LES RATIONALISTE MODERNES SONT CONFONDUS
CHAPITRE II
PRÉPARATION ÉVANGÉLIQUE.
SOMMAIRE.
§ I. VISION DE ZACHARIE.
1.Zacharie, père de saint Jean-Baptiste. L'ange Gabriel à l'Autel des Parfums.— 2. Preuves extrinsèques de l'authenticité du récit Evangélique. — 3. Preuves intrinsèques de l'authenticité du récit Evangélique. — 4. Cérémonie de l'adustion de l'encens, au temps de Zacharie. — 5. Conformité du récit Évangélique avec les prescriptions rituelles.
§ II. ANNONCIATION.
6. Le
message de l'Ange à la Vierge de Nazareth. — 7. Ave Maria.
§ III. LA VIERGE IMMACULÉ.
8. Traditions universelles sur la Vierge-Mère. — 9. Le culte de Marie et le Protestantisme. — 10. Histoire traditionnelle de Marie. — 11. Anne et Joachim. — 12. Conception immaculée de Marie. — 13. Nativité de Marie. — 14. Présentation et éducation de Marie au Temple. Les Fiançailles.
§ IV. VISITATION. NAISSANCE DE SAINT JEAN-BAPTISTE.
16. Visitation. Magnificat. — 16. Critique rationaliste. — 17. Naissance et Circoncision de saint Jean-Baptiste. — 18. Nœud des deux Testaments. — 19. Soupçons de saint Joseph. Mariage virginal.
§ V. LE DÉNOMBREMENT DE L'EMPIRE.
20. Objections générales des Rationalistes. — 21. Témoignage d'Auguste confirmant la réalité du dénombrement mentionné par l'Évangile.—22. Témoignages identiques de Tacite, Suétone et Dion Cassius. — 23. Témoignage identique de Tertullien. — 24. Témoignage inattendu et involontaire du rationalisme moderne. — 25. Une difficulté chronologique, résultant d'une différence de dix années, entre la date de Josèphe et celle de saint Luc. Texte grec de saint Luc. 26. Traduction de saint Luc, selon la Vulgate. Solution. Témoignages de saint Justin et de Tertullien. — 27. Bethléem. La véritable Maison du Pain.
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§ VI. LE VOYAGE A BETHLÉEM.
28. Jésus était-il de la famille de David? — 29. Forme du recensement d'après la loi romaine. — 30. Preuves historiques de la réalite du voyage à Bethléem. — 31. Tryphon le juif. — 32. Conclusion.
§ VII. GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST.
33. Différence des deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc. — 34. Importance des généalogies chez les Hébreux. — 35. Solution de la question des deux généalogies évangéliques. —36. Conclusion
§ 1. Vision de Zacharie.
1. «Aux jours d'Hérode, roi de Judée, vivait un prêtre, nommé Zacharie, de la famille d'Abia. Sa femme, issue comme lui de la descendance d'Aaron, se nommait Elisabeth. Tous deux étaient justes devant Dieu, marchant, irrépréhensibles, dans le sentier des commandements et des lois du Seigneur. Ils n'avaient point de fils; Elisabeth était stérile, et les deux époux avancés en âge. Or, pendant que Zacharie remplissait ses fonctions sacerdotales, devant Dieu, à son tour de rôle, il lui arriva d'être désigné par le sort, ainsi qu'il se pratiquait entre les prêtres, pour offrir l'encens sur l'Autel des Parfums. Il entra donc dans le Temple, et, cependant, la multitude du peuple se tenait sous les portiques, priant, selon la coutume, à l'heure de l’encens. L'Ange du Seigneur, debout à l'angle droit de l'Autel des Parfums, apparut à Zacharie. Cette vision troubla le prêtre; l'épouvante le saisit. L'Ange lui dit alors: Ne crains rien, Zacharie. Ta prière a été exaucée. Elisabeth, ta femme, donnera le jour à un fils, que tu nommeras Jean 1. Il sera ta joie et ton allégresse; les multitudes se réjouiront à sa naissance; car il sera grand devant le Seigneur. Selon la loi du Nazaréat, il ne boira ni vin, ni liqueur fermentée. L'Esprit-Saint se reposera sur lui, dès le sein de sa mère. Plusieurs des fils d'Israël seront convertis par lui au Seigneur leur Dieu. Il marchera devant la face de Dieu, dans l'esprit et la puissance d'Élie; afin de réunir le cœur des pères avec leurs fils, de ramener les incrédules à la sagesse des justes, et de
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1. La signification étymologique de ce nom est : Miséricorde de Jéhovah.
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préparer au Seigneur un peuple parfait. — A quel signe reconnaîtrai-je la vérité de votre parole? demanda Zacharie. Je suis vieux moi-même, et ma femme est avancée en âge. — L'Ange répondit: Je suis Gabriel, un des esprits célestes qui environnent la majesté de Dieu. J’ai reçu la mission de t'annonccr cette bonne nouvelle. Et maintenant voici: parce que tu n'as pas voulu croire à ma parole, tu resteras muet, sans pouvoir articuler un mot, jusqu'au jour où ma promesse sera accomplie. — Or, le peuple, resté au dehors, attendait Zacharie, et s'étonnait de son séjour prolongé dans le Temple. Quand le prêtre sortit, il lui fut impossible de faire entendre une parole. La foule comprit qu'il avait eu une vision. Zacharie ne pouvait s'expliquer que par signes; il resta muet. Quand les jours de son ministère furent accomplis, il retourna en sa maison, et, quelque temps après, Elisabeth, sa femme, conçut. Or, elle en garda le secret, et se tint cachée, durant cinq mois, dans sa demeure. Le Tout-Puissant, disait-elle, a daigné abaisser sur moi un regard de miséricorde, il a effacé l'opprobre qui pesait sur mon nom parmi les hommes 1.»
2. Cette page ouvre le récit Évangélique. Elle est tirée du premier chapitre de saint Luc, que tous les rationalistes s'accordent à reléguer, ainsi que le second, parmi les interpolations légendaires, ajoutées au récit primitif par la crédulité des siècles suivants 2. Un miracle, au début de l'histoire de Jésus-Christ! Les rationalistes ne sauraient l'admettre. C'est donc au nom de l'ordre naturel, immuable dans ses lois, étudiées par la science, qu'on refuse à Dieu le pouvoir de manifester ses oracles à un prêtre juif, et de lui parler par le ministère d'un Ange! Malheureusement pour les disciples de Strauss, le miracle, cette fois, les domine de toutes parts. Pour échapper à celui de la vision de Zacharie, ils vont se précipiter dans toute une série de prodiges. La première page de saint Luc est, dites-vous, une addition apocryphe. Soit. Ainsi c'est la plume d'un faussaire qui a écrit, sur le berceau de Jean-Baptiste, cette parole: «Les multitudes
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1.Luc,ij5-25.—2. Vie de Jésus,Introd.,pag.xli; d'Eichthal,LesÉvangiU», lom. I, p«g. 81, 82.
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se réjouiront au jour de sa nativité.» Cependant, si cette prophétie est l'œuvre d'un imposteur, pourquoi s'est-elle réalisée? Pourquoi, chaque année, le jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste est-il célébré, sur tous les points de l'univers? Combien de personnes, dans le monde entier, savent maintenant le jour anniversaire de la naissance d'Alexandre ou de César? Ce furent pourtant d'assez illustres figures dans l'histoire. Et voilà que, sur le berceau d’un obscur enfant d'Aaron, un imposteur, un faussaire, prédit que le monde ne perdra jamais la mémoire d'une Nativité si glorieuse! Cette prophétie incroyable, absurde, au point de vue de toutes les vraisemblances historiques, s'accomplit, au pied de la lettre. Après dix-huit cent soixante-quatre ans, le monde persiste à célébrer la naissance de Jean-Baptiste: dans deux mille ans, si l'univers est destiné à atteindie cet âge, il en sera de même, et vous trouverez cela naturel! Un apocryphe; une légende 1. Rien n'est plus facile à imaginer; mais, pour l'introduire, dans le texte évangélique, il se rencontre plus d'obstacles que les rationalistes ne semblent le croire. Saint Luc, dans les quatre versets qui forment le prologue de son Évangile, et dont l'authenticité n'est contestée par aucun exégète connu, avertit qu'il reprend le récit historique de l'Incarnation, dès le commencement (anoten) 2, et qu'il le poursuivra, selons l'ordre chronologique (xatèkses) 2. Tels sont les deux caractères que, d'avance, il signale, comme devant être exclusivement propres à son œuvre. Or, en supprimant les deux première chapitres de saint Luc, c'est-à-dire la naissance de Jean-Baptiste, et l'histoire des premières années de Jésus-Christ, en quoi l'Évangile de saint Luc se distinguerait-il de celui de saint Marc, puisqu'il commencerait avec ce dernier, au baptême du Jourdain 3? Comment justifierait-il l'intention, préalablement accusée, de prendre le récit dès le principe (anoten), c'est-à-dire au-delà même de saint Matthieu, qui débute seulement par l'Annonciation? Saint Luc ne se serait donc pas entendu lui-même, quand il traçait, de sa plume inspirée, le prologue de son Évangile ! Et voilà un second
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1. Luc, I, 3. —2 Ibid. —3 Marc, l.
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miracle, que les rationalistes auront à subir, pour compenser celui de la vision de Zacharie, dont ils ont horreur. Ils expliqueront comment un Évangéliste, qui ne se comprenait pas lui-même, a pu subjuguer la foi de l'univers. Ce n'est pas tout, cet imposteur, ce faussaire, qui, au second ou troisième siècle, aurait interpolé la légende de saint Jean-Baptiste, aurait dû, pour réussir, être un véritable thaumaturge. Son plus grand miracle eût consisté à se rendre invisible. En effet, nul ne l'a vu, ni soupçonné, dans toute la série de l'histoire chrétienne; il s'est dérobé à toutes les recherches. Origène, en l'an 200, ne l'a pas vu; et pour échapper aux regards d’Origène, il fallait plus que de l’habileté. Mais surtout, en l'an 130, Celse, le païen, l'ennemi des Evangiles, ne l'a pas vu. Pour tromper ce regard, plein de haine, il fallait une finesse bien voisine du prodige. Or Celse le philosophe cite le premier chapitre de saint Luc, et il en prend occasion de flétrir le nom immaculé de Marie. Où placer donc votre invisible faussaire, dans une période historique si scrupuleusement gardée? Tertullien, Irénée, antérieurs à Origène, ne l'ont pas connu. Saint Papias, dont Eusèbe note avec tant de soin les précieux témoignages, n'en avait nul soupçon. Gardez donc, avec vos autres mythes, cet apocryphe miraculeux. La première page de saint Luc n'a pu être inventée, après coup, par un faussaire posthume.
3. Elle porte d'ailleurs, en elle-même, des signes d'incontestable authenticité. Imaginez un ignorant légendaire, écrivant après la ruine du Temple, et improvisant, sans une seule faute, tout l'ensemble de l'histoire, des mœurs et de la religion juives. La seule expression, si simple en apparence: «Aux jours d'Hérode, roi de Judée,» suppose tout un ordre de connaissances, qui défierait une imposture rétrospective. Au Second siècle, il y avait eu trois princes du nom d'Hérode, qui avaient régné en Judée: Hérode l’iduméen, dont nous avons écrit l’histoire; Hérode-Antipas; et Hérode-Agrippa. Le faussaire, s'il était habile, l'aurait su; et alors il eût désigné plus particulièrement le roi dont il voulait parler. On
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1. Origen. Contra Gbbsm» ''lU>.Jyca(>j£Sxix.;tPa/no/. greec., loux, XI. col. 734.
