Darras tome 13 p. 273
§ II. Concile de Chalcédoine IVe œcuménique.
9. Le choix de la ville de Nicée, pour ces assises solennelles de la catholicité, avait été surtout déterminé, dans l'esprit de Marcien et de Pulchérie, par le souvenir de l'époque constantinienne. Ils mandaient au pape que l'intention de l'empereur était d'y assister en personne, et le priaient de venir lui-même présider une réunion qui offrirait le plus majestueux spectacle de la concorde du sacer-
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1. S.
Léon. Magn., Epist. lxxiii, lxxiv,
lxxv; Pair, lat., tom. cit., col. 919-924.
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doce et de l'empire. Dans la réalité, jamais, depuis saint Sylvestre et Constantin le Grand, l'harmonie des deux pouvoirs ne s'était affirmée avec plus d"éclat. L'histoire doit le constater, et en renvoyer l'hommage à la pieuse impératrice Pulchérie, qui fut alors le trait-d'union entre l'État et l'Église. Toutefois la ville de Nicée1 n'était plus florissante comme à l'époque de son premier concile. Les tremblements de ferre périodiques dont l'Asie était alors le théâtre l'avaient à moitié ruinée. Sa situation à l'extrémité du lac Ascanius, dans la province de Bithynie, à cent kilomètres de Byzance, ne permettait guère à l'empereur Marcien de s'y transporter aisément. Le pape ne fit cependant aucune objection. Habitué à voir l'intervention de la Providence dans les événements humains, il considéra comme l'œuvre de Dieu l'espèce de malentendu qui fit adopter par Marcien le projet d'un Concile œcuménique, dans l'intervalle d'une correspondance tardivement échangée entre Rome et Constantinople. Il n'hésita pas un seul instant, et comme la situation de l'Occident ne lui permettait pas de quitter l'Italie, il s'empressa de choisir des légats pour le représenter à Nicée. Dès le 26 juin 451, il désignait pour cette importante mission les deux évêques : Paschasinus de Lilybée, Lucentius d'Asculum (Ascoli), et les prêtres romains Boniface et Basile. Leurs instructions très-détaillées portaient en substance l'ordre de procéder, avec autant de fermeté dans le fond que de modération dans la forme, à la condamnation des erreurs dogmatiques de Nestorius et d'Eutychès, et à la proclamation du dogme catholique de l'unité de personne et de la dualité de natures en Jésus-Christ, selon les termes établis par la décrétale apostolique adressée à saint Flavien. Tous ceux qui demanderaient sincèrement à entrer au sein de la communion catholique devaient y être admis, sans récrimination sur le passé. Les évêques injustement déposés par le Latrocinium d 'Éphèse seraient solennellement réhabilités. Dioscore ne pourrait siéger en qualité de juge ; son procès devait être instruit selon les formalités
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1 . Nicée, aujourd'hui Isnik, dans l'Anatolie, n'est plus qu'une bourgade de quinze cents âmes.
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canoniques, et il aurait à comparaître comme accusé. Les légats du saint siège auraient seuls la présidence. Le pape leur enjoignait de prendre en tout les avis de Julianus de Cos, son représentant ordinaire à Constantinople. Il ne voulait point cependant que ce dernier figurât dans le concile en qualité de légat, mais qu'il assistât seulement à toutes les séances et qu'il mît à la disposition des autres envoyés apostoliques son expérience des affaires et la prudence dont il avait depuis si longtemps fait preuve dans une situation aussi compliquée que difficile. Enfin, Paschasinus était désigné personnellement comme celui qui devrait présider l'assemblée, au nom du pontife romain. Saint Léon lui recommandait la plus grande indulgence pour tous, et lui enjoignait de ne se montrer rigoureux qu'envers les hérétiques obstinés.
10. Les légats partirent immédiatement, afin de pouvoir être rendus à leur destination avant le terme fixé pour l'ouverture de l'assemblée. Ils étaient porteurs d'une lettre pontificale adressée aux pères, et qui devait servir de règle pour les futures délibérations. Elle était conçue en ces termes : « L'évêque Léon au saint synode réuni à Nicée, a ses frères bien-aimés, salut dans le Seigneur. J'aurais souhaité, bien-aimés frères, pour l'honneur du collège épiscopal, que tous les ministres de Jésus-Christ fussent demeurés fermes dans la profession de la foi catholique, et que nul ne se fût laissé corrompre par la faveur ou Ja crainte des puissances du siècle. Il n'en a malheureusement point été ainsi; mais la miséricorde divine surabonde, alors que les faiblesses et les fautes des pécheurs se multiplient. Le Seigneur suspend quelquefois sa vengeance, pour laisser aux coupables le temps du repentir. C?est donc avec une joie sincère et une vive reconnaissance que nous avons reçu les lettres du très-clément empereur qui nous invitait, en qualité de successeur du bienheureux apôtre Pierre, à présider en personne votre auguste assemblée. La situation de l'Occident ne nous permet pas de le faire. J'ajouterai que l'antique tradition ne nous fournit pas d’exemple d'un concile lointain, présidé par le pontife romain en personne. Nous avons donc choisi, pour nous représenter au milieu de vous, les deux évêques Paschasinus et Lucentius, ainsi que les deux prêtres Boniface et
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Basile. En leur personne, votre fraternité verra le siège apostolique lui-même présider à toutes les délibérations. Ma présence corporelle sera suppléée par la leur ; ma voix passera par leur bouche pour attester la foi catholique, en sorte que, vous ouvrant les trésors de la tradition dont nous avons reçu le dépôt, ils ne laisseront subsister dans vos esprits aucun doute ni aucune ambiguïté. Il est temps, bien-aimés frères, d'imposer silence à l'infidélité des hérétiques, de mettre fin à des discussions aussi téméraires que sacrilèges. Il n'est pas permis de soutenir ce qu'il est défendu de croire. Le dogme controversé a été amplement éclairci et mis en lumière dans nos lettres apostoliques, adressées à l'évêque Flavien de bienheureuse mémoire; nul aujourd'hui ne saurait se plaindre que l'Église n'ait pas suffisamment exprimé quelle est sa croyance par rapport au mystère de l'Incarnation. Nous n'ignorons pas cependant que, par suite de rivalités coupables, un grand nombre d'églises ont été bouleversées. De vénérables et dignes évêques, pour n'avoir pas voulu se soumettre à une tyrannie odieuse ni embrasser l'hérésie, ont été chassés de leurs sièges et traînés en exil. Des intrus leur ont été substitués, et occupent aujourd'hui leur place. Justice devra être faite ; les spoliateurs seront chassés, les titulaires légitimes reprendront possession de ce qui leur appartient. Tous les décrets du premier concile d'Éphèse, tenu sous la présidence de Cyrille de sainte mémoire contre Nestorius, seront intégralement maintenus. Le récent hérésiarque Eutychès recevra, lui aussi, le châtiment de ses crimes. L'anathème devra être prononcé contre lui et tous ceux de ses partisans qui s'obstineraient dans l'erreur. Que le Seigneur vous inspire et vous garde, frères bien-aimés. Donné le VI des calendes de juillet, sous le consulat du clarissime Adelphius 1 » (26 juin 45I).
11. La mention de l'hérésie nestorienne faite ici par saint Léon Ie Grand, et l'injonction de maintenir dans leur intégrité les décisions prises contre elle par le concile œcuménique d'Éphèse, se rapportaient à une série d'intrigues et d'agitations qui se produi-
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1. S. Léon. Magn., Epist. xcm; Patr. lut., tom., LIV, col. 935-958.
