce pays sans le faire entrer en connaissance avec Mémor, il le chargea, à son départ, de lui remettre le sixième livre. Il y joignit une lettre dans laquelle il développe quelques points des sciences qu'on appelle souvent bien à tort libérales, quand la vraie piété en est absente. Il prie aussi Mémor de lui envoyer, pour quelque temps, son fils Julien, qui alors était diacre. Mémor lui avait demandé dans quel rythme étaient les vers de David. Augustin avoue ingénument son ignorance sur ce point, attendu qu'il ne connaissait pas l'hébreu. Mais d'après le témoignage d'hommes versés dans cette langue, ils ont, dit-il, un rythme régulier et certain.

 

CHAPITRE IV

 

1. Olympe succède à Stilicon, dans son crédit. - Augustin lui écrit au sujet de l'affaire de Boniface évêque de Catique. - 3. Augustin répond aux questions de l'évêque Boniface. - 4. Après la mort de Stilicon, l'agitation des païens et d'es hérétiques trouble l'Eglise. - 5. L'Empereur accorde de nouvelles lois contre eux. - 6. Augustin prie Rogat de se souvenir de la douceur chrétienne et d'user de son pouvoir pour réprimer non pour tuer les donatistes. - 8. Il écrit à Italica au sujet de la vision de Dieu et du siège de Rome.

 

1. Honorius partit de Rome à la fin de mai, après son mariage avec Thermantia, seconde fille de Stilicon; car il avait épousé Marie, sa première fille, en 398. A peine fut-il arrivé à Pavie, qu'une sédition redoutable s'éleva dans l'armée et fit périr les principaux dignitaires de l'empire. Elle se termina à Ravenne le 23 août 408 par l'incarcération et la mort de Stilicon lui-même. Selon les historiens, ce fut Olympe qui fut cause de la mort de Stilicon, ce dont les uns le louent et les autres le blâment. Augustin dit que cet Olympe était chrétien; il parle de sa piété qui semble lui avoir paru véritable et solide (4). Il entretenait avec lui un commerce de lettres, peut-être l'avait-il connu par les évêques d'Afrique qui l'avaient vu à la cour, et avait éprouvé son empressement pour la réussite et l'accomplissement de leurs desseins. Zozime qui ne peut que lui être hostile, s'il le crut vraiment chrétien, recon-

-------------

(1) Le,'tre xcv, n. 7, Lettre CXLTX, n.      Coqt. juj.

xcví, n. I. et Leitre xcvì i, i. liv, i, n. 12. (3) Ouvrag. inachevé. ch. LXV. (4) Lettre

=================================

 

p279 VIE DE SAINT AUGUSTIN.

 

nait qu'il s’occupait constamment d'œuvres pieuses, tout en disant que ce n'était qu'un vernis pour cacher sa méchanceté et séduire l'empereur afin de l'amener à ses vues. Il ajoute qu’il regardait comme un devoir de religion, de visiter les soldats malades. Il dit encore qu'Honorius avait, pendant les discordes civiles, placé sa confiance dans les prières d'Olympe(I). Du vivant même de Stilicon, il avait été élevé aux plus grands honneurs, mais, après sa mort, la dignité de maître des offices, d'autres disent du Palais, la plus grande du palais, selon quelques-uns, lui fut décernée. Enfin, il fut fait premier ministre et arbitre de toutes les affaires de la cour. Augustin le crut digne de cet honneur, et comme il n'ignorait pas qu'Olympe avait appris du Seigneur à ne pas mettre sa joie dans les grandeurs humaines, mais à avoir d'humbles sentiments (2), il ne doutait pas qu'il n'usât sagement des prospérités temporelles en vue des biens éternels et qu'en obtenant plus de pouvoir dans un empire terrestre, il mettait plus de soin à acquérir des mérites pour l'éternité. C'est pourquoi Augustin lui recommanda l'affaire de Boniface aussitôt que la nouvelle de son élévation fut arrivée en Afrique, sans même qu'on fût bien assuré de la vérité du fait, c'est-à-dire comme il parait, au commencement de septembre ou à peu près.

2. Ce Boniface, évêque de Cataque, ville probablement située dans la Numidie, avait succédé à Paul, dont Augustin avait blâmé la conduite, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Paul avait non seulement acheté sous un nom étranger, quelques terres avec l'argent qu'il devait au fisc, mais encore, jouissant des revenus de ces champs au nom de l'Église, il n'avait payé aucun des tributs dont il était redevable à l'État pour ces champs. Il semble que son successeur Boniface fut mis en demeure d'acquitter ces dettes. Il aurait certainement pu demander à l'empereur la remise de cette dette, et retenir ensuite les biens que son prédécesseur avait acquis, et dont il avait joui au nom de l'Église, et les conserver sans aucune difficulté; cependant il ne voulut pas cacher au fisc la fraude commise, ni s'exposer à avoir la conscience tourmentée par ce scrupule, en conservant des biens acquis par une ruse blâmable. C'est pourquoi il déclara la manière dont la chose s'était faite et demanda à l'empereur le droit de posséder ces terres, persuadé qu'il valait mieux en être redevable à la libéralité du prince, qu'à la malice cachée de son prédécesseur. Dans le cas même où il essuierait un refus il valait mieux, pensait-il, que les serviteurs de Dieu supportassent la pauvreté, que d'obtenir ce qui leur était nécessaire en sachant que c'était le fruit de la fraude. Déjà il avait obtenu de l'empereur quelques codicilles à ce sujet, grâce, paraît-il, à Augustin qui l'avait recommandé à Olympe; toutefois les choses ne s'étaient point passées entièrement comme il l'aurait voulu. Aussi comme ces codicilles ne suffisaient point, Boniface ne voulut pas s’en servir pour en obtenir d'autres. Alors, Augustin écrivit pour lui à Olympe, en le priant de protéger cet évêque et de lui faire obtenir ce qu'il désirait, ou bien de demander lui-même ces terres pour en faire présent à l'Eglise de Cataque. Dans la conférence de Cataque, il est fait mention de ce Boniface (3). D'après la délicatesse de conscience qu'il montra dans toute cette affaire, nous augurons avec raison que ce Boniface, ennemi si déclaré du mensonge, est le même que celui aux questions de qui répond Augustin (4). Celui-ci, à différents endroits, parle de son vertueux frère Boniface, et dit quelque part, qu’il a demeuré chez lui vers l'an 414 (5).

3. Quant aux questions de Boniface, elles étaient au nombre de deux. Il demandait premièrement, si les parents nuisaient à leurs enfants en bas âge, quand, pour les guérir, ils ont recours à des remèdes superstitieux ou à des sacrifices offerts aux faux dieux : il disait en même temps qu'il ne comprenait pas comment la foi des parents servait aux enfants qu'ils présentaient au baptême, si leur infidélité ne leur faisait aucun tort (6). Augustin répond

----------------

(1) Zoz., hist. liv. v. (2_) Epi. xrvi, n. 1. (3) Confer. CXLIX, 2. (6) LetIre Xcv111, n. I.

 Carth. 1, eh. CXLII. (4) Lettre xcviii, n. 1. (5) Lettre

=================================

 

p280 VIE DE SAINT AUGUSTIN.

 

que la vie spirituelle ne peut être enlevée aux enfants par leurs parents, et il donne quelques autres raisons plus subtiles tirées de Cyprien. De plus, il fait observer que les petits enfants sont, à la vérité, présentés au baptême par les mains de ceux qui les portent, s'ils ont la foi,  mais bien plus spécialement par la société tout entière des fidèles et des saints. Comme Boniface semblait croire que les petits enfants n'étaient pas purifiés de la tache originelle, s'ils n'étaient portés aux eaux salutaires du baptême par leurs parents, Augustin lui démontre, par l'usage constant de l'Eglise, que les enfants peuvent être présentés au baptême par n'importe qui. La seconde question de Boniface était celle-ci : Pourquoi les parents, en présentant les enfants aux fonts baptismaux, peuvent-ils répondre que ces enfants croient, et ainsi de suite pour toutes les autres questions accoutumées (1). Cette question lui semblait difficile, car il ne pouvait souffrir le mensonge. À la fin de sa lettre, il prie Augustin de répondre à ses doutes par des arguments non-seulement fondés sur la coutume, mais encore tirés de la raison elle-même. Pour le satisfaire pleinement, Augustin lui expose, autant qu'il était nécessaire, la raison de l'usage de l'Église.

4. Les troubles qui eurent lieu à la cour à la suite de la mort de Stilicon, en firent naître d'autres immédiatement en d'autres endroits de l'Église d'Afrique. En effet, les païens et les donatistes prétendaient hautement que les lois portées du vivant de Stilicon avaient disparu avec lui, surtout celles qui avaient été promulguées par la seule autorité de ce ministre, à l'insu de l'empereur, ou même malgré lui : et que désormais les décrets qu'il avait rendus pour réprimer les hérétiques, ou pour détruire les idoles, n'avaient plus aucune valeur. Les donatistes allèrent jusqu’à publier une tolérance mensongère accordée par Honorius, disaient-ils, en leur faveur. De faux bruits de ce genre, répandus et semés par les ennemis de l'Église, circulèrent tout à coup dans toute l'Afrique et engendrèrent de grands troubles qui échauffèrent tellement les esprits contre les évêques, que leur vie n'était même plus en sûreté. C'est alors, à peu près au mois de septembre, que les hérétiques ou les païens firent périr Sévère et Macaire. Les évêques Evode, Théase et Victor furent aussi battus de verges et meurtris. Dans l'appendice du code de Théodose, le statut XIV tout entier concerne des faits accomplis en Afrique à cette époque. On peut y voir clairement des évêques, arrachés de force de leurs maisons, ou même des temples, et livrés ensuite à différents supplices. D'autres furent traités avec moins de cruauté, il est vrai, mais avec plus d'opprobre; on leur arracha une partie des cheveux; des injures multipliées jetaient l'insulte et le déshonneur sur la foi chrétienne, et, quoique ces crimes, accomplis au milieu des villes, n'aient pu échapper à la connaissance des magistrats, cependant ceux-ci ne les réprimèrent par aucune peine et n'en donnèrent pas même connaissance à l'empereur.


© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon