Charles Ier et persécutions 2

Darras tome 36 p. 636

 

   33. Depuis le commencement du règne d'Elisabeth, les accusations n'avaient pas manqué pour faire croire à la déloyauté des catholiques anglais. Charles Ier savait sans fondement cette odieuse accusation ; mais il n'agit trop souvent que comme s'il y croyait ; cependant les catholiques persécutés persévéraient, sans déviation ni faiblesse, dans leurs principes d'honneur et de fidèle obéissance. Peu après les commencements de la dispute entre le monarque et

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(1) Challoner, Mémoires sur les prêtres missionnaires, t. II, p. 217 ; et CHiFFLEt, dans ses Palmse cleri anglicani ; la substance s'en trouve dans le Donay diary, 1012.

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les Chambres, le Parlement obtint l'administration des fonds pu­blics. Dès lors, les loyaux sujets du roi fournirent aux besoins de ses finances ; les catholiques y contribuèrent largement, au moyen de souscriptions volontaires, et, en diverses occasions, en lui avançant deux années ou plus de leur cotisation annuelle, ou des abonnements consentis pour non-conformité. On appelait ainsi le tort légal de ceux qui n'adhéraient pas à l'Église établie et le fisc les punissait en leur appliquant la rapacité de ses ciseaux, pour les tondre jusqu'au sang. «L'étendard de la fidélité ne fut pas plutôt levé, dit le docteur Milner ; il ne fut pas plutôt permis aux catholiques de s'y ranger, qu'on le vil entouré de toute la noblesse de cette communion. Les Winchester, les Worcester, les Dunbar, les Bellamonl, les Garnavon, les Powise, les Aruendell, les Fauconberg, les Molineux, les Cottington, les Mounteagle, les Langdale, etc, etc, etc, étaient impatients, avec les francs-tenan­ciers et la bourgeoisie, de laver dans leur sang, cette accusation de déloyauté qu'ils avaient été forcés d'endurer pendant plus d'un siècle, c'est-à-dire depuis l'accession d'Elisabeth. Ces catholiques, qui possédaient des châteaux et des places fortes, en firent des forteresses royales ; et le reste fournit autant d'argent que ses facultés le lui permirent, pour le soutien du roi et de la constitu­tion. Nous pouvons juger de leurs efforts dans cette cause, parce qu'ils ont souffert pour cette cause même » (1). Dodd parle d'une liste qu'il avait sous les yeux (et qui était confirmée par des docu­ments authentiques), d'après laquelle six lieutenants généraux, dix-huit colonels, seize lieutenants-colonels, seize majors, soixante-neuf capitaines, quatorze lieutenants, cinq cornettes, cinquante gentlemen volontaires, tous catholiques, perdirent la vie en com­battant pour la cause royale. Le nombre total des nobles et gen­tlemen, qui périrent, du côté du roi, a été estimé à cinq cents. Les deux tiers environ étaient catholiques ; et ce nombre excédait de beaucoup la proportion dans laquelle les catholiques étaient à cette époque, relativement aux protestants de même condition. Plusieurs écrivains contemporains, parmi les protestants, ont

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(1) Lettre à un prébende, VII.

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rendu justice à la conduite des catholiques. «C'est une vérité in­contestable, dit le docteur Stanhope, qu'il y eut beaucoup de no­bles, de braves et de fidèles sujets parmi les catholiques, qui risquèrent leur vie dans la guerre pour la cause du roi, avec la plus grande abnégation, sans aucun but que de satisfaire à leur conscience, et que beaucoup de ces hommes avaient l'âme trempée de manière que les plus grandes tentations du monde n'auraient pu les détourner de faire leur devoir, et les porter à déserter la cause de leur roi, dans ses plus grands malheurs. » — « Le papiste anglais, dit un autre écrivain, mérite par son courage et sa loyauté, dans la première guerre, une place dans l'histoire, et peut-être est-il digne d'attention que, toutes les fois que l'usurpateur ou l'un de ses instruments de cruauté ou de charlatanisme, résolurent de s'emparer de la vie ou de la fortune d'un papiste, ce fut sa loyauté et non sa religion qui l'exposa à leur rapine et à leur inhumanité (1). »

 

34. Le règne de Charles Ior ne fut qu'une longue dispute avec le Parlement ; la première phase fut occupée par des actes légis­latifs; la seconde, par des actes militaires. C'est un principe de droit que les impôts doivent être consentis par la nation. En l623et en 1626 Charles convoqua les Chambres à cet effet. Avant de songer aux besoins de l'État, les communes s'occupèrent des griefs du pays contre la couronne, et, au lieu de voter des subsides, adressèrent des remontrances. Charles cassa ces deux parlements ; pour se pro­curer des ressources il dut recourir aux expédients arbitraires. Dans le dessein de détourner l'attention publique, Buckingham détermina son maître à secourir les protestants assiégés dans la Rochelle ; celte expédition n'aboutit qu'à des échecs; au lieu de désarmer les passions publiques, elle leur fournit de nouveaux motifs de colère. En 1623, un troisième parlement vota cinq subsides, mais pour mettre la nation à l'abri des illégalités de la couronne, présenta d'abord la pétition des droits. Par cet acte, les Chambres demandaient que personne ne pût être contraint à aucun don, prêt

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(1) Le plus sûr soutien du trône, p. 30; et État du christianisme en Angle­terre, par un ministre protestant, qu'on dit évêque, p. 25.

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ou bienveillance, etc., sans le consentement des deux Chambres ; que le peuple fût épargné pour le logement des matelots et des gens de guerre ; qu'aucun citoyen ne pût être emprisonné arbitrai­rement; que la loi martiale fût abolie, et que nul ne fût jugé que d'après les formes et les lois du royaume. Les principes exprimés dans cette pétition étaient justes en général. Mais enlever au mo­narque le pouvoir de faire arrêter un citoyen pour quelque raison que ce fût, c'était l'exposer sans défense aux tentatives de la rébel­lion. La Chambre haute proposa de modifier cet article ; les com­munes furent inflexibles. Enfin, les lords, s'étant départis de leur résistance, passèrent le bill, et le roi le sanctionna. Les communes triomphantes formèrent aussitôt de nouvelles entreprises. Charles prorogea ce dangereux Parlement.

 

Après la prorogation, les communes reprirent leur système d'hostilités. Depuis Henri YVIII, les rois avaient joui du droit de ton­nage et de pondage ; les communes déclarèrent ennemi public qui­conque sigernait (signerait ?) cette taxe et traître à la patrie, qui la paierait. La résolution fut aussitôt prononcée et quelques vipères du Parlement furent jetées en prison. Malgré ce conflit entre les pouvoirs, les Anglais étaient heureux s'ils avaient pu l'être sans leurs libertés constitutionnelles. « Les trois royaumes florissaient dans la paix et une abondance générales. Chaque jour ils reculaient les bornes de leurs possessions, en fondant de nouvelles colonies et en multi­pliant d'utiles défrichements au delà des mers. L'Angleterre con­centrait dans ses ports le commerce du monde. On jouissait de ces biens sous un roi clément, juste, pieux et sans cesse occupé de la prospérité de ses sujets. » (Mém. de Clarendon.) Mais ce prince régnait en monarque absolu. Quoique la paix eût diminué ses dé­penses, elles surpassaient encore de beaucoup les revenus de ses domaines, et son économie n'empêchait point qu'il ne fût obligé d'avoir recours aux taxes illégales. Il continua de percevoir le droit de tonnage et de pondage ; il établit même quelques taxes nouvelles, entre autres le shipmoney, ou taxe des vaisseaux, créée en 1634 pour l'entretien de la marine négligée pendant le règne de Jacques, et rétablie par Charles  1er.   Tous ces impôts, d'ailleurs

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légers, étaient équitablement répartis et, en général, appliqués aux meilleurs usages; mais ils étaient levés arbitrairement, dépensés sans contrôle, sans reddition de comptes : cette idée seule empoison­nait le bonheur de la nation. L'exaspération nationale monta au point qu'un grand nombre d'Anglais émigrèrent en Amérique. Charles crut devoir interdire cette alarmante émigration ; sa des­tinée voulut qu'il fît rentrer deux fois au port le vaisseau qui de­vait conduire outre-mer celui qui lui coupera la tête.

