Darras tome 22 p. 135
25. Chose remarquable, cet ensemble d'articles fondamentaux que le gallicanisme a si longtemps flétri comme un « code de tyrannie pontificale, » comme l'arsenal du «despotisme des papes, » n'inspire plus même à nos modernes rationalistes la même horreur. L'expérience des révolutions manquait aux docteurs gallicans du dix-septième siècle; ils n'ont pu apprécier comme nous à sa juste valeur la théorie des Césars absolus ne relevant en apparence que de leur épée et tombant en réalité sous les pavés de l'émeute. M. Villemain lui-même l'avoue en ces termes : « Lorsque, dans la gravité religieuse du dix-septième siècle et sous l'autorité affermie du grand roi, Bossuet, le sublime et paisible docteur, rencontrait, dans les monuments du onzième siècle, sous le nom vénéré de Grégoire VII, ces étranges hardiesses de jugement, il devait en être effrayé, et ne reconnaître là ni la sainteté d'un pape, ni la tradition de l'Eglise ; il devait même se séparer hautement d'une telle doctrine, et le religieux adversaire de Henri de Germanie ne pouvait que lui paraître coupable de violence et d'excès de pouvoir presque autant qu'Innocent XI, si celui-ci eût un jour excommunié et déposé Louis XIV. Mais ce parallèle était bien trompeur, comme le sont presque tous les exemples historiques à longue distance. C'est en vain, ce semble, que le grand évêque, conseiller d'Etat de Louis XIV, croyait entrevoir une conformité de droit, un intérêt commun entre les tumultueuses suzerainetés du moyen âge et les royautés affermies de son temps1. Quel droit Henri d'Allemagne, tour à tour le tyran et le justiciable de ses grands vassaux, avait-il sur la ville italienne de Rome, tant de fois occupée, jamais acquise par ses
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1.Pourquoi ces royautés que l'élément chrétien avait seul affermies n'usèrent-elles de leur autorité que pour se soustraire à la loi même de leur existence et à la notion chrétienne de leur pouvoir? Quel service le génie de Bossuet eût rendu à la France et au monde, s'il avait eu le courage de dire toute la vérité à Louis XIV !
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prédécesseurs1? Pourquoi, non pas seulement le pape au bord du Tibre, mais le plus humble clerc de l'église de Milan ou le plus obscur paysan des vallées en deçà du Pô, eût-il regardé un margrave allemand, retenu par des guerres civiles en Saxe et en Bohême, comme son prince légitime, et les hommes d'armes de ce prince étranger comme un sénat ou un concile ? Le seul lien qui rapprochait alors des hommes si différents d'origine, de mœurs, de langue, c'était un culte commun. Mais en Italie ce culte était libre et maître. En Allemagne, comme dans d'autres parties de l'Europe, le pouvoir, les richesses, les dignités de l'Eglise étaient envahis par la force, vendus au plus offrant et dégradés en même temps qu'usurpés : de là toute l'importance et, on peut le dire, la grandeur de cette question des investitures. C'était la liberté même de l'Eglise, avec la liberté, la force, la dignité de ses membres, son accroissement de grands caractères et de grands hommes. A ce point de vue de l'unité de chaque peuple, de son droit à n'être pas soumis à des maîtres étrangers, à cet autre point de vue plus grave encore de l'inviolabilité des consciences et du droit devant la force, il n'y eut jamais résistance plus juste que celle du pontife de Rome dans sa lutte contre Henri IV. Et quant aux suites de cette résistance, quant aux imitations fréquentes qui s'en firent dans le moyen âge, on doit bien reconnaître qu'il y a là, cependant, un principe salutaire et une sauvegarde pour l'humanité. On a pu le vérifier jusque dans nos jours si prodigieusement éloignés de la simplicité chrétienne, dans notre monde du scepticisme et de la force. Quand la domination d'un conquérant pesait sur l'Europe, quand de Rome à Hambourg il tenait tout sous sa loi, le premier coup dont il fut blessé au défaut de son armure avait cette forme surannée d'excommunication pontificale. La bulle affichée furtivement sur les églises de Rome dans la nuit du 10 juin 1809 fut le premier et le plus puissant tocsin de l'Europe. Cette formule antique : « A ces causes, par l'autorité du Dieu tout-puissant, des saints apôtres
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1. Aucun autre que celui dont l'aurait investi le pape s'il l'eût choisi pour empereur et sacré en cette qualité.
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Pierre et Paul ; » ce langage, si moqué dans le dix-huitième siècle et comme aboli sous les ruines de l'Eglise de France, reparaissant tout à coup dans la bouche du pontife même qui avait sacré Napoléon, marqua l'ébranlement de son pouvoir et parut en seconder la chute. Celui que nul pouvoir et nul droit humain ne semblaient arrêter dans sa course, demeura comme affaibli de l'anathème lancé par ce vieillard qu'il tenait captif. Sous cette bulle en langue morte, qui représentait le cri de la justice et de la loi divine, celui qui avait menacé tout le monde s'écroula par la force de tous et sa propre violence. Tel est le sens historique et moral que reçoit encore pour nous, hommes du dix-neuvième siècle, cette jurisprudence des excommunications pontificales proclamée en 1076 dans le concile de Rome et fulminée tant de fois dans le moyen âge1.»
§ V. Projets de diète à Worms et à Mayence.
26. Le jeune roi Henri IV espérait à force de tyrannie, de violences et de mensonges, se mettre à couvert des terribles effets de l'excommunication. Sa chancellerie expédia d'Utrecht même, où la nouvelle lui était parvenue2, un ordre royal à tous les évêques, princes, ducs et comtes, leur enjoignant de se réunir de nouveau à Worms pour les prochaines fêtes de la Pentecôte (15 mai 1076), afin de compléter l'œuvre schismatique en déposant Grégoire VII et en lui donnant un successeur. M. Pertz a retrouvé un des exemplaires authentiques de la lettre de convocation. La teneur de chaque rescrit dut être modifiée selon la qualité des personnages auxquels on l'adressait ; c'est ce qui résulte de la note cancellaresque non omnibus sed paucis eamdem3, annexée à la suscription ordinaire : Hen-
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1. Villemain. Hist. de Greg. VU, tom. II, p. 75-77.
2. Cf. n° 13 de ce présent chapitre.
3. « Ne doit pas être la même pour tous, mais seulement pour un petit nombre d'élite. »
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ricus Dei gratia rex A. gratiam, salutem et dilectionem : « Henri roi par la grâce de Dieu à À., grâce, salut et dilection. » — « Les délibérations d'une importance exceptionnelle, disait le prince excommunié, ont besoin d'être soumises au conseil des plus grands personnages, en sorte que l'énergie des résolutions se trouve soutenue par la puissance de ceux qui les prennent. Votre inviolable fidélité à notre personne et à notre royaume, votre puissance, la sagesse de vos conseils, ont jusqu'ici paru avec tant d'éclat, que parmi tous les princes et évêques de nos états il n'en est point qui nous inspire plus de confiance. Votre concours ne nous fera point défaut en une occasion qui intéresse l'honneur de tous les princes, de tous les évêques, le salut de l'Eglise indignement opprimée. La situation vous est connue et vous gémissez sans doute sur le malheur d'un temps où le sacerdoce et la royauté, ces deux colonnes de l'Église, sont l'un et l'autre si horriblement outragés. Il s'est trouvé un usurpateur qui a prétendu s'arroger à lui seul le double pouvoir spirituel et temporel. ; il n'a réussi qu'à les bouleverser tous deux sans profit pour son ambition et au grand scandale de l'univers. Son nom est Hildebrand, moine par l'habit, se disant apostolique, mais en réalité usurpateur du saint-siége qu'il a envahi par la violence, faisant asseoir sur le trône catholique de la paix le brigandage et la tyrannie. Au mépris de l'institution divine qui a établi l'ordre social sur les deux pouvoirs distincts de la royauté et du sacerdoce, il revendique l'un et l'autre pour lui seul. L'histoire évangélique de la passion nous a laissé un emblème des deux pouvoirs sous la figure des deux glaives présentés au Sauveur : « Voici deux glaives, » lui disait-on. « C'est assez1, » répondit-il, indiquant de la sorte qu'il devait y avoir dans l'Eglise deux glaives seulement, l'un spirituel, l'autre matériel, portés séparément pour retrancher tout mal : le glaive sacerdotal pour réduire les hommes à l'obéissance aux rois en vue de Dieu, le glaive royal pour repousser au dehors les ennemis du Christ et pour maintenir à l'intérieur l'obéissance au sacerdoce, en sorte que le
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1 Luc. xxn, 38.