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saient alors à Constantinople. Les partisans de Nestorius demandaient, pour les restes mortels de l'hérésiarque, les honneurs qu'on venait de rendre à saint Flavien. Ils prétendaient que l'erreur d'Eutychès étant la contradiction absolue du dogme nestorien, celui-ci était par conséquent l'expression exacte de la vérité catholique. Dès lors, ils sollicitaient la réhabilitation posthume de leur patriarche. Leur fausse déduction reposait sur la confusion des termes de «natures » et de « personnes. » Nestorius avait été justement condamné pour avoir nié l'unité de personne en Jésus-Christ ; Eutychès devait l'être non moins légitimement parce qu'il repoussait la dualité des natures. Cependant l'indiction d'un nouveau concile général à Nicée réveillait les espérances de tous les sectaires. Les trois cents religieux du monastère autrefois gouverné par Eutychès répandaient dans la ville de Constantinople, et faisaient afficher aux portes des basiliques, des proclamations où ils affirmaient l'innocence et l'orthodoxie de leur archimandrite. Les moines Carosus, Dorothée et Maxime se déclarèrent énergiquement dans ce sens. Ils se mirent en rapport avec le fameux Barsumas, qui s'empressa d'accourir. Les esprits s'échauffaient dans des discussions quotidiennes. Chacun se donnait rendez-vous à Nicée, dans l'espoir d'y faire triompher ses opinions. A l'époque fixée pour l'ouverture de la grande assemblée, il se trouva dans cette ville, outre cinq cent vingt évêques régulièrement convoqués, une multitude innombrable de prêtres, de religieux, de laïques même et de philosophes de toutes nuances et de toutes sectes. L'empereur Marcien, retenu sur les frontières d'Illyrie où il surveillait les mouvements du roi des Huns, ne put arriver pour le terme qu'il avait indiqué lui-même. Les légats du saint siège l'informèrent de la situation dangereuse où ils se trouvaient, au milieu d'une véritable inondation d'étrangers et de curieux, qui n'avaient nul droit d'assister au concile, et dont la présence jetait partout le désordre et le trouble. Ils se montraient déterminés à ne pas ouvrir les séances avant l'arrivée de l'empereur. Marcien comprit sur-le-champ qu'il fallait arrêter à leur début des mouvements qui pouvaient dégénérer en scandales. Il écrivit aux évêques de quitter Nicée, et de se
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transporter à Chalcédoine. La situation de cette dernière ville, à proximité de Constantinople dont elle était en quelque, sorte un faubourg, lui permettrait à lui-même d'intervenir de sa personne aussi fréquemment qu'il le voudrait. En même temps, il donnait des ordres sévères pour chasser tous moines, clercs, et laïques étrangers au concile. Cette doubie mesure fut promptement exécutée.
12. Le 8 octobre, la première session du concile œcuménique de Chalcédoine s'ouvrit dans la basiliquede Sainte-Euphémie, à cent cinquante pas du Bosphore. Dix-neuf des premiers officiers de l'empire, entre autres : Anatolius, maître de la milice; Palladius, préfet du prétoire; Tatien, préfet de Constantinople; Vincomala, maître des offices; Sporatius, comte des gardes; et Genethlius, intendant du domaine, représentaient l'empereur et devaient assister à toutes les séances. Ils furent placés au milieu de la basilique, en face de l'autel. Dans les actes, ces dignitaires sont désignés sous le nom; collectif de sénat. Ils suppléèrent en son absence la personne du prince, qui ne parut qu'une seule fois au concile. Les sièges des évêques étaient rangés en hémicycle devant l’autel. Au milieu s'élevait un trône, entouré de cierges allumés, sur lequel fut déposé le livre des Évangiles. Dans la distribution des places, on observa la distinction des partis. Dioscore d'Alexandrie, Jean de Jérusalem, occupèrent le côté droit1 avec les évêques d'Egypte, de Palestine et d'Illyrie. A gauche, près du sénat, étaiente assis les légats du pape, Anatolius de Constantinople, Maxime successeur de Domnus sur le siège d'Antioche, Thalassius de Césarée, Etienne d'Éphèse et les autres évêques d'Orient. «Quand tous eurent pris séance, disent les actes, Paschasinus évêque de Lilybée et légat du saint siège se leva, et s'avançant au milieu de l'enceinte, il prononça en latin les paroles suivantes : Le très-bienheureux et apostolique pontife de la ville de Rome, chef de toutes les églises, a daigné nous remettre un ordre que nous avons entre les mains, et par lequel il prescrit de ne pas laisser Dioscore siéger en qualité de
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1. C'est-à-dire, en style liturgique, le côté de l'Épître et le moins honorable.
