Darras tome 39 p. 100
57. Buffon, que la voix publique
place, après Voltaire, avec Montesquieu et Rousseau, à la tête des écrivains
du XVIIIe siècle, eut aussi sa part dans les défaillances de son
siècle et dans les trames de la
conspiration contre l'Évangile. Georges-Louis Leclerc, qui changea son
nom de famille en celui de Buffon, était né à Montbard, d'un conseiller au
parlement de Bourgogne. Maître du choix de sa carrière, il essaya tour à tour
de la géographie, de la physique et de l'économie rurale ; en 1733, il publia
même une
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traduction de la Statique de Hales, et en 1740, le Traité des fluxions, c'est-à-dire de l'analyse infinitésimale de Newton. En 1749, nommé intendant du Jardin des Plantes, Buffon se consacra définitivement à l'histoire naturelle. La même année, Buffon publia la Théorie de la terre et le Système sur la formation des planètes ; travailleur infatigable, il poursuivit son œuvre jusqu'à sa mort en 1788. Buffon était un seigneur de son temps et savait en exercer les prérogatives, au besoin les revendiquer. La présentation du pain bénit à sa paroisse, la communion pascale, les devoirs extérieurs du culte, il savait tout respecter. En même temps, il subornait de pauvres filles et les débauchait ; un brave homme lâche qui blâme les excès des philosophes et ne sait pas se contenir lui-même. Les principaux ouvrages de Buffon sont, après la Théorie de la terre et, comme complément, les Epoques de la nature ; puis l'Histoire générale des animaux, l'Histoire particulière de l'homme, les quadrupèdes, les singes, les oiseaux, et les minéraux. Les anciens, notamment Aristote, les deux Pline et Columelle, avaient certainement étudié, avec un esprit positif et décrit en excellent style les merveilles de la nature. On ne s'étonne point qu'ils n'aient pas poussé plus avant les choses: l'esprit humain, toujours faible, rencontre promptement des limites : mais on regrette qu'à ces observations si nettes, à ce style si heureusement bref, ils aient mêlé des rêveries qu'on ne peut que déplorer. Au moyen âge, les symbolistes, dans leurs Bestiaires, Volucraires et Lapidaires, purgèrent la pensée chrétienne de ces erreurs et de cette vaine mythologie. Au XVIIIe siècle, laissant de côté et très à tort, le symbolisme chrétien, on voulut écrire, avec une éloquente précision, l'encyclopédie de l'histoire naturelle, mais on n'eut pas autant de succès que d'ambition. Buffon a certainement étudié, il sait beaucoup ; mais il ne voit, dans chaque sujet, qu'une matière à description pompeuse, dans son fameux style à manchettes. On lui reproche justement de n'avoir pas coordonné l'histoire naturelle d'après les classifications d'ordres, de familles, de tribus, de genres, et de s'être contenté de considérer à part chaque espèce, chaque succession d'individus. On lui reproche plus justement encore d'avoir prodigué les détails
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indécents et même libertins : sous ce rapport, il est bien de son temps et parle des bêtes comme on peut parler de ses contemporains, livrés a une si effroyable luxure. L'amour physique est, à ses yeux, tout le bonheur ; le moral dans l'amour ne peut que lui gâter la nature. La Théorie de la terre et les Études de la nature ne sont pas très orthodoxes ; les Études expliquent par le feu et l'eau la superposition, en géologie, des quatre grandes couches de terrains ; la Théorie de la terre explique la formation des planètes, par la rencontre du soleil avec une comète, hypothèse empruntée à l'anglais Whiston. Buffon paraît, cependant, croire à la chute originelle ; il attribue même, à cette cause, la révolte de tant d'animaux contre leur souverain. Çà et là il parle d'une manière assez orthodoxe de plusieurs dogmes. Mais faut-il voir l'expression de sentiments sincèrement chrétiens dans des mots de pure forme, de déférence, de précaution ? Son déisme même n'est pas bien ferme; et quand il semble s'exprimer avec le plus de conviction sur la Divinité, il lui échappe des expressions qui ne sont pas d'un auteur suffisamment religieux. Plus il a pénétré dans le sein de la nature, plus, dit-il, il a admiré et profondément respecté son auteur. Ce mot respecter n'est-il pas singulier en parlant de Dieu ? Sous le nom de Dieu, de Créateur, il paraît n'avoir en vue que les forces vives de la nature. La nature, les lois immuables et nécessaires, tel est, chez Buffon, comme chez Lucrèce et chez Pline, le fond dominant de croyance. Madame Necker parle de Buffon comme d'un pyrrhonien et Hérault de Sechelles comme d'un athée. Cependant nous croyons qu'il était assez fixé sur la spiritualité de notre être. Il s'étend avec l'accent de la conviction sur les preuves de l'immatérialité de l'âme ; il proclame très haut que la bonté du Créateur a mis une distance immense entre l'homme et la bête. Du reste, il y avait beaucoup de matérialisme dans la philosophie de Buffon et dans sa vie.
