Darras tome 35 p. 181
97. Il y avait à Londres, sous le règne d'Elisabeth, onze grandes prisons. Les missionnaires, arrêtés à Londres ou dans la province, étaient ordinairement enfermés à la Tour. Pour se faire une idée de cette vie de cachot, il suffit d'avoir visité cette prison, avec ses cellules engagées dans l'épaisseur des murs, à peine assez hautes pour qu'on s'y tienne debout, pas assez larges pour qu'on puisse s'y coucher ; une fosse pour un être encore vivant et sensible à toutes les souffrances. Aux rigueurs de la détention s'ajoutaient divers supplices. Le premier s'appelait la fosse : c'était une cave où la lumière ne pouvait pénétrer. A la réclusion dans cette casemate, le juge ajoutait la question : « C'était, dit Lingard, un large châssis en chêne, élevé sur quatre montants à trois pieds du sol. Le patient était d'abord couché par dessous et sur le dos ; puis on l’attachait, par les poignets et les coudes, à deux rouleaux placés aux deux extrémités du châssis. Ces rouleaux étaient mus par des
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(1) Macaulay, dans sa biographie de Lord Bacon (p. 8-11), a esquissé la silhouette de ces ministres avec sa verve et sa sincérité ordinaires ; il les présente comme des hommes de politique et de parti, ne portant pas plus haut leurs vues, se désintéressant fort de toute question de religion et d'Eglise : politiques par état, bourreaux par vocation.
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leviers dans des directions opposées, jusqu'à ce que le corps se trouvât élevé au niveau du châssis. On proposait alors une question, et si la réponse du patient n'était pas satisfaisante, les bourreaux tiraient violemment et de plus en plus, jusqu'à ce que les os quittassent leurs articulations. » Un autre instrument de supplice était appelé la fille du loueur ou de Scavanger, nom de son inventeur. « C'était, dit encore Lingard, un large cercle en fer composé de deux parties jointes l'une à l'autre par une charnière. On plaçait le prisonnier à genoux sur le pavé et on le contraignait de se ployer en un aussi petit espace que possible. Alors le bourreau s'agenouillait sur ses épaules après avoir introduit le cercle sous les jambes, et comprimait la victime sur elle-même jusqu'à ce qu'il pût accrocher les extrémités vers les reins. Ce supplice durait ordinairement une heure et demie ; il arrivait souvent que l'excès de la compression faisait jaillir le sang par les narines ou même par les extrémités des pieds et des mains.» Un troisième instrument consistait dans des gantelets de fer que l'on pouvait serrer au moyen d'une vis. Ils servaient à comprimer les poignets et à suspendre les prisonniers en l'air à une poutre. On plaçait le patient sur trois pièces de bois posées l'une sur l'autre et qu'on retirait successivement de dessous ses pieds quand les mains étaient attachées. A ces divers genres de supplices, il faut ajouter les chaînes et les menottes attachées aux bras, ainsi que les entraves dans lesquelles on engageait les pieds. Aux tortures physiques, les valets d'Elisabeth joignaient les violences morales. Le lieutenant de la Tour surtout n'omettait aucune ruse pour amener ses prisonniers à l'apostasie. Tantôt il annonçait qu'un anglican, qui feignait d'être catholique, venait d'apotasier ; tantôt qu'un vrai catholique avait imité cet exemple ; quelquefois il jouait avec les menaces, plus souvent avec les promesses; toujours il donnait comme précurseur au bourreau ces ministres de l'anglicanisme, tueurs d'âmes avant qu'on ne tuât le corps. Telles étaient, sous le règne d'une femme, contre les serviteurs du Christ, les diverses formes du supplice, en attendant la mort, moins odieuse que toutes ces tortures.
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98. L'ère des martyrs recommençait pour l'Angleterre ; la vie de ses enfants va être sacrifiée pour crime de fidélité à la foi de leurs pères ; le sang des prêtres surtout, pour avoir conservé cette foi en dépit des fureurs de l'hérésie, va couler pendant un siècle avec abondance. Le protomartyr fut Edmond Campian ; Dieu le traita en enfant gâté de sa providence. Le missionnaire se dirigeait vers le Norfolk et visitait en passant les Yats à Lyford. Un espion, Elliott, le livra lui et deux autres prêtres. On attache les trois missionnaires sur des chevaux, avec une corde qui leur lie les pieds sous le ventre de l'animal ; on leur lie les mains derrière le dos ; on fixe sur le chapeau de Campian un grand écriteau : Edmond Campian, jésuite séditieux. C'est dans cet état que les prisonniers se rendent à la capitale. A Londres, tout a été préparé pour une scène extraordinaire. La populace vomit les plus brutales imprécations de la haine. L'erreur, comme le vice, se trahit toujours par l'ignominie des injures ; le sectaire y trouverait une première condamnation de l'hérésie, s'il étudiait sérieusement les calculs honteux qui poussent ses coreligionnaires à la honte de ces saturnales. A la Tour, Hopton, le geôlier, emploie près de Campian tous les genres de séduction ; il lui parle de la bonté de la reine, des charges, des honneurs et des biens qui l'attendent ; un mot et ses chaînes tombent ; et ce mot, s'il ne le dit, il subira les horreurs d'une exécution à Tyburn. Campian reste inébranlable ; on répand, au dehors, le bruit de sa capitulation (1). Cependant on le met trois fois à la torture; si le corps souffre, l'âme ne tremble pas. La faim se joint aux tortures pour abattre le prisonnier : elle reste impuissante comme la torture. C'est l'heure que choisissent les gros prébendiers du schisme pour assaillir Campian avec des textes qu'ils défigurent ou ne savent comprendre. Cambden, Stowe, Hollingshed et Speed se taisent sur les résultats de cette conférence ; il faut croire que Campian, quoique épuisé et abattu, retrouva, pour vaincre ses adversaires, avec les ressources de son maître esprit, toutes les grandeurs de sa belle âme. Comment ces apostats pouvaient-ils eux-mêmes, sans vergogne, affronter une telle rencontre ; des
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(1) Mori., Rht. miss, ancjl., p. 89.
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hommes qui vivent grassement de l'erreur, en présence d'un ancien frère qui va mourir pour la vérité : où est la parité de condition et que peut être le combat? Enfin, le 14 novembre 1581, Campian et sept autres prisonniers sont conduits au banc de la reine. Les six compagnons qui suivaient Campian au tribunal cette première fois étaient Sherwine, Kisby, Cottam, Johnson, Riston, le jésuite Bosgrave et l'étudiant Orton. Le lendemain on appelait, pour entendre une accusation semblable, Colleton, Richardson, Hart, Forde, Filbie, Briant et Shert, aussi prêtres du collège de Douai, arrêtés à différentes époques. A la lecture de l'acte d'accusation, Campian prononce ces paroles : «Je proteste devant Dieu et ses saints anges, devant le ciel et la terre, devant le monde entier et en présence de ce tribunal, qui n'est qu'une faible représentation du jugement futur, que je ne suis coupable d'aucune partie de la trahison contenue dans l'acte d'accusation, ni de quelque autre trahison que ce soit». Puis, haussant la voix : « Est-il possible, s'écria-t-il, qu'on trouve dans cette ville, et même dans tout ce royaume, douze hommes assez misérables et sans conscience, pour nous trouver tous coupables de ce même crime ; nous parmi lesquels ils s'en trouvent qui ne se sont jamais rencontrés et qui ne se connaissaient même pas avant d'être amenés à cette barre.» Par là, Campian découvrait le vice de l'accusation. Le crime présumé était un prétendu complot à Rome et à Reims, contre Elisabeth. Or, il n'y avait eu complot ni à Reims, ni à Rome, et en eût-il existé, les prévenus n'eussent pu y prendre part. A quelque accusé qu'on l'eût appliqué, l'acte d'accusation était faux ; pour plusieurs il l'était en tous points. Le juge ne condamna pas moins les accusés à être traînés sur la claie jusqu'au lieu du supplice, où ils devaient être d'abord pendus ; puis, leurs corps vivants étant détachés, ils devaient être mutilés, les entrailles et le cœur arrachés, et jetés au feu, la tête abattue, les membres écartelés, le cadavre coupé en quartiers, exposé sur les piques du pont de Londres. En entendant cette condamnation, Campian, d'une voix retentissante chanta : Te Deum laudamus.
99. Le conseil de la reine avait décidé que, le 1er décembre 1581, trois des condamnés seraient exécutés sur la place de Tyburn : Cam-
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pian, Sherwine et Brian. Ces deux derniers, d'abord étudiants d'Oxford puis du collège de Douai, avaient renoncé à tous les avantages pour suivre leur conscience. Sherwine passait pour un philosophe et un philologue distingué; son geôlier l'appelait un homme de Dieu, le meilleur prêtre et le plus dévoué que j'aie vu de ma vie. Brian brillait surtout par sa constance ; il ne se glorifiait que dans la croix du Sauveur et protestait de l'innocence de sa vie. De grand matin, la prison s'ouvre : on vient les prendre. Les trois martyrs s'embrassent avec effusion, et, pendant que les soldats les attachent avec des cordes, rendent grâce à Dieu. Les préparatifs achevés, les chevaux avancent hors de l'enceinte de la Tour. A la vue de la populace curieuse, Campian s'écrie : «Que Dieu vous sauve tous et fasse de vous de bons catholiques». De la Tour à la porte de Tyburn, environ une lieue, on les traîne sur les inégalités du chemin et dans la boue qui rejaillit sur leur noble visage. Au pied de la potence : «Nous sommes donnés en spectacle à Dieu, aux anges et aux hommes », s'écrie Campian. Le shérif le presse de confesser ses trahisons : « Quant à ces trahisons mises à ma charge pour lesquels je suis venu mourir ici, dit-il, je désire que vous portiez tous ce témoignage avec moi, que j'en suis complètement innocent.» Un membre du conseil lui crie qu'il ne peut nier l'évidence : «Mylord, reprend le martyr, je suis catholique, je suis prêtre ; dans cette foi j'ai vécu, dans cette foi je veux mourir. Si vous regardez ma religion comme une trahison, je suis coupable; mais jamais je n'ai commis d'autre trahison que celle-là : Dieu est mon juge.» On le presse de nouveau ; il se proclame innocent du crime de trahison. «Renoncez-vous au Pape ?» lui crie quelqu'un. — «Je suis catholique,» répond Campian. «Votre catholicisme renferme toutes les trahisons », répond une voix dans la foule, pendant que d'autres lui crient de demander pardon à la reine. « — Lui demander pardon ? reprend le martyr ; l'ai-je donc offensée ? Je suis innocent; voilà ma dernière parole, et daignez m'en croire. Quant à prier pour la reine, je l'ai déjà fait et je le fais encore.» «—Pour quelle reine priez-vous?» demande le grand amiral d'Angleterre. — «Pour Elisabeth, votre reine et la mienne», répond le martyr. Le char avance, Campian reste suspendu, le
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bourreau coupe la corde ; les entrailles, le cœur, la tête, tous les membres du martyr paraissent successivement dans ses horribles mains. Brian et Sherwine étaient présents ; on voulut les épouvanter. L'exécuteur étend vers Sherwine ses bras dégouttants de sang : «Tiens à ton tour, lui crie-t-il, recevoir ton salaire.» Le martyr, sans se troubler, l'embrasse avec effusion, et baise ses mains ensanglantées. Le peuple, à cette vue, ne peut contenir son admiration. On voudrait entendre quelques paroles ; Sherwine se contente de confesser son innocence, et de rendre grâce à Dieu. Sir Knowles l'interrompt: « —Assez, assez, reprend Sherwine ; vous et moi nous en répondrons devant un autre juge, près de qui mon innocence sera reconnue. Vous verrez alors que je n'ai point commis le crime dont vous m'accusez. » Sir Howard l'entend prier pour la reine et lui demande si c'est pour Elisabeth: « — Oui, répond en souriant le missionnaire, pour elle-même. Que Dieu en fasse sa servante en ce monde, et, après sa mort, la cohéritière de Jésus-Christ. » Un instant après, le martyr s'écrie : « Jésus, Jésus, Jésus, soyez-moi, — Jésus ! » et reste suspendu à la potence. « —Bon Sherwine ! que le Seigneur Dieu reçoive son âme! » répétait la foule; le bourreau, attendri lui-même, voulut attendre sa mort, pour le mettre en quartiers. Restait Brian, jeune prêtre de vingt-huit ans, aux manières douces et modestes, d'une figure angélique, d'une science profonde. Quand il monte sur le char, les yeux des spectateurs le considèrent avec émotion. L'émotion augmente quand il confesse son innocence et se dit heureux de souffrir la mort pour Jésus-Christ. Quelques minutes après, son corps tombait en pièces sous la hache du bourreau. La vue d'un criminel expiant son crime sur l'échafaud, émeut toujours et attire souvent au coupable, de vraies sympathies ; combien plus quand les suppliciés sont innocents de tout crime et se recommandent par d'héroïques vertus. A la vue du sang qui coule, les catholiques veulent enlever quelque chose des restes des martyrs, on s'y oppose. Un jeune homme laisse tomber son mouchoir dans le sang de Campian ; il est jeté en prison. Au milieu du tumulte, un autre enlève un doigt du jésuite. Un troisième veut en acheter une phalange au prix de l'or ; l'exécuteur
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refuse. Tous ces corps en lambeaux sont exposés, puis brûlés avec les vêtements qui les recouvraient. Le crime était consommé ; à quand l'expiation (1).