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lien de charité subsistant entre les deux pouvoirs, ni la royauté ne fût privée de l'honneur sacerdotal, ni le sacerdoce, de l'honneur royal1. Telle est l'institution établie par Dieu lui-même.Vous savez comment la folie d'Hildebrand, Hildebrandica insania, en a bouleversé toutes les notions. D'après lui, ceux-là seuls peuvent être prêtres qui sont allés mendier ce titre près de sa fastueuse arrogance. Moi-même, appelé de Dieu au trône, tandis que Dieu n'appela jamais Hildebrand au sacerdoce, moi qui ne veux régner que par la volonté de Dieu et non par celle d'Hildebrand, il a prétendu me déposer de mon trône; il menace de m'arracher la royauté et la vie. Il redouble d'outrages, et je ne suffirais pas à retracer les horribles traitements qu’il vient d'infliger à mes envoyés (au concile de Rome). Il les a cruellement dépouillés, il les a fait jeter nus dans un cachot où ils ont souffert le froid, la faim, la flagellation. Comme autrefois les martyrs, ils furent traînés par la ville et exposés aux huées de la populace. On croirait qu'Hildebrand veut copier les fureurs de Dèce, ce tyran barbare, qui brûlait vifs les chrétiens. N'hésitez donc pas, très-cher et féal seigneur, n'hésitez pas à vous rendre à mon, invitation et à celle de tous les princes et évêques vos collègues. Venez avec eux pour les prochaines fêtes de
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On voit que dans sa correspondance officielle Henri IV ne faisait aucune difficulté de reconnaître la constitution chrétienne en vigueur, de son temps. Sa comparaison des deux glaives est remarquable. En voici le texte: Ipse Salvator in pasiione sua de duorum gladiorum sufficièntià typica.-inteltigi innuit: cui cum diceretur : « Ecce duo gladii » hic respondit : « Satis est, » significans hac sufficienti dualitate spiritualem et carnalem gladium in Ecclesia esse geren-dnm, quitus omne nociuum foret amputandum, videlicet sacerdotali ad obedien-tiam régis pro Deo, regali vero gladio ad expellendos initnicos Chrisii exterius et ad obedientiam sacerdoti iatnrius omnem hominem docens fore constringendum ut ita de aiio in atium charitate tenderctur, dmn nec. sacerdotii regnum, nec sacerdoiium regni honore, privaretur. On a cru longtemps que Boniface VIII, dans la fameuse bulle Unam sanctam publiée en 1302, avait été le premier à se servir de l'interprétation mystique des deux glaives. Ce texte de la chancellerie de Henri IV a donc une réelle importance. Les canonistes du roi de Germanie prétendaient qu'entre les deux glaives il n'y avait pas subordination. Boniface VIII enseignait au contraire que « les deux puissances ne seraient pas bien ordonnées si le glaive temporel, n'était pas soumis au glaive spirituel, comme l'inférieur au supérieur. »
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la Pentecôte à Worms. Là, vous inspirant du sentiment général, des intérêts de l'Eglise, de l'honneur de notre personne et de notre royaume, vous prendrez les résolutions commandées par votre conscience1. »
27. On voit comment, sous la plume de Henri IV et des scribes de cour, était odieusement travestie la généreuse intervention de Grégoire VII, lorsqu'au péril de sa vie, selon l'expression de Bonizo, il avait arraché à la juste indignation du peuple romain les deux insolents messagers du roi schismatique2. Il paraît que la chancellerie allemande ne se borna point à publier ce mensonge dans toute l'étendue du royaume teutonique. L'imposture fut transmise par voie diplomatique au césar byzantin Michel VII Parapinace, et nous la retrouvons considérablement augmentée dans l’Alexiade de la princesse Anne Comnène. Nourrie dans les préjugés du schisme grec, Anne Comnène résume ainsi la grande lutte engagée entre Grégoire VII et Henri IV : « Le pontife de Rome accusait le roi germain de vendre à prix d'argent les églises au lieu d'en conférer l'investiture gratuitement, selon la règle ; il lui reprochait en outre de promouvoir aux évêchés et aux bénéfices ecclésiastiques des hommes notoirement indignes. De son côté, le roi allemand traitait le pape d'usurpateur et d'intrus, pour s'être emparé sans son consentement du trône apostolique. Dans sa colère, il fit sommer Grégoire de descendre de son siège, s'il ne voulait en être ignominieusement arraché. Le pape sévit contre
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1. Urstitz dans sa Germania illustrata, p. 393, et avant lui un autre compilateur protestant, Reiner (1581), avaient édité cette lettre en lui donnant une suscrip-tion fautive, car ils la supposaient adressée à saint Annon de Cologne, mort deux ans avant l’excommunication de Henri IV. Par un autre anachronisme, ils la rapportaient à la première diète schismatique de Worms, tenue le 24 jauvier 1076. Or, à cette date aucun envoyé du roi allemand n'avait été maltraité à Rome. Ce ne fut qu'à l'ouverture du synode romain (22 février 1076) qu'eut lieu l'incident exploité avec une si insigne mauvaise foi dans la lettre royale. Baronius se fondant sur cette double erreur chronologique rejeta comme apocryphe le monument lui-même. M. Pertz l'a rétabli dans son intégrité première d'après les manuscrits authentiques. (Pertz. Leg., tom. II, p. 4S.)
2.. Cf. n° 3 de ce présent chapitre.
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p141 CHAP. II. PROJETS DE DIÈTE A Yi'ORMS ET A MAYENCE.
les ambassadeurs chargés d'un tel message ; il les fit cruellement battre de verges, on leur rasa par dérision les cheveux et la barbe, on leur infligea en outre un supplice tel que par respect pour mon caractère de femme et de princesse royale je ne veux point décrire. Forfait abominable, barbarie indigne, je ne dis pas seulement d'un pontife, mais de quiconque a l'honneur d'être chrétien ! Il me suffira d'avoir indiqué cet acte monstrueux comme un exemple de la fureur des races barbares. Et cela fut accompli par un pontife. 0 temps! ô mœurs! Que dis-je ? par un souverain pontife, par le vicaire universel du Christ et son lieutenant dans le monde entier; car ce sont les titres que lui attribuent sans difficulté ses Latins; il est tout cela pour eux, grâce à une imposture grossière. Qui ne sait en effet que depuis la translation à Constantinople de l'empire, du sénat et de toutes les dignités hiérarchiques, le pontificat suprême a cessé d'exister à Rome ? Les empereurs l'ont donné au trône patriarcal de Byzance ; le concile de Chalcédoine ratifiant le jugement des Césars a décrété que le siège de Constantinople ayant la primauté souveraine sur l'Eglise universelle, tous les diocèses du monde entier relèvent de sa juridiction1. » La pruderie de la princesse byzantine reculant devant le nom seul d'un attentat dont les victimes peuplaient les palais impériaux de son père est le comble du ridicule ; mais l'odieux de la calomnie l'emporte sur tout le reste. On pardonnerait volontiers l'ignorance de la théologienne porphyrogénète travestissant un décret d'ailleurs subreptice du concile de Chalcédoine, mais on s'indigne de l'entendre outrager gratuitement saint Grégoire VII, dont elle eut l'honneur d'être la contemporaine. Dans sa rage insensée, le Néron de l'Allemagne, le féroce Henri IV, ne porta jamais si loin l'audace du mensonge.