58. Gabriel Bonnot de Mably, d'une famille noble du Dauphiné fut envoyé bien jeune encore au collège de Lyon tenu par les Jésuites et en sortit passionné pour les Grecs et les Romains. Les études faites, il étudia en théologie à Paris et reçut le sous-diaconat,
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il fut même chanoine de l'île Barbe. Son caractère le portait à l'austérité et ses goûts aux études classiques ; il renonça donc aux traités théologiques et se reprit à lire les anciens. Ce sous-diacre lacédémonien a laissé entre autres les Entretiens de Phocion, des Observations sur les Grecs et les Romains, et des Eléments de morale. Les idées qu'il y développe se réduisent à deux : le culte de l'antiquité et le mépris du christianisme. «Ni la religion, ni le gouvernement, ni la gloire, ni les annales de la France et des nations européennes, dit un écrivain, ne lui parurent mériter un regard. Ses livres étaient bien moins une louange de l'antiquité, qu'une attaque contre ce qui existait. Ils inspiraient moins la vénération pour les institutions anciennes, que le mépris pour les institutions modernes. Il suivait donc aussi une marche destructive. Cependant il n'était pas lié avec les philosophes quoiqu'il concourût aux mêmes résultats qu'eux. » D'Alembert écrivait de lui : « La haine qu'il affiche contre la philosophie est d'autant plus étrange qu'assurément personne n'a plus affiché que lui, et dans ses discours et dans ses ouvrages, les maximes antireligieuses et antidespotiques. » On dit que l'abbé de Mably reconnut ses erreurs à la mort, en 1783.
Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, né à Ribemont, en Picardie en 1743, perdit son père à l'âge de quatre ans ; pour soustraire son fils aux dangers de l'enfance, sa mère l'avait voué à la sainte Vierge. A onze ans, il entra chez les jésuites. En quittant Reims, il étudia les mathématiques à Paris, et, à dix-sept ans, lui, fils de famille, neveu de hauts dignitaires dans l'Église et dans l'armée, se posa comme détaché de toute prérogative nobiliaire et déjà sceptique. En 1769, il entra à l'Académie des sciences et, en 1782, à l'Académie française, mais par une supercherie de d'Alembert qui frauda sur les suffrages. De bonne heure, il montra un grand ressentiment contre les prêtres. Condorcet paraît avoir débuté, comme écrivain philosophe par les Lettres d'un théologien à l'auteur des Trois siècles littéraires (1774), écrit dont Voltaire blâmait la publication, parce que, par des traits sanglants et terribles, il révélait les secrets de la conspiration. En 1776, il donna une édition de Pascal; « son commentaire, dit Grimm, renferme les
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principes subtils d'un athéisme décidé ; » on pourrait l'appeler l’Anti-Pascal, tant il contredit les pensées qu'il juge favorables à la religion. En 1778, il publia les Réflexions d'un catholique sur l'état civil des protestants, et, bientôt après, un Recueil de pièces sur le même sujet. On lui doit encore des Vies de Turgot, et de Voltaire. C'est dans ce dernier ouvrage qu'il se plaint du prix excessif attaché à la pureté des mœurs; c'est, dit-il, le moyen d'étendre le pouvoir des prêtres. Condorcet ne se piquait ni de modération, ni de flexibilité ; s'il prêche la tolérance, c'est sur le ton de l'aigreur et de la haine. On l'avait appelé, dans son parti, le mouton enragé et le volcan couvert de neige. A la révolution, il avait donné en plein dans le mouvement et s'empoisonna en 1793, victime de la cause qu'il avait servie. On a publié, depuis la mort de Condorcet, une Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain. Condorcet y proclame l'existence déjà ancienne d'une ligue ennemie de la religion et des trônes et il veut qu'on ait obligation à la philosophie d'avoir combattu et détruit ce qu'il appelait la superstition et le despotisme, se vantant ainsi de ce que d'autres de ses confrères voudraient faire passer pour une calomnie. La manière dont il explique dans cet ouvrage l'origine du christianisme, n'atteste pas plus de bonne foi que d'érudition. Au surplus, il ne voit juste ni dans le passé ni dans l'avenir; et à propos de la perfectibilité indéfinie de l'esprit humain, qui était sa manie et sur laquelle il revient à satiété, il s'épuise en conjectures toutes plus folles les unes que les autres, sur le bonheur et la perfection dont nous devons jouir un jour. Il se complaît dans la puissance et la vertu des adages philosophiques, ne tient nulle compte des passions, et croit bonnement, ou feint de croire, que quand il n'y aura plus ni rois ni prêtres, tout ira le mieux du monde ; et ce qui prouve son aveuglement opiniâtre, c'est qu'il parait avoir composé cette Esquisse lorsqu'il était victime des fureurs révolutionnaires et proscrit par d'implacables ennemis des rois et des prêtres.