 

35. Dans ces circonstances difficiles, le roi se créa imprudem­ment de nouvelles difficultés. Un zèle aveugle et de funestes con­seils le portèrent à introduire en Ecosse des changements religieux qui suscitèrent dans ce royaume des troubles violents, dont la réac­tion eut une influence décisive sur le sort de l'Angleterre. « Il n'y avait alors, dit Villemain (Histoire de Cromwell), qu'une fureur re­ligieuse, un fanatisme qui pût mettre le feu aux mécontentements politiques. Les idées de liberté n'étaient pas assez fortes pour s'armer seules contre un roi autorisé par une longue possession et par ses vertus personnelles. On se plaignait, on réclamait ; mais les me­sures absolues du gouvernement avaient excité beaucoup de protes­tations, et pas un seul combat. Lorsque le puritanisme entra dans la querelle, la guerre fut allumée.»

 

A l'exemple de son père, Charles aimait l'épiscopat, et voulait donner aux évêques une autorité qu'il jugeait également avanta­geuse pour la religion et pour la couronne. Quoique la haine con­tre l'Église épiscopale fut presque aussi forte en Ecosse que la haine contre l'Église romaine, Jacques avait entrepris d'établir dans ce pays la hiérarchie et la liturgie anglicanes. La révolution avançait rapidement, quand le voyage du prince de Galles en Espagne, la rupture et la guerre qui en furent la suite, les querelles parlementaires qui s'y joignirent, vinrent détourner le roi des affaires de la religion. Le presbytérianisme, presque abattu en Ecosse, se releva plus redoutable qu'auparavant. Quelque danger qu'il y eût à se jeter dans une guerre ouverte contre une secte qui devenait de jour en jour plus nombreuse, Charles, égaré par le zèle

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ardent de Lawd, archevêque de Cantorbéry, reprit les projets de son père.

 

Tous les historiens dignes de foi, qui ont parlé de l'archevêque de Cantorbéry, l'ont représenté comme ayant une piété fervente, une vaste érudition, des mœurs austères, un courage inébranlable, enfin une vertu immense, suivant l'expression de Clarendon. Dans les affaires civiles il se montra ministre intègre et éclairé. Mais, dans les affaires religieuses, à une époque où il était nécessaire de transiger avec les passions, d'adoucir les esprits, de les conduire par une pente insensible au terme où on voulait les amener, Lawd était absolu, fougueux, intolérant. Ennemi déclaré du presbytéria­nisme, il voulait, à tout prix, réunir les trois royaumes sous le joug uniforme du culte anglican. Pour réussir dans ce projet, si toutefois le succès n'était pas impossible, il fallait prendre garde d'effaroucher les presbytériens par l'appareil des cérémonies que ces fanatiques avaient en horreur. Le primat, au contraire, per­suadé qu'on ne saurait environner la religion d'un éclat trop impo­sant, avait fait diverses innovations qui rendaient le culte plus solennel. Ces changements, quelque innocents qu'ils pussent être, choquaient les idées dominantes. Déjà l'on criait de toutes parts à l'idolâtrie; déjà l'on croyait voir la religion catholique reprendre son empire, lorsque Lawd conseilla au roi d'introduire en Ecosse les canons et la liturgie de l'Église anglicane.

 

Charles étant allé à Edimbourg (1633) pour se faire couronner, chargea une commission d'évêques de préparer une liturgie qui rapprochât l'Église d'Ecosse de celle d'Angleterre. La commission n'eut achevé son travail qu'au bout de quatre années. Cette lenteur donna le temps aux chefs des puritains de disposer les esprits à la résistance, et de persuader au peuple ignorant que le dessein du roi était de rétablir le papisme.

 

Enfin, l'ordre est donné de lire les nouvelles prières dans toutes les églises d'Ecosse. Au jour fixé(23 juillet 1637), le doyen d'Edim­bourg, en surplis, paraît dans la cathédrale de cette ville pour officier suivant le nouveau formulaire. C'est le pape! c'est l’ante-christ ! s'écrie à cette vue une femme du peuple. C'est le pape !

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c'est l'antechrist ! répète la multitude furieuse; qu'on le lapide ; et les livres, les bancs, une grêle de pierres volent à la tête du doyen. L'évêque monte en chaire ; il est traité de même. Les magistrats accourent et dispersent les séditieux. Le tumulte paraît apaisé ; mais il recommence quelques mois après, et prend une forme plus régulière. Bientôt l'insurrection devient générale. Les paysans, soulevés par des agents de rébellion, se rassemblent de toutes parts à Edimbourg. Le presbytérianisme ou la mort! tel est le cri que profèrent soixante mille furieux, fiers de s'entendre comparer par leurs prédicateurs à l'ânesse de Balaam, dont le Seigneur avait délié la langue. Enfin, quatre comités, composés de la haute no­blesse, des gentilshommes, du clergé presbytérien et des bourgeois, rédigent le fameux covenant (ou alliance), dont les signataires s'en­gageaient, au nom du Seigneur leur Dieu, à défendre la vraie reli­gion, à s'opposer à toute erreur contraire et à toute corruption ; à se réunir pour la défense du roi, de sa personne et de son autorité, pour la garantie de la religion, des libertés et des lois du royaume; clause qui, limitant implicitement l'obéissance des sujets, était faite pour autoriser la révolte, toutes les fois que les mesures prises par le souverain seraient représentées par les comités comme contraires aux lois, aux libertés ou à la religion de l'Ecosse. Tout le peuple abusé signa cet acte (1638), s'imaginant que c'était le même qui avait été dressé sous Jacques Ier en 1588, et que ce prince avait ratifié. Le roi, hésitant à employer la force, négocia avec les re­belles, et leur fit plusieurs concessions. La liturgie, la haute com­mission furent abolies. Charles se flattait de conserver du moins l'épiscopat pour prix de tous ses sacrifices ; mais une assemblée ecclésiastique, tenue à Glascow, abrogea l'épiscopat, ainsi que toutes les lois de doctrine et de discipline portées depuis l'avène­ment de Jacques Ier à la couronne d'Angleterre, et prononça l'ex­communication contre tous ceux qui refuseraient de signer le cove­nant d'Ecosse.

 

Tant d'audace ne pouvait être soutenue que par les armes. On se prépara ouvertement à la guerre civile ; on saisit les revenus de la couronne, ses magasins, ses places fortes. On leva une armée au

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nom de Jésus covenantaire, et on en confia le commandement à Lesly, que des ressentiments personnels animaient contre la cour de Londres. Charles, ne pouvant se laisser braver plus longtemps, se disposa à réduire les rebelles. Bien que le peuple anglais fût en général très opposé à cette guerre, « pensant, dit Thomas May, que « de la même épée qui subjuguerait les Écossais, sa propre liberté « serait bientôt anéantie », cependant il semblait se féliciter d'une occasion qui devait raisonnablement obliger le roi à convoquer un parlement et donner lieu par là au redressement des griefs de l'An­gleterre. Mais Charles, reculant devant cette nécessité, recourut à d'autres ressources. Il emprunta de grosses sommes à la haute no­blesse, exigea des juges et officiers du gouvernement des prêts pro­portionnels, et reçut du clergé de tous les rangs, de libérales con­tributions pour cette guerre épiscopale, comme elle fut appelée par beaucoup de gens. Au moyen de cet argent, et à l'aide des nobles de la cour et d'un grand nombre de gentilshommes des comtés qui accoururent avec leurs tenanciers sous la bannière royale, Charles rassembla une armée de vingt mille hommes de pied et de six mille cavaliers, que devait seconder une flotte considérable (1639). Les révoltés n'étaient point en état de lutter contre des forces si puis­santes : il ne fallait que frapper un grand coup, et la guerre était terminée. Mais Charles était retenu par son affection pour les Écos­sais, quoique rebelles, et par son aversion pour toute mesure rigou­reuse. Il se laissa fléchir par les premiers signes d'une feinte sou­mission, et conclut à Berwick (17 juin 1639) un traité que violèrent les covenantaires, dès qu'il eut congédié son armée (1).

