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LES PHARISIENS «TOLÉRANTS» NE TOLÈRENT PAS QUE JÉSUS SOIT DIEU.

 9. «Or, continue le texte sacré, les Juifs poursuivaient Jésus, lui reprochant la violation du jour du sabbat. — Mon Père ne cesse jamais d'agir, leur dit-il, voilà pourquoi j'agis moi-même. — A ces mots, ils voulaient le mettre à mort, non plus seulement parce qu'il violait la loi du sabbat, mais parce qu'il appelait Dieu, son père, en se faisant lui-même égal à Dieu. Jésus reprit: En vérité, en vérité, je vous le dis: Le Fils ne fait que ce qu'il voit faire au Père. Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également. Car le Père aime le Fils et lui révèle toutes ses œuvres. Il en manifestera de plus grandes encore que celle-ci, et vous en serez dans l'étonnement. De même que le Père donne la vie et ressuscite les morts, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plait. Le Père ne paraît point sur son tribunal pour exercer la justice, mais il a donné au Fils le pouvoir de juger, afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père. Quiconque refuse ses hommages au Fils, les refuse au Père qui l'a envoyé. En vérité, en vérité, je vous le dis: Celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé, possède la vie éternelle. La condamnation ne l'atteindra point, et il est déjà passé de la mort à la vie. L'heure approche, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'écouteront auront la vie. Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils de posséder en soi la vie. Il lui a remis le pouvoir du jugement parce qu'il est le

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Fils de l'homme. Ne soyez pas surpris de cette parole, car l'heure viendra où tous les habitants des sépulcres entendront la voix du Fils et se lèveront, ceux qui auront fait le bien, pour la résurrection de la vie, ceux qui auront fait le mal pour la résurrection du châtiment. Je ne puis rien faire de moi-même. Selon que j'entends la décision du Père, je juge; ainsi ma sentence est juste, parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais celle du Père qui m'a envoyé. Si je me rendais à moi-même témoignage, vous n'accepteriez pas la sincérité de ma parole. Mais il en est un autre, qui me rend témoignage, et je sais que son témoignage à mon sujet est véritable. Vous avez fait interroger Jean-Baptiste, et il a proclamé la vérité. Cependant, je n'ai point à recevoir la sanction d'un homme: si je vous dis ces choses, c'est afin que vous soyez sauvés. Jean était la lampe ardente et lumineuse. Il vous a plu, pour un instant, de vous réjouir à sa splendeur. Mais j’ai un témoignage supérieur à celui de Jean. Les œuvres que le Père m'a donné le pouvoir d'accomplir, les œuvres que je fais sous vos yeux attestent que le Père m'a envoyé. Lui-même, le Père qui m'a envoyé, a rendu témoignage de moi; mais vous n'avez pas voulu entendre sa voix, ni reconnaître sa majesté. Vous n'avez pas en vous sa parole permanente, parce que vous ne croyez point en Celui qui m'a envoyé. Vous scrutez les Écritures, dans la pensée d'y trouver la vie éternelle. Or, les Écritures me rendent témoignage, et pourtant vous ne voulez point venir à moi, pour avoir la vie. Ce n'est point que je recherche la gloire humaine, mais je vous connais et je sais que 1’amour de Dieu n'habite pas en vous. Je suis venu au nom de mon Père, et vous me repoussez; d'autres viendront en leur propre nom et vous les accueillerez! Comment pourriez-vous avoir la foi, vous qui recherchez la gloire que les hommes se donnent entre eux, et dédaignez la gloire véritable qui vient de Dieu seul? Ne croyez point que je doive être votre accusateur près de mon Père. Votre accusateur, c'est Moïse lui-même, en qui reposent toutes vos espérances. Si vous aviez réellement foi aux paroles de Moïse, peut-être croiriez-vous aussi en moi, car c'est de moi que Moïse a écrit. Mais quand vous repoussez le

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témoignage de ses écrits, comment pourriez-vous accepter celui de mes paroles 1?»

  10. Le miracle de guérison opéré à la piscine Probatique, ce fait si éclatant, dont la nouvelle est apportée sous les parvis du Temple par le paralytique qui en a été lui-même l’objet, aurait frappé tous les esprits, partout ailleurs qu'à Jérusalem. Placez le récit évangélique dans un autre milieu social, et il devient inexplicable. Mais, au sein du peuple juif, parmi cette race exceptionnelle, dont l’histoire et l'existence même étaient une série de miracles, aucun des étonnements, aucune des préoccupations ordinaires n'avaient accès dans les cœurs. Il avait été dit à ce peuple: « Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat 2.» La même autorité législatrice, celle de Jéhovah, par la bouche de Moïse, avait ajouté: «Si un prophète opère des prodiges, et qu'il vienne vous dire: Allons rendre hommage à des dieux étrangers! mettez à mort ce prophète, et vous aurez fait disparaître le mal du milieu de vous 3.» Certes, Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, ne prêchait point aux Juifs le culte d'une divinité étrangère; loin de violer le précepte sabbatique, il venait de l'accomplir, dans le sens le plus élevé, il avait sanctifié le jour du repos par le sceau du miracle. Cependant l'esprit de la législation mosaïque, étouffé sous les absurdes commentaires des Pharisiens, avait disparu pour faire place à des pratiques serviles, commandées par un rigorisme tracassier, et surveillées par la jalousie orgueilleuse d'une secte. Moïse avait défendu de travailler le jour du sabbat. L'infirme, retournant guéri en sa demeure et y emportant son grabat, travaillait-il? Le divin Maitre, en lui rendant, d'une parole, le libre exercice de ses membres, avait-il travaillé? Toutefois, pour cette foule d’infirmes spirituels, pour ces paralytiques du pharisaïsme, ainsi que les appelle saint Augustin, le miracle opéré un jour de sabbat constituait une violation du repos sabbatique. L'acte de transporter sur ses épaules le grabat où un malade avait langui tant d années leur apparaissait comme un crime. Encore une fois, de telles aber-

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1. Joan., V, 16 ad ultiin. — 2. Numer., xv, 32-M. — 3. Deuteron., sin,,l-5»*

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rations ne pouvaient se rencontrer que chez un peuple dominé par le rigorisme pharisaïque, et emprisonné dans les minutieuses formalités d'une hypocrite observance 1. Aussi quelle explosion de violences et de haines, quand le Sauveur a prononcé cette parole: Mon Père ne cesse jamais d'agir!» L'action conservatrice de la Providence est incessante et ne connaît point d’interruption sabbatique. Que deviendrait le monde, si la main qui le dirige, l'abandonnait un seul instant? «Voilà pourquoi j'agis moi-même.» La mesure et la règle de mon action ne sont pas différentes de celles de Dieu! — L’affirmation par Jésus-Christ de sa propre divinité ne pouvait être plus nette. Aussi les Juifs ne s'y trompent pas. «Ces aveugles, dit encore saint Augustin, ces futurs bourreaux du Christ, comprennent ce que nos Ariens 2 ne veulent pas comprendre. Ils s'irritent non pas d'entendre Jésus donner à Dieu le nom de père. Est-ce que nous ne disons pas tous: Notre père, qui êtes aux cieux 3? Est-ce que les Juifs ne lisaient pas chaque jour la prière d'Isaïe: Seigneur, vous êtes notre père et notre rédempteur 4? Ce qui excite leur fureur, c'est que Jésus donne à sa filiation divine un sens réel et absolu, tel qu'il ne saurait convenir à aucun homme. Ils se révoltent parce que Jésus se fait égal à Dieu 5.» C'est là, pour eux, un blasphème, un crime national, prévu par leur loi, et passible de mort. Voilà pourquoi la foule, ameutée et tumultueuse, cherchait, dit l'Évangéliste, à le faire mourir, non plus seulement parce qu'il violait le sabbat,

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1. A mesure que le récit évangélique nous présentera Notre-Seigneur Jésus-Christ en face des erreurs et des préjugés des sectaires pharisiens, sadducéeus, hérodiens, etc., le lecteur pourra admirer la bonne foi avec laquelle on a osé dire que «les diverses écoles juives furent inconnues à Jésus.» (Vie de Jésus, p. 34, 35.)

2. Les ariens modernes n'ont pas fait avancer d'un pas leur exégèse, et les paroles du grand évêque d'Hippone n'ont rien perdu de leur actualité. «Jésus, disent-ils, n'énonce pas un moment l'idée sacriléye qu'il soit Dieu.» — «Que jamais Jésus n'ait songé à se faire passer pour une incarnation de Dieu lui-même, c'est ce dont on ne saurait douter.» (Vie de Jésus, pag. 75, 242.)

3. Matth., vi, 9. — 4. Isa., LXiii, 16, et lxiv, 8. — 5. S. August., In Joan. Corn* »i, lat.f tom. 2UUV, col. 1.^^.

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mais parce qu'il appelait Dieu son Père, en se faisant lui-même égal à Dieu. »

  11. La question est donc posée aussi clairement que peuvent le souhaiter les rationalistes. Les Juifs ont interprété la réponse de Jésus dans le sens d'une affirmation de sa divinité personnelle, et, sous les portiques du Temple, des cris de mort retentissent contre le blasphémateur. Si les Juifs se fussent trompés dans leur interprétation, le Sauveur pouvait, d'un mot, dissiper l'équivoque et ramener le calme dans les esprits. Mais les Juifs avaient parfaitement saisi le sens des paroles du Sauveur, et Jésus-Christ, élevant son enseignement à la hauteur d'une révélation divine, expose devant eux le mystère de l’lncarnation. Le Fils de Dieu a été envoyé aux hommes pour leur apporter le salut. Le Fils est égal au Père en puissance; «ce que l'un fait, l'autre le fait également.» La source de la vie qui est dans le premier est tout entière dans le second. Refuser la foi, l’honneur et l'adoration au Fils, c'est les refuser au Père. Telle est la théologie de l'Évangile qui a constitué le dogme catholique de l’lncarnation, avec tous ses magnifiques développements 1. Dans cette égalité de nature, de puissance et de divinité entre le Père et le Fils, il y a toutefois une relation hiérarchique qui les unit sans les confondre, car «le Fils ne fait que ce qu'il voit faire au Père. C'est le Père qui révèle au Fils toutes ses œuvres et qui lui a remis le pouvoir souverain de juge.» La parole du Fils est un instrument de régénération; elle produit directement la vie éternelle dans les âmes. Cette vie divine, Jésus-Christ l'apporte à la terre. Tous les morts spirituels, que le paganisme a tués, que les démons de la chair, du sensualisme et des orgueils cupides ont ensevelis dans la région des ombres de la mort, vont entendre la voix du Fils de Dieu, et ressusciter pour la

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1. 11 suffit d'indiquer ici, pour en faire justice, les affirmations des nouveaux exégètes: «Jésus, disent-ils, est le créateur du culte pur. Il a fondé la religion absolue, n'excluant rien, ne déterminant rien, si ce n'est le sentiment; une religion sans théologie ni symbole. On chercherait vainement dans l'Évangile une proposition théologique recommandée par Jésus.» Vie de Jésus pag. 440>

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vie de la foi, de la grâce et de l'amour, «L'heure est venue.» Mais cette résurrection des âmes ne sera qu'un prélude, et comme le premier acte de la grande résurrection universelle. Quand l'Église catholique, dans son Symbole, a inscrit ce dogme solennel: «J'attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir 1,» elle n'a fait que traduire, dans sa profession de foi, la parole de Jésus-Christ lui-même: «L'heure viendra où tous les habitants des tombeaux entendront la voix du Fils, et se lèveront, ceux qui auront fait le bien, pour la résurrection de la vie; ceux qui auront fait le mal, pour la résurrection du châtiment.»

  12. La voix qui retentira, à la fin des siècles, sur les sépulcres ouverts, dans les assises du grand et formidable jugement, sera la «voix du Fils;» mais, ce Fils unique de Dieu sera en même temps le «Fils de l'homme.» Telle est en effet, cette sublime révélation du Sauveur, aussi formelle dans les termes que simple dans l'exposé. Comme Verbe, Jésus-Christ est le «Fils de Dieu;» comme Verbe incarné, il est «Fils de l'homme.» Et ces deux natures, divine et humaine, par un mystère ineffable, sont unies dans la personne de Jésus. Comme Verbe, il est consubstantiel au Père; comme Verbe incarné, il représente essentiellement la nature humaine, et porte un nom qui n'appartient qu'à lui. Il s'appelle: «Fils de l'homme.» Sauveur de l'humanité, qu'il a épousée, il en doit être le juge. Au prix de ses abaissements, il a acheté le droit d'en être le souverain arbitre. «Le Père lui a remis le pouvoir du jugement, parce qu'il est Fils de l'homme.» Voilà pourquoi l'Église redit aujourd'hui, dans son Symbole, l'affirmation qui indignait les Pharisiens, sous les portiques du Temple; Jésus-Christ, dit-elle, viendra, une seconde fois, dans sa gloire, juger les vivants et les morts 2.» Toute la théologie catholique est dans cet admirable discours, qui résume, avec une autorité divine, l'ensemble de la révélation évangélique. Jésus-Christ, Fils de Dieu, guérit les malades, ressuscite les morts et commande à la nature, dont il est le

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1. Expecto rcsurrectionem mortuorum, et vitam venturi saculi. (Symbol. Nic*ii.) 2. Et iterum venturus est cum glorid judicare vivos et mortuos. (ôyiobol. Nicœa.)

m* HISTOIRE BE L'ÉGLISE. — T* ÉPOQUE (AN 1-312).

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créateur: Jésus-Christ, Fils de l'homme, subît toutes les infirmités humaines; il naît dans l'indigence; il fuit devant une tyrannie vulgaire; il grandit dans les labeurs d'un atelier; il est méconnu des siens, persécuté dans sa patrie, outragé, discuté, calomnié, jusqu'au jour où il mourra sur une croix. Si le Fils de Dieu trouve un Thabor, le Fils de l'homme trouvera un Calvaire. Qu'est-ce que tout cela, sinon le commentaire en action du discours du Temple. Mais les humiliations et les souffrances de l'homme ne sont qne le manteau qui recouvre, sans l'effacer, la divinité toute-puissante. Jean-Baptiste est l'ange du témoignage, envoyé pour préparer le chemin sous les pas du Dieu incarné. Moïse et le Testament Ancien ont prédit ses gloires et ses opprobres. Le passé l'attendait; et les œuvres merveilleuses qu'il accomplit proclament son avènement. Rhéteur, qui avez osé dire: «On ne trouverait pas, dans tout l'Évangile, une proposition théologique,» avez-vous lu l'Évangile ?

LES PHARISIENS «TOLÉRANTS» NE TOLÈRENT PAS QUE JÉSUS SOIT DIEU.

 

 

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