59. Helvétius, d'Holbach, Lamettrie et plusieurs autres forment la partie la plus avancée de la secte, l'avant-garde de l'athéisme le plus franc et du plus grossier matérialisme. — Claude-Adrien Hel-
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vétius, né à Paris, en 1715, fut placé, dès l'âge le plus tendre chez les Jésuites. Au récit des batailles de l'antiquité, son imagination avait pris feu ; il se traîna jusqu'en rhétorique rêvant d'être un héros de Quinte-Curce. Sa jeunesse fut licencieuse, absorbée par les frivolités et les passions. Fermier-général à vingt-trois ans, il se lia avec les encyclopédistes, prit du goût pour la littérature et étudia la philosophie de Locke. L'amour de la réputation le surprit inopinément au milieu de sa vie licencieuse; et, parce que Maupertuis, Voltaire et Montesquieu étaient célèbres , il se crut de taille à le devenir. De cette ambition naquirent le livre De l'esprit et le traité De l'homme et de ses facultés intellectuelles. Ce livre de l'Esprit, dont les plus belles pages, dit Grimm, sont de Diderot, se résume dans le plus abject matérialisme ; l'homme ne se distingue de la bête que par l'habit; et Voltaire lui reproche d'avoir sapé les vertus les plus consolantes. Helvétius se rétracta deux fois, mais sans changer d'avis. Le traité De l'homme ressasse les radotages déclamatoires contre le moyen âge, sur le paganisme et en faveur du plaisir. À l'entendre, le christianisme est une religion intolérante, inhumaine, impolitique ; il faut en revenir à la religion païenne, moins nuisible au bonheur des hommes et aboutir, par l'éducation classique, à une religion philosophique dont Helvétius dresse le programme. Ce malheureux financier, épuisé prématurément par ses excès, mourut en 1771. « La tête d'Helvétius, dit P. de Barante, n'était point assez vaste, ni assez forte pour faire un système ; son livre ne paraît être que le résultat des conversations qu'il entendait, des principes que débitaient ses amis et des opinions légères, fugitives, contradictoires de sa société. »
Paul Thiry, baron d'Holbach, né dans le Palatinat, en 1723, vint de bonne heure à Paris, et fut élevé à la même école que ses contemporains. Au sortir du collège, il fit de sa maison le rendez-vous des lettres, donna des soupers impies et fut appelé, par Galiani, le premier maître-d'hôtel de la philosophie. De ces soupers, sortirent, de 1766 à 1778, une foule d'ouvrages, tous signés d'Holbach, mais où pour plusieurs, il n'a mis que son nom, comme éditeur payant; nous citerons seulement les titres : l’Esprit du clergé, — l’Impos-
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ture sacerdotale, — la Contagion sacrée, •— l'Examen critique des prophéties qui servent de fondement à la religion chrétienne ; — les Lettres à Eugénie ; — les Lettres philosophiques sur l'origine des préjugés ; — les Prêtres démasqués ou les Intrigues du clergé chrétien ; — la Théologie portative, sous le faux nom de l'abbé Bernier ; de la cruauté religieuse ; — l'Enfer détruit ; — l'Intolérance convaincue de crime et de folie ; — l'Esprit du judaïsme; — l'Essai sur les préjugés, sous le nom de Dumarsais ; — l'Examen critique de la vie et des ouvrages de Saint Paul, (cet ouvrage est traduit de l'anglais de Pierre Annet sans que d'Holbach en prévienne); — l'Histoire critique de Jésus-Christ ; — le Système de la nature ; — le Tableau des saints ; — le Bon sens ; — de la Nature humaine ; — le Système social ; — David ; — plus cinq écrits insérés dans le Recueil philosophique, dont Naigeon fut éditeur en 1770. L'ouvrage le plus infernal de d'Holbach, c'était le Systême de la nature où s'étale dans tout son cynisme, le naturalisme païen : éternité de la matière, Dieu-nature, fatalisme, négation de la Providence et de l'immortalité de l'âme. D'Holbach mourut en 1789, disant qu'il allait rentrer dans le néant.
