Nestorius 11

Darras tome 13 p. 141

 

20. La fin de Nestorius fut encore plus misérable. Après la conclusion pacifique du concile d'Éphèse, l'hérésiarque avait reçu du gouverneur de Syrie un message fort respectueux, dans lequel ce fonctionnaire l'avertissait qu'une escorte allait le conduire, par ordre de l'empereur, au monastère d'Euprepius, à Antioche. Il pourrait d'ailleurs choisir à son gré la voie qui lui plairait, par terre ou par mer; on tiendrait à sa disposition soit un navire, soit les relais impériaux. « Je serai trop heureux de souffrir pour la défense de la foi, répondit Nestorius. Peu m'importe la route qui me con­duira en exil ! » — Les Orientaux essayèrent à diverses reprises d'obtenir la révocation du décret impérial. Ils n'y réussirent point. Un jour, Théodose le Jeune, fatigué de leurs instances, s'écria: «Qu'on ne me parle plus de cet homme !» —La retraite du proscrit, au lieu

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1. Labb., tom. III, pag. SGi. — 2.  Cf. chapitre précédent, n* 15.

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même où  il avait passé sa jeunesse et la première partie de sa vie, devint bientôt le rendez-vous et comme le pèlerinage obligé de tous ses partisans. Nestorius se crut encore une puissance ; il se posait en martyr de la foi, victime de l'ambition jalouse de saint Cyrille. Ses écrits se répandaient en Orient, où l'attitude longtemps équivoque de Jean d'Antioche, sous la juridiction duquel le monas­tère d'Euprepius était placé, favorisa d'abord leur propagation. Mais en 433, Jean d'Antioche, sincèrement converti à la foi ortho­doxe, se lassa du voisinage de l'hérésiarque. Le pape et saint Proclus étaient fréquemment intervenus près de l'empereur, pour lui faire comprendre le danger d'une pareille situation. Théodose le Jeune résista longtemps à leurs sages conseils. Bientôt après, il dé­passa la mesure. — Isidore, préfet du prétoire et futur consul de l'an 436, reçut l'ordre de faire transporter Nestorius dans la cité lointaine de Pétra, en Arabie. Le décret de translation portait que, pour le bien de l'Eglise et de l'Etat, l'empereur croyait devoir iso­ler de la société un hérétique obstiné et impénitent. Les biens de Nestorius étaient attribués à l'église de Constantinople, comme une réparation indirecte des persécutions qu'il avait fait subir au clergé et au peuple fidèles. Le comte lrénée et le prêtre Photius; le pre­mier, en punition de sa conduite à Éphèse; le second, comme auteur des pamphlets dirigés jadis contre saint Cyrille, furent également condamnés à la déportation et durent accompagner l'hérésiarque dans son nouveau lieu d'exil (13 août 435). Théodose le Jeune dé­fendait à toute personne, de quelque condition ou dignité que ce fût, de retenir, vendre, acheter, ou communiquer les écrits de Nestorius. Enfin, par un surcroît de rigueur, son nom même devait disparaître de l'histoire et sa secte porter officiellement le titre de Néo-Simoniens. On se rappelle que jadis Constan­tin le Grand avait édicté une mesure analogue et déclaré que les partisans d'Arius s'appelleraient à l'avenir Porphyriens. Le décret de Théodose le Jeune ne fut pas mieux respecté que celui du grand Constantin. De fait, entre Nestorius et Simon le Mage l'on n'aperçoit guère de ressemblance. Les princes peuvent infliger des peines temporelles contre les coupables, mais il n'est

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pas en leur puissance d'ôter aux noms propres leur identité, ni leur signification. Peut-être même faudrait-il dire que des rigueurs trop exceptionnelles contre un sectaire aboutissent au résultat directe­ment opposé, en le popularisant d'autant plus qu'on cherche davan­tage à l'annihiler. Nous croyons que la persistance du nestorianisme, qui s'est maintenu en Orient jusqu'à notre époque actuelle, tint beaucoup à ce déploiement intempestif de l'autorité souve­raine. Il était raisonnable d'éloigner Nestorius. Théodose le Jeune, après avoir si longtemps couvert cet hérésiarque de la majesté de sa pourpre impériale, aurait dû se borner à cela. Mais les plus grands rois ont peine à trouver de bons conseillers; et Théodose le Jeune, assez bien intentionné d'ailleurs, n'était pas un grand génie. Quoi qu'il en soit, Nestorius, au milieu des tribus de l'Arabie Pétrée, continua à écrire et à prêcher pour la défense de sa doctrine. On le transféra dans une région plus sauvage encore, au milieu du désert de Lybie, dans l'Oasis, parmi les peuplades nègres de la race Mazique. Ce fut là que le proscrit mit la dernière main à son autobiographie, maintenant perdue, et à un dialogue également inconnu pour nous. Ces deux ouvrages eurent alors un retentisse­ment considérable. Peut-être se retrouveront-ils un jour dans quelque église nestorienne de la haute Egypte. L'hérésiarque y soutenait plus énergiquement que jamais ses horribles blasphèmes contre le dogme de la maternité divine ; il prétendait que le pape, le concile d'Éphèse et saint Cyrille d'Alexandrie n'avaient pas com­pris un seul mot au système théologique condamné en sa personne; il prenait l'univers à témoin du martyre infligé à un fidèle ser­viteur de Jésus-Christ, dont le seul crime était de mieux con­naître que tous les autres la vérité évangélique. Les noirs habi­tants de la Lybie, peu sensibles aux arguments thèologiques, virent interrompre les travaux littéraires de l'hérésiarque. Une invasion de Blemmyes le força de quitter l'Oasis. Il chercha un re­fuge dans une ville de la Thébaïde, nommée Pana. Dans sa course précipitée, il fit une chute et se blessa le côté droit, le bras et la main. Il arriva plus mort que vif, et se hâta d'écrire au gouverneur de la Thébaïde pour se justifier d'avoir rompu son ban, et pour expliquer

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les raisons de force majeure qui l'y avaient contraint. Le magistrat se montra fort inquiet pour sa responsabilité personnelle. Les ordres qu'il avait reçus de la cour étaient rigoureux et précis. Il envoya des soldats qui devaient conduire le proscrit à Éléphantine, quarante lieues au-dessus de Thèbes. Déjà la moitié du chemin était franchie ; les blessures du malheureux, irritées par la fatigue du voyage et les ardeurs du soleil, s'étaient rouvertes, lorsqu'un messager du gouverneur apporta l'ordre de rétrograder et de ramener l'hérésiarque à Pana. L'empereur venait de lui fixer un lieu d'exil dans les environs de cette cité. Mais on n'eut pas le temps d'effectuer ce dernier transfert. De retour à Pana, le blessé vit la gangrène se déclarer dans ses plaies, et le dévorer vivant. La langue fut attaquée la première ; elle se détachait en lambeaux, rongée parles vers. Ce fut ainsi que mourut Nestorius, vers l'an 439. L'horreur de cette fin lamentable n'ouvrit pas encore les yeux de ses partisans. Le comte Irénée, son compagnon d'infortunes, écri­vit, sous le titre de Tragédie d'Éphèse, une histoire de ce concile où Nestorius était représenté comme un apôtre de la vérité, un martyr de la foi. Plus tard cependant, Irénée abjura ses longues erreurs, embrassa la communion catholique, fut élevé au sacerdoce, et devint évêque de Tyr. Le nestorianisme survécut à la mort, à l'exil ou à l'abjuration de ses principaux défenseurs. Il s'est per­pétué jusqu'à nous pour le malheur des chrétientés d'Orient.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon