Arius 20

Darras tome 9 p. 522

 

p522 PONTIFICAT  DE  SAINT  FEUX   II   (338-339).


3. Depuis la découverte de 1582, aucun fait nouveau ne s'est révélé, dans le domaine de la science historique, relativement au pape saint Félix II. Que faut-il entendre par cette condamnation solennelle de l'empereur Constance? Nous sommes réduits sur ce point à une mention très-peu explicite du Liber Pontifîcalis, dans la notice de saint Liberius, où il est dit : « Félix, dans un concile de quarante-huit évêques, condamna Ursace et Valens, complices de l'erreur arienne de Constance. » Fecit concilium Félix, et invertit presbyteros consentientes Constantio Augusto ariano nomine Ursatium et Valentem, et exegit eos in concilia quadraginta et octo episcoporum. Ce titre de presbyteri (prêtres), donné ici aux deux évêques ariens, est une note discordante qui a été signalée par tous les critiques et que nous sommes obligé de constater nous-même, avec cette réserve toutefois qu'à cette période du IVe siècle l'acception de presbyteri dans le sens générique, comprenant toute la hiérarchie des ministres du Seigneur, pouvait bien n'être pas encore tombée complètement en désuétude. Mais il resterait toujours à concilier la possibilité d'une condamnation d'Ursace et de Valens par Félix, avec l'assertion de Théodoret qui nous dit que ce pontife communiquait sans nulle difficulté avec les Ariens. Il reste de plus à expliquer comment un concile de quarante-huit évêques catholiques a pu être tenu à Rome par un pape que le clergé et les fidèles de Rome tenaient en suspicion et avec lequel ils évitaient toute espèce de relations in divinis. Ces énigmes accumulées durant cette courte période du règne de Constance sont à nos yeux la meilleure preuve de l'altération profonde que les monuments et les sources historiques ont subie sous l'influence triomphante de l'arianisme. Un jour peut-être d'autres documents surgiront, tels par exemple que les Gesta Liberii dont les lacunes seront comblées. Alors la vérité toute entière se dégagera de cette longue éclipse. En attendant, il nous faut accepter comme un bienfait précieux la découverte dont Baronius fut le contemporain, et saluer le nom de saint Félix II comme celui d'un pape légitime et d'un martyr de la foi.

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p523 CHAP.   Vit.   — STNCURONISEE.                             523

 

II. Synchronisme

 

  4. La victoire d'Argentoratum avait, en dépit des sarcasmes de la cour de Constance, donné au nom du César Julien un relief incontestable. La Gaule respirait en paix, délivrée de la terreur des barbares. Julien vint passer l'hiver dans la cité de Lutèce, dont il aimait le séjour et dont il a vanté les charmes dans une description restée célèbre. La future capitale de la France, sous le nom peu révérencieux que les Romains lui avaient infligé1, était depuis longtemps le chef-lieu des Parisii. Depuis le temps de saint Denys l'Aréopagite, sa physionomie extérieure n'avait guère changé. L'enceinte de ses murailles se bornait exclusivement à la partie de la ville actuelle que nous nommons la Cité, et qui forme une île entourée par les deux bras de la Seine. Deux ponts de bois jetés sur le fleuve y donnaient accès. La vaste plaine qui l'entoure, abandonnée aux caprices des inondations, devait souvent prendre l'apparence d'un immense marais et justifier le nom pittoresque de Lutecia. Cependant Julien vante sans restriction la pureté des eaux, la douceur du climat, la fertilité du sol de la cité gallo-romaine. Par extraordinaire, l'hiver de 357 y fut très-rigoureux. Julien, depuis qu'il avait goûté de la vie des camps, s'était fait Spartiate. Il passait l'hiver sans feu, même dans les Gaules. Cependant la température devint si rude cette année qu'il permit par exception que ses serviteurs portassent le soir dans sa chambre quelques charbons allumés. Cette attention faillit lui coûter la vie. Ils'endormit à la vapeur de ce brasier et un commencement d'asphyxie se déclara. L'accident n'eut pas d'autres suites; dès le lendemain le César put travailler à son ordinaire. Il s'occupait alors d'une répartition plus équitable de l'impôt dans la province des Gaules ; il voulait diminuer la taxe de la capitation qu'il trouvait excessive. La réduction qu'il méditait ne pouvait, on le conçoit, avoir les sympathies du préfet du prétoire Florentius»