60. Un digne émule d'Helvétius et d'Holbach fut le médecin Julien de Lamettrie né à Saint-Malo en 1709. Dans sa jeunesse il avait étudié sous Boerhaave et s'était attaché au jansénisme. Une maladie qui mit ses jours en danger, lui fit croire que l'âme mourait avec le corps ; ce fut l'occasion de son Histoire naturelle de l'âme. Ensuite il publia l'Homme machine, l'Homme plante, le Système d'Epicure dont le titre fait deviner le contenu. D'Argens disait de ces ouvrages : c'est le vice qui s'explique par la démence ; Voltaire qu'ils étaient d'un fou qui avait écrit dans l'ivresse ; et Maupertuis que leur auteur ne savait pas même ce qu'ils contenaient. Lamettrie, poursuivi en France, devint lecteur du roi de Prusse et mourut d'indigestion. L'approche de sa dernière heure lui fit comprendre que le triste honneur de mourir dans l'impiété ne valait pas le sacrifice de l'espérance qui lui restait de fléchir la colère de Dieu. — Après Lamettrie, citons encore d'Argens, Toussaint, Raynal. D'Argens, fils du procureur général au parlement d'Aix, eut
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une jeunesse orageuse et se fit déshériter par son inconduite. Ecrivain pour vivre, il se retira en Hollande et y publia ses Lettres Juives, Lettres chinoises, Lettres cabalistiques et une Philosophie du bon sens. Ces ouvrages sont tous contre la religion et ses ministres. Voltaire appelle leur auteur l’insensé d'Argens, impie très utile à la bonne cause malgré son bavardage. Mœurs D'Argens eut le bonheur de revenir en Provence chez son frère et d'y mourir en abjurant ses erreurs. — Toussaint avocat de Paris, puis impie, publia son livre des où il cherche à établir une morale sans religion ni conscience. Cet écrit fût brûlé par le Parlement et Toussaint que ses compères appelaient le déiste dévot mourut un an après d'Argens, en 1772, d'une mort édifiante et chrétienne. — Raynal ex-jésuite, renonça aux pratiques de son ministère pour s'affilier à la secte des philosophes. Son livre le plus célèbre est l’ Histoire philosophique des Etablissements des Européens dans les deux Indes abominable dont il ne fut guère que la raison sociale, Diderot et consorts en ayant compilé une bonne partie. La Sorbonne déclara ce livre et le qualifia non sans raison de délire d'une âme impie. Raynal mourut dans la pauvreté en 1796.
Pour nous dispenser d'entrer dans de nouveaux détails biographiques, nous donnons un résumé des doctrines de tous ces philosophes. Sur l'existence de Dieu les uns affirment, les autres nient; sur la nature et les opérations de Dieu, ils enseignent le Dieu âme du monde de Platon, le Dieu grand-tout de Xénophane et le Dieu tranquille d'Epicure. L'origine du monde s'explique à leurs yeux par l'éternité de la matière, par les forces de l'eau, et par le développement de germes venus on ne sait d'où. L'âme humaine quelquefois n'existe pas, d'autrefois elle est âme-matière, âme-Dieu et réduite à un globule rond ; et puis elle est tantôt mortelle, tantôt immortelle pour faire les promenades de la métempsycose. En passant du dogme à la morale, nous voyons nier la distinction du juste et de l'injuste; en tous cas la vertu se réduit à l'utile, au plaisir ; il n'y a ni enfer ni purgatoire; et le genre humain n'est plus qu'un troupeau de bêtes. Les moyens de le gouverner sont donc de recourir au despotisme césarien, aux honneurs, au bourreau, au
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divorce, aux courtisanes et à l'abolition de la propriété. Tel est en substance le credo des encyclopédistes ; dans l'ordre philosophique, nous l'avons dit, c'est le rationalisme : dans l'ordre religieux, le naturalisme; dans l'ordre moral, le sensualisme; et dans l'ordre politique, le despotisme.
61. Le nom de Prérel mérite d'être prononcé avec honneur; c'est un des savants les plus sérieux du XVIIIe siècle. Malheureusement il parait s'être livré aux plus déplorables écarts contre la religion. Il y a, sous son nom, des ouvrages très hostiles à la foi catholique ; il attaque, en particulier, l'authenticité des Évangiles, sous le prétexte qu'il avait couru des apocryphes dès le commencement. Les lettres de Thrasybule à Leucippe, qui paraissent être de lui, réduisent, avec une précaution perfide, l'athéisme en principe. L'Examen des apologistes du christianisme, sous prétexte que, dans une cause comme celle de la religion, on ne doit apporter que des preuves victorieuses, discute, réfute, ridiculise et s'efforce de réduire à rien les plus solides arguments des docteurs. Non seulement il nie l'authenticité et la véracité des Évangiles, mais il attribue l'établissement et la propagation du christianisme aux édits des empereurs chrétiens ; il prétend que les apôtres n'avaient converti que des gens du peuple ; enfin il soutient que la révélation chrétienne n'a rien fait pour les progrès du genre humain et que les philosophes de l'antiquité enseignaient, dans les écoles helléniques, toutes ces vérités fondamentales que le christianisme devait populariser plus tard. Ces prétentions, réfutées depuis, firent à la religion un mal considérable.
Boulanger (1722-1759), copiste de l'anglais Toland, attaqua le christianisme par un système perfide d'insinuations et d'allusions. Dans l’Antiquité dévoilée, qui ne fut publiée qu'en 1766, cet écrivain, d'une imagination forte et sombre, s'applique ardemment, mais sans critique, à retrouver, dans tous les usages de l'antiquité et surtout dans les pratiques religieuses, les souvenirs du déluge, les impressions de terreur qu'il a laissées dans l'esprit des peuples, les liaisons qui se sont établies entre ce grand catalysme et les périodes astronomiques, les apparences des astres et les divisions cycliques
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du temps. Pour lui, une des principales conséquences des grands malheurs arrivés à l'espèce humaine, c'est l'établissement du despotisme oriental et théocralique, la naissance et l'exagération du sentiment religieux. Bien loin d'attribuer aux religions, une origine divine, il ne voit, dans les dogmes et dans les objets du culte, que des symboles des phénomènes astronomiques : l'histoire elle-même lui apparaît comme un grand symbolisme. Boulanger, pour combattre la religion, se servait aussi de la géologie, mais avec une grande médiocrité de savoir.
Dupuis (1772-1809) présenta sous d'autres formes, les prétentions de Boulanger. Dupuis avait professé la rhétorique et suivi le barreau, lorsqu'il se lança dans les mathématiques avec Lalande. Les mathématiques, généralement un peu froides, l’échauffèrent et le poussèrent aux spéculations les plus hardies. De là, en 1781, son Mémoire sur l'origine des constellations et sur l'explication de la fable par l'astronomie ; puis, en 1794, son Origine de tous les cultes ou la religion universelle : écrits dans lesquels il se propose d'ouvrir, à l'étude de l'antiquité, des routes nouvelles et de saper la base des religions positives. Adorateur, non pas d'un Dieu vivant et personnel, mais de l’Univers-Dieu ; il prétend prouver, non par des raisonnements, mais par des faits et par un précis de l'histoire religieuse de tous les peuples que « tous les hommes de tous les pays, dès la plus haute antiquité, n'ont eu d'autres dieux que des dieux naturels, c'est-à-dire le monde et ses parties les plus actives et les plus brillantes, le ciel, la terre, le soleil, la lune, les planètes, les astres fixes, les éléments, et, en général, tout ce qui porte le caractère de cause et de perpétuité dans la nature. (1) » Suivant Dupuis, les anciens avaient donné une âme au monde, et à chacune de ses parties, l'activité et l'intelligence. C'est pourquoi ils plaçaient des anges, des génies , des dieux dans chaque élément, dans chaque astre «et surtout dans l'astre bienfaisant qui vivifie la nature, qui engendre les saisons, qui dispense à la terre cette chaleur, qui fait éclore de son sein toutes les richesses et écarte les maux que le principe des ténèbres verse sur la matière : » Le dernier écho des
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(1) Abrégé de l'origine de tous les cultes, chap. II.
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théories de Dupuis est venu s'éteindre dans l'ouvrage aux forme» romanesques, intitulé les Ruines de Chasseboeuf dit Volney, sénateur de l'empire.