Le Pape à Gaete 1

Darras tome 41 p. 183


VI. — LE PAPE SE RETIRE A GAETE.

 

59. Dans la nuit qui suivit l'assassinat de Rossi, les promoteurs du crime se réunirent pour arrêter les conditions qu'ils voulaient imposer au Pape, savoir : Promulgation du principe de la natio­nalité italienne, convocation d'une assemblée constituante, guerre à l'Autriche, acceptation du programme Mamiani, et, pour assurer l'exécution de ce programme, établissement d'un minis­tère démocratique.

 

Dès le lendemain, une assemblée populaire se réunissait à la porte dn peuple. La foule grossit jusqu'à midi ; des orateurs publics rélevaient au degré voulu de fermentation. A midi, comme une mer en furie, la multitude s'engagea dans le Corso et se dirigea vers le Quirinal. La musique des carabiniers et de la garde civique ouvrait la marche ; derrière elle venait cette foule ignoble qu'on retrouve dans tous les pays aux jours de l'insurrec­tion. Les chefs du complot cherchaient, mais inutilement à y met­tre un peu de décence. Dans ces mouvements révolutionnaires, c'est la queue qui mène la tête et alors se réalise ce mot d'un chef d'insurrection : «Puisque j'étais leur chef, il fallait bien les suivre. »

 

A son arrivée, une députation, conduite par Galetti, pénétra dans le palais du Pape. Depuis la catastrophe de la veille, le Pape était sans défense et sans conseil ; le ministère décapité était censé n'exister plus, et si la garde suisse veillait, avec son incor-

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ruptible fidélité, sur la personne de Pie IX, on n avait autre­ment pris aucune mesure de sûreté. Quelques amis et quel­ques représentants des puissances étrangères étaient seuls grou­pés autour du Pontife. Nous laissons la parole à un témoin oculaire.

 

« La députation des conjurés fut reçue par le cardinal Soglia qui répondit que le Saint-Père examinerait les réclamations qui lui étaient soumises et qu'il chargerait Galetti de composer un nouveau ministère, sauf à soumettre, à l'approbation du Pape, les noms des personnes de son choix. La foule attendait anxieuse. Lorsque Galetti, à la tête de la députation sortit du palais, elle se pressa autour de lui, tous voulaient recueillir de sa bouche la réponse qu'avait faite Pie IX. Il se fraya à grand'peine un passage, monta sur une plate-forme en face du palais et raconta ce qui s'était passé. Ses dernières paroles furent couvertes par un murmure indescriptible : « Non, non, s'écriait la multitude ; nous n'acceptons aucun délai ; à l'instant même il faut composer un ministre démocratique. » Et elle renvoya Galetti au palais pour y annoncer cette ferme et inébranlable volonté du peuple.

 

« Ce fut Pie IX lui-même qui reçut cette fois l'envoyé. Il lui exprima toute son indignation de la violence qui lui était faite, puis il ajouta : « J'ai le droit et le devoir de choisir mes con­seillers avec calme et après mûre réflexion. Et, ce devoir, je saurai le remplir; je ne céderai ni à la violence, ni aux exigences des émeutiers. » Galetti transmit au peuple cette nouvelle réponse, si sage et si pleine de dignité. II y eut alors, dans cette foule, une immense explosion de colère, et déposant toute retenue et toute pudeur, la populace exhala sa rage insensée par des ges­tes et par des menaces. Les soldats de toutes armes et les hommes de la garde civique tirèrent leurs sabres et les agitèrent en l'air avec des attitudes menaçantes et tous de s'écrier : « Nous voulons le ministère démocratique ou bien la République ! Si le Pape refuse, nous agirons ! Yive la constituante ! Vive le gouvernement provisoire ! »

« Et le tumulte augmentait toujours, et des scélérats excitaient

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toujours davantage cette foule en fureur. Partout brillaient des armes, le nombre des combattants augmentait à vue d'oeil. Des carabiniers, des étudiants, des gardes civiques venaient a chaque instant grossir la foule.

 

         La place et tout le versant de la colline étaient couverts par des masses d'insurgés. Tous y prirent leur poste et se divi­sèrent en pelotons, chargèrent leurs armes et n'attendirent qu’un signe pour faire acte de violence.