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1.On sait que Lutèee signifie, selon l'étymologie latine, « ville de boue ou «marécage. »

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p 524 PONTIFICAT  DE  SAINT  FÉLIX  II   (358-35G).

 

homme d'argent, que la faveur de l'eunuque Eusèbe avait placé près de Julien pour y jouer le rôle qu'autrefois Thalassius remplissait en Orient près du malheureux Gallus. Loin de se prêter à ces bienfaisantes réformes, Plorentius inventait chaque jour de nouvelles taxes qu'il voulait faire peser sur la province. Il en présenta une de ce genre au César, qui prit le parchemin et le déchira en disant : Ce serait une énormité ! Un préfet du prétoire ne saurait travailler de gaîté de cœur à exaspérer les populations contre le régime de l'empire. — Florentius écrivit à Constance pour se plaindre de Julien. Mais celui-ci était désormais protégé par l'éclat de ses victoires. Le préfet ne fut point écouté. Julien supprima les agents intermédiaires auxquels le fisc avait l'habitude d'affer- mer la perception de l'impôt. Cette mesure produisit les meilleurs résultats. Le peuple délivré de l'oppression des traitants qui aggravaient dans une proportion considérable la taxe individuelle de chacun, vint spontanément verser entre les mains des receveurs publics le montant de ses impositions. Julien acquit ainsi une popularité immense. On pouvait déjà prévoir le jour où l'empire serait à ses pieds.

 

            5. Constance s'enivrait alors d'hommages plus frivoles. Il n'avait point encore iusque-là visité Rome. L'idée lui vint de s'y faire rendre les honneurs du triomphe. Sa victoire sur Magnence dans un combat où il n'avait point paru, et la défaite des Francs par Julien à Argentoratum, étaient des titres suffisants pour qu'il pût monter au Capitule, le front couronné de lauriers. On disposa la pompe triomphale avec un luxe et une magnificence sans bornes. De Milan à Rome, les légions défilèrent en ordre de bataille. Au milieu d'elles le char de l'empereur, rayonnant d'or et de pierreries, était traîné par des chevaux caparaçonnés, tenus en main par des soldats qui portaient des palmes. La population italienne, accourue en foule à ce spectacle, formait la haie sur le passage et couvrait le prince d'applaudissements et de fleurs. Aux portes de Rome, le sénat vint débiter sa harangue officielle. Constance écouta tous ces éloges en homme qui avait la conscience de les mériter. Debout sur son quadrige, il affectait de garder une con-

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tenance raide et immobile, sans tourner ni incliner la tête ; on remarqua seulement qu'il la baissait, en passant sous les arcs de triomphe et sous les portes de la cité, bien que les uns et les autres fussent fort élevés, tandis qu'il était lui-même d'une taille plus que médiocre. Du reste cette parade de gravité était dans ses habitudes. Ilne s'en départit pas une fois en sa vie et la poussait au point de ne jamais faire monter personne avec lui dans son char, et de ne vouloir partager l'honneur du consulat avec aucun particulier. Tel était le fils de Constantin le Grand. Il fut reçu dans le palais des impereurs au bruit des acclamations d'un peuple innombrable, et sa vanité se trouva satisfaite. Rome fut pour lui l'objet d'un véritable étonnement. Il ne s'attendait point à la trouver si belle. La place Trajane le frappa surtout par sa magnificence; il avoua qu'il serait impossible, même à lui, de rien imaginer de plus beau. Toutefois, ajouta-t-il, je pourrais bien me faire dresssr une statue équestre semblable à celle de Trajan. Je suis tenté d'en faire l'essai. — Le sénateur Hormisdas, qui était à ses côtés, lui répondit l'un ton qui ne ressemblait guère aux basses flatteries des eunuques : Prince, pour loger un cheval comme celui-là, il faudrait l'abord songer à lui bâtir une aussi belle écurie! — Constance regarda ce singulier courtisan et crut l'adoucir en lui faisant de Rome un éloge emphatique. Oui, reprit Hormisdas, la cité est assez belle. Il n'y a qu'une chose qui la déconsidère un peu, on m'a assuré qu'on y mourait comme ailleurs. — L'enthousiasme de Constance pour les magnificences de Rome faillit tourner au profit du paganisme. A force de lire les inscriptions gravées en l'honneur

