Les juifs 17


Darras tome 32 p. 603

le grand-maître de Rhodes, instruit des projets du sultan, fit partir en vain des chevaliers pour réclamer l'assistance de toutes les cours de l'Europe. Ces envoyés ne s'étaient pas fait entendue, que le grand-maître se vit investi dans son île par une flotte de quatre cents voiles, galères ou autres vaisseaux, et par cent quarante mille hommes de débarquement. La valeur eût encore suffi contre la multitude, si la perfidie n'eût pas trouvé accès dans le sein même de l'Ordre. Villiers de l'Ile-Adam, élu grand-maître l'année précédente, avait eu pour compétiteur André d'Amaral, qui en était chancelier. L'ambition est capable de tout. Les noirceurs de la trahison ne firent pas horreur à d'Amaral. D'abord, il encouragea le sultan à venir assiéger Rhodes. Par l'entremise d'un Turc prisonnier de guerre, il l'instruisit exactement de l'état dans lequel se trouvait l'île, des endroits les plus faibles de la place et du petit nombre des combattants qui s'y rencontraient. D'Amaral était secondé par un médecin juif, qui servait habituellement d'espion au grand-seigneur et qui lui donnait des avis presque journaliers par l'un de ses coreligionnaires de Scio, chargé de les faire parvenir à Constantinople    


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Darras tome 33 p. 590

Deux forces montaient à l'assaut de l'Europe chrétienne, d'un côté, le Protestantisme, de l'autre, l'Islam. La France était tombée aux mains de princes faibles et sans énergie, le Saint-Empire n'était pas dans de meilleures conditions pour venir en aide à l'Église. La République chrétienne n'offrait nulle part une cohésion capable de résistance. Restait bien l'Espagne qui achevait glorieusement sa campagne séculaire contre les Sarrazins ; mais l'Espagne était le peuple le plus menacé de dissolution. Sans parler de ses royaumes, dont l'assimilation laissait à désirer, n'y avait-il pas, dans son sein, les plus puissants germes de division. Sur le sol de Castille et d'Aragon vivaient trois races qui s'épiaient l'une l'autre, quand elles ne se combattaient pas, les Chrétiens, les Juifs et les Maures. Deux autres races métisses étaient venues accroître ce funeste mélange du sang, les Morisques et les Marranos ; ou plutôt, à bien dire, il n'y avait que deux races en Espagne, les Chrétiens qui avaient contre eux les Juifs, les Maures, les Morisques et les Marranos. Et c'étaient ces Chrétiens espagnols, enfermés dans une péninsule avec des peuples ennemis trois ou quatre fois plus nombreux qu'eux-mêmes, qui devaient porter secours à l'Église catholique menacée, par terre et par mer, en France, en Allemagne, en Italie, en Grèce, en Angleterre, dans les Pays-Bas et en Afrique ! Mais quelle puissance de cohésion, quel miracle de force agglutina-

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p591 chap. xh. — l'inquisition.


tive pouvait produire cet incomparable triomphe? Pour la doctrine, le Siège de Pierre est un rocher contre lequel les puissances de l'enfer viendront toujours se briser ; et pour la politique catholique il fallait que le trône des Espagnes fût aussi un rocher, contre lequel tous les efforts du démon déchaîné, au XVIe siècle, vinssent se briser également. Non-seulement les Juifs, les Maures, les Marranos et les Morisques s'entendaient, se liguaient contre les Chrétiens espagnols, mais ils correspondaient au dehors avec les deux formidables  ennemis de la chrétienté, le Turc et le Protestant. Quant aux rapports des Alpuxarras avec Alger, Fez, Tunis et Constantinople, on s'en doute suffisamment ; mais ce qu'on ne sait pas assez, c'est que les Morisques de Grenade pouvaient encore offrir, en 1606, aux protestants du Béarn, une armée de cent mille hommes sur les derrières de l'Espagne, si  Henri IV voulait  déclarer la guerre à Philippe III. Ce qui explique, pour le dire en passant, comment la contrebande des chevaux d'Aragon et de Navarre était un délit de remonte de cavalerie, de munitions de guerre passées à l'ennemi : or, cet ennemi étant protestant, ce délit s'élevait à la hauteur du crime de fauteur d'hérétiques et la logique devait conduire à confier, au Saint-Office, la répression de ce brigandage. — Puisque j'ai nommé le protestantisme, je dois dire que ce nouvel ennemi était, sans contredit, le plus dangereux pour les Espagnols. En effet, les Juifs, les Morisques, les Marranos, les Turcs d'Afrique et d'Asie, marchaient, il est vrai, contre les  chrétiens ; mais il était  inouï qu'un Chrétien se fut concerté avec ces ennemis nés contre ses compatriotes, tandis que le nouvel ennemi trouve accès parmi les vieux Chrétiens, promettant de servir un trait d'union entre les traîtres de la race chrétienne et les traîtres de toutes les dénominations hostiles qui l'assiègent dans la patrie. — Voici maintenant les forces dont disposent les ennemis  intérieurs de l'Espagne.   Les Maures occupent les forteresses naturelles des Sierras, où six fois la fleur de la chevalerie castillane ira épuiser son sang ; les Morisques composent à peu près tous les corps de métiers ; les Juifs possèdent la banque, l'usure, le monopole des capitaux ; les Judaïsants ont organisé la plus insaisissable hypocrisie dont l'histoire

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592 PONTIFICAT  DE   PAUL  111  (1534-1549).


fasse mention : il y a des Judaïsants à la cour, à l'armée, dans la magistrature, dans le clergé et jusque dans l'épiscopat. Voilà tous les périls conjurés contre la société espagnole, quand on apprit que la peste protestante pénétrait dans la péninsule. On en avait signalé des cas à Valladolid, à Séville, à Valence, à Tolède, à Cadix, à Sarragosse ; des chanoines, des littérateurs de la renaissance, de grandes dames, des prélats en étaient atteints et recevaient mystérieusement la nouvelle des victoires politiques et doctrinales de Londres, Genève et Augsbourg. Encore une fois, c'est ce peuple espagnol, miné par la poudre de l'islamisme, vendu par l'ordre judaïsme, coupé de chausses-trappes par les Morisques et les Marranos, bourré de machines infernales par le protestantisme, c'est ce peuple qui doit se sauver lui-même et sauver l'Eglise. Enfin, l'Espagne est une presqu'île, elle offre aux entreprises des flottes et des moindres barques une circonférence de cinq cents lieues de côtes, dans un temps où l'art des douanes efface l'étape rudimentaire ; et il s'agit d'empêcher une contrebande d'idées à une époque où l'imprimerie est inventée : et où les deux grands ennemis de l'Espagne et de l'Eglise, l'islamisme et le protestantisme, sont en même temps les deux grandes puissances maritimes du monde. Voilà donc l'Espagne, la voilà. Comment s'en servir pour le salut commun. La solution du problème, ce fut l'Inquisition. Thomas de Torquémada sauva son pays avec un demi bataillon d'infanterie et un escadron de cavalerie, sans razzia, sans déportation, sans justice administrative, sans emploi de la force que contre la rechute et l'endurcissement. Torquémada n'a livré au bras séculier que des relaps et des séditieux. Pas un dessous n'a été donné à la loi, pas un coup de sabre perdu dans la mêlée, rien d'abandonné aux hasards des combats. Torquémada n'a pas fait une victime de la guerre pour un patient de la justice ; les suppliciés de l'Inquisition se sont jugés et exécutés eux-mêmes, malgré le grand inquisiteur, comme les damnés se perdent, malgré Dieu. Après Torquémada son œuvre est tombée entre les mains de Ximénès, que l'Espagne reconnaissante demande à voir élever sur les autels.

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