 

« Le prétexte se produisit bientôt de lui-même. Un jeune homme du corps de la Spéranza, arracha la hallebarde des mains d'un factionnaire suisse, il la tendit au peuple qui la brisa avec colère. Les Suisses, voyant cette brutale agression, saisirent leurs lances. Alors il se passa une scène indescriptible. Les cris « Aux armes I et mort aux Suisses ! » retentirent de toutes parts. Ceux-ci se retranchèrent dans l'intérieur du palais et en fermèrent les portes. Une grêle de pierres fut lancée contre les fenêtres et la fusillade commença.

 

         Le Saint Père était assailli dans son palais ! Popule meus quid féci tibi ?

 

 En un clin d'oeil les insurgés occupèrent toutes les positions élevées qui entouraient le palais ; ils entassèrent des poutres, des tables, des bancs, des chaises, des voitures, des charrettes et tout ce qui leur tomba sous la main et en formèrent des barricades pour fermer les débouchés de la place. Puis ils mirent le feu à l'une des portes du palais qui donne sur la via Pia. Les Suisses se précipitèrent vers cette partie de l'édifice pour éteindre l'incendie et refouler les insurgés. Une vive fusillade s'engagea de part et d'autre. Plusieurs rebelles furent tués. Le côté de l'ordre eut aussi ses victimes. Une balle pénétra par une fenêtre de la façade jusqu'à l'antichambre du Souverain Pontife et étendit mort son secrétaire intime, le prélat Giambattista Palma.

 

« Que devenait Pie IX au milieu de ce tumulte ? il priait, age­nouillé dans sa chapelle. Lorsque le combat s'engagea, il dit aux représentants des puissances étrangères : « Vous le voyez, le monde m'abandonne. Si vous et cette poignée de braves qui me défendent

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n'étiez pas là, je me trouverais tout seul ». Et les ambassadeurs déclarèrent au Pape avec un noble empressement qu'ils étaient venus pour le protéger et au besoin pour le couvrir de leurs corps. Pie IX les remercia du fond du cœur pour cette bonne parole, et ajouta : «Permettez-moi de me retirer un instant dans mon ora­toire. Au milieu de toutes mes amertumes je ne dois pas oublier que je suis le médiateur du monde et que le monde à droit à nos prières». Il parlait encore, lorsque retentirent les premiers coups de feu qui firent voler les carreaux en éclats. Et Pie IX se retourna avec tristesse : • N'avais-je pas bien des raisons, dit-il, d'aller prier? Ah ! les pauvres égarés ! Pour eux mon intercession la plus fer­vente ». Et le Pape se jeta à genoux et comme son divin modèle, il pria : « Mon père, pardonnez-leur : ils ne savent ce qu'ils font ! » Il priait pour ses persécuteurs. Sa prière dura près d'une demi-heure et plusieurs fois il saisit le crucifix, le couvrit de lar­mes et de baisers et le pressa sur son cœur. « Mon père, mur- mura-t-il, s'il est possible, faites donc que ce calice s'éloigne de moi ». Et la consolation et l'espérance descendirent dans l’âme du pieux vicaire de Jésus-Christ ; elles avaient inondé au jardin des olives le cœur du Maître; elles furent en ce jour le partage du dis­ciple. Lorsque Pie IX sortit de son oratoire, le calme rayonnait sur son beau visage et un éclair de confiance brillait dans ses yeux bleus ».

 

   53. Cependant un comité de salut public, institué sous la prési­dence de Sterbini, notifiait à la population, son avènement au pouvoir. Des soldats et des fonctionnaires prêtaient serment à ce pouvoir usurpateur. D'autre part, le combat se continuait, au Quirinal, entre l'émeute et les Suisses, et comme la populace ne pouvait réduire cette poignée de braves, on fit braquer un canon sur la demeure du Pape. En outre, on saccageait le palais de la Consulte. L'obscurité de la nuit rétablit seule un peu de calme.