100. Une nouvelle victime. Jean Paine, suivit bientôt les trois martyrs. Paine était un missionnaire anglais de Douai. Après quelques mois de détention à la tour, il fut conduit à Chelmsford dans le comté de Sussex. Là, il fut impliqué dans le procès de treize malfaiteurs, mais poursuivi seulement sur le chef de trahison. Un espion de la reine l'accusait d'avoir dit qu'il fallait tuer Elisabeth et la remplacer par Marie Stuart. À cette calomnie effrontée, le prêtre catholique ne peut opposer que le démenti de l'innocence. L'espion insiste ; lui reproche d'avoir traversé le détroit, de s'être fait ordonner prêtre, d'avoir conspiré avec Westmoreland, Allen, Bristow, Tempet ; l'accusé répond que passer le détroit n'est pas un crime, que se faire ordonner n'est pas une trahison, qu'il n'a jamais vu Westmorland et que ses rapports avec d'autres sont étrangers à tout complot. Paine ajoute qu'on ne peut condamner sur la déposition d'un seul et unique témoin, surtout quand ce témoin est un homme infâme, reconnu doublement comme tel, et parce que c'est un apostat, un espion, et parce qu'il a été frappé pour crime de droit commun, par la justice. Les malheureux sectaires, qui composaient le jury, prononcent la peine de mort. Quelques jours plus tard, les gardes traînaient Jean au supplice. Au pied de la potence, le martyr la baise en souriant, monte les degrés de l'échelle; puis, levant les yeux et les mains vers le ciel, au moment où on lui passe la corde au cou, il prononce quelques paroles d'édification ; il proteste de son innocence et demande, à Dieu, pardon pour ses bourreaux. « — Confessez au moins que vous mourrez comme traître », s'écrie lord Rich. « — Je suis innocent de toute trahison, répond le martyr, et je condamnerais mon âme, si je faisais un mensonge en disant le contraire. Je meurs en toute vérité chrétien et prêtre catholique. Aimable milord, persuadez à Sa Majesté de ne pas souffrir que le sang innocent soit répandu davantage ; qu'elle considère que ce n'est pas là une affaire de peu d'importance. En
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(1) Memoirs of missionnary priests, t. I, p. 54 et passim.
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ce moment, quelques voix affirment que le prêtre catholique a confessé sa trahison à une dame Pool. « Je ne connais aucune personne de ce nom, reprend le martyr» un ministre anglican répète qu'il a mis son frère dans la confidence. Dieu bon ! s'écrie Jean Paine ; mon frère a toujours été un ardent protestant; mais jamais il ne parlera faussement de moi ; qu'on l'amène ici, » on l'appelle et on ne le trouve point. La victime expirera sans voir confondre cette imposture. L'échelle se dérobe, le martyr prononce trois fois le nom de Jésus et reste suspendu à la potence.
101. Le 1er avril 1582, Elisabeth adressait à ses sujets une déclaration particulière pour témoigner des intentions rebelles et perfides d'Edmond Campian, jésuite, et d'autres prêtres. Cette déclaration avait pour but de répondre, par des mensonges, aux murmures de la conscience publique et de préparer une nouvelle exécution. Cette fois, on procéda, pour abréger, à grand coups. Le 28 mai suivant, on voyait traîner sur la claie à Tyburn, Thomas Forde, Jean Shert et Robert Johnson. Déjà épuisés par les privations et les souffrances, ils semblaient n'avoir plus qu'un souffle de vie. A l'appel de son nom, Forde se lève et monte dans la charrette ; mais ses jambes fléchissent, il tombe. « —Je suis catholique, s'écrie-t-il en se relevant avec effort ; je suis catholique et je meurs dans la religion catholique.» — Ce n'est pas pour confesser votre religion que vous êtes en ce lieu, répond le shérif; avouez donc plutôt votre crime. « —Il est vrai, réplique Forde, que j'ai été condamné pour une conspiration formée, dit-on, à Reims et à Rome, contre la vie de la reine, mais je proteste que je n'en suis nullement coupable. D'après les dépositions de ceux qui ont imaginé ce complot, il aurait eu lieu la vingt-deuxième année du règne d'Elisabeth ; or, à cette époque, j'étais en Angleterre et j'y suis resté sept ans, sans jamais la quitter. » Un apostat l'accuse, le confesseur repousse la calomnie. «— Je reconnais Elisabeth pour ma souveraine, s'écrie-t-il, et jamais de ma vie je ne l'ai offensée. » Ces paroles achevées, on l'entend répéter : Jésus, Jésus ! et il reste suspendu à la potence. A la vue de son sang qui coule, Jean Shert éclate : « —0 bienheureux Thomas ! ô âme bienheureuse ! que votre sort est digne d'envie !
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sainte mère de Dieu, priez pour moi ! Vous tous, saints du ciel, intercédez pour moi ! » Le shérif lui crie que cette doctrine est fausse et erronée. « — C'est la doctrine bonne et véritable, reprend Jean Shert, pour laquelle je donne volontiers mon sang : 0 Seigneur Jésus ! que la louange et l'honneur vous soient rendus ! Soyez béni de ce que vous daignez m'accorder, à moi votre pauvre serviteur, une mort heureuse et glorieuse pour votre nom, bien qu'aux yeux du monde elle paraisse honteuse et misérable. » Le shérif le presse de demander pardon : « — La demande d'un pardon suppose une offense, répond le martyr; il serait contraire à ma conscience de m'accuser moi-même, puisque je suis innocent. Nous avons été mis à la torture sur cette accusation et on ne nous a point trouvés coupables. Depuis notre condamnation, nous avons été examinés deux fois, ce que jamais l'on n'a fait pour aucun malfaiteur. Quant à ces prétendues trahisons, Dieu en sera juge ; je déclare que j'en suis innocent. C'est pourquoi je refuse de demander pardon d'un crime dont je ne suis point coupable. Que si j'avais manqué à quelque chose, je demanderais pardon au monde entier. — Que pensez-vous de Sa Majesté? —Je pense qu'elle est ma souveraine ; j'ai toujours prié pour sa prospérité et son bonheur. —Ne croyez-vous pas qu'elle est, sous le Christ, le premier chef de l'église d'Angleterre? « — Je rendrai à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. La reine n'est pas, ne peut pas être et personne ne peut être le chef suprême de l'Église d'Angleterre, si ce n'est le pasteur suprême. Cependant le bourreau hâtait ses préparatifs : « —Voilà pour votre salaire, dit le martyr, en lui mettant deux shellings dans la main, et je prie Dieu qu'il vous pardonne. » A ces mots, le bourreau le pend et le met en quartiers. En voyant tomber ses membres sous la hache : « — Je suis catholique, s'écrie Johnson, et si l'on me condamne pour avoir conspiré à Rome contre la vie de la reine, je proteste et déclare que je suis innocent de ce crime. Je ne suis coupable d'aucune trahison.» «—Reconnaissez-vous Elisabeth pour votre légitime souveraine.» «—Je reconnais Elisabeth, comme j'ai reconnu Marie avant elle : je ne puis en dire davantage ; seulement, priez Dieu qu'il lui accorde sa grâce et qu'elle cesse de répandre le
