Darras tome 19 p. 142
§ VII. L'empire d'Orient.
63. L'influence si directe et si profondément tutélaire de l'Église dans la constitution des royautés féodales a été systématique-
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1. ludovit. reg. Arrivent. eUcl. Pair, tal^ tom. cit., Col. 806
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ment laissée dans l'ombre par les modernes historiens. Nous avions le devoir de rétablir sur ce point la vérité telle que les monuments authentiques la constatent, et de faire connaître le sens et la portée de la grande transformation politique qui inaugura en Europe sur les débris des monarchies carlovingiennes le régime de la féodalité, et fut le point de départ de l'ère fameuse qui porte le nom de moyen âge. L'empire d'Orient demeura étranger à ce mouvement des races occidentales. Il poursuivait, au milieu des émeutes prétoriennes et des révolutions de palais, sa lutte séculaire contre l'autorité hiérarchique et doctrinale du Saint-siége. L'empereur Basile le Macédonien maintenait sur le siège patriarcal de Constantinople le schismatique Photius, malgré tous les anathèmes des conciles et des papes. Il faisait plus, il essayait de démontrer que l'Église romaine elle-même, était devenue schismatique, et que le véritable successeur de saint Pierre, le vicaire de Jésus-Christ, le pasteur légitime de toutes les chrétientés de l'univers était ce même Photius patriarche de la nouvelle Rome. Tel était le sens des lettres injurieuses qu'il avait adressées en 885 au pape Adrien III 1, et dont le texte ne nous est point parvenu. La mort prématurée d'Adrien ne lui permit pas d'y répondre. Son successeur Etienne le fit en ces termes : « Les lettres de votre sérénité adressées à notre prédécesseur nous ont causé le plus douloureux étonnement. Votre magnificence impériale dont la main tient d'ordinaire si ferme la balance de la justice a-t-elle pu écrire de telles énormités, et oublier à ce point que notre dignité sacerdotale et apostolique n'est soumise au pouvoir d'aucun roi? Il est très-vrai que vous êtes sur la terre l'image du souverain roi Jésus-Christ, cependant votre autorité ne doit s'exercer que dans le domaine de la société politique et civile, et puissiez-vous la conserver de longues années encore pour la prospérité de l'empire ! De même que Dieu vous a établi pour le gouvernement des choses temporelles, ainsi il nous a investi nou-même en la personne du prince des apôtres Pierre de la sou-
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1. Cfr. Tom. XVIII <te «et» «W|rA £• «S
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veraineté des choses spirituelles. Pardonnez-nous de vous en faire souvenir et de tirer les conséquences de ce principe. Il vous appartient en vertu de votre charge, de réprimer l'impiété, la rébellion, la tyrannie par le glaive de la puissance, de rendre la justice à vos sujets, de commander les armées : ce sont là les attributions spéciales de votre principat. Mais c'est à nous que fut confiée la charge pastorale du troupeau du Seigneur, charge prééminente, dont l'excellence entre toutes les autres dignités l'emporte autant que le ciel est au-dessus de la terre. Le Seigneur dit au premier des papes : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elles 1. » En parlant du ministère qu'il nous a confié, il le définit en ces termes : « Je vous donnerai les clefs du royaume des cieux 2. » Quand il parle du pouvoir temporel et de l'empire, Jésus-Christ tient un tout autre langage. « Ne craignez pas, dit-il, ceux qui ne peuvent tuer que le corps, sans pouvoir jamais tuer l'âme 3. » Je conjure donc votre piété de vous conformer aux décrets des princes des apôtres, de respecter leur nom, leurs prérogatives, leur dignité. L'institution et l'épiscopat de toutes les églises de l'univers tirent leur origine du prince des apôtres Pierre, au nom duquel nous conservons le dépôt de la foi dans son intégrité pure et incorruptible pour en distribuer l'enseignement à tous les fidèles du monde. Votre puissance royale ne saurait donc se croire autorisée par le ministère d'ordre inférieur qu'elle exerce sur les choses temporelles pour se constituer juge dans l'ordre supérieur des choses spirituelles. Celui qui a osé proférer devant votre personne sacrée les outrages qu'on prodigue à la mémoire du très-saint pontife Marinus notre prédécesseur, est un blasphémateur sacrilège 4 dont l'impiété s'attaquait sans rougir à la majesté de Jésus-Christ lui-même dont Marinus
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1 Matth. xvi, 18. I
2. Ibid., 19. i
3. Matth. x, 28. Cet exposé de principes devait d'autant plus frapper l'empereur, qu'il est entièrement conforme à la déclaration faite par le césar lui-même au VIIIe concile général. Cf. Labbe. Concil., tom. VIII, col. 979.
4 Le pape fait ici allusion à Photius qui avait rédigé la lettre impériale.
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fut le très-digne vicaire. Quel que soit le téméraire qui n'a pas rougi de calomnier le pontife immaculé de l'Église romaine, la mère de toutes les églises, il se trompe grossièrement s'il croit que «le disciple est au-dessus du maître, le serviteur au-dessus de son Seigneur 2. » Nous ne pouvons concevoir que votre prudence, d'ailleurs si consommée, se soit laissé prévenir par des imputations si mensongères. Nous ne voulons point désigner leur auteur, mais à défaut de notre voix, les pierres elles-mêmes crieraient contre lui, et rediraient l'anathème du prophète : Muta fiant labia dolota quœ loquuntur adversus justum iniquitatem 2. Mais vous, prince, si réellement, comme nous aimons à le croire, vous tenez à rester avec les brebis fidèles dans le bercail du Seigneur, gardez-vous de franchir les limites sacrées posées par les princes des apôtres. Qui a pu vous pousser à outrager en style de comédien un saint pape, un souverain pontife, à déverser un torrent d'injures contre la sainte Église romaine à laquelle vous devez comme chrétien, soumission et respect ? Ignorez-vous qu'elle a le principat de toutes les églises? qui vous a constitué juge des pontifes, dont la doctrine est la règle obligatoire de votre foi, dont les prières montent sans cesse au ciel pour vous? N'oubliez pas la parole de l'Écriture : Nolite tangere christos meos, et in prophetis meis nolite malignari3. Voulez-vous donc vous faire l'égal de Dieu lui-même, en osant juger ses anges? Car l'Esprit-Saint a dit encore : « Les lèvres du pontife sont les dépositaires de la doctrine ; c'est de sa bouche qu'on recueillera la loi, parce qu'il est l'ange du Seigneur tout-puissant 4. » Et cependant vous prétendriez juger les pontifes de la loi nouvelle, eux qui ne relèvent que du jugement de Dieu, et qui seuls ont le pouvoir de lier et de délier ! Voyez la profondeur de l'abîme dans lequel vous vous précipitez.
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1 Matth. z, u.
