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7. Ce ne fut donc pas, comme le prétendent les adversaires de Grégoire VII, une sorte de coup de tête ni un proprio motu inspiré par la colère et la vengeance qui dictèrent au grand pontife la sentence définitive. Une discussion préalable, longue et approfondie, eut lieu au sein du concile. Voici en quels termes Berthold de Constance, contemporain et vraisemblablement témoin oculaire, raconte le fait. « Par ordre du seigneur pape on rechercha dans les archives et on donna lecture aux pères des statuts synodaux portés antérieurement contre les contumaces et rebelles à la sainte Eglise, assez téméraires pour rejeter l'autorité divine du souverain pontife et se soustraire à son obéissance, sans songer que le pasteur suprême a en main la puissance dont parla l'apôtre saint Paul quand il dit des princes de l'Église : Parati semper ulcisci omnem inobedientiam. Ils auraient dû méditer attentivement le décret rendu dans un synode romain par le pape saint Sylvestre et ainsi conçu : « Nul ne peut se constituer juge du premier siège, parce que toutes les autres églises attendent de lui le jugement définitif; dès lors le juge de l'universalité des clercs et du peuple chrétien ne saurait être jugé par ceux qui relèvent de lui. » On produisit également le décret du bienheureux pape Grégoire premier du nom et portant ces mots : « Nous déclarons que les rois chrétiens perdront leur dignité et seront exclus de la participation au corps et au sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, s'ils osent contrevenir aux décrets du siège apostolique.» Nombre d'antres témoignages du même genre furent cités2. Le concile déclara alors par une sentence synodale que d'après le texte des lois divines et humaines le roi Henri devait être non-seulement excommunié mais
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1. Cod. Arch.. Vatic; Boniz. Ad amie., lib. VII,ap. "Watterich, tom. I, p.322.
2. On peut voir tous les autres témoignages omis par Berthold, reproduits intégralement dans les opuscules de Bernald, son compatriote et son contemporain. [Patr, Lot., tom. CXLVIII, col. 1172 et seq.)
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déposé pour jamais du droit de régner sans espérance de le recouvrer à l'avenir, puisqu'il avait de son propre mouvement préféré la communion des ennemis de l'Église à celle de Jésus-Christ. Trois motifs principaux furent développés par les pères à l'appui de cette décision ; d'abord l'obstination avec laquelle le roi s'était toujours refusé à bannir de sa familiarité les sacrilèges nominativement excommuniés pour fait d'hérésie simoniaque ; en second lieu le mépris public de la loi divine qui lui avait fait accumuler tous les crimes les plus monstrueux, non-seulement sans en faire pénitence mais sans vouloir même promettre de la faire un jour, au mépris des avertissements réitérés du siège apostolique et de ses légats ; enfin le dernier acte de rébellion contre la sainte Église (conciliabule de Worms) par lequel, mettant le comble à ses attentats, il venait avec un endurcissement irrémédiable de poser les bases d'un schisme et de détruire autant qu'il était en son pouvoir l'unité du corps mystique de Jésus-Christ. Tels furent les considérants de la sentence synodale. Le seigneur apostolique se décida alors à frapper d'excommunication le roi et tous ses fauteurs grands et petits, les séparant de la communion de la sainte Église jusqu'à ce qu'ils eussent fait complète satisfaction, espérant avec la grâce de Dieu rappeler dans le devoir par cette rigueur nécessaire des esprits restés jusque-là rebelles à toutes les invitations de sa paternelle tendresse1. » Se levant donc dans la plénitude de la majesté apostolique et avec une solennité jusque-là inouïe, il prononça la formule d'anathème en ces termes : « Bienheureux Pierre prince des apôtres, prêtez, nous vous en supplions, une oreille favorable à nos prières. Daignez m'entendre, moi votre serviteur, nourri par vous dès mon enfance et jusqu'ici préservé de la main des méchants dont la haine me poursuit parce que je vous suis fidèle. Vous m'êtes témoin, vous et notre Dame la mère de Dieu et le bienheureux Paul votre frère, que la sainte église romaine m'a contraint, malgré toutes mes résistances, d'accepter le pontificat suprême. Loin d'ambitionner cet honneur ou de
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1.Berthold. Constant. Annal Pair, bat., tom. CXLVII, col. 369.
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l'usurper par un sacrilège, j'eusse préféré un éternel exil. C'est donc par votre grâce, je le crois, bienheureux prince des apôtres, et nullement à cause de mes services qu'il vous a plu et qu'il vous plaît encore de confier à ma direction le peuple chrétien dont vous êtes le chef. Par cet effet de votre grâce, la puissance m'a été conférée de Dieu pour lier et délier sur la terre et au ciel. Fort de cette assurance, pour l'honneur et la sûreté de votre Église sainte, au nom du Dieu tout-puissant Père, Fils et Saint-Esprit, en vertu de votre pouvoir et autorité, je retire au roi Henri, fils de l'empereur du même nom, lequel par un excès inouï d'insolence s'est insurgé contre votre Eglise, le gouvernement de tout le royaume d'Allemagne et d'Italie; je délie tous les chrétiens du serment qu'ils lui ont prêté ; je défends que personne lui rende obéissance comme à un roi. Il est de toute justice que celui qui travaille à déshonorer votre Église perde lui-même l'honneur dont il semblait revêtu. Il a dédaigné comme chrétien le devoir de l'obéissance ; il a refusé de revenir au Seigneur ; il a persévéré dans ses rapports avec les excommuniés, multiplié ses forfaits sans nombre, rejeté les avis que je lui adressais pour son salut et s'est séparé lui-même de votre sainte Église en essayant d'y introduire le schisme. C'est donc en votre nom que je prononce contre lui l'anathème et le livre à votre puissance, afin que les nations sachent et éprouvent la force de ces paroles : «Tu es Pierre et sur cette pierre le Fils du Dieu vivant a édifié son Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle 1. » (28 février 1076.)
8. L'impératrice Agnès, la malheureuse mère de Henri IV, était présente. « Un glaive de douleur perça son âme, » dit la chronique de Berthold. Quelques jours après, elle écrivait à saint Altmann de Passaw la lettre suivante : « Votre paternité s'informe de mes nouvelles. Dieu m'a conservé la santé du corps, mais les angoisses de mon âme sont indicibles, quand je vois les périls que mon fils, livré aux conseils les plus détestables, fait courir à l'Eglise. Vous me demandez une relation fidèle de ce qui s'est passé au concile
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1. Watterich, loc. cit., p. 516.
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de Rome, la voici : Les ambassadeurs du roi mon fils se présentèrent au concile et devant toute l'assemblée sommèrent de la part de leur maître le seigneur apostolique de quitter le siège que suivant eux il aurait usurpé contrairement aux lois canoniques. Les Romains s'emparèrent sur-le-champ de la personne des ambassadeurs. L'archevêque de Mayence et les évêques de Germanie avaient par la même voie transmis des lettres par lesquelles ils déclaraient renoncer à l'obédience du seigneur apostolique; l'épiscopat de Lombardie avait fait de même. En conséquence le seigneur pape a excommunié et déposé les évêques qui ont volontairement souscrit ces divers actes ; quant à ceux dont on a arraché la signature par violence ou par contrainte, il leur a accordé un délai jusqu'à la prochaine fête de saint Pierre pour se rétracter. Le roi mon fils, pour avoir obstinément conservé ses rapports avec les excommuniés sans jamais faire pénitence de ses crimes, a été privé de la dignité royale, frappé du glaive de l'anathème et le seigneur pape a délié de leur serment tous ceux qui lui ont juré fidélité. Adieu.1 » Hugues de Flavigny reproduit également cette lettre de l'impératrice Agnès. « Voilà donc, s'écrie-t-il, le témoignage qu'une mère rend elle-même contre la tyrannie, la révolte et les crimes de son fils ! Que répondront à un pareil témoin les adversaires de la sainte église romaine ? Leur roi, ce roi qu'ils veulent exalter jusqu'au-dessus des cieux, ce roi qu'ils ont fait lever contre le Seigneur et son Christ, ce roi n'est au témoignage même de sa mère qu'un tyran couvert de crimes.2 » Sans entrer dans le développement que le chroniqueur donne à cette pensée il suffira, pour répondre aux préoccupations des rationalistes modernes qui dénoncent à l'envi « l'orgueil théocratique, les indignes artifices, l'esprit de domination, l'enthousiasme trompeur, les ruses saintes3 » de Grégoire VII, de
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1. Ibid., p. 381.
2.Hug. Flaviniac. Chronic. Patr. Lat., tom. CLIV, col. 309. Le récit de l'impératrice Agnès confirme la donnée déjà fournie par le Codex du Vatican et Bonizo de Sutri. Il prouve que l'excommunication et la déposition de Henri IV ne furent prononcées qu'à la fin du concile.
3. M. Villemain. Hist. de Grèg. VII, tom. II, p. 55.
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rappeler que la déposition de Henri IV fut prononcée par un concile de cent dix évêques, devant les principaux seigneurs d'Italie, en présence de l'impératrice mère. Le pape n'avait, on l'a vu, nullement pris l'initiative ; il sanctionna le jugement porté et le revêtit de son autorité apostolique. Les cent dix évêques du concile romain, les princes et seigneurs qui y assistaient, l'impératrice elle-même reconnaissaient donc au pape le droit de déposer les rois. Ce n'est donc point Grégoire VII qui inventa ce droit qui faisait, nous l'avons dit plus haut, la base de la constitution chrétienne de l'Europe. Nous verrons bientôt Henri IV lui-même s'y soumettre dans des circonstances à jamais mémorables.
9. La sentence contre les évêques signataires de l'acte de Worms fut mitigée, comme l'impératrice le mandait à saint Altmann, en faveur de ceux qui avaient cédé à la violence ou à la contrainte. « En effet, dit Bonizo de Sutri, dès le second jour du concile, le pape avait reçu de plusieurs évêques d'au-delà des monts, des lettres où ils lui confessaient leur faute, imploraient humblement pardon et promettaient de lui garder pour toujours une obéissance filiale.1 » De ce nombre furent Udo de Trêves, Thierry de Verdun et Hérimann de Metz auxquels Grégoire VII répondit plus tard par un rescrit plein des témoignages les plus touchants d'affection et d'estime.2 Sigefrid de Mayence qui avait rédigé le pamphlet schismatique n'en était point encore au repentir. L'amour propre d'auteur se joignait chez lui à un esprit de cupidité et d'ambition qui fit son malheur et celui de sa patrie. L'excommunication solennelle fut prononcée contre lui en ces termes : « Par le jugement du Saint-Esprit et l'autorité des bienheureux apôtres Pierre et Paul, nous suspendons de toutes fonctions épiscopales et séparons de la communion au corps et au sang du Seigneur, sauf le cas de danger de mort et à la condition de repentir et de pénitence à ce moment suprême, l'archevêque de Mayence Sigefrid pour avoir voulu détacher de l'église romaine, leur mère spirituelle, les
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1. Ad amie., lib. VII, loc. cit. 2. Watterich, tom. I, p. 380
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évêques et abbés du royaume teutonique. Nous suspendons également de toute fonction épiscopale ceux des évêques qui ont spontanément adhéré au schisme, en ont signé la formule, et manifestent encore la résolution d'y persévérer. Quant à ceux dont le consentement a été extorqué par la menace ou la violence, nous leur accordons un délai jusqu'à la prochaine fête de saint Pierre (29 juin 1076). S'ils n'ont avant ce terme, soit en personne, soit par délégués, offert satisfaction en notre présence, ils seront dès lors suspendus de tout office épiscopal. — Quant aux évêques de Lombardie qui, au mépris des saints canons et des décrets apostoliques, se sont unis par un serment sacrilège à la conjuration tramée contre le bienheureux Pierre prince des apôtres, par l'autorité du bienheureux Pierre lui-même, nous les suspendons de tout office épiscopal et les retranchons de la communion de la sainte Église.1 » Ainsi l'anathème définitif tombait en Allemagne sur le primat Sigefrid de Mayence et ses fauteurs obstinés Guillaume d'Utrecht, Werner de Strasbourg, Eppo de Zeitz, Othon de Ratisbonne, Ruotbert de Bamberg, Othon de Constance, Hozemann de Spire et Burchard de Bâle. Ces deux derniers avaient apporté en Italie la lettre schismatique de Worms pour la faire souscrire par les évêques lombards. Ils furent, d'après Lambert d'Hersfeld, l'objet d'un décret spécial d'excommunication dans lequel furent compris nominativement le comte Ebérard de Nellembourg, leur chef d'ambassade, et le fameux Ulrich de Cosheim, favori de Henri IV, dont il soutenait de l'épée et du conseil les entreprises tyranniques. En Lombardie, sauf les patriarches de Grade et de Venise, saint Anselme de Lucques et peut-être deux ou trois titulaires dont l'histoire n'a pas conservé le nom, tous les autres évêques étaient atteints par la sentence synodale.