 des dieux, il commençait à reprendre goût à la mythologie païenne. Avant son entrée dans la vieille métropole de l'empire, il avait donné l’ordre de faire disparaître l'autel idolâtrique de la Victoire, que Magnence avait replacé dans le palais sénatorial, au milieu de la salle des délibérations. Constance se repentit plus tard d'avoir pris cette mesure, cependant il ne voulut point la révoquer. Mais pour en atténuer l'effet, il donna aux païens la satisfaction de renouveler les antiques privilèges accordés aux Vestales, et il poussa l'attention jusqu'à nommer officiellement aux charges vacantes du

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sacerdoce idolâtrique. De son côté, l'impératrice Eusebia signala sa présence à Rome par deux actes de jalousie forcenée. Le César Julien venait d'avoir un fils de sa femme Héléna. Le malheureux enfant fut étouffé au berceau par ordre de l'impératrice. Sa mort passa pour un accident fortuit. Héléna, mandée à Rome sous prétexte de distraire sa douleur par ce voyage, reçut des mains de sa belle-sœur un breuvage meurtrier qui devait tarir pour jamais dans ses flancs les sources de la fécondité. Julien, si cruellement outragé comme époux et comme père, eut assez d'empire sur lui-même pour ne rien laisser apercevoir de ses ressentiments. Il attendit silencieusement l'heure de la vengeance.

 

6. Les catholiques de Rome ne dissimulaient point ainsi leurs véritables sentiments. Ils profitèrent du séjour de l'empereur pour donner les témoignages les moins équivoques de leur attachement au pontife Liberius et de leur aversion pour Félix. On regardait celui-ci comme un intrus; on disputait à son clergé tous les privilèges ecclésiastiques, à tel point que Constance fut obligé de les lui faire restituer par deux lois spéciales, qui ont pris place dans le Corpus juris civilis 1, et dont l'une est adressée nominativement à Félix lui-même. Une députation fort extraordinaire, et composée uniquement de femmes, vint solennellement demander le retour du pape exilé. Les courageuses chrétiennes avaient d'abord songé à une manifestation toute différente. Elles avaient supplié leurs maris d'en assumer la responsabilité, les menaçant, s'ils refusaient, de quitter famille et patrie pour aller retrouver Liberius au fond de la Thrace. La perspective d'une démarche aussi compromettante effraya sénateurs et patriciens. Aucun ne se sentit le courage d'af-fronter la colère du tyran. Allez vous-mêmes lui présenter votre requête, dirent-ils aux matrones. Le pis qui puisse vous advenir c'est qu'il vous refuse; mais il n'osera pas vous faire exiler, ou décapiter, comme il ne manquerait pas de le faire pour nous. — Le conseil fut suivi. Toutes les dames romaines, magnifiquement parées, se rendirent au Palatin. Là, prosternées aux genoux de l'em-

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1. Codex Ilieod., lib. XVI, tit. II, leg. 13, lï.

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p527 CHAP.   Vil.   —   Sïà'CaUONISME.