2. Psalm. xxx, 19. « Qu'elles deviennent muettes les lèvres trompeuses qui calomnient le juste.»
3. Ptalm. crv. « Ne touchez pas à l'oint du Seigneur, n'insultez pas mes prophètes. »
4. Malatk. a, 1.
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De toutes parts, très-magnifique empereur, j'entends les éloges très-mérités qu'on adressée la mansuétude et à la modération de votre caractère. Je ne puis donc que m'étonner davantage de vous voir en cette circonstance dépasser toute mesure. Vous déclarez catégoriquement dans votre lettre que Marinus ne fut point pape légitime. Comment le savez-vous ? Et si vous ne le savez pas, comment hasarder avec une telle précipitation un jugement pareil? C'est chose grave entre toutes que la puissance pontificale ; on ne la traite point à la légère. L'histoire du bienheureux Ambroise ne vous est sans doute pas inconnue; vous savez comment il agit vis-à-vis de l'empereur Théodose le Grand. Ceux qui refusent d'admettre la légitimité du pape Marinus s'appuient sur ce raisonnement qu'étant déjà évêque d'un autre siège 1 sa promotion à celui de Rome était nulle de plein droit. Or, leur prétendu principe est faux; l'empêchement canonique qu'on suppose dirimant n'a jamais existé avec ce caractère. Malgré le canon dont on parle, Marinus a pu être très-légitimement promu au siège apostolique. Une multitude de textes tirés des saints pères et des docteurs de l'Église le prouve. Voilà ce qu'il vous faut savoir, empereur très-aimé et digne de tous nos hommages. Une multitude d'exemples tirés de la vie des saints pères, le prouve surabondamment. Au point de vue canonique rien donc ne s'opposait à ce que Marinus fût légitimement promu sur la chaire apostolique où il fut réellement appelé par la Providence divine. Est-ce que le grand théologien Grégoire de Nazianze, avant d'être évêque de cette ville, ne l'avait point été de Sasime et ne monta point plus tard sur le siège patriarcal de Constantinople ». Mélèce fut évêque de Sebastée avant de l'être d'Antioche ; Dosithée passa de Séleucie à Tarse, Reverentius d'Archiphonice à Tyr, Jean de Godolia dans
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1 Nous avons vu en effet qu'à son retour d'Orient, où il avait si courageusement rempli les fonctions de légat du saint-siége, Marinus avait été ordonné évêque par le pape Jean VIII. (Cf. Tom. XV1I1 de cette Histoire, p. oot.) Son titre piscopal était la ville de Cœre, aujoud'hui Cervetro, dans les états de l'Église. (Cf. Invectiva pro Formoso papa. Patr. lai., tom. CXXIX, COl. 830.)
2. Cf. Tom. X de cette Histoire, p. 330, 333, 4Z9.
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la Proconnèse, Théodore d'Apamée à Selymbrie, Alexandre de Cappadoce à Hiéropolis, et tant d'autres dont les translations d'un siège à un autre rempliraient des colonnes entières. L'empêchement canonique dont vous parlez, n'est donc ni dirimant, ni absolu. Maintenant je demanderai à votre celsitude quelle forme juridique elle a suivie pour porter contre le bienheureux Marinus une sentence de réprobation. Quels témoins avez-vous interrogés, quels furent les accusateurs? Et quand même vous en pourriez produire, ignorez-vous qu'en présence de Constantin le Grand dans le premier concile- œcuménique tenu à Nicée, les légats du bienheureux pape Sylvestre proclamaient comme une règle inviolable l'axiome tant répété depuis : « Le premier siège ne peut être jugé par personne : prima sedes a nomine judicetur. » En quoi donc la sainte Église romaine a-t-elle failli, pour que l'imposteur qui vous a suggéré tant de griefs calomnieux ait obtenu un tel crédit près de vous? Vous semblez vous plaindre qu'elle ait interrompu sa correspondance habituelle. Mais n'a-t-elle point largement correspondu avec vous pour la tenue du concile général? A-t-elle rien négligé pour l'heureux succès de cette illustre assemblée? Je vous le demande : avec qui l'Église romaine pourrait-elle correspondre aujourd'hui? avec le laïque Photius? Si vous aviez un patriarche, nous serions heureux de le visiter par nos lettres. Mais, hélas! la glorieuse cité de Constantinople, celle ville aimée de Dieu, n'a plus de pasteur, elle n'est plus illustrée que par l'éclat de votre puissance, et si l'affection que nous vous portons ne nous faisait souffrir en patience l'injure faite au saint-siége, nous aurions été contraint d'infliger au prévaricateur Photius qui a vomi contre nous de si odieux blasphèmes, des peines plus sévères encore que celles qu'ont portées contre lui nos prédécesseurs. En vous parlant ainsi, nous n'avons nulle intention blessante à votre égard. Nous parlons à tout l'univers de votre personne sacrée, comme d'un prince aimé de Dieu; mais nous avons le devoir de faire respecter l'Église romaine, de maintenir dans son éclat la glorieuse mémoire du pontife Marinus, dont les sentiments et la conduite furent en tout point conformes à
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ceux du grand docteur Nicolas, notre très-saint prédécesseur. C'est uniquement pour être resté fidèle aux décrets de ce pape illustre, que le divin Marinus s'est vu chez vous en butte à tous les outrages. Il a refusé son concours à tous ceux qui nourrissaient d'autres prétentions, il a résisté héroïquement à toutes les instances qui lui étaient faites dans l'espoir d'annuler et de révoquer les actes du concile œcuménique, et il expia son courage par un emprisonnement qu'il subit dans votre ville impériale et qui dura trente jours, heureux du reste de souffrir pour la foi véritable, et estimant non comme un opprobre, mais comme un titre de gloire l'indigne traitement qui lui était infligé. Magnanime empereur, vous que nous aimons à surnommer le Constantin moderne, pourquoi n'avoir point imité ici la sagesse de Constantin le Grand. Un jour qu'on lui présentait un mémoire d'accusation contre des évêques, ce prince le jeta au feu en disant : « Il ne m'appartient pas de juger les évêques. » Nous vous conjurons donc, vous notre fils spirituel, de cesser votre hostilité contre la sainte Église romaine. Votre piété vient de consacrer au sacerdoce un de ses enfants le prince Etienne 1; cette nouvelle nous a comblé de joie. Nous vous supplions encore de renforcer la flotte qui protège les côtes d'Italie contre les Sarrasins. Ces barbares projettent une nouvelle invasion pour l'année prochaine. Il importerait que du mois d'avril au mois de septembre toutes les garnisons du littoral fussent entretenues sur le pied de guerre. Je ne veux point vous parler de notre détresse; elle est telle que l'huile même nous fait défaut pour le luminaire des autels, en sorte que nous ne pouvons rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Que ce grand Dieu voie la pureté de nos intentions et qu'il nous protège. À lui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen ». »
64. Cette lettre d'Etienne VI, modèle de fermeté et de sollici-
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1. Etienne, troisième fils de Basile le Macédonien, venait en effet de recevoir l'ordination sacerdotale. Il devait, après l'expulsion de Photins, monter sur le siège patriarcal de Constantinople.
2. Stephan. VI. Epia, i. Patr. loi., tom. CXXVI, col. 785-789.
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tude apostolique arriva à Constantinople au moment où une nouvelle révolution venait d'y éclater (880). Photius avait placé près de Basile un intrigant de ses amis, chargé d'entretenir l'esprit de l'empereur dans les dispositions où le voulait le faux patriarche. Théodore Santabaren, c'était le nom de ce fourbe, se montra digne d'un tel rôle. L'empereur vieillissait; son fils et son héritier Léon, qu'on avait déjà surnommé le Philosophe, à cause de son goût pour l'étude et la science, ne dissimulait pas son aversion pour Photius dont il connaissait toute la fourberie. Santabaren avertit l'intrus de ces dispositions hostiles. Ils concertèrent ensemble le moyen de perdre Léon. Les perfidies ne coûtaient rien à l'ambition de Photius. Santabaren alla, par son ordre, trouver le jeune prince. «Pourquoi, lui dit-il, quand vous accompagnez l'empereur, ne portez-vous pas sur vous une arme pour le détendre en cas de besoin, lui vieux et infirme, contre la fureur des animaux sauvages? » A la cour de Constantinople, l'usage était alors de suivre les chasses sans autres armes que les épieux dont on frappait les bêtes après les avoir forcées. Le lendemain, à la chasse impériale, Léon prit un coutelas qu'il cacha sous ses vêtements pour ne pas inquiéter son père. Santabaren s'approcha de l'empereur : « Votre fils, lui dit-il, conspire contre vous ; il doit vous tuer dans la forêt. Pour vous en convaincre, faites-le fouiller. » Basile voulut éviter un éclat ; il feignit d'avoir besoin d'un couteau. Léon, sans défiance, lui présenta le sien. Le malheureux père ne voulut pas d'autres preuves. Il fit jeter son fils au fond d'un cachot et donna l'ordre d'instruire son procès. La mère, les sœurs, les deux frères de Léon, persuadés de son innocence, remplirent le palais de leurs gémissements et de leurs larmes Toute la cour était en deuil. On voulut en vain ouvrir les yeux de l'empereur sur l'infâme complot des deux imposteurs. Basile fut inflexible. Photius et Santabaren triomphaient. Un jour, pendant le repas, Basile se livrait avec plus d'abandon à la familiarité du festin. Tout à coup, un perroquet très-aimé de l'empereur jeta au milieu de la gaîté générale, cette exclamation plaintive : «Hélas, hélas ! seigneur Léon! » L'innocent oiseau, depuis trois mois