28. Celui qu'il s'était permis dans sa lettre de convocation à la
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1. Cf. tom. XIII de cette Histoire. Le canon subreptice de Chalcédoine auquel se réfère la princesse byzantine était loin de donner une telle puissance aux patriarches de Constantinople. Il leur attribuait seulement le second rang de primauté après l'évêque de Rome (Ann. Comnen. Alexi&dos, lit, I; Pair. Grœc, tom. CXSXI, col. 15Î).
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142 PONTIFICAT DE GRÉGOIRE VII (1073-1085).
nouvelle diète de Worms n'eut pas le succès qu'il en attendait. « Au jour fixé (15 mai 1076), dit Lambert d'Hersfeld, parmi la foule qui s'était réunie en assez grand nombre, pas un seul des ducs et princes dont l'autorité sur les affaires publiques pouvait être prépondérante ne se présenta. Force fut au roi de remettre l'assemblée à la prochaine fête de saint Pierre et de saint Paul (29 juin), en assignant la ville de Mayence comme lieu du rendez-vous1. » Ce terme de la fête des Apôtres était précisément celui que Grégoire VII dans le concile de Rome avait fixé comme délai aux signataires des actes schismatiques pour se faire absoudre des censures encourues par eux. Le grand pape le rappelait en ces termes dans une lettre adressée à l'évêque Henri de Trente : « Nous avons lieu d'être supris de votre silence, car vous n'avez point encore répondu à nos lettres portant notification de la sentence synodale prononcée contre le roi de Germanie. Le zèle de la justice, sans aucun ressentiment personnel, nous a contraint de prendre cette mesure. Vous n'en doutez pas, je suppose, et nul esprit sérieux ne saurait penser autrement. Mais quel que soit à ce sujet le courant de l'opinion publique, de quelque façon qu'on veuille interpréter le fait, nous pouvons vous affirmer, en vous confiant à la clémence divine, que la prochaine fête du bienheureux Pierre ne se passera point sans que chacun puisse manifestement se convaincre de la légitimité et de la complète justice de notre sentence 2. » La date rappelée ici par Grégoire VII devait effectivement, par l'échec de la diète de Mayence et par l'adhésion presque unanime des princes et évêques d'Allemagne aux décrets du concile romain, prendre l'importance d'une manifestation décisive. « Le roi eut beau supplier tour à tour et menacer, dit Lambert d'Hersfeld, nul ne fit attention ni à ses ordres ni à ses prières. L'immense majorité s'abstint de venir à Mayence et accentua nettement son refus d'obéir : ceux qui y comparurent, profondément divisés d'opinion, ne purent se mettre d'accord sur rien. L'esprit de discorde, soufflé
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1. Lambert. Hersfeld., Inc. cit., col. 1218.
2. Greg. VII. Epist. XXV, extr. Rcgistr. col. 670.
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p143 CHAP. II. — HENRI IV ABANDONNÉ PAR SES SUJETS DE GERMANIE.