 

pereur, elles le supplièrent d'avoir pitié de l'Église romaine, veuve de son pasteur et livrée en proie à des loups ravissants. Le peuple de la ville, informé de cette démarche, s'y associait par ses sympathies les plus ardentes. Constance le savait par le rapport de ses espions. Il n'avait donc aucunement l'envie de manifester une rigueur qui pouvait entraîner une émeute. Il répondit, d'un air de bonne foi parfaite, qu'il ne comprenait rien aux doléances dont on apportait l'expression à ses pieds. Vous avez un pasteur légitime, un pontife et un père, dans la personne de Félix, dit-il. —Au nom de Félix, un murmure d’horreur s'éleva de toutes les bouches. Le réponse du prince, transmise jusque sur la place publique, circulait de rang en rang. Elle arriva bientôt sur les gradins du cirque où chaque jour, depuis son entrée à Rome, Constance faisait donner gratuitement des courses de chevaux et de chars. Épouvanté des conséquences de son imprudente parole, l'empereur se hâta de la rétracter. Il déclara à la députation qu'il était prêt à lui accorder sa demande. Séance tenante, on rédigea pour Liberius des lettres de rappel, qui le priaient de venir gouverner l'Église de Rome, de concert avec son collègue Félix. Cette idée du pontificat partagé sembla à Constance un moyen merveilleux de se tirer d'embarras dans le présent, sans compromettre l'avenir. Aussitôt que l'ordre impérial eut été transcrit par les secrétaires de la cour, un dignitaire du palais vint en donner lecture au peuple rassemblé dans le cirque. Il y avait alors, dans cette Rome avide de spectacles, deux factions de coureurs, distinguées par la couleur de leurs livrées. Elles se partageaient à peu près également la sympathie populaire. La foule, en entendant la décision impériale, s'écria : Ce sera comme au cirque ! L'Église aura deux évêques, comme les courses ont deux chefs! — Les clameurs redoublèrent avec des transports frénétiques. Le tumulte fut au comble. Enfin la multitude, trouvant une expression qui rendait, sous la forme la plus brève et la plus énergique, ses véritables sentiments, s'écria d'une voix unanime: Un Dieu, un Christ, un évêque ! —Les Ariens n'avaient pas prévu celle explosion populaire. Ils se rendirent en toute hâte près de Constance, le conjurant de céder àè l'orage. L'empereur ne

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demandait pas mieux. Il promit tout ce qu'on voulut; déclara que Liberius serait rappelé sans condition ; que les vœux de Rome étaient

 

sacrés pour lui. Enfin il n'épargna ni harangues, ni protestations, ni démarches, pour apaiser cette tempête. Le lendemain Constance quittait la cité, sous prétexte d'aller en Pannonie surveillee les mouvements des barbares, qui menaçaient, disait-on, les fron-tières de la Rhétie et de la Mésie Supérieure.

 

§ III. Conciles Ariens.

 

   7. Dans la réalité, comme il se souciait beaucoup moins de batailles que de conciles, il se rendait à Sirmium, où les Ariens pré-tendaient dans un nouveau synode réparer l'échec que le peuple romain venait de leur infliger. Ursace et Valens, les deux coryphées du parti, prirent la direction de cette assemblée, où n'assistèrent que des évêques occidentaux en fort petit nombre. Les seuls que nous connaissions sont Germinius de Sirmium et Potamius d'Ulyssipo (Lisbonne). Ce dernier, après avoir d'abord défendu cou-rageusement la foi de Nicée dans des écrits que nous avons encore, l'avait trahie honteusement pour obtenir des agents du fisc la concession d'un domaine à sa convenance, près de sa ville épiscopale. Le conciliabule dressa une profession de foi connue sous le nom de second Formulaire de Sirmium. Elle était ainsi conçue : « En présence de nos très-saints frères Valens, Ursace et Germinius, après une discussion solennelle et un examen approfondi, la question dogmatique a été résolue de la manière suivante. Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, en un seul Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur et Sauveur, engendré de lui avant tous les siècles. On ne peut ni ne doit reconnaître deux dieux, puisque Jésus-Christ lui-même a dit : «Je vais à mon Père, qui est votre Père, à mon Dieu, qui est votre Dieu. » Il est donc évident qu'il n'y a qu'un seul Dieu, et saint Paul l'enseigne clairement quand il dit : « Croyez-vous qu'il y ait un Dieu pour les Juifs et un autre Dieu pour les gentils? Non, il n'y a qu'un seul Dieu, lequel justifie par la foi les fils de la circoncision aussi bien que