 

   36. La révolte obligeait le roi à reprendre les armes, et, pour se procurer des subsides, à convoquer le Parlement. Les députés, loin de blâmer l'Ecosse, qui forçait le roi à les réunir, n'y virent qu'une occasion de rappeler leurs griefs et un exemple de hardiesse qui les provoquait à l'imitation. Charles cassa cette quatrième assem­blée : mesure imprudente, qui suspendait et augmentait le péril. L'assemblée du clergé, réunie en même temps, vota six subsides. Ce secours et des dons gratuits permettent au roi de lever une

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(l) Ragon, Hist, gén, des temps modernes, t. II, p. 125.

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seconde armée, avec laquelle il se fait battre. En novembre 1640, convocation d'un cinquième parlement : c'est ce Long-Parlement qui devait renverser le trône, immoler le roi, détruire la constitu­tion, et périr lui-même victime de ses violences. Le comte de Strafford avait rédigé autrefois la pétition des droits; mais, ennemi de la licence autant qu'il était l'ami de la liberté, il s'était rallié à la cause royale, avait gouverné dignement l'Irlande et brillé dans la guerre comme dans les conseils. La Chambre le traita en apostat de la cause du peuple, et le mit en jugement avec l'archevêque Lawd : tous deux furent mis à mort. Strafford mourut, le 12 mai 1641, avec l'intrépidité d'un héros : « Je n'augure rien de bon, dit-il, d'une réformation qui fait ainsi son premier pas dans le sang. » La vérité est qu'elle marchait dans le sang depuis Henri VIII et, qu'ivre du sang des justes, elle allait se précipiter aux abîmes.

 

Après avoir tué les défenseurs du roi, le Parlement voulut le dépouiller de ses prérogatives et modifier la constitution. Plusieurs de ses mesures méritaient des éloges. Le retour triennal des parle­ments, l'inamovibilité des juges, la suppression des taxes et des cours illégales, celle des ordres et des emprisonnements arbitraires, la comptabilité du trésor de l'État, la responsabilité des déposi­taires du pouvoir, étaient des actes conformes au bien public. Mais donner aux institutions nouvelles un effet rétroactif; punir de n'avoir point observé des lois qui n'existaient pas encore; imaginer une classe de délinquants, sans vouloir définir ce mot, pour en effrayer tous ceux que l'on pouvait craindre, et l'appliquer à tous ceux que l'on voulait perdre; attaquer les magistratures régulières; usurper les fonctions du gouvernement ; être tout à la fois législa­teurs, accusateurs et juges; exclure arbitrairement les députés dont les opinions n'étaient pas dans le sens de la révolution ; anéantir jusqu'à la liberté des suffrages, et jusqu'à celle des élections, c'était établir une tyrannie mille fois plus odieuse que ce pouvoir absolu, mais mitigé, contre lequel on prétendait s'armer ; et c'est ce que fit, dès son origine, le Long-Parlement (1).

 

A ces mesures contraires à la constitution qu'elle disait défendre,

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(1) Lally-Tollendal, Essai sur la vie de Strafford.

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l'assemblée en ajouta une autre dont le but était d'humilier le roi et de se procurer contre lui des moyens d'agression. Ce Parlement, convoqué pour chasser les Écossais, les appela ses frères, força le roi de rétracter le nom de rebelles dont il les avait justement qua­lifiés, prolongea leur séjour en Angleterre pendant un an, s'en fit une armée contre le souverain, et, lorsque les prétextes manquèrent pour les retenir, les congédia avec un présent de trois cent mille livres sterling, comblant d'éloges leur entreprise comme tendant à l'honneur et à l'avantage de Sa Majesté.

