St Grégoire 11

Darras tome 15 p. 209

 

   22. La conversion des Lombards devint dès lors le but de tous  les efforts de saint Grégoire le Grand. Il eut le bonheur de réussir  dans cette entreprise qui  paraissait irréalisable. Les politiques du temps ne manquaient pas de la taxer de folie; à Constantinople surtout, on se montrait à la fois irrité et dédaigneux. L'exarque de Ravenne, Romanus, entretenait ces dispositions hos­tiles. « Dites-leur, écrivait Grégoire à Sabinien son apocrisiaire, que, si j'avais voulu me prêter à la destruction des Lombards, au­jourd'hui cette nation n'aurait plus ni roi, ni ducs, ni comtes, et serait en proie à une irrémédiable confusion. Mais je crains Dieu, j'aime l'Église, et vous le savez, je mourrais mille fois plutôt que de laisser sous mon pontificat abaisser l'honneur du siège apos­tolique et dégénérer de son antique gloire l'Église du bienheureux apôtre Pierre2.» Toute la politique du grand pape est exprimée dans ces paroles. Il nourrissait l'espoir de convertir la race lom­barde; ce qui ne l'empêche pas d'infliger à Autharis l'épithète de nefandissimus, dont l'énergie semble avoir blessé la délicatesse du sage Muratori lui-même. « Au nom des empereurs de Byzance, dit cet historien, les exarques multipliaient en Italie les exactions, les violences ; et cependant ce sont les rois lombards, non les exarques, qui recueillent sans cesse de la plume de saint Grégoire l'odieux surnom de nefandissimi 3.» Pour être juste, il eût fallu se mettre à

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1 S. Greg. Magn., Epist. xvu, lih. I; Pair, lat., tom. LXXVI1, col. 462. 2. S. Greg. Magn., lib. V, Epist. xlvii; Pair, lat., tom. LXXVII, col. 721, 722. 8 Muratori, Annal. liai., anû. 595. Eppure i soli Langobardi erano trattati da nefandissimi.

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un point de vue complètement indépendant de toutes les suscepti­bilités nationales; et c'est précisément celui où le grand pape se plaçait lui-même. Il n'épargnait les avertissements, les reproches, les menaces même, ni aux exarques de Ravenne ni aux con­seillers de la cour byzantine. Mais tant que les Lombards restaient païens ou, pis encore, ariens fanatiques, tant qu'ils semaient sur l'Italie avec l'incendie et le pillage, les doctrines subversives, l'im­moralité, l'athéisme, Grégoire leur donnait l'épithète de nefondissimi. Cependant il voyait poindre l'aurore de jours meilleurs ; il aperce­vait à l'horizon les royautés chrétiennes de l'âge moderne, et il en préparait l'avènement.

 

  23. A la mort d'Autharis, les ducs lombards, subjugués par l'ascendant de leur jeune reine catholique, Théodelinde, lui dirent : «Continuez à régner sur nous; choisissez dans notre nation ce­lui que vous jugerez le plus digne du trône et de votre main. — Théodelinde prit conseil des plus sages. Elle fixa son choix sur le duc des Taurini (Turin), Agilulfe, parent d'Autharis, vaillant guer­rier, aussi noble de cœur que distingué de figure et de manières. Sans lui rien dire de son projet, elle le fit venir au bourg de Laumillum (Lomellino) : durant le festin auquel elle l'invita, elle prit une coupe de vin, y porta les lèvres et la lui offrit. Agilulfe vida la coupe d'or et, en la rendant, voulut baiser la main de la reine. Non, lui dit celle-ci, baisez-moi sur la bouche. Vous êtes mon époux; soyez digne du rang auquel vous allez être élevé. —Les noces furent célébrées avec grande pompe, et Agilulfe, proclamé à Milan, ceignit la couronne des Lombards (mai S91) 1. » Agilulfe était arien, comme son pa­rent Autharis. La diversité de croyance n'effraya pas Théodelinde, qui faisait alors demander à saint Grégoire des reliques prises au tombeau de tous les martyrs de Rome 2. Nous avons encore le

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1 Paul. Diac, De gest. Langoban/., lit. III, cap. xxxiv; Pair, lai., lom. XCV, col. 538.

2.  On conserve, dans la basilique de Monza, un papyrus de l'époque de saint Grégoire le Grand, cosa troppo rara e quasi miracolosa, dit Muratori (Ann. U'Ilal., ann. 603), où le diacre lombard, Jean, envoyé à Rome par Théode­linde, donne l'énumération des divers tombeaux des martyrs à la lampe desquels il avait recueilli quelques gouttes d'huile, qu'il déposait dans des

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catalogue, dressé selon l'ordre des catacombes, par le diacre Jean qu'elle avait chargé de cette pieuse mission. Il recueillit fidèlement de l'huile des lampes qui brûlaient jour et nuit devant les corps des principaux martyrs. Telles étaient les forces surnaturelles invoquées par Théodelinde et le grand pape saint Grégoire, pour triompher d'une nation qui faisait trembler l'empire grec. Voilà certainement une politique qui ferait aujourd'hui sourire tous nos hommes d'É­tat. Il y a dix-neuf siècles que ce sourire se renouvelle, et cepen­dant, depuis dix-neuf siècles, l'Église voit passer les uns après les autres, se succédant et tombant dans les mêmes illusions et la même incrédulité, ces hommes d'État qui se croient grands parce qu'à un jour donné il leur échoit de pouvoir insulter l'Église. Ne serait-il pas plus simple de rompre enfin avec cette tradition misé­rable, et de reprendre la voie d'honneur d'un Constantin, d'un Clovis, d'un Agilulfe ou d'un Charlemagne? Chose singulière, tous les essais en sens contraire ont abouti dans le passé à des catas-

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fioles séparées, avec une étiquette spéciale, pour les rapporter comme des reliques à la pieuse reine. Ce monument, d'un prix inestimable pour la topo­graphie des catacombes romaines, a été en ces derniers temps illustré par M. de Rossi (Roma Solterranea, tom. 1, pag. 181 et suiv.). Muratori, Gori, Ruinart, Biraghi ont reproduit le texte du papyrus de Slonza. Slozzoni eu a donné un fac simile dans ses Tablettes chronologiques du VIIe siècle. Voici les premières et les dernières lignes de ce catalogue, qui renferme soixante-quatre noms de martyrs :

Nota de otea (sic) sanctorum martyrum qui Romce in corpore requiescunt. Id est:

Sancti Pétri apostoli.

Sancti Pauli apostoli,

Sancti Pancratii.

Sancti Arthemi.

Sanctœ Sophiœ cum très filias suas (sic).

Sanclœ Paulinae.

Sanctos Luci... a:

Quas (sic) olea sancta temporibus domni Gregorii papas addu-xit loltannes indignus et peccu-tor domnœ Theodelindos reginas, de Rama.

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trophes, et comme pour se moquer de l'histoire et de l'expérience, on s'obstine à reprendre les mêmes errements sans craindre d'ar­river au même abîme.


  24. Il y avait à Ravenne un exarque, Romanus, représentant de l’empire grec, et se croyant en cette qualité le droit de contre­carrer tout ce que faisait le pape. Saint Grégoire voulait la paix; Romanus voulait la guerre, parce que, comme dit assez naïvement Muratori, il espérait «pêcher en eau trouble 1. » Saint Grégoire voulait la conversion des Lombards; l'exarque écrivait à Constantinople que le pape était un visionnaire, dupe de ses propres ima­ginations, un homme simple qui ne comprenait rien aux besoins de son temps et de son pays. « Ce Romanus, dit M. de Montalembert, fut par son animosité et sa lâcheté l'un des principaux fléaux de la vie de Grégoire. Après avoir rompu la paix avec les Lom­bards, et justifié ainsi les nouvelles hostilités de leurs ducs Ariulfe de Spolète et Arigis de Bénévent, dans l'Italie centrale et mé­ridionale, il abandonnait Rome et Naples sans défense, et n'en in­terdisait pas moins au pape de traiter avec les envahisseurs. Ce fut alors que Grégoire déploya toute la résolution d'un vaillant capitaine avec toute l'autorité d'un souverain. Il ne se contente pas de se plaindre amèrement à l'empereur Maurice de l'abandon de l'Italie, et de ce que, pour garder Pérouse, on laisse Rome à dé­couvert. « Il a fallu, lui écrit-il, que je visse de mes yeux, des Romains, la corde au cou, comme des meutes de chiens, conduits dans les Gaules pour être vendus au marché2 ! » Mais c'est lui qui pourvoit au plus pressé, qui écrit aux chefs militaires pour les en­courager à la résistance, qui indique aux soldats rassemblés à Naples le chef qu'ils doivent suivre, qui nourrit le peuple, qui paie aux troupes leur solde et aux barbares leurs contributions de guerre, le tout aux frais de l'Église. « L'empereur, » écrivait-il à l'impératrice, «a un trésor pour ses troupes à Ravenne; mais moi,

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1. Le Liber Pontificalis rappelle indirectement ce fait, quand il énumère les villes que l'exarque Romanus avait reprises sur les Lombards. (Cf. n° 1 de ce chapitre.)