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les incirconcis. » Nous nous sommes également mais d'accord sur les autres points controversés. Cependant comme il se manifestait quelques légères hésitations ou divergences au sujet des expressions de «consubstantiel » et de « semblable en substance, » on a jugé à propos d'écarter complètement ces termes et de n'en faire aucune mention. D'une part, ils ne se trouvent pas dans l'Écriture; de l'autre, la génération du Fils de Dieu est tellement au-dessus de la portée de l'esprit humain qu'il y aurait une témérité sacrilège à vouloir la définir. Il nous suffit de savoir d'une manière certaine et de croire fermement que le Père seul a engendré le Fils, et que le Fils seul a été engendré par le Père. Par conséquent et sans nul doute, le Père est plus grand que le Fils; plus élevé en honneur, en puissance, en majesté et en gloire. Son titre même de Père l'explique assez, et d'ailleurs Jésus-Christ a dit : «Celui qui m'a envoyé est plus grand que moi. » La doctrine catholique consiste donc à distinguer soigneusement les deux personnes du Père et du Fils. Le Père est le plus grand; le Fils lui est soumis ainsi que toutes les choses contingentes. Le Père est sans principe, invisible, immortel, impassible. Le Fils est né du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière : il a pris de la vierge Marie un corps humain par lequel et avec lequel il a souffert. Telle est la vérité capitale de notre symbole; tel est l'ensemble de la doctrine catholique sur le mystère de la Trinité sainte au nom de laquelle il fut dit aux apôtres : «Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Le nombre de la Trinité est un nombre entier et parfait. Quant au Saint-Esprit, il existe par le Fils; il est descendu en ce monde après y avoir été envoyé, selon la promesse du Sauveur, pour instruire, fortifier et sanctifier les apôtres et par eux tous les fidèles. »

 

   8. Telle est cette seconde formule de Sirmium. Elle suppose une telle ignorance des moindres notions de théologie, qu'on est tenté de se demander si Ursace et Vatens, ses auteurs, n'étaient pas des païens déguisés. Si étrange que puisse paraître, au premier coup d'œil, cette réflexion, nous sommes persuadé qu'elle est très-voisine de la vérité historique. L'Arianisme ne fut rien autre

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qu'une protestation déguisée de l'idolâtrie vaincue. Il prépara très-certainement les voies à la réaction franchement païenne que nous verrons bientôt sortir toute armée du cerveau de Julien l'Apostat. Pour avoir trop négligé ce point de vue, les historiens se sont mépris sur le véritable caractère de l'Arianisme. Ils ont supposé dans ses partisans une bonne foi qui n'existait réellement pas. Les évêchés donnés par Constance à des soldats, à des courtisans, à des tribuns à peine baptisés, ne conféraient aux titulaires ni la science théologique, ni même la foi. Parmi les intrus placés ainsi, à main armée, sur les sièges épiscopaux, plus d'un était païen par les mœurs, les traditions, souvent même le langage. De là ces luttes sanglantes dans les églises transformées en champs de bataille; de là ces professions de foi où l'ignorance le dispute à l'impiété; de là enfin ces haines acharnées contre les véritables évêques qui avaient eu le malheur de déplaire à l'euneuque favori. Ce serait faire trop d'honneur en effet à ce second formulaire de Sirmium que de le discuter sérieusement. Ses auteurs eux-mêmes n'y attachaient pas la moindre importance doctrinale. Ce qu'ils voulaient par-dessus tout, c'était s'en servir, comme jadis les Hébreux du Scibbolelh, et ainsi avoir à leur disposition une arme qui pût leur permettre d'égorger frauduleusement tous leurs ennemis.