10. En France le mouvement schismatique s'était prononcé surtout dans les provinces méridionales où le légat apostolique Hugues de Die lui avait opposé la plus énergique résistance. Un fragment des actes du concile romain s'exprime ainsi à ce sujet : « Nous excom-
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1. Grég. VII. Epist. xn, nb. m, Pair. Lat., tom. CXLVIII, col. 443.
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munions Bérenger évêque d'Agde, pour avoir entretenu des relations avec l'archevêque excommunié de Narbonne et l'avoir suppléé dans ses fonctions épiscopales. Nous renouvelons l'excommunication contre Hérimann archevêque de Vienne, déjà déposé juridiquement pour crimes de simonie, de parjures, de sacrilèges, d'apostasie, et qui n'a cessé jusqu'à ce jour de dévaster la malheureuse église de Vienne ; nous interdisons tout office divin dans les églises de Romans et de Saint-Irénée de Lyon tant qu'il continuera à les occuper. Nous excommunions jusqu'à ce qu'ils aient donné satisfaction légitime Desiderius et les clercs de l'église de Romans, pour avoir chassé de ce monastère les réguliers qui y étaient constitués sous notre protection et pour avoir communiqué avec les excommuniés. Le comte de Saint-Gilles pour mariage incestueux et l'abbé de ce monastère qui lui a prêté appui ; le comte de Forez et Humbert de Beaujeu pour leurs dévastations contre la métropole lyonnaise ; l'évêque du Puy (Etienne III de Polignac) pour simonie et homicide sont excommuniés. Ponce (Pons I) de Grenoble est soumis jusqu'à résipiscence à la même peine. Enfin nous confirmons tout ce qui a été statué par le légat apostolique Hugues de Die relativement aux affaires générales de sa légation et aux décrets particuliers concernant les dîmes, prémices et droits ecclésiastiques de l'évêché de Die1 » Cet ensemble de mesures prises dans le concile romain de 1076 nous retrace fort exactement la situation politique et religieuse du monde à cette époque décisive. Le césarisme, les convoitises simoniaques, la clérogamie, dans un même effort, avaient armé contre le saint siège des milliers de bras; Grégoire VII et les cent dix évêques fidèles répondent à cette révolte terrible par le glaive spirituel de l'anathème et de l'excommunication. Les simoniaques, les clérogames, les césariens du XIe siècle n'étaient pas plus disposés que leurs homonymes du XIXe à tenir compte des armes spirituelles du représentant de Jésus-Christ. « Les fauteurs du tyran Henri IV, dit Hugues de Flavigny, composèrent des chansons ironiques sur la déposition et l'excommunica-
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tion de ce prince, ils livrèrent le nom du seigneur pape à la dérision populaire. Ils éclataient de rire, quand on leur disait que leur roi était excommunié. Excommunier un roi, disaient-ils, cela est de toute impossibilité; depuis l'origine des siècles on n'en a pas vu d'exemple1. » De son côté le roi de Germanie tenait plus rigoureusement fermés que jamais tous les défilés des Alpes. Il eût voulu à tout prix intercepter au passage le retentissement des foudres apostoliques lancées sur sa tête. Mais la grande voix de Grégoire VII dominant tous les obstacles, portée sur l'aile des vents, répétée par les échos des montagnes qui devaient lui servir de barrière, retentit bientôt d'un bout de l'Europe à l'autre.
11. Aussitôt après la clôture du concile, une encyclique adressée à la catholicité entière portait promulgation des décrets synodaux. En voici la teneur : « Grégoire évêque serviteur des serviteurs de Dieu, à tous ceux qui veulent conserver leur rang parmi les brebis confiées par le Christ au bienheureux Pierre, salut et bénédiction apostolique. Vous avez entendu, bien-aimés frères, le récit des nouveaux attentats, des forfaits inouïs, perpétrés par les schismatiques; vous avez entendu leurs blasphèmes contre la majesté de Dieu, contre le nom du bienheureux Pierre; vous avez entendu leurs cris de triomphe, lorsque assouvissant une rage impie ils eurent infligé au saint siège des outrages tels que vos pères n'en ont jamais vu, tels que l'histoire n'en a jamais enregistré ni sous les païens ni sous les barbares. Dût-on même, dans toute la série des siècles depuis la fondation de l'Eglise par notre divin Sauveur , trouver quelque précédent aussi tragique, ce serait un motif de plus pour les fidèles de déplorer le renouvellement de ces persécutions sanglantes contre l'autorité de Dieu lui-même et de la chaire apostolique. Puisque nous croyons d'une foi divine que les clefs du royaume des cieux ont été données par Notre-Seigneur Jésus-Christ au bienheureux Pierre, puisque tous vous aspirez au bonheur de voir s'ouvrir pour vous, par les mains du prince des apôtres, l'entrée à l'éternelle vie, vous pouvez com-
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1.Hugo Flaviniac. Chronic.,\'ib. II, Patr. Lat., tom. CLIV, col, 311.
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prendre l'énormité de l'injure qui vient de lui être faite et mesurer à la grandeur du crime celle de votre affliction. Si dans ce monde, parmi les tribulations et les dangers qui servent d'épreuve à votre foi, vous refusiez de partager les souffrances de l'apôtre, vous seriez indignes d'entrer en participation de sa gloire et de sa couronne avec les fils du royaume céleste dans les joies et les consolations futures. Nous prions donc votre charité d'implorer avec instance la miséricorde divine afin qu'elle convertisse à la pénitence le cœur des impies, ou du moins qu'en réprimant leurs sacrilèges efforts elle apprenne au monde combien sont insensés ceux qui prétendent renverser la pierre fondée par Jésus-Christ et détruire les divines prérogatives de l'Église. La chartula ci-jointe vous fera connaître les motifs pour lesquels le bienheureux Pierre a frappé d'anathème le roi de Germanie et la teneur de la sentence apostolique1. » La chartula dont il est question renfermait le texte du décret fulminé contre Henri IV dans les termes que nous avons reproduits précédemment.