par Satan, prenait visiblement possession des excommuniés ». » Ce fait avéré et l'annonce en quelque sorte prophétique dont il avait été l'objet dans la lettre pontificale à l'évêque de Trente fournirent au pseudo-cardinal Benno le thème d'une de ses plus curieuses légendes. « Le mardi de Pâques 1076, dit-il, comme le clergé et le peuple étaient réunis pour la messe solennelle à la basilique de Saint-Pierre, après l'évangile Grégoire en habits pontificaux monta à l'ambon. En présence des évêques, des cardinaux, des clercs et de toute la foule, il se mit à prophétiser contre le roi Henri. « Tenez pour certain, s'écria-t-il, que d'ici à la prochaine fête de saint Pierre ce prince sera mort ou qu'il sera dépouillé de toute autorité royale au point qu'il ne trouvera pas seulement six hommes d'armes disposés à combattre pour sa cause. » Puis prenant à témoin les évêques et les cardinaux, il ajouta : « Ne me considérez plus à l'avenir comme pape, et arrachez-moi de l'autel, si ma prophétie ne se réalise pas 2. »
§ VI. Henri IV abandonné par ses sujets de Germanie.
29. La scène apocryphe de la basilique de Saint-Pierre n'eut lieu que dans l'imagination de Benno, mais la parole authentique de Grégoire VII à l'évêque de Trente reçut son plein accomplissement. Les princes qui avaient successivement refusé de se rendre à Worms et à Mayence s'étaient réunis spontanément aux évêques pour délibérer en commun sur la situation. « Ils se constituèrent, dit Bonizo, comme en un tribunal d'enquête, examinant avec soin les raisons produites de part et d'autre, afin d'élucider la question pour savoir d'abord si le pape avait, oui ou non, le pouvoir d'excommunier le roi, et dans le cas de l'affirmative si la sentence d'excommunication actuelle avait été juste. C'était là tout le nœud de la difficulté politique, car d'après les lois en vigueur dans le royaume de Germanie,
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1. Lambert Hersfeld. Annal., loo. oit.
2. Benno. De vita et gest. Hildebrandi, loo. cit., fol. XL.
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p144 PONTJFICAT DE GRÉGOIRE VII (1073-10S5).
« quiconque ne s'est pas fait après un an et jour relever d'une excommunication légitime encourt de plein droit et définitivement la déchéance de tous ses honneurs et dignités. » A la première question posée par les princes, les évêques, abbés et clercs les plus instruits répondirent que le droit pour les papes d'excommunier les rois était incontestable 1. » On rappela à cette occasion les précédents historiques les plus célèbres ; l'empereur Arcadius fils de Théodore le Grand, excommunié par le pape saint Innocent Ier pour avoir déposé saint Jean Chrysostome; l'empereur Justin, fils du grand Justinien, excommunié par le pape Constantin pour avoir outragé les légats du siège apostolique ; l'empereur Anastase excommunié par le pape du même nom et frappé de la foudre dans son palais au moment où il blasphémait contre l'autorité du souverain pontife ; l'empereur Léon l'Iconoclaste excommunié par le pape Grégoire II et privé par lui de tout droit impérial sur les provinces d'Occident ; les deux empereurs Michel III de Constantinople et Lothaire d'Occident excommuniés à la même époque et par le même pape Nicolas le Grand, le premier pour avoir déposé le saint patriarche Ignace, le second à cause de son union scandaleuse avec Valdrade 2. « A la seconde question, la réponse fut également affirmative. En prononçant dans la diète schismatique de Worms la déposition de Grégoire VII, le roi avait manifestement violé la constitution fondamentale de l'Eglise qui déclare, d'après la tradition constante et l'exemple des saints pères, « que le pontife romain ne saurait être jugé ni déposé par personne. » C'était donc très-justement et très-légitimement que la sentence d'excommunication avait été portée contre le roi. En conséquence les princes et à leur tête Rodolphe de Souabe, Welf de Bavière, Thierry de Lorraine, Berthold de Carinthie, ne voyant pas de meilleur remède aux calamités présentes, s'engagèrent par serment à ne reconnaître l'autorité du roi qu'autant que celui-ci serait allé en personne faire sa soumission
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1. Bonizo. Ad amie., Hb. VIII, loc. cit., col. 845. 2.Ibid., Mb. VII, col. 843.
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p145 CHAP. II. — HENRI IV ABANDONNÉ PAR SES SUJETS DE GERMANIE.
au pape et aurait été absous par lui du lien de l'excommunication1 .»