 

   9. La meilleure preuve de cette intention perverse résulte pour nous de la facilité avec laquelle, dès l'année suivante (358), les Ariens revinrent sur ce formulaire dont la grossière impiété révoltait toutes les consciences catholiques. Un édit impérial les autorisa à en rechercher tous les exemplaires pour les détruire. Le préfet du prétoire Martianus se mit à leur disposition pour les faire disparaître en Orient. Celui que nous venons de traduire nous a été conservé par Théodoret. La réprobation universelle qui frappait cette formule impie, nous prouve que l'Arianisme n'était point aussi triomphant qu'il affectait de le paraître. Une figure oratoire de saint Jérôme que tout le monde connaît, a été singulièrement exagérée par le protestantisme- « L'univers se réveilla arien, »  dit le grand docteur. Le ministre Basnage se crut le

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p531 CHAP. VII. — CONCILES ARIENS.                          

 

droit d'interpréter cette expression pittoresque dans le sens d'une constante et paisible possession par les Ariens de leur doctrine hétérodoxe. « Ils eurent un instant la catholicité, disait-il. Par conséquent la note de catholique, qu'on prétend réserver exclusive-ment à l'Église véritable, ne lui appartient pas rigoureusement. » Bossuet répondait en ces termes à l'argutie de Basnage : « On vous doit plaindre si vous êtes capable de croire qu'au temps où les Ariens disaient à Liberius : «Vous êtes seul de votre avis ! » ils pussent se vanter de la constante et paisible possession de leurs dogmes. C'était en 338 que ce pape eut avec l'empereur Constance, l'entretien célèbre que tout le monde connaît. Or, il n'y avait pas plus de trente ans que le concile de Nicée avait été célébré ; car il le fut en 323. La foi de Nicée vivait donc par toute l'Église. Il n'y avait pas douze ans que le grand concile de Sardique, comme l'appelait saint Athanase, en avait renouvelé les décrets. Ce concile était vénérable pour avoir rassemblé trente-cinq provinces d'Orient et d'Occident, le pape à la tête, ou ses légats, avec les saints confesseurs qui avaient déjà été l'ornement du concile de Nicée. Le scandale de Rimini, où les ministres protestants veulent croire que tout fut perdu et que l'Église visible fut ensevelie, n'était pas encore arrivé ; et ce concile ne fut tenu qu'en 339, année qui précéda de fort peu la mort de Constance. Cependant on voudrait nous faire croire que les Ariens se glorifiaient dès lors d'une tranquille possession de leurs dogmes, pendant que la résistance des orthodoxes, sous la conduite de saint Athanase et des autres, était la plus vive. Les Ariens cependant ne portaient pas si loin leur témérité, et voici ce qu'ils objectaient seulement à Liberius, par la bouche de Constance : « Je souhaite que vous rejetiez la communion de l'impie Athanase, puisque tout l'univers, depuis le concile de Tyr, le croit condamnable. » Il s'agissait donc simplement du fait de saint Athanase ; et, encore que ce fût en un certain sens attaquer la foi que d'en condamner le grand défenseur, à ce seul titre il y a une différence infinie entre cette affaire et la tranquille possession des dogmes de l'Arianisme, Mais était-il vrai, du moins, que tout l'univers eût condamné saint

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Athanise? Point du tout. Constance, abusant des termes et tirant tout à son avantage, veut appeler « tout le monde » tout ce qui cédait à ses violences; il veut compter pour « tout l'univers » le seul concile de Tyr où il avait ramassé les ennemis de saint Athanase. Mais Liberius, au contraire, lui demande un jugement légitime où Athanase soit confronté avec ses accusateurs; et, bien éloigné de croire que « tout le monde » l'ait condamné, il se pro-met la victoire dans ce jugement. Il n'y a donc rien de plus captieux, ni visiblement de plus faux, que cette tranquille possession du dogme arien, invoquée par le protestantisme 1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon