Darras tome 35 p. 566
S III. ELISABETH ET MARIE STUART
56. Jncedo per Sanguinem : Le pontificat de Sixte-Quint me ramène à Elisabeth et c'est pour remettre les pieds dans le sang. Le christianisme avait converti tous les peuples païens de notre vieille Europe ; l'Église avait établi, parmi les hommes, cette gravité d'esprit, cette douceur de mœurs, cette délicatesse de conscience publique, cette charité sociale, signes distinctifs de la civilisation chrétienne ; le Saint-Siège avait institué une société chrétienne ou la constitution du pouvoir, les libertés octroyées aux sujets, et les rapports entre les sujets et les pouvoirs se résolvaient en harmonie. Les papes et les rois, la main dans la main, marchaient d'un pas allègre à la conquête de tous les progrès, à l'amélioration de toutes les situations et de tous les États. Depuis trois siècles, ce mouvement général de la civilisation européenne est arrêté dans sa marche ou dévoyé dans sa direction. Les rois protestants et gallicans, les gouvernements libéraux et révolutionnaires ont voulu avoir la société sur d'autres bases et pour instituer un despotisme nécessaire, mais compromettant, ou pour ôter, à la liberté, ses freins et ses contrôles, ont fait la guerre à la papauté. Elisabeth, la première, est entrée dans cette voie avec résolution et persévérance ; pendant quarante ans, elle a tué les saints du Seigneur, et bravant
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tous les rois, elle, femme et reine, elle a jeté à tous les souverains, en défi, la tête d'une reine et d'une femme. On ne peut trouver un exemple plus éclatant de la prévarication de la souveraineté, et une preuve plus manifeste de l'aveuglement des rois contre cet ordre chrétien, utile sans doute à tous les enfants de Dieu, mais profitable surtout à l'honneur des rois. Une aberration si criminelle est l'effet direct du fanatisme protestant ; pour imposer le libre examen à l'Angleterre, il a fallu aller jusque-là. Il y a pire. On a dit avec raison que le Vae victis n'est pas seulement le fait immédiat des entraînements de la victoire ; il pèse d'un poids plus lourd encore sur les hommes et les choses dont l'histoire a été écrite par les factions qui les avaient vaincus. Telle est la logique des passions humaines ; elles poursuivent, avec un acharnement féroce, les individualités qui ont fait obstacle à leur triomphe ; elles cherchent en quelque sorte le complément de leur victoire dans les invectives et les outrages qu'elles se plaisent à déverser sur la mémoire de leurs victimes. Le côté le plus triste de cet acharnement des passions, c'est, qu'il se plait à tomber sur des femmes. Marie-Antoinette, madame du Maintenon et Marie Stuart, pour ne citer que ces exemples ont été longtemps victimes d'imputations grossières, accréditées par la calomnie. Dans ce siècle, marqué au front du signe de la publicité, c'est le devoir de l'historien de confondre ces calomnies, de découvrir ces impostures, d'écarter ces vieilles accusations. Les archives s'ouvrent simultanément pour faciliter cette tâche de réhabilitation glorieuse. Les pamphlets de Buchanan, les accusations intéressées de Murray, les fraudes des ministres d'Elisabeth, nous représentaient la jeune fille autrefois si pure, qui avait charmé et édifié la cour de France, par la grâce, l'innocence et la chasteté de sa personne, comme une épouse adultère et parricide, une mère sans entrailles et sans pudeur, une femme qui ourdissait des complots d'assassinat. Or, en y regardant de près, en relisant, à la clarté des lumières nouvelles, les récits des historiens qui se sont faits les détracteurs de Marie Stuart; on découvre, chez les plus autorisés et les plus illustres, des obscurités que ces historiens n'éclairent pas, des difficultés qu'ils ne tranchent pas ou tranchent
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trop aisément ; des circonstances intéressantes qu'ils oublient ou négligent au désavantage moral de Marie Stuart. C'est ainsi qu'en reprenant par amour de la vérité, ce long et ténébreux procès, en examinant les faits à la lumière de documents nouveaux, on arrive à des conclusions entièrement opposées à celles qui prévalaient, depuis trois siècles, contre la reine d'Ecosse (1).
57. Marie Stuart naquit à Linlithgow, le 11 décembre 1542, de Jacques V, roi d'Ecosse, et de Marie de Lorraine, sœur des ducs de Guise. Sa mère avait déjà mis au monde deux fils, morts presque en naissant. Des rois ses ancêtres, quatre étaient morts d'une manière tragique : Jacques ler et Jacques III, assassinés dans des complots ; Jacques II et Jacques IV, tués sur le champ de bataille. Jacques V, son père, mourut trois jours après sa naissance, désespéré par les défaites de Solway-Moss, où la noblesse trahit la
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(1) La bibliographie de l'histoire de Marie Stuart forme 2 volumes in-8°. Nous signalons seulement les publications récentes : 1* Larakoff, Lettres, instructions et mémoires de Marie Stuart, publiés sur les originaux et les manuscrits du State papiers office, 7 vol. in-8", Londres, 1852 ; 2" Teulet, Lettres de Marie Stuart, 1vol. in-8", Paris, 1839; 3° CiiéRUel, Marie Stuart et Catherine de Médicis, 1 vol. i n-8°, Paris, 1858 ; 1" Teulet , Relations de la France et de l'Espagne avec l'Ecosse au XVIe siècle, d'après les papiers d'État et documents conservés aux archives de France, 5 vol. in-8", Paris, 1852 ; 5" Agnès Strickland, Lires of thequeens of Scolland, 7 vol. in-8", Londres, 1858; 0° Notice sur la collection des portraits de Maria Stuart appartenant au prince Lahanoff, 1vol. in8", Saint-Pétersbourg, 1800; 7" Feuillet de Conçues, Causeries d'un curieux, t. IV, Paris, 18G8;8" Frode. Hislory of England, 12 vol. in-8°, Londres, 1870; 9°I1osack, Mary, queen ofScols and lier accusers, 2 vol. iu-8°, 1870-1871; 10° JIÉline, Mary, que.n of Scols and lier latast enylish Idstorian; 11» IIill Ll'Rton, The hislory of Scctland, 8 vol. in-8°, 12° Jules Gauthier. Histoire de Marie Stuart, 2 vol. in-8°, Paris, 1875 ; 13° John Morris, 27ie Letters-Books of sir Amyas I'aulet, Keeper of Mary, queen of Scols, Landonl87i, 1 vol. in-81; li° R. Cjiantelauze, Marie Stuart, son procès et son exécution, d'après le journal inédit de Lîourgoing, son médecin, et la correspondance d'Amyas Paulet, son geôlier, 1 vol. in-8°, Paris, 1870 ; 15° J. A. Petit, Histoire de Marie Stuart, reine de France et d'Ecosse, 2 vol. in-8°, Paris, 1870; 10° Menneval. Xa vérité sur Maria Stuart, 1 vol. in-18", Paris, 1877 ; 17° The history of Marie Stuart, from tlie Murder of Riccio until lier flight into England, by Claude Mao, lier secretary, edited by Joseph Stevenson, Edinburgh, 1883, gr. in-81'. La plupart de ces documents mettent à nu le complot permanent des nobles, des presbytériens et de l'Angleterre, auquel Marie Stuart fut en butte pendant toute sa vie, et dont elle fut l'innocente victime.
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royauté, pour servir l'ambition de l'Angleterre. C'est de cette couronne sanglante et menacée que Marie Stuart héritait presque au lendemain de sa naissance. On dit qu'en apprenant, peu avant de mourir, que la reine venait d'accoucher d'une fille, Jacques V dit tristement de cette couronne, qu'une petite-fille de Robert Bruce avait fait entrer dans sa famille : « Par femme elle est venue, par femme elle s'en ira. » Les plus graves désordres éclatèrent autour de son berceau. Les nobles se disputèrent la régence avec d'autant plus d'avidité qu'ils devaient en exercer plus longtemps les prérogatives. La lutte entre le cardinal Bealon et le comte d'Arran, qui finit par l'emporter, amena l'intervention de l'Angleterre et des échaffourées calvinistes. L'Ecosse eut beaucoup à souffrir. Pour sauver quelque chose du naufrage, au cas où les choses iraient encore plus mal, on transporta la petite Marie de la forteresse de Stirling au monastère d'Inchmahome, au milieu d'un lac, dans la contrée la plus montagneuse de l’Ecosse. L'enfant emmena avec elle quatre petites filles de son âge, qui furent appelées les quatre Marie. La petite colonie s'adonnait gaiement aux jeux et à l'étude; après avoir folâtré au milieu des buissons, elle venait étudier le lalin, les langues vivantes et les usages de la bonne compagnie, sans se douter que son sort mit ??? aux mains des partis ardents. Bientôt s'ouvrirent des conférences au sujet du mariage de Marie : les mariages, à cette époque, touchaient très fort aux dissentiments de la politique et parfois les tranchaient. Par la force, l'Angleterre devait l'emporter, et si Marie fût devenue l'épouse d'Edouard VI, elle eût eu, sans doute, une autre destinée. Mais l'Ecosse repoussait l'alliance anglaise et se prononçait pour la France. Marie dut passer le détroit. Son départ ne se fit pas sans dangers ; les Anglais voulaient enlever la petite reine ; l'amiral de Villegagnon sut adroitement la soustraire à leurs recherches; et Marie était à Saint-Germain que la flotte anglaise épiait encore son passage en mer. Marie Stuart, fiancée au dauphin, grandit à la cour de France. Malgré son extrême jeunesse, elle était ce qu'on peut désirer de plus accompli ; rien ne manqua à son éducation ; sous les maîtres les plus célèbres, elle fit les plus remarquables progrès. De bonne
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heure, elle parlait correctement la langue latine et faisait d'assez jolis vers. A la beauté de sa personne et aux grâces de l'esprit elle joignait la maturité du caractère, une foi solide, une piété rare, des mœurs sans tache. L'impression qu'elle fit sur l'âme française fut si délicate et si forte, qu'après trois siècles elle dure encore.
58. Le 21 avril 1558, Marie Stuart épousait François II et devenait reine de France. Par le contrat de son mariage, sous la pression de la cour, elle donnait l'Ecosse à la couronne de France ; au cas où cette transmission ne s'effectuerait pas, l'Ecosse paierait, à la France, un million de pièces d'or. On ne devait d'ailleurs rien changer aux lois et aux mœurs de l'Ecosse; le fils aîné qui naîtrait de ce mariage, serait roi de France ; s'il n'y avait que des filles, l'aînée serait reine d'Ecosse avec une dot de quatre cent mille écus, comme fille de France ; elle ne pourrait se marier qu'avec l'agrément des États de France et d'Ecosse; le dauphin prendrait le titre et les armes de roi d'Ecosse, et laisserait, en cas de mort, à sa veuve, un domaine de soixante mille livres tournois. Les noces eurent un éclat incomparable; mais la Providence y mit une note de tristesse. Cette année-là fut on ne peut plus malheureuse. Les fléaux qui avaient ravagé l'Italie en 1557, après avoir fait souffrir l'Espagne, s'abattirent sur la France et l'Angleterre, avec une recrudescence d'impétuosité. A ce courroux du ciel s'adjoignirent les passions des hommes. En Ecosse, le fanatisme calviniste se portait aux plus extrêmes violences ; en France, on eut la preuve que les réformés cherchaient à s'emparer du roi et à mettre la main sur le royaume. La conspiration d'Amboise échoua heureusement. A l'heure où la cour, remise de ses frayeurs, reprenait le cours des affaires, le 5 décembre 1500 mourait François II. Veuve à dix-huit ans, Marie séjourna quelque temps à la cour, puis se retira à Reims dans une communauté religieuse. En dépit de son deuil, elle fut balottée par la politique entre divers projets de mariage. Ces projets n'aboutirent point ; la jeune reine dut retourner dans ses États paternels, où l'appelaient les vœux réfléchis et tendres de la nation. Pour éviter les ennuis de son premier voyage sur la Manche, elle demanda un laisser-passer à Elisabeth. Elisabeth le refusa. N'atten-
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dant rien de ce côté, Marie s'abandonna à sa fortune. En juillet, elle mit à la voile et fit, à cette France bien-aimée, qu'elle ne devait plus revoir, les plus déchirants adieux. Un brouillard épais déroba la flottille française à la flotte anglaise qui tenait la mer dans les environs de Berwick; et Marie abordait à Leitb. La royauté de Marie en France avait passé comme un beau songe ; sa royauté en Ecosse allait se dérouler comme un cauchemar.
59. A l'arrivée de la reine, la noblesse et le peuple se levèrent en masse pour la contempler. Sa beauté, son hafabilité, jointes à ses malheurs, augmentèrent encore l'enthousiasme de son arrivée. Mais quel état et quel état ! comme parle Bossuet. Aux splendeurs de Blois et de Fontainebleau succédaient, pour conduire Marie Ftuart, quelques haridelles, et pour la saluer, quelques pauvres violons. La population, négligée dans sa tenue, ne cédait pas moins aux passions terribles du Nord et aux emportements du calvinisme. Au lendemain de son arrivée, Marie avait fait dire la messe dans sa chapelle particulière. Un fanatique osa venir devant sa souveraine, abattre les cierges, briser le mobilier liturgique et vomir des blasphèmes contre le sacrifice des autels. L'état des esprits et non la conduite de la reine, avait amené cet acte de brutale folie. En présence de ces fureurs impies, la reine ne se départit pas des règles de la prudence. Son peuple était divisé, elle n'épousa aucun parti; ses sujets professaient des cultes différents, catholique dans le cœur, mais reine sage, elle ne régla ses préférences que sur le mérite. Si, dans le choix de ses conseillers, elle eût trop écouté les inspirations de sa foi, elle eût provoqué immédiatement une prise d'armes ; en se laissant aller aux rêves de conciliation, si elle se voua, sans le savoir, à la ruine, du moins elle ne prêta pas aux morsures de la calomnie. Au conseil privé, elle appela le duc d'Arran, les comtes d'Hunlly, d'Argill, de Bothwell, d'Érrol, Marshall, Athole, Morton, Glanicairn et William Montrose. Elle prit lord James, son frère naturel, pour principal ministre et fit, de Léthington, son secrétaire d'État. Par ce fait seul, Marie acceptait son royaume tel qu'il était et choisissait dans la noblesse les plus dignes pour servir l'État. Mais inutilement, à certaines époques, les
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pouvoirs eussent des condescendances, ils ne font par là qu'enhardir les passions; il est des gens qui prennent la bonté pour une faiblesse et trouvent occasion de se précipiter aux excès.
60. C'est pour la première fois depuis un siècle qu'une femme était appelée au trône d'Ecosse ; malgré les mérites supérieurs de Marie, la tâche était lourde pour ses faibles mains. L'Ecosse, jetée à l'extrémité nord de l'Angleterre, se découpe sur la mer en promontoires et s'hérisse à l'intérieur de montagnes élevées. La température y est froide, la vie dure ; le tempérament et le caractère national s'assortissent aux exigences de la vie et aux rigueurs du climat. L'Écossais est simple, brave, un peu sauvage, jaloux de son indépendance ; il a trop d'élan pour être facilement réglé ; vaillant sur le champ de bataille, il est remuant, exigeant dans la vie civile. Les Highlanders sont des types d'hommes; ils ont acquis, par l'épée, un nom dans l'histoire. La forme sociale, jusque là maintenue en Ecosse, favorisait singulièrement les écarts de la race : c'était la féodalité avec des séparations tranchées, des rivalités ardentes, une grande promptitude à s'y livrer. La noblesse écossaise possédait l'autorité législative et la force publique. En vertu de leurs prérogatives héréditaires, les seigneurs territoriaux dirigeaient les parlements, présidaient les tribunaux, exerçaient la puissance judiciaire jusque dans les provinces royales et composaient à eux seuls toutes les fractions de l'armée. Destitués de toute force publique et de leur pouvoir administratif, les rois d'Ecosse se trouvaient désarmés devant les pouvoirs multiples de leurs vassaux. Par le fait, le roi n'était guère qu'un symbole d'unité idéale; l'Ecosse n'était monarchique que de nom ; de plus, sa puissante féodalité s'ingéniait sans cesse à mettre la main sur la royauté pour l'assujettir à ses desseins. Le pouvoir central était un enjeu ; la guerre sourde ou déclarée était en permanence. Cinq rois avaient payé de leur vie les efforts qu'ils avaient inutilement tentés pour plier à l'obéissance cette noblesse, tour à tour divisée et unie, mais toujours tumultueuse et ingouvernable. Un pays ainsi menacé par des compétitions anarchiques, doit subir de fréquentes révolutions et, à la fin, perdre son indépendance. La vie, privée et publique,
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laisse sans doute, à toutes les passions, une belle marge; il y a toutefois un degré où les caprices deviennent des folies et où les folies accélèrent la ruine.
61. Aux agitations stériles et funestes de la féodalité s'ajoutaient les fureurs destructives du calvinisme. Ce fut, en effet, pendant la minorité de Marie Stuart, que s'était accompli dans les croyances du pays la révolution religieuse qui, sous prétexte de réforme, allait ensanglanter l'Ecosse et la plonger de plus on plus dans les convulsions de l'anarchie. De nos jours, lorsque vous voyez le protestantisme résigne, effacé, quasi noyé dans l'incrédulité générale, affectant envers les lois une obéissance qu'il reproche au catholicisme de dédaigner, vous avez peine à concevoir les attentats et les violences qui ont déshonoré son berceau. A ses débuts, le protestantisme fut anarchique, radical, révolutionnaire et même socialiste, et logiquement il devrait l'être toujours. En France comme en Allemagne, en Angleterre comme en Ecosse il fut, dans les croyances et dans les mœurs, la révolution, prélude de toutes les autres. Pour ne parler que de l'Ecosse, la réforme presbytérienne y vint étendre et fortifier l'anarchie féodale, non seulement en détruisant la puissance ecclésiastique, qui lui faisait contrepoids, mais en favorisant par les doctrines calvinistes les tendances républicaines, plus conformes à l'esprit de cette aristocratie. L'homme en qui s'incarna ce détestable esprit fut Knox. John Knox était né en 1505, à Gifford, dans le Lothian; il reçut une bonne éducation à l'université de Saint-André, il était même déjà entré dans les ordres, lorsqu'il apostasia. D'abord employé à l'éducation de jeunes seigneurs écossais, il prêchait l'Evangile à sa manière : dans ses sermons, prouver que la doctrine de l'Église romaine est contraire à celle des Apôtres et que le Pape est l'Ante-Christ, était la moindre des choses ; il mêlait, à ses discours, des excursions dans les pages les plus enflammées des prophètes et se portait aux dernières violences. Ses fanatiques auditeurs assassinèrent le cardinal Beaton, primat d'Irlande; lui, pris par les Français, s'échappa de leurs mains et se réfugia en Angleterre, où il fut reçu licencié par Cranmer et fait chapelain d'Edouard VI. On lui offrit une cure importante et
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même un évêché, qu'il refusa comme contraire à l'Évangile. Successivement expulsé d'Ecosse et d'Angleterre, il se réfugia à Genève, dont il revint bientôt, pour se livrer à ses grossières fureurs. Condamné comme hérétique et séditieux, il s'expatria de nouveau et fut brûlé en effigie. Malgré les dangers qui le menaçaient, il revint en Ecosse et publia son virulent pamphlet : Le premier son de la trompette contre le gouvernement des femmes. Au milieu de reproches amers et de violentes impostures, il prononce que « l'élévation des femmes à la suprême autorité est la destruction entière d'un bon gouvernement ». La place de ce fou furieux eût été à la potence; quand de pareils scélérats exercent sur les affaires publiques une influence quelconque, c'est que l'heure vient des grandes calamités. A la suite d'un discours contre ce qu'il appelle l'idolâtrie de la messe, il porte la multitude à un tel degré de rage, qu'elle se jette en foule sur les églises, renverse les autels, met en pièces les statues et les images, marche ensuite aux monastères, et, dans peu d'heures, renverse de fond en comble ces superbes édifices. Ce misérable, si semblable à Calvin son maître, ne demandait d'abord qu'une simple tolérance ; lorsqu'il l'eut obtenue, il devint le plus intolérant des hommes, entretint une correspondance criminelle avec les ministres d'Elisabeth et introduisit, en Ecosse, une armée anglaise. Rien ne retint plus alors Knox et sa bande. Sûrs de la majorité du Parlement, ils firent sanctionner par ce corps la profession de foi calviniste, abolirent les cours ecclésiastiques, transportèrent les causes religieuses aux tribunaux civils et abolirent le culte catholique. Dès lors, Knox, qui n'avait jamais rien respecté, n'ouvrit plus la bouche que pour vomir des imprécations contre Marie Stuart. Dans sa modestie, il s'assimilait aux prophètes ; il se soumettait à la reine comme Paul à Néron ; il proclamait en sa présence la licité du tyrannicide, et galamment il citait Phinées tuant Zambri et Cosbi au moment où ils se livraient au crime ; Samuel coupant Agag en morceaux ; Élie faisant mourir les prêtres de Baal et les faux prophètes de Jézabel. Ainsi les réformés d'Ecosse formaient un parti violent et anarchique, où, par le fait d'alliance avec les seigneurs, il y avait plus de sédition
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que de huguenotrrie. El tandis qu'en Angleterre et en Allemagne, le protestantisme, favorisé par la cupidité des princes, avait un caractère monarchique et même dynastique, en Ecosse, au contraire, il se déchaînait encore plus contre la royauté que contre l'épiscopat. Passion d'autant plus exaspérée que Marie Stuart n'était pas seulement la nièce des princes lorrains, ennemis-nés du protestantisme, mais ayant grandi sous leurs yeux, elle avait puisé, dans leurs exemples et leurs conseils, cet ardent amour de la religion et de la France qui fut l'honneur de la maison de Guise.
62. A l'antagonisme séculaire qui divisait les rois et la noblesse d'Ecosse, antagonisme auquel la révolution presbytérienne imprima, contre Marie Stuart, un caractère plus aigu, s'ajoutait un antagonisme plus ancien et plus redoutable, celui de l'Angleterre. Depuis Edouard Ier, l'annexion de l'Ecosse était l'objet de l'ambition des rois anglo-normands. Cette ambition, longtemps contrariée par les guerres avec la France et par les sacrifices nécessaires pour la conservation des provinces qu'ils y avaient acquises, reprit son cours lorsque Charles VII et Jeanne d'Arc eurent bouté les Anglais hors du royaume. Après la guerre des deux Roses, Henri VII s'efforce de préparer la réunion des deux couronnes par le mariage de sa fille avec le grand-père de Marie Stuart. Quelques années plus lard, Henri VIII demande pour son fils la main de cette princesse à peine âgée de deux ans. Cette proposition, par suite des prétentions hautaines de Henri VIII, échoua contre l'orgueil des Ecossais; la destinée de Marie Stuart en fut changée de fond en comble. Henri II eut le tort de demander, à Marie Stuart, la cession de ses droits au trône d'Angleterre et, après la mort de Marie, de lui faire porter les armes d'Angleterre et d'Irlande : tort d'autant plus grave qu'Elisabeth avait été déclarée illégitime et que Marie, descendante comme elle de Henri VII, n'était primée par elle que d'un degré. A partir de ce moment, Elisabeth voua une haine mortelle à Marie Stuart : elle trouvait bon de se dire reine de France, mais elle trouvait mauvais, très mauvais que la reine de France se dit reine d'Angleterre, bien que l'usurpation
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fut égale et le titre également vain dans les deux cas. Sous la régence de Marie de Lorraine, Elisabeth fomenta, soudoya et appuya à main armée, les révoltes des protestants et des seigneurs écossais, et lorsque, grâce à ses bons offices, les rebelles eurent le dessus, elle fit insérer dans le traité d'Edimbourg, une clause qui interdisait à la reine d'Ecosse, pour tous les temps à venir, le droit de porter le titre de reine d'Angleterre. C'était annuler, d'un trait de plume, tous les droits légitimes de Marie qui, à la mort d'Elisabeth sans enfant, était appelée à lui succéder. Aussi, malgré les plus vives instances d'Elisabeth, Marie Stuart ne consentit point à cette abdication, qu'elle n'avait, au surplus, pas droit de faire. Bien qu'en montant sur le trône d'Ecosse, Marie eût cessé de porter le titre de reine d'Angleterre et n'élevât aucune prétention à la couronne du vivant de sa rivale, l'ombrageuse Elisabeth trempa dans tous les complots des presbytériens et des seigneurs écossais, leur envoya de l'argent et des troupes, enfin organisa, contre Marie, cette guerre sourde de faux bruits et de calomnies atroces qui furent la principale cause de sa ruine.
Sous les ancêtres de Marie Stuart, le gouvernement avait peu d'éclat, peu d'entrain ; de temps en temps, un favori était comblé d'honneurs ; le reste des nobles se tenait à l'écart, réservé, parfois menaçant. Sous Marie de Lorraine, il y eut encore moins d'extérieur ; quelques Français vivaient à la cour ; les seigneurs écossais restaient dans leurs terres ; rien à Holyrood ni dans le pays qui indiquât une cour. A l'avènement de Marie, il y avait donc une autorité à établir, un pays à civiliser. Marie, confiante en elle-même, commença par se former un petit entourage, persuadée que le pays prendrait naturellement exemple sur la cour et accepterait son influence. Il y eut bientôt des soirées, la noblesse, adoucie par le contact, quitta de bonne grâce les mœurs farouches. L'affabilité et la rare beauté de la reine, soutenues par une politesse exquise, communiquèrent bientôt à ceux qui s'approchaient d'elle un esprit chevaleresque. Les beaux arts commencèrent à fleurir, la poésie fut en vogue, la musique en renom. Les rustres du rigorisme calviniste murmurèrent contre ces change-
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ments ; Marie laissa dire et passa par-dessus les outrages. La nation se prêtait aux exemples de la cour. Les ministres du calvinisme furent reconnus et dotés; la pauvre reine, croyant respecter en eux-mêmes les immunités de la conscience, ne se doutait guère qu'elle réchauffait en son sein des serpents. Les nécessiteux avaient aussi part à sa sollicitude ; elle leur faisait distribuer, par deux aumôniers, de l'argent ; elle pourvoyait à l'éducation des enfants pauvres ; et payait un avocat pour plaider en justice la cause des indigents. D'une religion aussi solide qu'elle était belle et bonne, Marie Stuart avait encore le culte de l'honneur et un grand sentiment de la dignité royale. Ange de paix, de douceur et de grandeur, elle eût fait le bonheur et l'admiration d'un peuple, même dans les temps les plus mauvais, si l'ambition politique et la passion religieuse, par d'incessants complots, n'eussent empêché la réalisation de ses desseins.