 

Les énreutiers profitèrent de cette circonstance pour obtenir une nouvelle audience de Pie IX. On Iui fit savoir que, s'il ne cédait immédiatement, on assassinerait tous les hôtes du Qui­rinal. Pour empêcher cet exécrable attentat, Pie IX se rendit;

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nais, en même temps, il appela les représentants des puissances étrangères et leur parla en ces termes : « Pour empêcher l'effusion du sang, j'ai accepté les conditions qui me sont arrachées par la violence. Je suis prisonnier dans ma propre demeure. A cette heure où je suis privé de tout appui et de toute puissance, je ne puis avoir qu'un seul but : c'est d'empêcher le sang de couler. C'est là le seul motif pour lequel je cède. Mais en même temps, Messieurs, il faut que vous sachiez et que l'Europe entière le sache avec vous : je n'ai aucune part, même de nom, au gou­vernement qui est établi à Rome ; je le désavoue, je veux lui res­ter complètement étranger. Je me suis mis en mesure pour empê­cher l'abus qu'on pourrait faire de mon nom et j'ai ordonné qu'il fut supprimé dans les formules ordinaires des actes adminis­tratifs ».

 

Les représentants des puissances, qui reçurent, de Pie IX, ces déclarations étaient: pour ta France, le duc d'Harcourt ; pour l'Espagne, Martinez de la Rosa; pour la Bavière, le comte de Spaur ; pour le Portugal, de Venda-Crux ; pour la Russie, Boutenieff; pour le Brésil, Figneredo ; et pour la Hollande, Liederkerke. Le représentant du Piémont et lord Minto, envoyé de lord Palmerston, y furent remarqués aussi, mais par leur absence: on ne les voyait que dans les clubs. En compensation, un petit nombre d'étrangers avaient accompagné leur ambassadeur respectif ; on nomme parmi eux deux Français, le comte de Malherbe et le P. Vaures. — Nous devons ajouter, pour l'honneur de ces repré­sentants des puissances, qu'ils ne se contentèrent pas d'assister le Pape en détresse ; ils firent tête à l'émeute. Le duc d'Harcourt ne dissimula pas son mépris à ces soldats qui essayaient de presser sur le Pape, quand ils auraient dû, par les armes, conjurer les malheurs de Rome. Martinez de la Rosa, avec sa fierté castil­lane, laissa tomber sur ces lâches soldats celle écrasante menace : « A votre aise, messieurs ; laissez consommer un sacrilège déjà accompli en pensée par une canaille sans foi ni loi ; mais aupa­ravant, allez lui dire, à cette canaille, dont vous êtes les messa­gers, quel'Europe ne laissera pas ce forfait impuni, et que, pour

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ne parler que de l'Espagne, que je représente ici, la vengeance de l'Espagne sera terrible ». — Nous retrouverons au poste de l'hon­neur, dans l'évasion du Pape, ces nobles représentants des puis­sances catholiques.

 

   54. Le nouveau ministère, composé par Galetti, comptait, outre le président du conseil, Mamiani, Muzzarelli, Sterbini, Campello, Lunati et Sereni. Le 17 novembre, la chambre des députés pro­posa d'envoyer au Pape une adresse de remerciements ; le prince de Canino fit rejeter cette motion. Mécontent de n'avoir pas été mis au nombre des ministres, Canino se vengeait en se montrant plus méchant, afin de se rendre utile un peu plus tard. Ce fut lui qui, aidé de Sterbini, alla signifier aux suisses l'ordre d'évacuer le Quirinal et les remplaça par des détachements de la garde nationale, décorés, pour la circonstance, de titre faux de garde d'honneur. Ce qu'on voulait assurer au Pape, ce n'était pas l'honneur, mais l'asservissement. La garde civique pénétra jusque dans l'anticham­bre de Pie IX ; personne ne put désormais, sans le permis des espions de l'émeute, visiter l'auguste captif au sortir de ses appar­tements. Seuls les représentants des puissances étrangères péné­traient librement auprès du pontife, encore durent-ils plus d'une fois montrer les dents, à ces gardes nationaux mal élevés. Tous les conseillers ordinaires du Pape, non seulement n'étaient pas admis, mais avaient reçus avis de mettre leur vie en sûreté. Pie IX était dépossédé de sa puissance politique et mis dans l'im­possibilité de vaquer aux devoirs de chef de l'Église.