12. Une seconde encyclique adressée le 25 juillet suivant à tous les sujets de Henri IV était ainsi conçue : « Grégoire évêque serviteur des serviteurs de Dieu, à tous ses frères en Jésus-Christ les évêques, abbés, prêtres, ducs, princes, chevaliers, et à tous ceux qui dans l'étendue de l'empire romain aiment réellement la foi chrétienne et l'honneur du bienheureux Pierre, salut et bénédiction apostolique. — Grâces soient rendues au Seigneur tout-puissant qui ne cesse, au delà même de nos espérances, de protéger, gouverner et défendre son Eglise sainte. Vous le savez, bien-aimés frères, nous traversons une époque de périls et d'orages; l'antéchrist avait commencé son œuvre, il avait recruté ses ministres par milliers, on trouvait à peine quelques rares fidèles qui osaient préférer la gloire de Dieu et son service à la faveur des rois de la terre et aux richesses du siècle. Mais le Seigneur n'a point abandonné son peuple : chaque jour sa grâce convertit les pécheurs et les fait
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1 Paul. Bernried. Vit. S. Greg. VII, cap. vu, Patr. Lat., toia. CXLVIII, opl. 75.
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passer de gauche à droite ; il a jeté sur vous un regard favorable ; il s'est levé contre ses ennemis pour le salut des nations. Plus que jamais vous avez donc le devoir de lui rester fidèles, de mériter les éloges de l’apôtre qui vous appelle « le peuple d'élection, le «sacerdoce royal, » et vous rappelle ce précepte sacré : « II vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. » Votre fraternité n'ignore pas les attentats inouïs, les crimes de tout genre commis depuis si longtemps contre la sainte Église par un roi qui se disait le vôtre et celui de la chrétienté tout entière. Hélas ! plût à Dieu qu'il fût resté chrétien, car il serait encore votre roi. Mais le monde entier a su dans quel abîme de désordres, de calamités et de ruines il s'est à l'instigation de l'antique ennemi du genre humain précipité lui-même. A l'époque où nous remplissions encore les fonctions d'archidiacre de la sainte église romaine, pénétré pour lui d'une charité toute fraternelle et inspiré par nos sentiments d'affection pour la mémoire de l'empereur son père et pour la personne de l'auguste impératrice sa mère, nous lui avons prodigué les avis d'une sage tendresse, le conjurant de venir à résipiscence. Depuis que, malgré notre indignité, nous avons été promu au pontificat suprême, nous n'avons cessé, et par lettres et par l'intermédiaire des plus vénérables personnages, de lui transmettre les mêmes conseils. Vous savez et il n'est pas un coin si reculé du monde où l'on ignore comment il a répondu à tant de sollicitude, rendant le mal pour le bien, levant le talon contre le bienheureux Pierre, et s'efforçant d'écraser la sainte Eglise sa mère. Mais il est de notre devoir, tout en aimant les hommes, de haïr leurs vices ; il nous faut résister aux pervers afin de les amener au repentir ; nous abhorrons l'impiété et nous cherchons tous les moyens de convertir les impies. Nous vous conjurons donc, au nom du très-bienheureux Pierre prince des apôtres, de réunir tous vos efforts pour arracher ce malheureux à l'influence de Satan et l'amener à une sincère pénitence; en telle sorte que, avec la grâce de Dieu, nous puissions le recevoir un jour à la communion de l'Église dont il a si cruellement déchiré le sein maternel, et qu'il n'y ait plus à craindre de le voir retomber dans son ancienne tyrannie. S'il refuse de vous en-
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tendre, s'il préfère définitivement l'étendard du démon à celui du Christ, s'il rejette vos conseils pour s'abandonner à la direction des simoniaques et des excommuniés, nous saurons avec la secours de Dieu prendre des mesures efficaces pour sauver J'Eglise outragée. En attendant, vous nos frères et coévêques, recevez avec miséricorde les égarés qui ont eu le malheur de se laisser entraîner au schisme et qui manifestent aujourd'hui leur repentir. Dieu nous est témoin que nous ne cédons ni à un sentiment d'ambition ou de vaine gloire ni à aucun entraînement personnel en poursuivant les mauvais princes et les clercs indignes, nous y sommes contraint uniquement par le devoir de notre charge et par la responsabilité du pouvoir apostolique confié à nos mains. Mieux vaut pour nous subir la mort sous le glaive des tyrans que de laisser, par un silence coupable, consommer sous nos yeux la destruction de la loi chrétienne1. »