LE GRAND « TOLÉRANT » DE L’ÉPOQUE FAIT MASSACRER LES ENFANTS DE BETLÉEM ET SON PROPRE FILS.
§ IV. Massacre des Innocents.
19. Les illustres adorateurs, que l'Orient envoyait au berceau de Bethléem, étaient étrangers aux passions qui agitaient alors la Judée, depuis le trône du vieil Hérode, jusqu'à la tente du pasteur. Quand l'Évangéliste ne nous apprendrait pas qu'ils arrivaient d’une région lointaine, la confiance avec laquelle ils s'expriment, sans se préoccuper d'éveiller toute la colère d'un tyran, suffirait à le prouver. Leur bonne foi est aussi évidente pour nous, qu'elle le fut aux yeux d'Hérode lui-même; elle forme, autour du récit Évangélique, une garantie d'authenticité incontestable. Les Juifs, victimes, depuis trente ans, de l'inexorable cruauté du roi Iduméen, durent trembler pour la vie des nobles étrangers; et ce sentiment se mêla, sans doute, à l'émotion, qu'au point de vue des espérances nationales, l'arrivée des Mages excita, parmi les habitants de Jérusalem. La conduite d'Hérode, en cette circonstance, est d'accord avec tout ce que l'histoire nous apprend de sa politique insidieuse, de sa dissimulation profonde et de son astucieuse souplesse. Il avait le plus vif intérêt à connaître la pensée intime du Sanhédrin, des Prêtres et des Scribes, au sujet du roi mystérieux, attendu par la Judée entière. Les traditions messianiques, familières aux Hébreux de race, élevés dans l'étude de la Loi et des Prophètes, se présentaient, aux yeux du monarque, sous un aspect fort différent de la réalité. Nous avons dit plus haut qu'Hérode avait songé à les exploiter, au bénéfice de sa puissance, et que ses courtisans, sous le nom d'Hérodiens, appliquaient
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à la royauté de leur maître les caractères prophétiques de l'empire du Christ. Cette flatterie, attestée par Josèphe, supposait, chez Hérode, l'ignorance absolue des détails traditionnels, relatifs à l’avénement du Messie. On comprend, dès lors, l'empressement avec lequel il met à profit l'impression produite par l'arrivée des Mages, pour s'éclairer officiellement sur la portée des espérances nationales. La convocation des Prêtres et des Scribes était une mesure doublement habile; d'une part, elle apprenait à Hérode le point précis que sa tyrannie aurait à surveiller dans la suite; de l'autre, elle offrait, à la défiance de son caractère, l’occasion de mesurer, d'après les réponses individuelles de chaque Docteur, le degré d'importance qu'il attachait aux prophéties, et, par conséquent, le plus ou moins d'attachement qu'il portait au régime actuel. Cette politique servait beaucoup mieux les desseins du tyran, que ne l'eût fait une sévérité prématurée. Voilà pourquoi il affecte, vis-à-vis des Mages, un système d'hypocrite sympathie. «Allez, leur dit-il, et interrogez tous ceux qui pourront vous renseigner sur l’enfant. Quand vous l'aurez trouvé, revenez me le dire, pour que j'aille aussi l'adorer.» A leur insu, les nobles étrangers seraient ainsi devenus, comme un prolongement de la police du vieux roi. L’interrogate diligenter d'Hérode est un chef-d’œuvre de duplicité et de fourberie. Pour déjouer cette tactique perfide, quand les Mages auront déposé, aux pieds de Jésus naissant, les productions symboliques de leur patrie, l'or de la royauté, l’encens de la divinité, la myrrhe de l'humanité mortelle, ils retouneront en leur pays, par un autre chemin. Le Fils de Marie sera emporté en Egypte, et les sanguinaires projets du tyran se réaliseront trop tard.
20. «Hérode, se voyant trompé par les Mages, continue saint Matthieu 1, entra dans une violente colère. Il envoya tuer tous les enfants de Bethléem et des environs, depuis l'âge de deux ans et au-dessous, selon le temps de l'apparition de l'étoile, qui lui avait été indiqué par les étrangés. Alors fut accomplie la parole du
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1. Matth., II, 16-18.
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prophète Jérémie: Une clameur a retenti dans Rama, au milieu des lamentations et des larmes. C'est Rachel pleurant ses fils, elle repousse toute consolation, parce qu'ils ne sont plus 1!» —Le massacre des innocentes victimes de Bethléem était résolu par Hérode, dès le jour où la réponse du Sanhédrin avait fixé l'attention du tyran sur la cité royale, désignée par les Prophètes, comme le futur berceau du Messie. La sanglante exécution dut suivre de près le départ des Mages. Elle est une des réalités historiques les mieux constatées, par les témoignages extrinsèques. Nul n'ignore le mot d'Auguste à ce sujet. La nouvelle du massacre de Bethléem arriva à la cour de l'empereur, en même temps que celle de l'exécution d'Antipater, fils aîné d'Hérode. «En apprenant, dit Macrobe, que le roi des Juifs venait de faire égorger, en Syrie, tous les enfants de deux ans et au-dessous, et que son propre fils avait été tué par l'ordre paternel, Auguste s'écria: Il vaut mieux être le pourceau d'Hérode que son fils 2.» Une telle cruauté révolte la délicatesse de nos modernes rationalistes. Ils ne croient ni aux miracles de la puissance divine, ni aux monstrueux égarements de l'ambition humaine. Et pourtant, on se le rappelle 3, le traitement barbare que le tyran Iduméen appliqua aux seuls enfants de Bethléem, avait été, cinquante ans auparavant, décrété par le Sénat de Rome, contre tous ceux qui naîtraient dans l'année fatidique, où, d'après les oracles sibyllins, «la nature devait enfanter un Roi.» —Auguste ne l'ignorait pas, car ce décret, sanctionné par l'exaltation farouche de sénateurs républicains, mais répudié par la conscience du peuple, avait été rendu l'année même qui précéda la naissance de cet empereur. Aussi, dans son ironique exclamation, il n'y a pas l'ombre d'un blâme, à l'adresse de la cruelle politique d'Hérode; il n'y a pas même un accent de pitié en faveur des jeunes victimes et des larmes de leurs mères. Aux
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1. Jerem., XXXI, 15.
2. Cum audisset Augfustus inter jjueros, quos in Syria Rerodes rex Judrroi'um inf> ira bimatum jussit interfîci, filium quoque ejus occisum , ait : Melius est Herodis porcum este quam filium. (SIncrob., SnturnaL, lib. Il, cap. iv.) — 'Voyez, dans ceTolumCjlechapitreintitulé: Hérode,n»51.
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yeux d'Auguste, Hérode a prudemment agi, en moissonnant ces tendres fleurs; son unique faute est d'avoir tué son propre fils; encore, la plaisanterie impériale suffira-t-elle à l'absoudre. Voilà ce qu'était l'humanité, entre les mains du despotisme de Rome et des agents couronnés, que le Capitole entretenait dans toutes les provinces! Vespasien, le lendemain de la prise de Jérusalem, faisait rechercher tous les membres de la royale famille de David, et, de sang-froid, les faisait égorger, pour étouffer, à sa source, la persistance des aspirations populaires, qui s'obstinaient à attendre un libérateur issu de la tige de Jessé 1. Tant il est vrai que les Romains «songèrent longtemps à l'existence, autour d'eux, d'un représentant quelconque de l'ancienne dynastie juive 2»! Tant il est vrai que l'avènement du Sauveur, promis au seuil de l’Éden, prédit par les Prophètes et attendu par le monde opprimé, troublait le sommeil des oppresseurs, et faisait trembler la royauté de Satan, établie sur tous les trônes!
21. Les lamentations de Rachel, entendues, en ce jour, dans les campagnes de Rama, retentiront jusqu'à la fin des siècles, comme le témoignage accusateur de la férocité, vraiment diabolique, à laquelle Jésus-Christ est venu arracher l'univers. Le tombeau de Rachel est à quelques pas du Praesepium où l'enfant-Dieu voulut avoir son berceau. Les ruines de Rama couronnent les hauteurs. On montre, aux flancs de la montagne, une grotte, où la tradition locale nous apprend que plusieurs mères, poursuivies par les soldats d'Hérode, cherchèrent un refuge, et furent égorgées, avec les enfants qu'elles couvraient de leurs bras. Qu'est devenue, pourtant, la royauté sanguinaire d'Hérode? Quel est le souverain qui règne aujourd'hui sur le Capitole, au lieu où la justice impériale d'Auguste croyait, par un frivole jeu de mots, punir suffisamment l’attentat de Bethléem et l'auteur couronné d'une telle boucherie? Le
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1. Kaî èni toûtoiç OùeaTrafftavàv [izxà tyiv twv 'l£po(jo)>û[xwv iXaxjiv, iràvraç xoùç iitè YEvouç Aaêlô, wç âv (at) TCEptXifîçGeîy) tiç uapà 'louoaiot; Ttiv ànà Triç paaiXtxyj; çu- ^fiQ, avai^TiTercjÔat TipoaTâÇat, (jLsytffTOVTE 'louSaîotç au6i; ex TaÛTï); ôiwYfAÔv sTiapT/jOïjvott trjç a'iTÎaç. (Euseb., Hist. eccles., lib. III, cap. xii; Patrol. grœc, tom. XX, coL 24S.) —
2. Vie de Jésus, pag. 238.
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P345 CHAP. III. — LE RETOUR D'ÉGYPTE.
Vicaire de Jésus-Christ s'est assis sur le trône d'Auguste, devenu le siège de la paternité sainte qui rayonne sur le monde. Il envoie, sur les bords des fleuves de la Chine, recueillir les milliers d'enfants que la barbarie idolâtrique abandonne, chaque année, sans pitié et sans remords. Au nom de l'enfant-Dieu, échappé aux fureurs d'Hérode, que de victimes arrachées à la mort! Au nom des Innocents, massacrés à Bethléem 1, que d'âmes, rachetées pour le ciel, vont grossir, chaque jour, le cortège de l'Agneau ! L'humanité tout entière a donc le droit de redire le cantique de l'Église : «Salut, fleurs des martyrs, qu'au seuil même de la vie, le persécuteur du Christ a moissonnées, comme l'orage abat les roses naissantes! Prémices de l'immolation de Jésus, tendre troupeau de victimes; au pied de l'autel, vos âmes innocentes se jouent parmi les palmes et les couronnes 2.»
LE GRAND « TOLÉRANT » DE L’ÉPOQUE FAIT MASSACRER LES ENFANTS DE BETLÉEM ET SON PROPRE FILS.