 

En présence de cette captivité, les représentants des puissances ouvrirent, au pontife, le conseil de s'évader. Le Pape s'effraya d'abord de cette ouverture, à cause des conséquences fâcheuses qu'auraient, pour ses amis et pour la ville, son évasion. Ensuite comment s'évader, puisqu'il était gardé à vue; s'il venait à échouer, sa prison deviendrait plus dure; et, en cas de réussite, où se réfugier, puisque l'Europe était en feu. L'idée de chercher un abri à Malte, un domicile à Jérusalem ou un établissement en Amérique n'avait pas encore eu le temps de germer dans les cer­veaux inventifs de notre temps. Il n'y avait de réellement prati-

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que qu'une fuite dans un état voisin, à Naples on en France. Mais la France était en pleine révolution et Naples n'offrait guère plus de garanties que Rome. Toutefois l'avis qu'on ne pouvait rester plus longtemps à Rome était d'une indiscutable justesse. La question brûlante était : Où et comment s'échapper? Et Pie IX était trop pieux, il avait trop prévu l’aboutissement possible de ses plus sages réformes, pour ne pas s'être remis, comme un enfant, entre les mains de Dieu.

 

   55. Pie IX hésitait, lorsqu'un incident où il crut voir un avertissement du ciel, vint le fixer au milieu de ses irrésolutions. Dans la soirée du 22  novembre, il reçut, d’une main inconnue, une lettre et un petit paquet envoyés par Pierre Chatrousse évêque de Valence. La lettre portait :

 

  « Très-Saint Père. Pendant les pérégrinations de son exil en France, et surtout à Valence où il est mort, et où reposent son cœur et ses entrailles, le grand Pie VI portait la très sainte Eucharistie suspendue sur sa poitrine ou sur celle des prélats domestiques qui étaient dans sa voiture. Il puisait dans cet auguste sacrement uue lumière pour sa conduite, une force pour ses souffrances, une consolation pour ses douleurs, en attendant qu'il y trouvât le viatique pour son éternité. « Je suis possesseur d'une manière certaine et authentique de la petite pixide qui servait à un si religieux, si touchant, si mémo­rable usage ; j'ose en faire hommage à Votre Sainteté. Héritier du nom, du siège, des vertus, du courage et presque des tribulations du grand Pie VI, vous attacherez, peut-être, quelque prix à cette modeste et intéressante relique qui, je l'espère, ne recevra pas la même destination. Cependant, qui connaît les desseins de Dieu, dans les épreuves que sa Providence ménagea, Votre Sainteté?   Je prie pour Elle avec amour et foi.

 

« Je laisse la pixide dans le petit sac de soie qui la contenait, et qui servait à Pie VI ; il est absolument dans le même état que lorsqu'il était suspendu à la poitrine de l'immortel pontife.

 

« Je garde un précieux souvenir et une profonde reconnais­sance des bontés de Votre Sainteté à l'époque de mon voyage à

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Rome l'année dernière. Daignez encore y ajouter votre bénédiction apostolique ; je l'attends prosterné à vos pieds. »

 

Pie IX considéra longtemps la pieuse relique, puis, la baisant avec larmes; il la suspendit pieusement à son cou, et, nouveau pèlerin apostolique, s'abandonna comme Pie VI, à la volonté de la Providence.

 

Restait une difficulté : Comment tromper la surveillance de la garde civique? Les ambassadeurs concertèrent entre eux avec Pie IX les moyens d'évasion ; les ministres plénipotentiaires de France et de Bavière prêtèrent, à l'exécution, le meilleur con­cours ; la femme de ce dernier, comtesse de Spaur, née Giraud, d'origine française, entra pour une grande part dans l'entreprise, dont elle s'est fait depuis le sympathique historien. Nous suivons, ici, très exactement et quelquefois nous reproduisons mot pour mot, le récit de ce témoin oculaire, que sa délicatesse et sa piété mettent au-dessus de tout soupçon.