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sang innocent. — Reconnaissez-vous le pouvoir de la reine dans les affaires ecclésiastiques? — Je lui reconnais l'autorité qu'eut avant elle la reine Marie ; ma conscience ne me permet pas de lui en reconnaître davantage. — Vous êtes un traître. — Si je suis un traître, tous vos rois et toutes vos reines l'ont été avant moi ; tous vos ancêtres l'ont été aussi, car telle était leur croyance. Le bourreau lui passe la corde au cou, et, quelques minutes après le coupe en morceaux. Le 30 mai, deux jours après, quand le sang fumait encore sur la place de Tyburn, des soldats y traînaient Filbie, Kirby, Richaddson et Cottam. Filbie n'avait que vingt-sept ans ; déjà sur l'échelle, il priait pour la reine. « Pour quelle reine, demande la foule? — Pour la reine Elisabeth ; je conjure le Seigneur de lui accorder un règne prospère et de la sauver de ses ennemis. — Que Dieu la sauve de l'inimitié du Pape ! — Le Pape n'est pas son ennemi. — Qu'avez-vous dans votre mouchoir ? — Une croix. — Oh le misérable, le traître, il avait une croix ! » Et le bourreau le lance dans l'espace. En montant sur la voiture, Kirby s'adresse aux spectateurs : « 0 mes amis, dit-il, ce n'est point pour une trahison que je suis condamné à mourir ici, mais pour ma foi et ma conscience. 0 Sauveur Jésus ! pardonnez à un pauvre pécheur, toutes ses fautes et ses offenses. — Dieu sauve la reine, reprend le bourreau tenant la tête sanglante de Filbie. — Ainsi soit-il, reprend Kilby. — De quelle reine parlez-vous ? — D'Elisabeth, à qui je prie Dieu de donner un règne long et prospère et de la sauver de ses ennemis. — Dites donc des poursuites et de la puissance du Pape. — Si le Pape pouvait faire la guerre à la reine et la poursuivre injustement, que Dieu la défende aussi contre lui; qu'il la dirige tellement dans ce royaume qu'elle maintienne la religion catholique et hérite en mourant le royaume des cieux. — Pensez-vous que la reine est le chef suprême de l'Église ? — Je suis prêt à obéir à la reine, autant qu'on peut obéir à son prince. » Ces paroles achevées, il est suspendu et coupé à coups de hache. Au même instant Richardson et Cottam s'approchent. « Je vous en prie, dit le premier, ne me troublez pas ; si vous voulez me faire quelques questions, que ce soit sur le sujet pour lequel j'ai été condamné. —
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Que dites-vous? » «— Je prie Dieu de sauver la reine et je déclare en sa présence que je suis innocent, n'étant pas plus coupable de trahison que tous les évêques catholiques qui ont existé dans ce royaume, depuis sa conversion au christianisme, jusque ce jour. » « — Demandez pardon de vos fautes et vous serez délivrés. » « — Je remercie Sa Majesté du pardon qu'elle m'offre ; mais je ne puis ni confesser une chose fausse, ni renoncer à ma foi. » Quelques minutes après son sang était mêlé à celui des autres missionnaires. Une dernière victime attendait; c'était Thomas Cottam, né dans l'hérésie, puis converti, devenu prêtre en France, puis missionnaire. Cottam avait les yeux sur les membres mutilés de ses compagnons : « —0 Seigneur Jésus, s'écrie-t-il, faites-leur miséricorde. Donnez-moi la grâce de mourir comme eux ; donnez-moi la constance. » « — Reconnaissez la reine comme chef suprême en matière ecclésiastique.» «—Ah ! si j'avais voulu ajouter ces mots, il y a plus de deux ans, que je serais en liberté.» « — Vous êtes un traître. » «— Non; c'est là une question de conscience, et si ce n'est pour les questions de conscience et de foi, je n'ai jamais offensé Sa Majesté. Seigneur, j'ai mis mon espérance en vous, et je ne serai pas confondu. » Le bourreau l'attache à la potence, coupe aussitôt la corde, traîne vers le billot la victime vivante, la mutile, lui ouvre le ventre et la poitrine, arrache les entrailles et le cœur qu'il jette au feu, abat la tête et met le reste en quartiers. Le sacrifice était achevé ; l'hérésie comptait sept victimes de plus et l'église catholique autant de nouveaux patrons dans le ciel.