 

Une catastrophe inattendue vint pousser les Chambres aux der­nières extrémités. Les Irlandais, poussés à bout, résolurent d'ex­terminer les Anglais et en tuèrent, dit-on, quarante mille. A la nouvelle de ce terrible événement, Charles se hâta de demander des moyens de châtier les rebelles. Les communes, au lieu de ren­dre hommage à la sincérité de son zèle, l'accusent d'être le complice des assassins et cette accusation s'accrédite par son atrocité même. La Chambre poursuit le cours de ses usurpations, ordonne la pour­suite de la guerre d'Irlande, s'attribue des gardes et supprime la garde royale. Le roi, poussé à bout, ordonne l'arrestation de cinq députés ; ils se dérobent et le magistrat refuse de prêter main-forte au roi. L'exaspération et l'audace sont au comble. Charles se retire à York ; la reine s'enfuit en Hollande. Le roi n'a plus d'autre parti que la guerre ; pour s'y soustraire encore, il ratifie deux bills, dont l'un exclut les évêques de la Chambre haute, l'autre défend les enrôlements forcés. Les communes ne sont point satis­faites ; elles demandent que la nomination des membres du conseil privé et des grands officiers de l'État soit soumise à l'approbation du Parlement ; qu'il ait le contrôle sur l'éducation et le mariage des enfants du roi ; que les communes puissent à leur gré réformer le gouvernement de l'Église, et désigner les chefs de la milice et les gouverneurs des places fortes. C'était inviter le monarque à des­cendre du trône. Il rejette les propositions des factieux : on se passe de son consentement. Le Parlement, au mépris de toutes les lois, nomme des gouverneurs pour les provinces, et leur donne le commandement de la milice, des garnisons, des forteresses, en leur

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ordonnant d'obéir aux ordres de sa majesté signifiés par les Cham­bres. Charles ne pouvait hésiter plus longtemps; le 25 août 1642, il déploie son étendard et déclare la guerre.

 

37. Les pairs, les gentilshommes, les épiscopaux et les catholi­ques se déclarèrent en faveur du roi ; le tiers état, les fermiers, les laboureurs, les négociants, les artisans se prononcèrent pour les Chambres. Les ressources du royaume étaient du côté des com­munes ; le roi manquait d'argent ; cependant il parvint à rassembler quatorze mille hommes. L'armée parlementaire, sous les ordres du comte d'Essex, était un peu plus nombreuse ; plusieurs députés y avaient pris des grades. Un certain Cromwell, entre autres, avait levé, dans sa province, une compagnie, et reçu, de la Chambre, un brevet de capitaine. Quelques actions d'éclat relevèrent au grade de colonel. Alors il leva mille cavaliers qu'il accoutuma à une dis­cipline à la fois religieuse et militaire, dont il opposa le fanatisme au point d'honneur des nobles. Cromwell fit de ses soldats des es­pèces de moines armés, de missionnaires qui mettaient le glaive au service de la foi nouvelle. Son régiment des frères rouges de­vint une espèce de séminaire d'où sortirent presque tous les offi­ciers des troupes du Parlement. Au commencement, ces troupes, peu aguerries, étaient inférieures aux milices royales. En 1642, le comte palatin Robert, venu au secours du roi son oncle, battit en deux rencontres les troupes d'Essex. En 1643, le marquis de New-castle établit l'autorité royale dans les provinces du nord ; dans l'ouest, quelques seigneurs levèrent une armée et battirent quatre fois les troupes du Parlement. Charles, qui avait reçu un renfort de trois mille hommes et de 1,500 chevaux, prit Bristol et assiégea Glocester. Le comte d'Essex fit le siège de cette ville et remporta une victoire près de Newbury. L'Ecosse révoltée, lui envoya un secours de vingt mille hommes, à condition que le Parlement détrui­rait l'épiscopat ; l'Irlande pacifiée donna du renfort au roi. Ces ren­forts rendirent des services, puis se dissipèrent. En 1644, la bataille de Marston-Moor se termina par la déroute des troupes royales. Cependant la fortune balança encore avant de se fixer, le roi battit des parlementaires à Capredon-Bridge et fit mettre bas les armes à

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l'infanterie d'Essex. Les parlementaires prirent leur revanche à une seconde bataille de Newbury. Les chances étaient disputées, lorsque le fanatisme protestant intervint pour changer l'assiette des partis.

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