Les Églises de Gaules 6

Darras tome 14 p. 115

 

25. Les troubles politiques dont Quintianus venait d'être victime chez les Ruthènes coïncidaient avec des mouvements d'hostilité non équivoque entre le roi des Goths Alaric II et Clovis. Grégoire de Tours est fort laconique sur les motifs qui précipitèrent la lutte et amenèrent une prise d'armes. Voici son bref récit : «Alaric, roi des Goths, voyant l'humeur belliqueuse qui portait Clovis à attaquer tour à tour les rois ses voisins, lui envoya des ambassa­deurs chargés de ce message : Si mon frère le roi des Francs n'y trouve pas d'obstacle, j'ai le désir d'avoir avec lui une entrevue dans laquelle, avec l'aide de Dieu, nous pourrons sceller un pacte d'alliance. — Clovis 2 agréa la proposition. Les deux rois se ren­contrèrent dans une île de la Loire près du vicus Ambaciensis (Amboise), au territoire de la cité de Tours 3. Ils conférèrent amicalement, s'assirent à la même table, burent à une coupe commune, puis se séparèrent après avoir échangé des serments d'amitié réciproque 4. » Immédiatement après avoir raconté ce colloque pacifique, notre historien national fait la remarque que le parti dominant chez les gallo-romains était favorable à la do­mination franque , et cite en preuve la révolte des Rhutènes contre leur évêque Quintianus; puis il passe sans transition au récit des hostilités entre le roi des Goths et celui des Francs. « Clovis, dit-il, rassembla les siens et leur dit : Il me déplaît de voir les ariens posséder une notable partie des Gaules. En avant donc,

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1 Gregor. Turon., Hist. Franc, lib. II, cap. xxxvi, loc. cit.

2. Nous faisons observer ici une fois pour toutes que Grégoire de Tours dé­signe constamment Clovis par Chlodovechus, équivalent latin du Hlodwig germanique. En réalité, il n'y a aucune différence entre le vocable de Clovis et celui de Louis.

3 Amboise, célèbre par son château royal, est situé au confluent de la Loire (Liyeris) et de l'Amasse (Amatissa). — 4. Gregor. Turon.., Hist. Franc, lib. 11, cap. xxxv; Pair, lat., tom. cit., col. 252.

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avec l'aide de Dieu ! Soumettons tout le pays à notre empire 1 ! » Bien que cette brusque détermination paraisse au premier coup d'œil assez conforme à l'impétuosité naturelle des Francs et de leur chef, on ne saurait admettre que les faits se soient passés de la sorte. Alaric II n'était pas seulement le roi des Visigoths de Toulouse, un chef barbare plus ou moins puissant, avec lequel Clovis fut libre d'entamer une querelle. Son alliance avec Théodoric, roi d'Italie, dont il avait épousé la fille, lui assurait un appui qu'il était impossible de dédaigner. Aussi la rupture sommaire­ment racontée par Grégoire de Tours fut-elle en réalité précédée de longues et intéressantes négociations. Un fragment de la chro­nique d'Idace nous en fournit une première preuve. « Après des menaces et même des luttes partielles, dit le chroniqueur, le roi des Francs Clovis et Alaric roi des Goths, dont la capitale était Toulouse, convinrent réciproquement par leurs ambassadeurs qu'ils feraient un traité de paix, à la condition que Clovis viendrait en personne toucher la barbe d'Alaric, et le reconnaître ainsi pour son patrinus (parrain) 2. L'entrevue, dont on fixa de part et d'autre le jour et le lieu 3, fut réglée de telle sorte que ni les Goths ni les Francs de la suite des deux rois ne devaient y paraître en armes. Le matin du jour indiqué, Clovis qui se défiait des artifices d'A­laric lui envoya un de ses officiers, nommé Paternus, avec ordre de lui rappeler la clause et de veiller à son exécution. Paternus se présenta devant le roi des Goths, lui transmit les salutations de son maître, et comme il allait parler de sa mission, il s'aperçut que les Goths avaient tous à la main des bâtons creux dans lesquels ils avaient caché le fer de leurs lances. Paternus prit un de ces

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1    Gregor. Turon., Hist. Franc, lib. II, cap. xxxvn, tom. cit.

2    Voici la note que D. Ruinart ajoute à ce passage : Non tactu solummodo, scd et barbœ aut capillorum incision? affiinitas spiritualis inita fuit. Qui alicui crines incidebat, ejus fiebat pater spiritualis. Vide Paulum Diacon., in Gestis
Langobardorum,
lib. IV, cap. XL et lib. VI, cap.
lui. Plura de hac re habet Mabillon inprœfat. i SœcuL ni, Âct. sanct. ordin. Benedict. (D. Ruinart. Notœ in Hist. Franc.; Patr. lat., toin. LXXI, col. 702.)

3    Ce fut sans doute l'entrevue mentionnée par Grégoire de Tours, dans une île de la Loire, en face du vicus Ambaciensis (Amboise).

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bâtons, en sortit l'arme et dit à Alaric : Voilà donc, ô roi, par quelle perfidie vous espériez tromper mon maître et vaincre les Francs ! J'en appelle au jugement de Théodoric, roi d'Italie. — L'arbitrage fut agréé. Un député d'Alaric se rendit en Italie, pendant que Clovis, de son côté, y envoyait Paternus. Celui-ci raconta le fait qui s'était passé. L'envoyé goth fut obligé d'en faire l'aveu; il se borna à solliciter la clémence de Théodoric, pro­mettant de se soumettre à tout ce qu'il ordonnerait. Théodoric remit au lendemain le prononcé de la sentence. J'ai besoin, dit-il aux deux ambassadeurs, de prendre l'avis des conseillers de mon palais, et je songerai au moyen de rétablir la bonne harmonie entre deux rois qui sont mes frères. — II parlait ainsi, mais dans le fond il nourrissait une pensée fort différente, car il songeait plutôt à éterniser la discorde entre les Goths et les Francs pour les détruire les uns par les autres 1. La sentence prononcée par lui imposait à Alaric une composition {wehr-ghild) qu'il eût été difficile aux Goths d'acquitter. L'ambassadeur des Francs, monté sur un cheval et tenant une lance à la main, devait se présenter devant le palais d'Alaric, et les Goths devaient lui jeter assez de solidi pour que le cheval, le cavalier lui-même et la lance en fussent couverts. Paternus se rendit pacifiquement au palais de Tou­louse. Alaric l'accueillit avec honneur2, et lui donna un magni-

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1 Nous croyons que le chroniqueur prête ici à Théodoric une intention perfide que ce prince n'avait pas. Quant à la singulière condition que le roi d'Italie va imposer à Alaric, elle était éminemment conforme à l'usage de cette époque barbare. C'était une forme du wehr-ghild germanique. Personne ne dut alors la trouver étrange, d'autant que nul ne songeait à la prendre à la lettre. Elle signifiait seulement que la somme à verser par Alaric était in­déterminée mais considérable. Restait aux deux rivaux à s'entendre à l'a­miable pour la fixer.

s La meilleure preuve qu'on n'entendait ni de part ni d'autre exécuter ce wehr-ghild au pied de la lettre, c'est que Paternus se présente au palais d'A­laric non pour y être étouffé sous un tumulus de solidi, mais simplement pour y recevoir une somme considérable. On l'accueille avec les plus hono­rables démonstrations, sauf à se débarrasser de lui dans un guet apens qui n'eut pas le succès qu'on s'en était promis; et le lendemain on lui montre un coffre plein d'or, en jurant que le trésor royal n'en possède pas d'autres et en le priant de s'en contenter.

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flque appartement; mais durant la nuit le plancher s'écroula, et Paternus au milieu de son sommeil, fut précipité de la hauteur d'un étage. Il eut le bonheur de n'être pas tué dans cette catas­trophe qu'on mit sur le compte d'un accident, bien qu'en réalité elle eût été traîtreusement concertée. Le lendemain, Alaric le conduisit dans le lieu où était déposé le trésor royal et lui jura qu'il n'avait pas d'autres solidi que ceux qu'il lui montrait dans deux coffres pleins. Paternus prit une seule pièce d'or, la mit dans son sein et dit : Ce sont les arrhes dont je me contenterai aujourd'hui. Tout le reste appartiendra bientôt à mon maître Clovis et aux Francs. — Après avoir ainsi parlé, il monta à cheval et revint rendre compte de son message à Clovis. La guerre était dé­clarée1. »

 

   26. Nous admettons pleinement l'authenticité de ce récit, auquel d’ailleurs on ne saurait contester la couleur locale 1. Ouoi qu'il en soit, il nous reste deux lettres de Théodoric adressées l’une au roi des Francs son beau-frère, l'autre à Alaric II son gendre, dans lesquelles il s'efforce de prévenir la lutte et de suspendre les hosti­lités. « Je conçois, dit-il à Alaric, que vous soyez fier de votre

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1 Idat., Excerpt. ex chronic; Pair, lat., tom. LXXI, col. 702, 703.

2. Le lecteur sera peut-être désireux de savoir pourquoi nous croyons à la véracité de ce fragment jusqu'ici négligé par nos modernes historiens. Par malheur pour notre opinion, le savant et regrettable académicien M. Au­gustin Thierry ne commence ses Récits mérovingiens qu'à la mort de Clovis. Nous ne doutons pas qu'il n'eût mis ce fragment en lumière, si le plan qu'il s'était tracé le lui avait permis. La raison qui nous fait croire à l'authenticilé de ce fragment, c'est qu'on le trouve analysé très-fidèlement dans la chronique de Moissac, dite du moine Rorico. (Rorico., Gesta Franc, 1, IV Pair, lat., tom. CXXX1X, col. 609,) et dans {'Histoire des Francs d'Aimoin. (Patr. lat., ibid., col. 657.) EnGn, Frédegaire lui-même y fait une allusion non équivoque dans ce texte de sa chronique : Igitur Alaricus rex Gothorum cum amicilias fraudulenter cum Chlodoveo iniisset, quod Chlodoveus discurrente Pa-terno legatario suo cernens, adversus Alaricum arma commovet. (Fredeg., Hist. Franc, epilomata, cap. xxv; Patr. lat., tom. LXXI, 587.) Évidemment une telle unanimité dans nos annalistes, les uns très-rapprochés de l'événement, les autres écrivant à un plus long intervalle mais d'après des monuments contemporains, autorise l'historien impartial à conclure, ainsi que nous le faisons, savoir que le récit de la chronique d'Idace est parfaitement authen­tique.

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longue généalogie de rois; il vous est permis de compter au nombre des exploits de vos aïeux la défaite d'Attila. Cependant, si vous m'en croyez, ne jouez pas votre trône sur un coup de dés. Vos sujets doivent nécessairement s'être amollis par une longue paix, et l'on ne saurait se fier aux armes quand on ne les a point constamment exer­cées. Suspendez donc vos préparatifs contre le roi des Francs, au­quel j'envoie également une ambassade pour le calmer. Vous m'êtes unis tous deux par les liens du sang; voudrais-je vous sacrifier l'un à l'autre? Au fond, il ne s'agit entre vous ni de meurtres commis, ni de provinces usurpées. De simples paroles vous ont aigris, et la ré­conciliation est encore facile, pourvu que vous n'irritiez pas le mal par des préliminaires belliqueux1. » La lettre à Glovis porte pour suscription : Hiuduin, régi Francorum, Theodoricus rex. « Le Sei­gneur a voulu, dit Théodoric, que les rois fussent unis par les liens du sang, afin de garantir davantage la paix si désirable pour les peuples. La parenté entre les princes maintient les diverses nations dans l'harmonie, et confond pour ainsi dire leurs vœux dans le lit fraternel de la concorde. J'ai donc quelque sujet de m'étonner de vous voir, sans grave motif, engager un cruel conflit avec mon fils le roi Alaric. Vous êtes tous deux de puissants rois, tous deux dans la vigueur de l'âge ; n'exposez point légèrement vos états à la ruine. Que votre valeur ne devienne point la calamité de vos sujets. Il serait déraisonnable d'en appeler sur-le-champ aux armes, dès la première discussion qui s'élève. Entre princes alliés et parents, il convient d'abord d'invoquer des arbitres : un roi puissant comme vous doit mettre sa gloire à faire quelque concession au média­teur qu'il s'est choisi lui-même. Que penseriez-vous de moi, si vous me jugiez capable de sacrifier vos véritables intérêts? Évitez une guerre qui peut détruire vos deux royaumes. Rentrez dans le four­reau un glaive que vous ne sauriez tirer l'un contre l'autre qu'à ma honte. J'ai le droit de vous l'enjoindre, car je suis votre père par l'âge et votre frère par le sang. Sachez du reste que celui de vous

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1 Cassiodor., Théodoric. ad Alaric. Variar., lib. III, ep. l ; Patr. M., t. LXIX, col. 575 pass.

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deux qui méprisera mes conseils devra me compter, moi et mes alliés, pour adversaires. J'adresse un pareil message à mon fils le roi Alaric. Mes envoyés vous entretiendront de ma part en ce sens, et j'ai l'espoir que vos deux nations, qui ont fleuri sous le règne glo­rieux de vos pères, ne seront point ébranlées par un choc inopiné. Vous devez ajouter quelque foi à celui que vous avez toujours vu applaudir à vos succès. Le prince qui veut en perdre un autre ne lui tient pas le langage que je vous adresse en ce moment 1. » Ces protestations de sincérité dans la bouche de Théodoric nous sem­blent dégager complètement la mémoire de ce prince du reproche que le fragment cité plus haut insinuait contre lui. Ajoutons que pour mieux assurer le succès de son intervention pacifique le roi d'Italie envoyait des ambassadeurs à Gondebaud 2, ainsi qu'aux princes des Hérules, des Warnes et des Thuringiens 3, les priant d'agir dans le même sens près de Glovis, comme intermédiaires d'apaisement et de conciliation.

 

   27. Tous les efforts de Théodoric furent inutiles. Glovis voulaitla guerre. Avant d’entreprendre une expédition qui devait le couvrir de gloire et jeter les bases de l’unité monarchique en France, il écrivit aux évêques des Gaules la lettre suivante : « Aux seigneurs saints, aux vénérables évêques siégeant sur les trônes apostoliques, Chlodoveus roi. Déjà sans doute votre béatitude aura su les graves événements qui se préparent, et l'ordre donné à notre armée de s'avancer sur le territoire des Goths. En premier lieu, nous avons pris des mesures pour sauvegarder le domaine des églises dont nos soldats ne devront rien distraire ; ils de­vront également respecter les vierges, les religieuses, les veuves consacrées au Seigneur. La même sauvegarde s'étend à tous les clercs ainsi qu'aux personnes qui vivent sous leur toit, à tous les

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1 Cassiodor., Théodoric. ad Illuduin. Variar., lib. III, ep. IV; tom. cit., col. 577. — * Cassiodor., Théodoric. ad Gundobald. Variar., lib. III, ep. Il; Patr. lat., tom. cit., col. 575.

3 Cassiodor., Théodoric. regibus Herutorum, Guarnorum, Thoringorum, Va­riar., Ep. m; Pair, lat., tom. cit., col. 576. Les Hérules habitaient la Siltisie actuelle ; les Warnes, la Vistule supérieure ; les Thuringiens, les bords de l'Unstrutt jusqu'aux confins de la Bavière moderne.

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serviteurs des églises, de quelque condition qu'ils puissent être, pourvu qu'ils soient munis d'une attestation de l'évêque faisant connaître leur qualité. L'immunité la plus complète leur est as­surée, et nulle violence ni dommage ne pourront leur être faits. Si par accident quelqu'une de ces personnes venait à être saisie soit à l'intérieur, soit à l'extérieur de l'église, et à être emmenée en captivité, elle sera rendue à la liberté aussitôt que sa réclamation m'aura été déférée. Quant aux laïques faits prisonniers même les armes à la main, ou par le droit légitime de la guerre, nous ne re­fuserons pas à votre béatitude apostolique le droit de les réclamer. Il suffira que vous nous adressiez à ce sujet des lettres munies de votre signature et scellées de votre anneau. Toutefois les guerriers qui m'accompagnent vous demandent de faire à cet égard toute la diligence possible afin d'éviter d'une part des délais qui seraient irréparables, de l'autre des fraudes et des substitutions menson­gères. On a vu plus d'une fois envelopper ainsi le juste dans le châtiment qui doit être réservé aux seuls coupables. Priez pour moi, seigneurs saints, papes dignes du siège apostolique que vous occupez '. » Enfin, avant de quitter Lutèce, Clovis voulut donner un gage plus éclatant encore de sa piété et de sa foi. « Depuis longtemps déjà, disent les actes de sainte Geneviève, il avait témoigné sa vénération pour l'humble et glorieuse vierge. On l'avait vu, à sa prière, non pas seulement rendre la liberté aux captifs, mais faire grâce de la vie à des condamnés à mort. En marchant contre Alaric, il lui confia le soin de faire ériger, de con­cert avec la reine Chrotechildis2, une basilique aux apôtres saint

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1 Clodov., Epist. ad episc; Pair, lat., tom. LXXl, col. H58. Cette lettre de Clovis, dont l'authenticité est incontestable, paraîtra sans doute fort neuve aux lecteurs. Il en sera vraisemblablement de même des divers documents relatifs à nos origines nationales que nous prenons soin de réunir ici. C'est qu'en effet, je ne sais par quelle manœuvre, tous les historiens semblent avoir pris à tâche de dissimuler le côté chrétien et la partie vraiment intéressante de nos annales. Il est temps de rompre avec cette complicité du silence, qui depuis trois siècles laisse dans l'ombre les monuments les plus avérés et les plus glorieux de notre tradition française.

2. Nous avons déjà vu que telle était l'orthographe primitive du nom de sainte Clotilde. On prononçait ce nom à la façon germanique, de cette sorte :

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Pierre et saint Paul sur le mont Leucotitius1. Cette basilique ne fut achevée qu'après la mort de Clovis. Rémi, évêque de Durocor-torum (Reims), celui-là même qui avait instruit et baptisé le con-

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Hroiehild, d'où est venu plus tard le nom assez usité au moyen âge de Hohilde, synonyme de Clotilde.

1 « Ce nom, dit M. l'abbé Saintyves, est fort diversement orthographié dans les manuscrits. Nous en trouvons jusqu'à cinq variantes : Leulitius, Locutiui, Locuticius, Lutuculicius et Lucolilius. Cette dernière leçon, qui est celle des plus anciens mauuscrits, se rapproche davantage du nom de Luchotetia ou Leuchotecia que la plupart des auteurs disent avoir été donné à ce lieu, et d'où la ville de Paris a tiré son ancien nom de Lutetia. Mais quelle est l'élymologie de ce nom? Viallon le fait venir de lucus, bois sacré. Il y avait, dit-on, sur cette montagne, un temple païen et un bois sacré dédiés à la déesse Isis. D'autres ont recours au grec ).îuxÔTr,; (blancheur), et disent que ce vocable est une allusion à la couleur du calcaire dont la montagne est composée :

Nativo Leucoteciam candore coruscam Dixere, ex etymo, Gallica terra, tuo.

(Lascar., Not. in Aimoin, De Gest. Franc, édit. Dubreuil, pag. 58.)

 

   Enfin, si nous en croyons les vieux chroniqueurs français, Locuticius vient du verbe latin loqui, et ils ont appelé la montagne ainsi nommée : Mont-Parlouër. L'auteur de l'Histoire de sainte Geneviève en vers s'exprime ainsi :

De dehors les murs de Paris,

Fu la sainte vierge enorée

Ensevelie et enterrée,

En un mont que lors apeloient

Monl-Purloier. Illuec parloieut

Les genz et tenoieut lor plaiz;

Illuee estoit torz o droiz faiz.

Le nom la virge au non esliève.

Le mont de Sainte Geneviève

Est ore par non appelez,

Comment qu'il fut avant nommez.

(Mss. in-fol. de la Biblioth. d'Orléans, n° 2S0, provenant de l'abbaye de Saint-Benoît, f. 78 et 79.)

 

C'est à ce passage que Pierre le Juge fait sans doute allusion quand il dit que l'église Saint-Pierre et Saint-Paul fut « bastie par le roy au mont ap­pelé Locuticien, ou, selon aucuns vieux livres en français escrils à la main, au mont Parloir, parce que volontiers c'était là où le roy donnait audience. » (Pierre le Juge, Vie de sainte Geneviève, 1er édit., 1631, in-8», pag. 9t.) Le P. Charpentier voudrait faire hommage de cette étymologie à l'Université, ou du moins aux écoles qui ont été de temps immémorial établies soit dans

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quérant, en fit la dédicace sous le règne des trois frères Clotaire, Childebert et Clodomir1

 

 28. La courte harangue prononcée par Clovis dans l'assemblée des Francs, quand il leur dit : « En arant, avec l'aide de Dieu ! » enthousiasma les guerriers. « L'armée se mit en marche, re­prend Grégoire de Tours, et se dirigea sur la cité des Pictavi (Poitiers) où Alaric était cantonné. Comme il fallait traverser le territoire des Turones (Tours) Clovis, par respect pour la mé­moire du bienheureux Martin, donna l'ordre aux troupes de ne prendre absolument rien dans cette contrée, sauf l'herbe verte des champs et l'eau. Un soldat ayant trouvé dans une chaumière une provision de foin, s'en empara et dit : Puisque le roi nous per-

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l'abbaye, soit aux environs, sur la montagne qu'on appelle encore aujour­d'hui le quartier latin. C'eût été ainsi la montagne de l'éloquence, ou, comme disait Abélard, le Parnasse de Sainte-Geneviève. Il est certain d'ailleurs qu'il y avait sur le flanc de la montagne, près de la place Maubert actuelle, un lieu appelé Parloir des bourgeois {Locutorium civium); ce lieu était des­tiné non aux audiences royales, mais aux réunions des marchands, et c'était là que leurs prœpositi (prévôts) rendaient la justice. Mais on aurait tort d'en conclure avec Adrien de Valois que c'est pour cette raison que la colline a été appelée Mons Locuticius (Vales., Notitia Galliar., Parisiis, pag. 440); car longtemps avaut qu'il y eût un parloir des bourgeois, Ptolémée appelait Aouv.OTev.ia, et Julien l'Apostat AeuxÈTia, la même ville que César nomme Lutecia. (Ptolem., Geograph., édit. Lugd. Batavor., 1618, in-fol., pag. 51 ; Julian., Misopogon, tom. 1, pag. 729; Cœsar., Comment., lib. VI, § 3; lib. Vil, § 57.) Or ces noms ont un rapport trop marqué avec Lucoticius pour qu'on puisse contester que ce ne soit le même. Nous ne parlons pas des étymologistes qui veulent faire dériver Lutetia de lutum (boue), par allusion aux terrains ma­récageux des alentours de la ville. Ce n'est ni dans le grec, ni dans le latin, mais dans la langue celtique qu'il faut chercher les véritables racines éty­mologiques de Lucotecia. Or le celte Lug, ainsi que l'a démontré Cambden, signifie une tour; ou, si l'on préfère un autre radical, leg ou leug signifie pierre. C'est de là en effet qu'est venu le mot leuga (lieue), parce que les lieues étaient marquées par des pierres érigées sur la route, comme les milles romains que pour cette raison on appelait lapides. D'autre part, tec veut dire beau (Cambden, Britannia, Lond., 1607, in-fol., pag. 641); on lui donne en effet cette signification dans les dictionnaires bas-bretons ou celtiques. Lucotecia signifierait donc ou belle tour, ou belle pierre, ce dernier sens se rapportant peut-être aux riches carrières de la montagne. » (Saintyves, Vie de sainte Geneviève, pag. 277-280.) 1 S. Genovef., Acl. Bolland., 3 jan.

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p124   PONTIFICAT  DE  SAINT  SYMMAQUE   (498-514).

 

met de prendre de l'herbe, ceci en est! —Le fait parvint à la con­naissance de Clovis, qui d'un revers de son épée trancha la tête du guerrier franc. Que deviendraient nos espérances de victoire, s'écria-t-il, si nous offensions le bienheureux Martin ! — Cet exemple servit de leçon à l'armée tout entière, et il n'y eut pas un second acte d'indiscipline à réprimer. Cependant le roi fit partir quelques-uns de ses officiers, et les envoya à la basilique du bienheureux Martin. Allez, leur dit-il ; peut-être dans ce sanctuaire vénéré vous recueillerez pour moi des présages de victoire. — Il leur remit une riche offrande qu'ils devaient déposer en son nom sur le tom­beau du saint, et fit devant eux cette prière : Seigneur, si vous êtes avec moi dans cette expédition, si vous avez résolu de livrer entre mes mains un peuple hérétique et perfide, daignez le faire con­naître à votre serviteur, quand mes envoyés mettront le pied dans la basilique du bienheureux Martin. — Les officiers partirent en hâte. En mettant le pied dans l'édifice sacré, selon l'ordre qu'ils avaient reçu du roi, ils prêtèrent l'oreille aux chants qui partaient du sanctuaire. Or à ce moment même le primicerius1 (primicier). commençait cette antienne [antiphonam) : « Seigneur, vous m'avez ceint de vaillance pour le combat; vous avez renversé l'ennemi à mes pieds, mis en fuite ses bataillons et dispersé ceux qui me poursuivaient de leur haine 1. » Les messagers royaux, pleins de joie de ce chant de victoire, rendirent grâces au Seigneur, dépo­sèrent les offrandes sur le tombeau du saint et retournèrent por­ter la bonne nouvelle à Clovis. Celui-ci poursuivit sa marche et

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1 In ccclesia Romana primicerius caput erat inferioris chori, quod et in ecclesia Gallicana fuisse in usu tempore Chlodovei colligi potest ex epistola sancti Re-migii ad Falconem Tungrensem episcopum, ubi conqueritur vir sanctissimus a Falcone institutos fuisse in Mosomagensi ecclesia (Mouson , près Sedan) h-vitas, presbyteros, archidiaconos, primiccrium scholœ clarissimee militiœque lectorum. Cœterum mos ille per Scripturœ sacrœ lectiones res futuras explo-randi, solemnis erat illis temporibus, uti ex aliis Gregorii locis compluribus palet. Sic etiam actum fuerat in electione sancti Martini, apud Severum Sulpi-ciur,i, in ejus Vita, cap. vu. Vide et vitam S. Consortiœ, n<> 9, saec. I. Bened. ad ann. 578. (D. Ruiaart, Not. in Gregor. luron.; Patr. lat., tom. LXXV11I, col. 234.)

2. Psaltn. XVII, 40, 41.

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arriva avec son armée sur les bords de la Vingenna (Vienne), ne sachant en quel lieu il pourrait traverser cette rivière, dont le cours était alors démesurément grossi par des pluies torrentielles. Clovis passa la nuit en prières, demandant au Seigneur de lui faire con­naître un endroit guéable. Le lendemain, à l'aube du jour, les sol­dats francs virent une biche, qui, sans doute effrayée à leur ap­proche, se jeta dans la rivière et la franchit rapidement. Le point que l'animal avait choisi était guéable : toute l'armée y passa sans encombre. Clovis s'approcha de la cité des Pictavi (Poitiers) et fit dresser sa tente en face de la ville. Une nuit qu'il considé­rait la place, il lui sembla voir un des lampadaires (pharus ignea) allumés dans la basilique de Saint-Hilaire se détacher de l'édifice et venir à lui, comme si le bienheureux confesseur eût voulu témoigner qu'il l'aiderait à triompher par les armes des bataillons hérétiques contre lesquels il avait jadis si généreusement lui-même combattu par la parole. Clovis rendit compte à ses guerriers de cette vision surnaturelle; il en prit occasion de leur défendre d'at­tenter soit à la liberté soit aux biens des habitants, dans tout le territoire de saint Hilaire 1. »

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