2. S. Grcg. Magn., lib. V, Episl. xl; Pair, lut., tom. LXXVII, col. 767. B.

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je suis à Rome le trésorier des Lombards 1.» Malheureusement pour l'Italie, dit Muratori, l'empereur de Constantinople ajoutait foi aux rapports officiels de l'exarque, et ne croyait pas un mot de ce que lui mandait le pape.

 

   25. Ce fut dans ces circonstances qu'Agilulfe, encore arien, et probablement malgré les conseils de la pieuse Théodelinde, entreprit contre Rome cette expédition qui consternait le cœur de Grégoire (593)2. L'histoire ne nous a conservé ni le détail du siège ni les négociations qui y mirent fin. Il est constant, dit Muratori, que malgré la faiblesse de leur garnison, les Romains se défendirent avec vigueur. Peut-être Agilulfe qui avait compté sur un rapide coup de main, ne voulut-il pas s'exposer aux hasards d'un plus long séjour sous les murs d'une ville qui pouvait être secourue et de Ravenne et de Naples. Plus probablement les sommes d'argent que lui offrit saint Grégoire, le déterminèrent à quitter la place, non sans avoir encore une fois dévasté tous les environs. « C'est de cette époque, dit M. de Montalembert, que datent l'incroyable désolation, la stérilité malsaine de la campagne de Rome. Mais la ville même avait été épargnée; Grégoire put constater la vérité de la prophétie de saint Benoît, qui avait prédit que Rome, con­damnée aux plus cruelles épreuves, s'affaisserait sur elle-même, mais ne serait pas détruite par les nations. Il put donc continuer à veiller « sur ces murailles croulantes, ces palais renversés, ces édifices fatigués par une si longue vieillesse 3. » Durant tout le reste de son pontificat, Rome ne fut plus inquiétée; il réussit en 599 à étendre le même bienfait à toute l'Italie. La paix fut con­clue entre Agilulfe et l'exarque. Le roi lombard ne se fiait guère aux promesses des Byzantins : il exigea que le traité fût revêtu de la signature de saint Grégoire. A ses yeux, la papauté était déjà la véritable souveraine de Rome.

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1 S. Greg. Magn., lib. V, Epist. xxi; Patr. lat., tom. cit., col. 750. A.

2.  Baronius reporte le siège de Rome par Agilulfe à l'an 595. Muratori a démontré que la véritable date était de deux années antérieure. 3. Moines d'Occident, tom. II, pag. 416; S. Greg. Magn., lib. V, Epist. XL.

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  26. Cet heureux événement coïncidait avec la conversion d'Agilulfe au catholicisme. La pieuse reine Théodelinde, dit Paul Diacre, n'avait cessé d'y travailler, et le très-bienheureux pape Grégoire l'avait constamment aidée de ses conseils et de ses écrits. Le livre des Dialogues, composé dans ce but, fut un précieux auxiliaire entre les mains de Théodelinde. Enfin elle eut le bonheur de réussir, et l'Église de Dieu lui fut redevable de cet immense service. Tous les biens ecclésiastiques dont les Lombards s'étaient emparés depuis les premiers temps de l'invasion furent rendus aux catholiques ; les évêques, si longtemps persécutés, emprisonnés, exilés, purent reprendre avec honneur possession de leurs sièges. « Notre fils, l'abbé Probus, écrivait saint Grégoire à Théodelinde, nous apprend tout ce que votre excellence a fait pour l'Église de Dieu. Grâces soient rendues à ce Dieu tout-puissant dont la piété dirige votre cœur, dont la foi illumine votre intelligence, dont la bénédiction accompagne toutes vos œuvres. La paix dont nous jouissons enfin vous est due. Quelle gloire pour vous, très-excellente fille, d'avoir arrêté les torrents de sang prêts à couler encore ! Plein de recon­naissance, je supplie la divine miséricorde de vous rendre, en cette vie et dans l'autre, tous les biens de l'âme et du corps. » — Il écrivait à Agilulfe en ces termes : « Je rends grâces à votre excellence de ce qu'elle a prêté l'oreille à nos sollicitations, et accordé à l'Italie une paix avantageuse aux deux partis. Nous louons à la fois votre prudence de souverain et votre bonté chré­tienne; en vous montrant ami de la paix, vous avez témoigné votre amour pour Dieu, le véritable auteur de la paix. Recevez donc nos paternelles félicitations; et pour mieux assurer les bienfaits de votre sage gouvernement, veuillez donner ordre à tous les ducs, notamment à ceux qui habitent l'Italie méridionale, d'observer reli­gieusement les conventions signées, et de ne pas renouveler, sous le moindre prétexte, les hostilités ni les violences dans les loca­lités qu'ils gouvernent 1. »