56. Le jour avait été pris pour le 24 novembre. Vers  cinq heures du soir, le duc d'Harcourt se présenta au Quirinal, en voi­ture de gala, précédée de piqueurs. Pour affaires urgentes, de la plus haute importance, il demanda à être admis immédiatement à l'audience du Saint-Père. On avait bien quelque envie de le con­trarier, mais le duc parla haut et l'ambassadeur de la république fut introduit dans le cabinet de travail du Souverain Pontife, où on le laissa seul avec Pie IX. En apparence, la conférence dura deux heures ; le duc d'Haccourt lut à haute voie des dépêches et les discuta en haussanl le ton, comme quelqu'un qui s'échauffe. Le bruit de la discussion parvenait jusqu'à l'antichambre et ras­surait les geôliers du pape. A la fin, le duc d'Harcourt baissa gra­duellement la voix, sortit doucement de la chambre, passa devant les gardiens et les sentinelles et leur signifia, d'une voix impérieure, que le pape ayant besoin de repos, se mettait au lit, qu'il fallait se garder surtout de le déranger. Les geôliers s'inclinèrent devant la parole de la France.  Le duc retourna en voiture de gala jusqu'à l'ambassade où l'attendait la chaise de poste qui devait l'aider à rejoindre le fugitif.

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La réalité ne répondait pas aux apparences. A peine le duc avait-il été introduit dans l'appartement du Pape, que Pie IX avait quitté la soutane et la calotte blanches, ainsi que les souliers de maroquin ronge avec la croix dorée sur l'empeigne ; puis s'était vêtu éen simple prêtre, soutane noire, manteau enveloppant et grandes lunettes. Pie IX n'avait point oublié la custode de Pie VI renfermant le Saint-Sacrement : c'était sa plus précieuse sauve­garde. De son côté, le valet de chambre, Filippani prenait sous son manteau un petit paquet contenant les choses indispensables, le bréviaire, les sceaux, quelques papiers, un peu de linge et une boite contenant des médailles d'or. Après une courte, mais forti­fiante prière, où le pontife versa quelques larmes, Pie IX et son fourrier descendirent par le corridor des Suisses. Mais Dieu sait depuis combien d'années et de lustres, la porte de corridor, tou­jours fermée, n'avait point servi ; elle refusa de s'ouvrir, et de guerre las, le Pape était rentré dans ses appartements, quand enfin la porte s'ouvrit. Une vieille voiture attendait, qu'on avait fait circuler les jours précédents pour dérouter les soupçons. « Bon­soir, camarades » cria Filippani aux officiers de la garde civique qui, tenaient la porte. — «Bonsoir, Filippani », répondirent-ils sans accorder aucune attention au compagnon en manteau noir. Un serviteur dévoué qui se tenait à la portière, oublia qu'il ne devait pas reconnaître le Pape et fit la génuflexion. A un signe de Pie XI il se releva aussitôt. La garde n'avait rien remarqué. Comme il fallait éviter les espions, Filippani fit prendre, au cocher, les voies détournées; la voiture parvint au Forum de Trajan, prit par la via Alexandrina, passa devant le Colysée et atteignit l'église des saints Pierre et Marcellin : Singulière coïnci­dence : cette église, ancien titre du Cardinal Mastaï, offrait un rendez-vous à Pie IX pour prendre la route de l'exiL

 

Devant l'église attendait l'équipage de l'ambassadeur de Bavière, le comte de Spaur. Le comte, afin de sortir sans difficulté, avait prétexté un voyage nécessaire à la Cour de Naples. Il y avait longtemps qu'il attendait dans la plus poignante anxiété. Dès que le Pape fut arrivé, il le fit monter dans sa voiture et les chevaux

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partirent par la porte San Giovani. « Qui vive, cria la senti­nelle. — L'ambassadeur de Bavière et le docteur Alertz. — Où allez-vous ? — A Albano. — Passez ». Pie IX était hors de Rome ; il jeta un dernier regard sur sa chère cité, poussa un profond sou­pir et ne prononça plus une parole jusqu'à Albano.

 

En quittant son palais, Pie IX n'avait pas oublié qu'il était sou­verain ; il devait, bientôt, pour faire connaître son départ au fourrier de palais apostoliques, écrire ce billet : « Marquis Sacchetti. Nous confions à votre prudence et loyauté bien connue, le soin de prévenir de notre départ le préfet Galetti, en l'invitant, Lui et tous les autres ministres, à préserver non-seulement les palais, mais bien plus encore les personnes qui nous sont atta­chées et vous-même, qui ignoriez absolument notre révolution. Que si nous avons tant à cœur de recommander et vous et les per­sonnes de notre maison, qui toutes, nous le répétons, ignoraient notre pensée; il nous est bien plus à cœur de recommander à ces messieurs le repos et l'ordre de la ville entière ».

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon