Concile du Latran 1

Darras tome 16 p. 77

 

§ I. Concile de Latran (octobre 649).

 

1. « Martin, né à Tudertum (Todi), province de Toscane, dit le Liber Pontifîcalis, siégea six ans, un mois, vingt-six jours. De son temps Paul de Constantinople, enflé de l'esprit de superbe contre la rectitude du dogme catholique, continua audacieusement sa lutte contre les vérités définies par les pères. Afin d'accréditer ses erreurs, il séduisit la religion du très-clément empereur (Constant) et lui fit sanctionner, sous le nom de Type, un édit contraire à la foi catholique. Dans ce factum il prenait à tâche de pervertir les expressions des pères sous les interprétations les plus odieu­sement hérétiques ; il érigeait en dogme la fausseté simultanée des deux propositions contradictoires relatives à une ou deux volontés et opérations en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il mit un tel acharnement dans son impiété, qu'il dépassa toutes les vio­lences des patriarches hérétiques ses prédécesseurs. Il fit renver­ser dans le palais de Placidie l'autel où les apocrisiaires du siège apostolique avaient coutume d'offrir l'hostie adorable et immacu­lée, et leur interdit soit d'administrer soit de recevoir le sacre­ment de la communion. Au nom et par l'autorité du saint siège, les apocrisiaires cherchèrent vainement à le rappeler à ses devoirs. Des laïques, des prêtres orthodoxes se j'oignirent à eux dans ce but ; mais le patriarche en prit occasion de les persécuter : les uns furent jetés en prison, les autres traînés en exil. De toutes parts, dans cette conflagration universelle, des plaintes arrivaient au siège apostolique. On conjurait le pape de sévir enfin contre une erreur aussi perfide que violente, de sauver l'Église catholique en frappant l'ecthèse d'une condamnation définitive. Le très-saint et bienheureux évêque Martin convoqua donc et réunit à Rome les évêques d'Occident au nombre de cent cinq. Le synode se tint dans l'église du Sauveur, près du palais de Latran. Les évêques siégeant en concile, entourés des prêtres, des diacres et de tout le clergé, condamnèrent le patriarche d'Alexandrie Gyrus, ceux de Cons­tantinople, Sergius, Pyrrhus, Paul, et les nouveautés impies qu'ils avaient la présomption de faire prévaloir contre la foi immaculée.

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   L'anathème fut prononcé contre ces hommes qui avaient propagé l'erreur, jeté le désordre et la confusion dans la catholicité. Les actes du synode furent déposés dans les archives de l'église romaine, où ils sont conservés. Le pape en envoya des exemplaires à toutes les chrétientés d'Orient et d'Occident, et les fit répandre par les mains de fidèles orthodoxes. Dans l'intervalle, l'empereur fit par­tir pour l'Italie, avec le titre d'exarque, son chambellan Olympius. Il lui donna les instructions suivantes : « Votre gloire devra faire recevoir dans tout son gouvernement la doctrine du patriarche de Constantinople, telle que nous l'avons nous-même sanctionnée dans le type. Vous aurez donc à faire souscrire cette formule à tous les évêques et prêtres d'Italie. Les exarques Platon et Eupraxius nous ont informé que Martin, jadis apocrisiaire en cette cité de Constan­tinople, se montrait hostile à notre décret. Si vous trouvez l'armée bien disposée, faites arrêter ce Martin; et donnez l'ordre que notre type soit reçu dans toutes les églises. Si l'armée vous paraît sus­pecte, patientez en silence jusqu'à ce que vous puissiez vous assurer de la province, et avoir sous la main des soldats prêts à vous obéir. Ne perdez pas de vue que Rome et Ravenne doivent être les pre­mières à recevoir notre décret orthodoxe. » — Olympius arriva à Rome pendant le concile. Selon les ordres de l'empereur, il essaya de pratiquer l'armée et de déterminer quelques évêques à seconder ses efforts schismatiques. Cette négociation se prolongea sans suc­cès; le Dieu tout-puissant ne permit pas qu'elle réussît. Vaincu par l'union de l'Église sainte, catholique et apostolique, Olympius parut hypocritement renoncer à ses mauvais desseins. Un jour, comme le pontife célébrait solennellement la messe dans la basilique de la sainte Mère de Dieu toujours vierge, aujourd'hui connue sous le nom de Sainte-Marie ad Prœsepe, l'exarque se présenta à la com­munion ; il avait ordonné a son spathaire de se tenir à ses côtés et de poignarder le pape, quand celui-ci s'approcherait tenant en main l'hostie sainte. Mais le Dieu tout-puissant qui protège ses fidèles ser­viteurs et les sauve de tous les dangers, permit que le spathaire fût instantanément frappé de cécité. Il ne put distinguer le pontife quand celui-ci, tenant en main le sacrement eucharistique, s'approcha de

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l'exarque pour lui donner le baiser de paix. Le spathaire a depuis affirmé par serment le fait de cet aveuglement passager, qui épargna l'horreur du sang innocent versé pendant la célébration des mystères, et l'épouvantable crime qui eût consterné la sainte église de Dieu. L'exarque Olympius n'osa plus attenter à la majesté du bienheureux Martin, que la protection divine couvrait si mani­festement. Il se réconcilia avec lui, se conforma à ses enseignements et lui révéla tout le détail des instructions impériales. Ayant ainsi fait sa paix avec la sainte Eglise de Dieu, il partit de Rome avec son armée pour aller combattre en Sicile les sarrasins qui s'étaient emparés de ce pays. Mais la peste décima bientôt ses troupes et lui-même en mourut. Il eut pour successeur l'exarque Calliopas, que l'empereur fit accompagner du chambellan Pellurius, leur donnant à tous deux l'ordre d'arrêter le pape. Ils arrachèrent donc le très-saint pontife de l'église du Sauveur au Latran, et le condui­sirent à Constantinople. Dans les fers, Martin confessa généreuse­ment la foi ; l'empereur irrité l'exila à Gherson (la Crimée actuelle), où il termina sa vie dans la paix du Christ. De nombreux miracles ne cessent maintenant encore d'illustrer son tombeau. En deux ordinations au mois de décembre, le saint pape avait imposé les mains à onze prêtres, cinq diacres et trois évêques destinés à diverses églises. II mourut le 17 du mois de septembre (655). Après lui le siège épiscopal demeura vacant vingt-huit jours 1. »


   2. Proclamer solennellement dans un concile la vérité catholique, et donner sa vie pour elle, ce fut la gloire du premier des papes qui illustra le nom de Martin, déjà sanctifié par le thauma­turge des Gaules, le bienheureux évêque de Tours. Un empereur fut encore ici le bourreau, un pape la victime. Mais quelle diffé­rence l'histoire ne fait-elle pas entre le martyr saint Martin I et le

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i Lib. Pontifie, Notilia lxxvi ; Patr. lai., tom. CXXVHI, col. 738. On a vu que cette notice donne au pontificat de saint Martin une durée de six ans. Le Liber Pontificalis a compté les années depuis l'avènement de ce pape jusqu'à sa mort. Mais en réalité son pontificat, moins long que sa vie, fut abrégé d'un an par son exil, et par l'acquiescement qu'il donna à l'élection de saint Eugène I son successeur.

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persécuteur impérial Constant II ? Le nom du césar byzantin est synonyme de lâcheté, de crime, d'infamie; le nom du pape mar­tyr représente l'héroïsme de la grandeur couronné par l'auréole de la sainteté. A toutes les époques, dans tous les pays, quand la force brutale se met au service d'une politique irréligieuse, il en est ainsi ; la mémoire de l'opprimé écrase celle de l'oppresseur. La
sentence vengeresse n'attend même pas la postérité pour jaillir des consciences indignées; les contemporains eux-mêmes la proclament. Saint Ouen interrompait sa biographie de saint Éloi pour flétrir les fureurs despotiques de Constant II, pour célébrer le courage de sa victime. « Comme les flots soulevés par la tempête, dit-il,
viennent se briser contre le roc immuable, ainsi le magnanime pontife a repoussé tous les assauts de l'hérésie. Un frère qui revient d'Orient, et qui fut témoin de ces sacrilèges violences, nous raconte qu'il a vu Martin flagellé devant tout le peuple de Byzance, traîné en exil au milieu des lamentations des fidèles, les mains liées der­rière le dos, comme un agneau choisi pour le sacrifice. Un miracle fut opéré sur la route par le glorieux captif : ses prières rendirent la vue à un aveugle. Aujourd'hui le pontife a succombé entre les mains de ses persécuteurs, il a couronné sa noble vie par une mort sainte et vénérable. Et maintenant qu'ils osent encore, s'ils en ont le courage, dissimuler ce forfait, les hérétiques qui l'ont perpétré ! Ils resteront à jamais couverts d'ignominie et d'opprobre, les scé­lérats qui, après avoir consommé leur crime, voudraient faire croire que le pontife a terminé naturellement et paisiblement ses jours. Oui, j'applique au courageux pape le mot de saint Cyprien : « Bien qu'il n'ait pas péri par le glaive, sa mort en exil, après tant de supplices courageusement affrontés, est un véritable martyre 1. »

   3. Deux choses dans l'élection de saint Martin I déplurent particulièrement à l'empereur monothélite et à son confident le pa­triarche Paul, canoniquement déposé par un concile romain. D'a­bord la personne même de l'élu, auparavant apocrisiaire du saint siège à Constantinople, et déjà à cette occasion l'objet d'outrages

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1 Audoen., Vit. S. Eligii, flb. I, cap. xxxiv.

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que nous avons fait connaître 1; en second lieu, le clergé de Rome n'avait ni sollicité ni attendu la ratification impériale, avant de pro­céder au sacre du nouveau pape. De là les mesures dont parle le Liber Pontificalis, si rapidement concertées entre l'empereur Cons­tant II et l'exarque de Ravenne Olympius, dans le but d'attenter à la liberté du pape. Le courage de saint Martin I grandit avec le péril. Ordonné le 5 juillet 649, dès le 5 octobre de la même année il ouvrait au palais de Latran un concile composé de plus de cent évêques, accourus en quelques mois à l'appel du vicaire de Jésus-Christ. De ce nombre était Etienne de Dor, premier suffragant et vicaire apostolique de Jérusalem. Les autres appartenaient aux diverses contrées de l'Italie, la Sicile, la Sardaigne et la Corse. Le concile de Latran eut cinq sessions, dont chacune porte dans les actes le titre inusité de secrétariat. Faut-il voir dans ce titre une précaution contre les manœuvres prévues d'Olympius et des séides impériaux, ou simplement un nom emprunté au local même dans lequel avait lieu l'assemblée? Les deux conjectures sont également admissibles. Après l'appel nominal des évêques présents, le pape ouvrit la première session par l'historique de la controverse. « Vous connaissez, dit-il, les erreurs propagées de nos jours par l'évêque d'Alexandrie Cyrus, par Sergius de Constantinople et ses successeurs Pyrrhus et Paul. Il y a dix-huit ans que Cyrus fit publier, du haut de l'ambon de son église pa­triarcale, neuf articles dogmatiques où il décidait qu'en Jésus-Christ il n'y a qu'une seule opération de la divinité et de l'hu­manité réunies, conformément à l'hérésie des acéphales, avec anathème à quiconque ne croirait pas ainsi. Sergius, par une lettre écrite à Cyrus, approuva la doctrine d'une seule opération en Jésus-Christ. Quelques années après, il composa une con­fession de foi hérétique, qu'il fit adopter et publier sous forme d'édit impérial par Héraclius. Il y soutint, avec l'impie Apolli­naire, qu'il n'y a en Jésus-Christ qu'une seule volonté résultant de l'union des deux natures divine et humaine. Cet édit porta le

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1 Cf. cûap. précéd., n° 20.

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nom d'ecthèse. Sergius le fit afficher aux portes de son église, et surprit la bonne foi de quelques évêques dont il obtint la sous­cription. Pyrrhus, son successeur, en a encore séduit un grand nombre, et les a engagés dans le parti de l'hérésie. Plus tard, re­pentant de cette conduite, il a présenté au siège apostolique une rétractation, signée de sa main, condamnant ce que lui et ses prédécesseurs ont écrit ou fait contre la foi; mais il est retourné depuis, selon le mot de l'Écriture, à son vomissement; et il a reçu la peine de son crime par une déposition canonique. Paul, voulant surpasser ses prédécesseurs, ne s'est pas contenté d'approuver l'ecthèse par une lettre écrite à notre saint siège, mais il a entre­pris d'en défendre les erreurs. C'est pourquoi il a été si juste­ment déposé par l'autorité apostolique. De plus, à l'imitation de Sergius, il a surpris la bonne foi du prince et lui a persuadé de publier le Type, qui détruit la foi catholique en défendant de reconnaître ni une seule ni deux volontés en Jésus-Christ, comme si Jésus-Christ était sans volonté et sans opération. » Le pape rap­pelle ici les violences de Paul, l'autel renversé au palais de Placidie, les légats persécutés; puis il ajoute : «Tout le monde sait les atten­tats commis dans tout l'Orient contre les catholiques, qui en ont porté de divers lieux leurs plaintes au saint siège. Nos prédéces­seurs d'apostolique mémoire n'ont cessé d'écrire, en divers temps, à ces évêques de Constantinople, usant de prières et de reproches, et les faisant avertir par leurs légats ; mais ils n'ont rien voulu entendre. J'ai donc cru nécessaire de vous réunir, afin que tous ensemble, en présence de Dieu qui nous voit et nous juge, nous examinions ce qui regarde ces personnes et leurs erreurs. Nous ne perdrons pas de vue le précepte de l'Apôtre, qui nous recommande de veiller sur nous et sur le troupeau dont l'Esprit-Saint nous a établis évêques, et d'écarter les doctrines impies qui cherchent à s'introduire dans l'Église, pour qu'au jour du jugement nous puissions sans crainte rendre compte à Dieu de notre administra­tion 1. » On remarquera que dans ce discours préliminaire dont

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1. Labbe, Concil., tom. VI, col. 82-94.

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nous avons reproduit fidèlement la substance, le pape ne fait pas la moindre allusion au prétendu monothélisme d'Honorius. Au contraire il déclare que les pontifes «ses prédécesseurs d'apostoligue mémoire, » n'ont cessé de remplir le devoir de leur charge, en avertissant les évêques d'Alexandrie et de Constantinople, soit par lettres, soit par des légats, maintenant inviolable la doctrine orthodoxe. Il ne pouvait cependant ignorer que les orientaux cherchaient à incriminer les lettres d'Honorius au patriarche byzantin. Evidemment donc pour saint Martin I, de même que pour ses prédécesseurs immédiats Théodore, Jean IV et Severi-nus, l'interprétation donnée à la correspondance d'Honorius par les monothélites constituait une calomnie odieuse, dont la lettre apologétique de Jean IV avait suffisamment fait justice.

 

4. Dans la session suivante, lecture fut donnée des pièces originales qui pouvaient éclairer le débat. On commença par entendre ­les réclamations authentiques adressées d'Orient à Rome contre les ­nouveaux hérétiques. Etienne de Dor lut le premier son mémoire, dont nous avons extrait précédemment un intéressant récit, au sujet de sa mission près du saint siège, lorsque le patriarche de Jérusalem, saint Sophronius, l'avait chargé de faire connaître au pape Hono-rius le véritable état de la question 1. La seconde requête fut pré­sentée en personne par les prêtres, abbés et moines grecs, chassés de leur patrie par la persécution monothélite et réfugiés à Rome; Le saint abbé Maxime était à leur tête. Ensemble ils supplièrent la vénérable assemblée « présidée par le trois fois bienheureux sei­gneur pape Martin, le père des pères, le sommet suréminent du sacerdoce, » de ne pas se borner à définir la foi catholique, mais d'anathématiser nommément ses adversaires et leurs écrits, sans épargner ni l'ecthèse d'Héraclius, ni le type de Constant II 2. On produisit alors les lettres synodiques des évêques de Chypre, celles des conciles tenus dans la Byzacène, la Mauritanie, la Numidie, et trois requêtes du primat de Carthage, toutes déplorant en termes

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1 Cf. tom. XV de cette  Histoire, pag. 528; Labbe, tom. cit., col. 101-112. 2. lbid., col. 113-120.

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amers les désordres et les violences commis par les fauteurs du monothélisme, toutes s'adressant au pape comme au «fondement des colonnes de l'Église, » au «chef et docteur de la foi orthodoxe et immaculée, » au « pasteur universel, » dont le siège vraiment apostolique « est la source intarissable et pure qui alimente sur tous les points de l'univers le fleuve de la doctrine et de la vérité 1. » Dans la troisième session (17 octobre), on procéda à l'examen des principaux écrits monothélites. Onze citations, extraites des œuvres aujourd'hui perdues de Théodore de Pharan, établirent que cet évêque, véritable auteur de la nouvelle hérésie, posait en prin­cipe que dans l'économie de l'Incarnation, le Verbe divin, moteur absolu, avait absorbé complètement l'âme et le corps de Jésus-Christ, son humanité tout entière, laquelle n'était plus qu'un organe servile, un instrument dépourvu de liberté d'action. En consé­quence, il n'y avait en Jésus-Christ qu'une seule opération, une seule volonté, celle de la nature divine. Le pape fit remarquer que la récente erreur se rattachait par un côté à celle des anciens Docètes, et qu'elle dépouillait l'humanité du Sauveur des propriétés naturelles à l'homme. Parmi les neuf articles de Cyrus, on s'attacha uniquement à la discussion du septième, où l'erreur monothélite assez subtilement déguisée s'appuyait du texte déjà cité de saint Denys l'Aréopagite : Novam quamdam theandricam operationem, Katvr.v ma. rJjv esavSptîdjv èvépYetav. Cyrus avait frauduleusement substitué le mot unam à celui de novam, et faisait dire au saint docteur qu'il n'y avait en Jésus-Christ qu'une seule opération théandrique. Le primicier des notaires Théophylacte présenta au pape les œuvres de saint Denys l'Aréopagite. « Voici, dit-il, le codex du bienheureux Denys, que j'ai pris moi-même dans la bibliothèque sacrée de votre siège apostolique 2. » Saint Martin constata la falsification com­mise par Cyrus. « Le mot théandrique, employé par le docteur de l'Aréopage, ajouta-t-il, suppose nécessairement deux volontés, et saint Denys ne s'en sert que pour marquer l'union des deux opéra-

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1    Labbe, tom. cit., col. 121-156.

2    Ibid., col. 182 ; Dionys. Areopag., Epist, ad Caïum; Pair, greee, tom. III,
col. 1072; Cf. chap. précéd., n» 16.

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tions, comme celle des deux natures, en une seule personne. » Tous les fauteurs du monothélisme invoquaient cette parole de l'Aréopagite comme un argument décisif en faveur de leur doc­trine. On lut à ce sujet quelques passages d'un commentaire écrit par un hérétique aujourd'hui inconnu, Thémistius. Enfin l'évêque de Cagliari Deusdedit demanda, et le pape autorisa la lecture de l'ecthèse1, « publiée quelques années auparavant sous le nom d'Héraclius, » ad nomen quondam Heraclii facta2. Par cette réserve, qui sauvegardait l'honneur impérial, le saint pape se maintenait dans la vérité historique la plus stricte, puisqu'en effet l'ecthèse composée par Sergius et publiée sous le couvert de l'empereur, avait depuis été désavouée par ce dernier ; il manifestait de plus, au point de vue politique, l'intention bien arrêtée de ménager au­tant que possible les susceptibilités de la cour de Byzance, dont les agents écoutaient aux portes du concile. Cette généreuse dispo­sition d'un pontife déjà voué à la rage des bourreaux, se révéla d'une manière encore plus éclatante au début de la quatrième session (19 octobre). A la requête de Bénédict évêque d'Ajaccio et de Deusdedit de Cagliari, le primicier des notaires apostoliques produisit un exemplaire du type et le pape en ordonna la lecture en ces termes : « Nous soumettons à votre examen le type rédigé naguère en opposition avec la foi orthodoxe par le patriarche Paul de Constantinople3. » En résumant ensuite la portée de ce nouveau formulaire, le pape évita avec une attention scrupuleuse tout ce qui aurait pu en faire peser la responsabilité sur Constant II, dont le nom ne fut pas prononcé une seule fois. Il prit même soin de louer dans cet édit l'intention formellement exprimée de mettre un terme aux controverses théologiques et de rétablir la paix reli­gieuse en Orient. Ces ménagements pour la personne et la dignité de l'empereur ne devaient être ni compris ni récompensés. Ils n'empê­chèrent pas du reste le courageux pontife de proclamer hautement la vérité orthodoxe. Dans la cinquième et dernière session (31 oc-

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1 Voir le texte de l'ecthèse, tom. XV de cette Histoire, pag. 356. — 2 Labbe, tom. VI, col. 194. - 3 Ibid., col. 231. Voir chap. précéd., n° 19, le texte de cet édit impérial.

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tobre), après avoir démontré par la confrontation des textes que le monothélisme était en opposition avec la doctrine des pères, tan­dis qu'au contraire il se trouvait en conformité flagrante avec diverses propositions émises autrefois par les ariens, les nestoriens, les eutychéens et les acéphales, le pape prononça une sentence définitive d'anathème. Elle fut adoptée unanimement par le concile et formulée en vingt canons. On y proclame la distinction des deux natures et leur union hypostatique ; chacune d'elles conserve ses propriétés, en sorte que le Verbe incarné a eu deux volontés et deux opérations, l'une divine, l'autre humaine. En conséquence, le pape condamne ceux qui ne reconnaissent en Jésus-Christ qu'une volonté et qu'une opération ; il anathématise ceux qui prétendent interdire de parler d'une ou de deux volontés en Jésus-Christ. C'était frapper d'une manière indirecte le type de l'empereur Constant. Rappelant ensuite dans une condamnation générale les noms des hérésiarques précédents, tels que Sabellius, Arius et les autres, il y joint ceux des monothélites, savoir : Théodore de Pharan, Cyrus d'Alexandrie, Sergius de Constantinople et ses suc­cesseurs Paul et Pyrrhus. Il défend nommément d'obéir aux pres­criptions impies de l'ecthèse et du type, et en général de recevoir les nouvelles expositions de foi composées par les hérétiques. Le pape souscrivit en ces termes : « Martin, par la grâce de Dieu évêque de la sainte Église catholique et apostolique de la ville de Rome, j'ai souscrit comme juge à cette définition qui confirme la foi orthodoxe, ainsi qu'à la condamnation de Théodore, jadis évêque de Pharan, de Cyrus d'Alexandrie, de Sergius de Constan­tinople, de Pyrrhus et de Paul ses successeurs, anathématisés avec leurs écrits hérétiques, l'ecthèse et le type impie qu'ils ont publiés. » Les cent cinq évêques du concile donnèrent une approbation semblable. Jean évêque de Milan et quelques autres qui n'avaient pu assister au concile envoyèrent individuellement leur adhésion (649).

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