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1 Paul. Diac, De geslis Langobard., lib. IV,cap. vctx ; Pair, lut., tom. XCV, col. 510 et 544.

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   27. La prospérité temporelle que saint Grégoire appelait de ses vœux sur le couple royal se réalisait, en 602, par la naissance d’un  fils depuis longtemps désiré, auquel Théodelinde donnait le jour au palais de Modoitia (Monza). Ce prince fut nommé Adaloald. Le jour de son baptême dans l'église de Saint-Jean-Baptiste, que la reine avait fait construire avec magnificence, il fut solennelle­ment associé au trône, et l'on déposa sur son jeune front cette fa­meuse couronne de fer, insigne de la royauté lombarde, dont un cercle enchâssé dans l'or et les pierreries était, dit-on, formé d'un des clous de la passion 1. Saint Grégoire écrivait en cette circons­tance à Thèodelinde : « Vos lettres nous ont fait partager la double joie que le Dieu tout-puissant vient de vous accorder, en vous don­nant un fils, et un fils qui a reçu le baptême catholique. Nous n'at­tendions pas moins de votre zèle pour la religion; vous élèverez dans la vraie foi et dans la crainte du Seigneur le nouveau roi des Lombards. Que Dieu continue donc à vous diriger dans la voie de ses commandements ; qu'il fasse grandir et prospérer dans son amour notre très-excellent fils Adaloald. Nous lui envoyons comme phylactères une parcelle du bois de la vraie croix, et un évangéliaire renfermé dans une boîte de sandal [theca persica). Je destine à la princesse Gundeberga sa sœur, ma fille en Jésus-Christ, deux médaillons d'hyacinthe et d'onyx que je prie votre excellence de lui remettre comme gage de ma paternelle affection2. » Au moment où

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1 La Patr. lat., tom. XCY, col. 054-558 donne un dessin très-exact de la couronne de fer inaugurée pour le baptême d'Adaloald. Les couronnes qu'Agilulfe et Théodelinde portaient à cette cérémonie sont également repro­duites. La première représente le Christ bénissant, ayant à ses côtés deux anges adorateurs, et dans le pourtour la figure des douze apôtres. Sur le nimbe intérieur et extérieur de la couronne est gravée cette inscription :

AG1LVLF. GRAT.  Dl. VIB. GLOIt. BEX TOTIVS ITAL. OFFERET SCO. IOHANNI BAPTIST*

in eccl. modicia. La couronne de Théodelinde n'a pas d'inscription.

2. S. Greg. Magn., Epist. xu, lib. XIV; Patrol. lat., tom. LXXVII, col. 1316. Le trésor de la basilique de Monza possède encore les trois phylacteria, ou reliquaires, envoyés par saint Grégoire à la reine Théodelinde pour les deux enfants royaux Adaloald et sa soeur Gundeberga. Le phylactère d'or qui ren­fermait une parcelle de la vraie croix, est aujourd'hui vide de la précieuse relique; mais tous les émaux qui le décoraient sont parfaitement conservés. C'est une croix de forme byzantine, à double branche, haute de 8 centimètres,

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saint Grégoire dictait cette lettre, il éprouvait déjà les symptômes avant-coureurs de sa mort prochaine. « Vous me transmettez, dit-il à la reine, les observations de notre fils, l'abbé Secundus, au sujet du Ve concile général. Les douleurs rhumatismales dont je suis accablé ne me permettent pas d'écrire : je puis à peine dicter. Si la santé me revient, je répondrai en détail. Dès maintenant j'adresse à Secundus une copie des actes du Ve concile, tenu à Constantinople au temps de l'empereur Justinien de pieuse mé­moire. En les lisant, il pourra reconnaître la fausseté des accusa­tions qu'on dirige à ce propos contre le siège apostolique et la catholique Église. A Dieu ne plaise que nous pactisions en aucune sorte avec l'hérésie, ou que nous nous écartions en rien de la for­mule de foi promulguée par notre prédécesseur Léon de sainte mémoire. Nous recevons tout ce qui a été promulgué par les quatre premiers conciles œcuméniques, et nous condamnons tout ce qu'ils ont réprouvé1. »

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large de 7, surmontée d'un petit anneau qui permettait de la porter au eou. Le Christ nimbé y est représente attaché à la croix, et vêtu d'une longue tunique noire descendant jusqu'aux pieds. Le titre de la croix, au lieu de la triple inscription latine, grecque, hébraïque, porte le monogramme grec : ICX : Ièsus Christos. A l'extrémité du bras gauche de la croix est représenté saint Jean, avec ces paroles grecques pour légende : IAE OTS COI", Ecce filius tuus; et au bras droit la sainte Vierge, avec ces mots : IAOT M1ITHP COï", Ecce maler tua. Les deux autres reliquaires sont deux médaillons d'or, de forme ovale, revêtus d'émaux et également munis d'un anneau pour les suspendre. Le premier a 5 centimètres de hauteur sur 3 de large. La face reproduit de même le Christ en croix et les figures de la sainte Vierge et de saint Jean; mais les principales scènes de la passion y sont plus complète­ment représentées par deux soldats, l'un perçant de sa lance le cœur de Jésus, l'autre lui présentant l'éponge imbibée de fiel et de vinaigre; et plus bas par un groupe de gardes qui tirent au sort ses vêtements. Sur le revers, on lit un exorcisme en langue grecque contre les mauvais esprits que la vertu de la croix met en fuite. Le second médaillon, de dimension et de forme semblables, représente aussi à la face le crucifiement, avec les figures de la sainte Vierge et de saint Jean, mais sans les soldats. Au-dessus de la croix, le soleil et la lune, souvenirs de l'éclipse historique. Le revers représente l'épisode évangélique de la résurrection, lorsque le Sauveur, dans sa gloire, apparut à Magdeleine. (Cf. Mozzoni, Tavole cronologiche, Sec. vu.)

1 S. Greg. Magn., Epist. xn, lib. XIV; Patrol. la'.., tom. LXXV11, col. 1316.

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§ V. Conversion de l'Angleterre.

 

   28. Ce schisme opiniâtre, qui avait suivi en Occident le Ve concile œcuménique, offrit au zèle de saint Grégoire l'occasion de nom- breuses controverses. Le pape réussit à l'éteindre complètement en Italie, à l'exception d'Aquilée, dont les patriarches demeurèrent sourds à toutes les exhortations de sa paternelle sollicitude. Un certain nombre d'évêques, en Hibernie (Irlande), partageaient la même erreur. Grégoire leur écrivit en ces termes1 : «J'ai reçu vos lettres avec un profond sentiment de gratitude, mais ma joie serait au comble si elles m'eussent apporté la nouvelle de votre conver­sion. Vous me parlez des persécutions que vous avez à subir dans vos contrées. Hélas ! la persécution ne profite au salut que si elle est subie pour la foi véritable. Vous savez en effet le mot du bienheu­reux Cyprien : Martyrem non facit pœna, sed causa. Revenez donc, frères bien-aimés, revenez, dans l'intégrité de la foi, au sein de l'É­glise catholique votre mère. C'est elle qui vous a enfantés à Jésus-Christ; ne laissez pas vos esprits s'éloigner de l'unité et de la con­corde, ne donnez plus accès aux conseils perfides qui vous éloignent du retour au droit chemin. Le concile qui a prononcé sur les Trois chapitres n'a manifestement compromis en rien l'orthodoxie de la foi. Vous savez bien qu'il n'y fut question que des personnes. Vous faites la remarque que depuis lors l'Italie n'a cessé d'être flagellée d'une manière exceptionnelle parmi toutes les autres provinces du monde, et vous attribuez ces malheurs à la pré­varication dont le siège apostolique se serait rendu coupable en approuvant le Ve concile général. Je ne vous rétorquerai point la parole de l'Écriture : « Le Seigneur châtie ceux qu'il aime; il flagelle  tous les fils  de  sa prédilection   2.  »  J'aime

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1 Tous les manuscrits connus des œuvres de saint Grégoire le Grand portent pour cette lettre la suscription : Universis episcopis per Hiberniam. C'est donc à tort, croyons-nous, que l'édition des Bénédictins, supprimant ce titre dont Baronius avait reconnu l'authenticité, lui a substitué cette vague désigna­tion : Ad universos episcopos.

1.         Hebr., xn, 6.

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mieux vous rappeler un fait historique. A l'époque où le pape Vigilius, d'honorable mémoire (recordandœ memorice), promul­gua à Constantinople la sentence de condamnation contre les acéphales et l'impératrice Théodora, la ville de Rome tombait captive au pouvoir des barbares. En conclurez-vous que les acé­phales fussent orthodoxes, ou que la sentence prononcée contre eux était injuste, parce qu'elle fut suivie d'une telle catastrophe? Non sans doute. Nul de vous, ou plutôt aucun de ceux qui ont la moindre notion des éléments de notre foi, ne pourrait le soutenir. Ne rendez donc point les faits dogmatiques responsables des vicis­situdes humaines que nous subissons. Quant à la question même des Trois chapitres, pour dissiper tous les scrupules qui subsistent encore dans vos esprits, je crois utile de vous envoyer le livre que Pélage, mon prédécesseur de sainte mémoire, a écrit sur ce sujet. Lisez-le sans préoccupation ni parti pris, dans la sincérité de la bonne foi, et j'ai la confiance qu'il produira en vous une convic­tion salutaire, bientôt suivie d’un heureux retour à l'unité. Ré­sister à la vérité connue, ne serait plus de la raison mais de l'opi­niâtreté. Laissez-moi donc vous redire, bien-aimés frères, que, par
la grâce de Dieu, l'intégrité de notre foi n'a souffert aucune atteinte dans la condamnation des Trois chapitres. Déposez vos anciens ressentiments, revenez à l'Église votre mère ; elle vous attend, elle vous invite : mettez à votre retour l'empressement et l'ardeur qu'elle-même apporte au désir de vous recevoir dans ses bras ma­ternels1. » Saint Grégoire eut la consolation de réussir. « Les évêques d'Hibernie, dit Baronius, abjurèrent le schisme et ren­trèrent au sein de la communion catholique. Nous en avons une preuve certaine dans la correspondance qu'ils entretinrent dès lors, comme tous les autres évêques orthodoxes, avec le saint pape,
le consultant sur toutes les matières ecclésiastiques
2. »

   29. Grégoire n'avait pas perdu de vue le sort des peuples de la Grande-Bretagne, que, simple diacre, il avait formé le projet d'évangéliser. Il recommanda au prêtre Candide, administrateur des

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1 S. Greg. Magn., lib. 11, Epist. Ll; Patr. lut., t. LXXY1I, col. 592. — « Ba­ron., ad ann. 592, u° 13.

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propriétés de l'Église romaine dans les Gaules, d'acheter de jeunes esclaves anglais d'environ dix-sept à vingt ans, et de les lui envoyer en Italie. Son dessein était de les faire élever dans les monastères de Rome, afin qu'ils pussent travailler plus tard à la conversion de leur patrie. Quand ils furent suffisamment instruits des vérités de la foi, le pape les fit partir pour l'Angleterre sous la conduite de saint Augustin, prieur du monastère de Saint-André de Rome, auquel il associa quelques autres moines, dont la vertu et la sa­gesse lui étaient connues. Pour assurer le succès de cette expédi­tion apostolique qui allait conquérir un nouveau royaume à la foi, saint Grégoire remit aux missionnaires diverses lettres de recom­mandation adressées aux princes et aux évêques des Gaules (596) Le nom du souverain pontife leur fut une sauvegarde puissante. Saint Augustin et ses compagnons abordèrent heureusement sur les côtes de la Grande-Bretagne ; ils prirent terre dans l'île de Thanet. Les Angles et les Saxons, peuples d'origine germanique, étaient depuis un siècle et demi les maîtres de la Grande-Bretagne, qui s'appela plus tard de leur nom, Angleterre. Ils y avaient établi une heptarchie, confédération nationale dont un des rois était souverain. Le prince qui exerçait cette autorité était alors Éthelbert, roi de Kent, époux de Berthe, fille de Charibert roi de Paris. Chrétienne et catholique, la princesse franque n'avait con­senti à son mariage qu'à la condition de conserver au milieu d'une nation païenne le libre exercice de sa religion; et dans ce but elle avait amené avec elle un évêque nommé Luidard. C'étaient là deux puissants auxiliaires pour les envoyés de saint Grégoire le Grand.

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