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n'entendait que ces paroles, et il les répétait alors pour la première fois. Ce cri glaça les convives. Un morne silence, interrompu seulement par quelques sanglots étouffés, régnait dans la salle. « Prince, dit enfin l'un d'eux, cet oiseau nous condamne. Nous sommes joyeux ici et votre fils Léon, l'héritier de votre couronne, languit dans un cachot, victime d'une infernale calomnie. S'il est criminel, nous voici tous armés pour le punir ; s'il est innocent, nous sommes tous coupables. » L'empereur ému fit venir son fils, et apprit de sa bouche l'abominable intrigue dont il avait été dupe. Santabaren se déroba, par une prompte fuite, au châtiment qui l'attendait. Il n'accusa point Photius son complice; et l'indigne patriarche continua à jouir des faveurs impériales. Ce ne fut pas pour longtemps. Basile le Macédonien mourut (886) blessé à la chasse par un cerf qui s'était jeté sur lui. Éclairé trop tard sur la conduite de Photius, qu'il avait apprise depuis, il dit, en expirant, à Léon, son héritier : « Mon fils, défiez-vous de Photius ; cet homme a creusé un affreux abîme sous mon trône. » Il avait raison. La postérité aurait mis Basile le Macédonien au nombre des plus grands rois, si ce prince, doué d'une sagesse rare, d'une vertu depuis longtemps sans exemple sur le trône qu'il occupait, n'eût rencontré dans Photius un écueil contre lequel sa gloire vint se briser.
65. Léon VI le Philosophe n'avait garde d'oublier la recommandation de son père mourant; il aurait eu pour cela un motif plus pressant encore que la piété filiale dans celui de sa vengeance personnelle. Le nouvel empereur envoya immédiatement deux de ses principaux officiers à l'église de Sainte-Sophie. Ils montèrent sur l'ambon, lurent publiquement le détail des attentats de l'usurpateur schismatique et les sentences d'excommunication portées contre lui par les papes, prédécesseurs d'Etienne VI. Le faux patriarche fut banni de Constantinople et exilé au monastère de Bordj, en Arménie. Cette fois il n'en revint pas. Sa carrière d'intrigues et de fourberies était terminée : l'heure de la vengeance avait sonné. Son expulsion termina le schisme d'Orient auquel il a donné son nom. Photius, s'il n'avait pas égaré son
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génie dans des routes tortueuses et dans des impostures sans fin, était né pour de grandes choses. Il fut, sans contredit, l'un des meilleurs écrivains de son temps. Ses principaux ouvrages sont : l° le Myriobiblon, ou Bibliotheca. C'est l'analyse desbouvrages que lisait ou se faisait lire Photius. Il avait pris l'habitude de ces studieuses lectures durant son ambassade en Assyrie et la continua sans interruption à travers les diverses phases si agitées de sa longue carrière. Le recueil qui en est résulté forme un des monuments les plus précieux de la littérature ancienne. Il renferme le compte rendu et parfois d'importants extraits de deux-cent-quatre-vingts ouvrages dont plusieurs ne nous sont point parvenus 1 : 2" les Amphilochia, œuvre d'exégèse sur tous les points obscurs et controversés de l'Écriture sainte, qui ont pris dans la littérature ecclésiastique le nom du métropolitain de Cyzique, Amphilochius, auquel l'auteur les avait dédiées2: 3° les Épitres au nombre de soixante-sept, divisées en trois livres, et constituant une autobiographie où le fameux patriarche schismatique ne manque jamais l'occasion d'exalter sa propre personnalité et de calomnier le saint-siége3 : 4° le Syntagma Canonum, ou classification des canons, sous quatorze titres ; ouvrage dont le texte a été découvert et publié pour la première fois par le cardinal Mai, dans le tome VIIe du Spicilegium Romanum » : 5e le Nomocanon, ou Concordance des lois ecclésiastiques et civiles5. C'est une collection de tous les décrets canoniques depuis les apôtres jusqu'au VIIe concile général inclusivement mis en rapport avec les décrets conformes des empereurs. Il est remarquable que Photius, dans ces deux dernières collections, n'a pas inséré un mot qui pût favoriser le schisme. Il cite intégralement et sans les tronquer les canons qui établissent la suprématie hiérarchique ou doctrinale des papes et le droit inaliénable d'appel au saint-siége. On se
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1. Photius. Myriobiblon. Pair, grœc, tom. CIII-CIV.
2. Phot. Amph.iloch.ia. Pair grœc, tom. CI.
3.Phot. Epistolar. Libri Ires. Pair, grec, tom. CH, col. 585-990.
4. Phot. Synlngaia canon. Pair, grœc, tom. CIV, col. 431-975.
5. Phot. JVomocanon. Pair, grœc, tom. CIV, col. 978-1218.
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p152 pontificat d'étienne vi (883-891).
rappelle que nous devons au Nomocanon le seul texte original grec jusqu'ici connu de la fameuse donation de Constantin. Photius eut pourtant la velléité de le supprimer, et il biffa, comme nous l'avons vu, ce monument importun, sans pourtant l'anéantir». Singulière destinée de ce génie rebelle condamné dans l'avenir à rendre témoignage contre lui-même et à confirmer un pouvoir qu'il avait si énergiquement combattu!
66. Nous voudrions connaître et pouvoir raconter en détail les derniers moments de cet homme extraordinaire, qui brava durant trente-quatre ans les anathèmes successivement fulminés contre lui par neuf papes, savoir Léon IV, Benoît III, Nicolas I le Grand, Adrien II, Jean VIII, Marin I, Adrien III, Etienne VI et plus tard Formose, sous le pontificat duquel il mourut en 891. Mais l'histoire de ses dernières années et celle de sa mort ont été soigneusement tenues secrètes par les Grecs schismatiques ses partisans. Au concile dit de Florence en 1438, à l'ouverture de la VIe session tenue à Ferrare le lundi 20 octobre, le cardinal légat Julien Césarini du titre de Saint-Ange2, produisit devant les évêques grecs l’exemplaire des actes du VIIIe concile général, tel que le possédait la bibliothèque du siège apostolique et s'offrit à le confronter avec tout autre texte que les Grecs voudraient lui opposer. Ces derniers, par l'organe de Marc d'Éphèse, répondirent qu'ils n'avaient entre les mains aucun autre monument relatif à la période si agitée du schisme de Photius. « Tout a été détruit, dit Marc d'Éphèse, et chaque année dans l'église de Constantinople, on a coutume de formuler une sentence d'excommunication ainsi conçue : « Anathème à tout ce qui a été dit et écrit contre les saints patriarches Ignace et Photius 3. » Il y avait donc eu un parti pris de suppression et peut-être de falsification systématique de la part des Byzantins pour tout ce qui concernait la période du schisme de Photius. Monseigneur Jager relève ici fort
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1. Cf. Tora. IX de cette Histoire, p. 181.
2.Sancti-Angeli+n Foro-piscium. (Ciacon. Tom. II, col. 861.
3. "Asavia Ta naTa twv àyfwv jtaTpiitpjçœv 6>(ot!ov xai lyvariov ypaçf/ta tj sahfiiYta, àvttOsujx. (Labbe. Concil. Tom. XIII, col. 88.)
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judicieusement l'étonnante contradiction des Grecs. « Car, dit-il, si l'on frappe d'anathème tout ce qui a été dit ou écrit contra Ignace, celui-ci est déclaré innocent et Photius coupable. Dans le cas contraire, c'est Photius qui est innocent et Ignace coupable1. » On ne voit pas en effet qu'il soit possible au plus subtil des théologiens grecs de sortir à son honneur de ce dilemme. Pour nous, ce qui nous frappe plus particulièrement dans cette tactique byzantine dont l'histoire du passé nous a déjà offert tant d'exemples, c'est le fait lui-même, le fait avec sa brutalité et son impudeur, qui consiste à se jouer des monuments les plus authentiques, à les supprimer ou à les mutiler au hasard de l'opinion régnante. On se demande où était la conscience dans cet épiscopat dégénéré d'Orient, qui faisait ainsi litière de sa propre histoire, de la vérité dogmatique, de tout ce qui aurait dû intéresser au premier chef son patriotisme et sa foi.