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juge, dans ce présent concile. Il n'y pourra être admis que pour répondre aux accusations dont il est l'objet. Votre magnificence voudra donc décider ce point préliminaire. Ou Dioscore sortira: ou nous-mêmes nous nous retirerons. —Le secrétaire du concile, le vénérable Beronicianus, interpréta aussitôt en grec les paroles du légat et les transmit en cette langue à l'assemblée 1. — Les très-glorieux juges et I'amplissime sénat2 dirent : Quels sont les griefs spéciaux articulés contre le révérendissime évêque Dioscore? — Paschasinus répondit : On les fera connaître en détail, quand il comparaîtra comme accusé. —Le sénat reprit: Nous insistons pour que dès maintenant on les veuille exposer. — En ce moment, Eusèbe de Dorylée quitta son siège, et, se plaçant au milieu de l'assemblée; dit : Je conjure I'amplissime sénat, représentant la personne auguste du maître du monde, de faire lire la requête adressée par moi au très-pieux empereur. Je suis une des victimes du révérendissime Dioscore : la foi catholique a été indignement outragée par lui. Le saint évèque Flavien a été mis à mort. Je ne puis prononcer son nom sans fondre en larmes. Ce martyr fut comme moi condamné injustement par le patriarche d'Alexandrie. Veuillez donc faire lire ma requête. » — Le concile, d'accord avec les représentants impériaux, donna l'ordre à Dioscore de quitter son siège et de venir comme accusé s'asseoir au milieu de l'assemblée. Le secrétaire Beronicianus lut la requête d’Eusèbe de Dorylée: C'était une protestation adressée à l'empereur contre les violences du Latrocinium d'Éphèse. Quand cette lecture fut terminée, Dioscore se leva et
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1 « La langue grecque, encore familière en Italie, dit M. Ed. Dutnont, était l'antique idiome de la Sicile, où vivait Paschasinus, personnage non moins renommé pour son savoir que pour ses vertus. Il n'est pas vraisemblable que cet évêque, chef de la légation, ne sût pas le grec. D'ailleurs, saint Léon avait adjoint, comme légat, à ses quatre envoyés, l'évêque de Cos, Julianus; c'était donc uniquement pour maintenir et affirmer la dignité suprème du siège apostolique que le légat s'exprimait en latin. »-(Ed. Dumout,. Cas huit premiers candies,. 5» article. Annales de philosophie chrétienne, tom- XLVI.pag. 19.)
2. Nous avons déjà fait observer que cette formule des actes désigne les hauts fonctionnaires que l'empereur Marcien avait, choisis pour le représenter au concile.
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dit : « L'assemblée d'Éphèse fut convoquée par le très-pieux empereur Théodose, qui régnait alors; elle a agi en conformité avec les intentions sacrées du prince (secundum sacrum nutum piissimi imperatoris). En ce qui concerne particulièrement l'évêque de Constantinople, Flavien, des procès-verbaux authentiques ont été rédigés, je demande qu'on en fasse lecture. » — Dioscore s'attendait probablement à voir repousser cette proposition. Les actes du conciliabule d'Éphèse, ceux du synode byzantin, les documents officiels annexés aux uns et aux autres, formaient un énorme volume dont la vue seule devait effrayer les pères. Néanmoins, d'une voix unanime, tous requirent que la lecture en fût faite in extenso. «Je supplie votre magnificence, s'écria Dioscore, de se borner à ce qui intéresse la question dogmatique. — Non, non, dirent les pères : qu'on lise tout! » L'accusé trouvait des juges plus consciencieux qu'il ne l'eût souhaité. C'est à cette circonstance que nous devons les actes authentiques du Latrocinium d'Éphèse. Insérés dans les actes du concile général de Chalcédoine, ils sont arrivés par cette voie jusqu'à nous. Un des secrétaires synodaux, Constantinus, commença la lecture par les lettres de Théodose le Jeune adressées à Dioscore pour la convocation de l'assemblée d'Ephèse. On se rappelle que dans cette pièce l'évêque de Cyr, Théodoret, avait été nominativement exclu de la future assemblée. Aussitôt qu'on fut arrivé à ce passage, les représentants impériaux interrompirent le lecteur : « Nous demandons, dirent-ils, qu'on introduise dans ce présent concile le révérendissime Théodoret, évêque de Cyr, afin qu'il prenne part aux délibérations. Il a été solennellement réhabilité par le très-saint pontife de Rome Léon, et la volonté formelle de l'empereur est qu'il soit admis.» — On introduisit donc Théodoret, qui n'avait pas encore pris séance jusque-là. Mais aussitôt que les évêques d'Egypte, de Palestine et d'illyrie l'aperçurent, ils se levèrent en tumulte : « Miséricorde ! s'écrièrent-ils. La foi est perdue. Les canons sont violés. Chassez cet hérétique. A la porte, le docteur nestorien! » — D'autre part, les évêques d'Orient, du Pont et de la Thrace, qui pour la plupart avaient assisté au conciliabule d'Éphèse et souscrit la déposition de Théodoret, répondaient à ces vociférations en disant : « On nous a fait
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signer en blanc, à coups de bâtons et de verges ! A la porte les manichéens! à la porte les bourreaux de Flavien le martyr! à la porte les ennemis de la foi ! » — Dioscore reprit quelque espérance, à la vue de cette animosité réciproque. Il éleva la voix et dit : « Vous voulez donc anathématiser la mémoire du bienheureux Cyrille puisque vous réhabilitez son adversaire, Théodoret ! » A peine le patriarche d'Alexandrie avait-il prononcé ces paroles, qu'un tonnerre d'imprécations éclata contre lui. « Chassez l'homicide ! chassez Dioscore l criaient mille voix. Est-il quelqu'un qui n'exècre ses forfaits? » —Les représentants impériaux, alarmés de cette tempête inopinément soulevée à propos de Théodoret, regrettaient d'avoir fait naître l'incident et cherchaient le moyen d'apaiser les esprits. « La cause de l'évêque de Cyr pourra, dirent-ils, faire l'objet d'un examen spécial. En attendant, nous proposons qu'il soit admis parmi les pères comme accusateur de Dioscore, mais sans avoir droit de suffrage avant que sa propre cause ait été vidée. » — L'expédient était sage; mais l'irritation de part et d'autre avait pris un tel caractère de violence et d'ardeur qu'il ne fut pas de suite adopté. Enfin, Théodoret vint s'asseoir à côté d'Eusèbe de Dorylée, et l'on put continuer la lecture des procès-verbaux du Latrocinium1.
13. Chaque page fournissait l'occasion de récriminations en sens divers. Quand le secrétaire donna lecture d'une lettre où Théodose le Jeune désignait Juvénal de Jérusalem et Thalassius de Césarée comme vice-présidents, Dioscore interrompit en disant : « Je prie votre clémence de noter cette particularité. Ce n'est point à moi seul que l'auguste empereur avait déféré la présidence. Les patriarches de Jérusalem et de Césarée la partageaient. D'ailleurs, le jugement a été approuvé par tout le concile, et de vive voix et par écrit. — Non, non ! personne n'y a volontairement consenti, s'écrièrent les évêques; la force a tout fait. On nous tenait le poignard sur la gorge; les soldats, l'épée nue, nous faisaient signer un papier blanc. Depuis quand les bâtons et les glaives sont-ils des ins-
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1. Labb., Corail., tom. IV, col. 78-109.
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truments synodaux? Dioscore nous avait livrés à une troupe de soldats. Chassez le tyran! Déposez l'homicide1! » —Les interpellations se croisaient avec une nouvelle ardeur: Dioscore crut en vain qu'il pourrait tirer parti de la situation-. « Ils prétendent, dit-il, avoir signé sous l'empire de la peur et sans lire! Je déclare qu'une telle lâcheté est indigne d'un évêque, et je demande qu'on mette les coupables en accusation. » — Cette parole, dont l'accusé ne comprenait vraisemblablement pas l'insolence, fit taire toutes les voix, et l'on continua la lecture des actes du Latrocinium. Au moment où le lecteur prononça le nom de Jules évêque de Puteoli et légat du pape, une acclamation unanime se fit entendre : « On n'a pas voulu l'admettre en qualité de légat! disaient tous les évêques; on n'a reçu ni le nom, ni l'autorité du bienheureux pontife Léon ! » — Quand il fut question de la lettre adressée par le pape au conciliabule d'Éphèss et du subterfuge de Dioscore qui la fit passer sous silence, pour lire à sa place une missive de Théodose le Jeune adressée à J'uvénal de Jérusalem, les cris redoublèrent. L'archidiacre de Constantinople, Aétius, interrompit le premier le lecteur : « La lettre du très-saint pontife Léon, dît-il, n'a été ni lue ni reçue. » —Les partisans de Dioscore répondirent: «Il est vrai qu'on ne l'a pas lue, mais on l'a insérée dans les actes. » Le fait était faux. Eusèbe de Dorylée en fit immédiatement l'observation. « Dioscore a retenu par devers lui la lettre pontificale, dit-il. Elle n'a pas même été insérée dans les procès-verbaux. » — L'archidiacre Aétius reprit: «Sept fois de suite Dioscore, sommé par le concile, promit de faire lire cette lettre; il s'est parjuré!— Oui, dit Théodore de Claudiopolis, nous sommes tous témoins que Dioscore avait fait cette promesse ; tous nous attestons qu'il l'a violée et que la lettre du pape n'a point été lue. » — Le sénat intervint alors et dit : « Sans aucun doute, l'intention du très-pieux empereur Théodose était que la lettre du grand pontife Léon fût communiquée à l'assemblée. Les présidents du concile en étaient informés, et nous avons entre les mains l'ordre écrit qui leur en ut délivré. Nous demandons à Dioscore pourquoi cette injonction du prince n'a pas été suivie? » —Dioscore se leva et dit: «À deux reprises diffé-
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rentes j'ai commandé de faire cette lecture. —Pourquoi donc n'a-t-elle pas été faite? dit le sénat. —Qu'on le demande aux autres commissaires, reprit Dioscore. — Qui voulez-vous désigner par cette expression? dit le sénat. Nommez les personnes. —Adressez-vous, répondit-il, à Juvénal de Jérusalem et à Thalassius de Césarée. » Dioscore s'efforçait, on le voit, de détourner sur d'autres têtes la formidable accusation qui pesait sur la tienne. On le pressa vainement de répondre d'abord en ce qui le concernait. « Nous interrogerons, s'il le faut, Juvénal de Jérusalem et Thalassius de Césarée, dit le sénat. Mais bien qu'ils fussent désignés par la lettre impériale comme vos assesseurs, il est notoire que vous avez seul dirigé le débat. Commencez donc par nous dire pourquoi vous n'avez pas fait donner lecture de la lettre du bienheureux pape Léon? » — Dioscore garda le silence 1.