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n'échappe jamais à ces nécessités imposées par les faits historiques. Aimez-vous mieux supposer votre faussaire complètement inepte, et foncièrement étranger aux événements judaïques? Dans ce cas, il n'aurait connu qu'un seul Hérode, celui dont le texte de saint Luc fait mention, au chapitre III, sous le nom d'Hérode le Tétrarque 1, et il n'aurait pas songé à lui donner d'autre titre. Un contemporain seul pouvait écrire ces mots: «Aux jours d'Hérode, roi de Judée. C'est qu'en effet, un seul Hérode régna sur la Judée tout entière; les deux autres, confinés dans leurs tétrarchies, n'eurent qu'une domination partielle. Et remarquez que saint Luc ne dit pas: «Roi des Juifs.» Un faussaire, un légendaire posthume pouvait s'y méprendre; un contemporain jamais. Hérode l’iduméen avait été imposé par Rome à la Judée; souverain de fait, non de droit, il régnait sur le pays, en dépit des habitants. Le roi des Juifs ne pouvait être qu'un héritier de la famille asmonéenne, ou tout autre descendant de la tribu de Juda, et de la race de David. Parmi tant d'écueils, la plume du prétendu apocryphe ne bronche pas. Le hasard! direz-vous. Le hasard est un Dieu complaisant qui a déjà écrit toutes les lignes du Testament Ancien, sans que vous y trouviez la place d'une rature. Que de miracles n'avez-vous pas prêtés au hasard? Ajoutez encore à son aveugle responsabilité, l'exactitude merveilleuse avec laquelle votre faussaire, du second ou du troisième siècle, parle des origines et des coutumes sacordo-
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1. Luc, ni, 1.
2. Nous croyons devoir citer ici un texte rabbinique, qui établit clairement cette doctrine : « Machabœi quoque qui postea usque ad Hcrodem Asculoiiitam, » Judœorum principatum obtinuerunt de tribu Juda censebantur, quia tribus regia » et triius sacerdotales commixtœ erant; ut paiet libro IV, Regum, cap. ii. Uni/e et n ipsi Machabœi, secundum genus maternum, ex tribu Juda processerant, quck ont' » nia in libro Sauhedrin, in capite : Dine mamonoth, id est : De Judiciis Divi» » tiarum, optime confirtnatur. Hic enim sic dicitur : Non recedet sceptnuu de » Juda; hœc sunt capita captivitatum, quœ regehant Israël, v:rgâ et sceptre. Et » scriba de medio peduni ejus, In sunt filii fi.liorur)% Ilillel. Ubi glossa : Capita, » inquit, captivitatum Bahylonis fuerunt Zorobabd et sui, ac princeps qui fuit in » terra Israël, qui fuit Mattatldas et sui, scilicet Hasmonsei, hoc est, Machabœi et » cateriab ipsis descendcntes. Filii vero filiorum Hillel fuerunt Sauhedrin, idesi » judices prœdicti, adiscipu/is Hillelis edocti ; quamobrem , ratione doctrinœ, filii • filiorum ejus sunt nuncupati. » (DansGalatinus» cac. iv, J-ib. IV, p. 196, A. B. C.)
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tales des Juifs. «Zacharie, dit-il, était de la race d'Abia, et son épouse Elisabeth de la descendance d'Aaron.» Les rationalistes modernes n’ignorent sans doute pas quel rapport il peut y avoir entre la race d'Abia et les fonctions sacerdotales. Leur science ne connaît pas d'éclipse, cependant un lecteur ordinaire pourrait ne pas même soupçonner la raison de ce rapprochement; à plus forte raison, un obscur faussaire aurait pu s'y méprendre. Mais l'apocryphe, interpolateur de saint Luc, n'ignore rien. Il sait qu'au temps de David, les familles sacerdotales, issues d'Aaron, avaient été divisées en vingt-quatre classes 1; que celle d'Abia en faisait partie. Il n'ignore pas que l'ordre du service hebdomadaire de chacune d'elles, dans le Temple, fut réglé par le sort. Celle d'Abia occupa ainsi le huitième rang 2. Le faussaire sait tout cela; et il a lu Josèphe, qui dit, en termes formels: «Cet ordre a été maintenu jusqu'à nos jours 3.» L'imposteur sait bien autre chose encore. Les prêtres juifs pouvaient se choisir une épouse parmi toutes les tribus d'Israël 4. L'apocryphe le sait, et il note, comme une particularité remarquable, que la femme de Zacharie n'appartenait pas seulement à la tribu de Lévi, mais qu'elle descendait de la famille pontificale d'Aaron 5. C'est avec la même sûreté d'intuition, que, deux ou trois siècles après la ruine du Temple, l'heureux légendaire, vivant peut-être à cinq cents lieues de Jérusalem, se rend compte des fonctions sacerdotales, consistant en quatre devoirs principaux: 1° L'immolation des victimes et l'oblation des holocaustes; 2° L'entretien des lampes sur le Chandelier d'or; 3° La confection et l'offrande des douze pains nouveaux sur la Table de Proposition; 4° Enfin, l'adustion de l'encens, soir et matin, sur l'Autel des Parfums 6. Il sait que les prêtres, en prenant leur service, chaque semaine, tiraient au sort pour se partager ces divers offices 7. On pourrait déjà s'étonner de la science générale de l'histoire juive, que possède votre légendaire;
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1 Joseph., Antiquit. judaic, lib. VII cap. xi. — 2. Exivit autem sors... octava , Abia (1 Paralip,, ixiv^ 7-10). — 3. Kai Stéjievev ouxo? ô [lepta-tiô; à^pt tti; <jr|[jL£pov ^|X£paç (Joseph., Antiq.jud., lib. VU, cap. xi). — 4. Levit., .\xi, 7. — 5. Vxorillius de ûliabus Aaron (Luc, 1,2). — 6. Exod., xxx. — 7. Sacerdotes sortiebantur quid qvisque in ternplo ageret, et quod munus obiret (Cornai, a Lapid., in Lw. Corn' ment., cap. i, ver». 9, édit. Vives, tom. XVI, pag. 9).
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mais, en poussant plus loin cet examen, en entrant dans le détail même de la fonction sacerdotale qu'il décrit, la démonstration d'authenticité ressortira jusqu'à l'évidence.
4. Voici les indications circonstanciées que nous fournissent, à ce sujet, les livres rituels des Hébreux. «Les vingt-quatre séries sacerdotales se subdivisaient en familles, ayant chacune leur prince, ou chef. Plusieurs familles servaient en un même jour lorsqu'il y avait plus de familles dans la série, que de jours dans la semaine. Il y avait une limite d'âge, fixée à cinquante ans pour les lévites; mais il n'y avait point de limite d'âge pour les prêtres. Le vendredi soir, avant leur entrée en fonctions, les chefs de famille se réunissaient au Temple, et tiraient au sort leur jour de service, par numéros d'ordre; chaque soir, les membres de la famille tiraient également au sort, par numéros d'ordre, leurs fonctions du lendemain. L'adustion des parfums se faisait le matin, au point du jour, et le soir, au coucher du soleil. Les prêtres de fonction se réunissaient, avant l'heure, dans le Temple, revêtus de leurs ornements, et portant les instruments sacrés, nécessaires à leur service spécial. Ils attendaient, pour commencer, le signal du Mégrephah, instrument de cuivre, dont le son puissant retentissait dans toute la ville de Jérusalem. A ce moment, quatre lévites, de chaque côté, soulevaient les coins du rideau. Le prêtre chargé de l'oblation de l'encens entrait, accompagné de deux autres prêtres, portant, l'un un vase plein de parfums, l'autre, un réchaud plein de charbons allumés; pour lui, il tenait à la main un plateau d'argent. Les prêtres chargés du soin des lampes; ceux qui devaient renouveler les Pains de Proposition, si c'était le jour réglementaire; ceux qui devaient purifier la grille de l'Autel des Parfums, enlever les cendres et les charbons du foyer, entraient à sa suite, et chacun d'eux se retirait, lorsqu'il avait accompli son office. Quand tout était préparé, le prêtre thuriféraire recevait, sur son plateau, des charbons ardents, qu'il plaçait sur la grille de l'Autel, puis des parfums, dont il prenait autant que pouvait en contenir sa main nue, pour les répandre sur le feu. Tous le quittaient alors. Il reculait lui-même de quelques pas, et restait en adoration, tant que le nuage d'odorante fumée montait vers le ciel. Il demeu-
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raît ainsi, quelques moments, seul, devant Dieu. Cependant, les personnes qui avaient à offrir des oblations pour le péché, s'étaient réunies, le matin, devant la porte de Nicanor, où les prêtres les rangeaient par ordre et par séries; les lévites, appelés également par le son du Migrephah, se plaçaient à leurs pupitres, et chantaient les psaumes de la naissance ou du déclin du jour; les fils d'Israël étaient accourus à la prière, et attendaient l'instant où le prêtre, chargé de l'adustion de l'encens, sortait du Temple, pour recevoir sa bénédiction. Les portiques extérieurs étaient ordinairement remplis par la foule pieuse. Quand le prêtre apparaissait, au seuil du Temple, tous se prosternaient; et celui-ci, réunissant deux à deux les doigts de la main, de manière à former le nombre trois, étendait la droite vers le peuple, et prononçait à haute voix la formule légale: «Que le Seigneur vous bénisse et vous garde! que Jéhovah abaisse sur vous un regard favorable, et vous fasse miséricorde: qu'il tourne vers vous un œil propice, et vous accorde la paix 3!»
5. Qu'on rapproche le texte Évangélique de ces indications multiples, authentiques et précises comme toutes les traditions sacerdotales du Judaïsme, on ne trouvera pas une seule dissonance. Zacharie avait été désigné, par le sort, pour offrir l’encens sur l’autel des Parfums; c'était, en effet, le sort qui distribuait, chaque jour, les fonctions sacerdotales, parmi les membres de l'évhémérie sacrée. Zacharie était un vieillard, courbé sous le poids des ans. S'il n'eût été qu'un simple lévite, sa vieillesse l'eût éloigné du service des autels; mais la limite d'âge n'atteignait pas les prêtres. Quand Zacharie pénètre dans le Temple, pour sa fonction sainte, le peuple est en prière, sous les portiques extérieurs; cette circonstance, indiquée simplement par l'évangéliste, suppose tout un ordre de coutumes nationales, dont l'étude des prescriptions rituelles nous donne la clef. A l'Autel des Parfums, au moment où l'ange Gabriel lui apparaît,
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1. Drach., Harmonie entre l'Eglise et la Synagogue , tom. I, pag, 379. — 2. iV«- mer., cap. vi, 24. — 3. Talmud Hierosol., Zoma, fol. 22, i; fol. 25, i et la glose rerek., 3; Thamid., cap. m, per. 5; cap. vi et la glose; cap. v, liai. 4, 5, 6; cap. VI, liai. 1,2,3; Taanith, fol. 69,1; Lecanu,msf. c?eN.-S. /.-C, pag. 123-127.
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Zacharie est seul. L'historien a donc parfaitement su que les autres prêtres devaient se retirer, à l'instant où l'oblation des parfums commençait sur l'Autel. Il n'a point ignoré que le temps nécessaire à la combustion d'une poignée d'encens, sur des charbons enflammés, était court. L'habitude d'assister, deux fois chaque jour, à cette cérémonie sainte, avait dû familiariser les Juifs avec l'intervalle strictement exigé. Voilà pourquoi la foule s'étonne du retard de Zacharie. Mais, quelle que soit la durée de ce délai exceptionnel, nul ne quitte le Temple. On attend la bénédiction du prêtre, qui va sortir du sanctuaire de l'Éternel. Zacharie paraît enfin; et la multitude s'aperçoit qu'il est muet. A quelle marque l'eût-elle reconnu, si le rite sacramentel de la bénédiction n'en eût fourni un indice irrécusable? Le prêtre, frappé de mutité, est contraint de faire seulement le geste de cette bénédiction, sans pouvoir en articuler les paroles : Et ipse erat innuens illis. Voilà une partie des merveilles d'authenticité qui se dérobent sous la simple contexture de l'Evangile. Et vous prétendez en faire honneur à l'imposture rétrospective d'un écrivain qui n'aurait vu ni le Temple, ni Jérusalem, ni les cérémonies du culte judaïque! En vérité, ce sont là, pour un ignorant légendaire, des miracles de science, qui dépassent les prodiges d'incrédulité du rationalisme!
LES RATIONALISTE MODERNES SONT CONFONDUS