Protestantisme 4

Darras tome 36 p. 247


 III. GUERRE DE TRENTE ANS; PRÉLIMINAIRES, DÉBUTS ET PÉRIODE PALATINE

 

S8. Nous arrivons à l'un des plus grands et des plus tristes conflits des temps modernes, à la guerre de Trente Ans. « Tous les événements importants de cette époque, dit Schiller, tiennent à la réformation de Luther ; s'ils n'en découlent pas toujours directement» ils ont du moins été préparés par elle, et les plus grands comme les plus petits États en ont plus ou moins ressenti l'influence. » Ici cette influence est visible et reconnue de tout le monde. En ameu-

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(1) Racon, Hist. gén. des temps modernes, t. II, p. 118.

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tant les masses contre l'autorité ecclésiastique, le protestantisme a posé le principe de toutes les révoltes contre le pouvoir civil. En Allemagne, il a provoqué précédemment des guerres politiques et des guerres sociales ; aux guerres locales va succéder maintenant la guerre universelle. Malgré tout le sang versé par les hérésiarques, le catholicisme a repris les avantages dans toute l'Europe ; de l'aveu même des protestants, en dépit des divisions et des résistances, l'Église romaine triomphe. Les protestants, vaincus par la contro­verse, par l'enseignement, par le ministère des pasteurs, par l'action des nonces et des princes, désertent le champ des doctrines et en appellent aux armes. « Depuis le commencement des guerres de religion en Allemagne, dit encore Schiller, il ne s'est rien passé de grand, ni de remarquable dans le monde politique qui n'ait été préparé par les guerres (1). » L'unité religieuse du monde chrétien est rompue ; l'unité sociale et politique fait place aux oppositions d'intérêts; les divergences d'idées et les contrariétés d'ambitions amènent des guerres dont l'hérésie est toujours le germe. Schiller, qui comprend peu cette révolution, en a, du moins, parfaitement distingué les causes et mesuré la portée. « C'est la réformation, ajoute-t-il (page 9), qui, par un lien nouveau plus fort que celui de l'esprit national et du patriotisme, réunit d'abord les individus, puis les peuples ; et ce lien, indépendant de tous les intérêts privés, rapprochait ici les nations les plus éloignées, tandis que là il divisait les habitants du même sol, les membres de la même famille. C'est ainsi que le calviniste français se sentait plus près du réformé de Genève ou de l'Angleterre, du protestant de l'Allemagne ou de la Hollande, que de son compatriote catholique. Il cessa donc, sous le point de vue le plus important, d'être citoyen d'un seul État, d'y consacrer toute son attention, toutes ses sympathies; son cercle d'idées s'élargit, il lui fut possible de prendre part à la destinée des pays étrangers, d'y voir l'augure de celle qui lui était réservée, et de rattacher ainsi ses intérêts particuliers à l'intérêt général. Après ce pas immense de l'esprit public (vers l'a division), les princes pouvaient sans crainte demander à leurs sujets de secourir

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(1) Histoire de la guerre de Trente Ans, liv. I, p. 1.

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des coreligionnaires, auxquels on était toujours près à accorder à ce titre, ce qu'on leur aurait refusé à celui d'étrangers et même à celui de proches et bon voisins. L'habitant du Palatinat quitta ses foyers pour aller soutenir le Français contre les ennemis de leur croyance commune, et le Français, devenu, l'ennemi de sa propre patrie, parce qu'elle repoussait la religion qu'il avait adoptée, versa son sang pour la liberté hollandaise. Le Suisse s'arma contre le Suisse, l'Allemand contre l'Allemand; tous s'empressèrent d'aller mourir sur les bords de la Loire ou de la Seine, afin de régler les droits de succession au trône de France ; et le Danois passa l'Eider et le Suédois franchit le Belt pour venir briser des fers qui n'en­chaînaient que l'Allemagne. » Schiller veut prouver que le protes­tantisme abaissa les barrières et amena des relations internationales; il prouve seulement que le fanatisme protestant mit deux partis au sein de tous les peuples et suscita, en Europe, le conflit de deux grandes armées.

 

59. Malgré les retours progressifs du catholicisme en Europe depuis 1560, l'Église avait rencontré partout d'énergiques résis­tances. En Pologne, elle n'avait pu réussir à étouffer le protestan­tisme, parce que le protestantisme avait trouvé un appui dans les États voisins. En Allemagne, une opposition étroitement unie avait combattu les progrès de la propagation du dogme et le retour du sacerdoce catholique. Le roi d'Espagne avait été contraint d'accorder une trêve aux Gueux, trêve qui contenait la recon­naissance implicite de leur indépendance. Les huguenots français étaient préparés contre toute attaque par la possession de nombreuses places fortes, par la réunion de troupes aguerries, par des institutions financières destinées à procurer tous les moyens de défense. En Suisse, l'équilibre s'était constitué entre les deux partis et le catholicisme n'était pas parvenu à le rompre. L'Europe est donc divisée en deux mondes ennemis, qui se mêlent, se limitent, s'excluent et se combattent sur tous les points où ils se touchent. Si nous comparons les situations respectives, l'Eglise représente la plus vaste et la plus forte unité, tandis que le protestantisme n'est qu'un ramas de sectes. La ligue des puissances catholiques a pour

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centre d'union la foi orthodoxe, et pour premier mobile d'impul­sion, le Saint-Siège ; sous l'action pontificale, les inimitiés inté­rieures ont momentanément disparu, et les antagonismes d'intérêts cèdent aux exigences de l'union militaire. Venise et la Savoie manifestent encore quelque antipathie ; une bonne intelligence et même une grande intimité règne entre la France et l'Espagne. Le pape Paul V maintient la paix entre tous les défenseurs de l'Église. Les protestants, au contraire, non seulement ne possédaient aucun centre d'unité et d'autorité, mais, depuis la mort d'Elisabeth, n'avaient même pas, de leur côté, une puissance prédominante. Les anglicans s'isolaient dans leur île. Les luthériens et les calvi­nistes étaient opposés les uns aux autres avec une violence qui les conduisit nécessairement à des mesures politiques toutes différentes. Les calvinistes eux-mêmes étaient divisés entre eux ; les épiscopaux, et les presbytériens, les arméniens et les gomaristes se combattaient avec une haine féroce. Une scission, qui ne put jamais être entiè­rement réparée, éclata dans l'assemblée que les huguenots tinrent en 1611 à Saumur. Ces divisions des esprits reparaissaient dans les lettres : du côté des catholiques, un esprit d'ordre et de régularité dans les formes ; chez les protestants, une littérature de disputes et de combats. Ces tendances des deux mondes intellectuels, se reproduisent dans les sphères de la sociabilité. Les tendances monarchiques prévalent dans l'Église et dans la société civile; les idées de droits populaires, de résistance légale, de souveraineté de peuple, de régicide, sont des théories plus ou moins exploitées par le protestantisme, mais à rencontre des vœux de la civilisation. Les hommes qui font valoir ces thèses ne sont pas les tribuns de la première heure ; ce sont des princes ambitieux ou des aristocrates renforcés qui exploitent, à leur profit, les passions de la multitude. Le protestantisme manque de chefs ; le génie personnel des princes du parti catholique s'accuse avec une évidente supériorité. Le vieil évêque de Vurtzbourg a fait, dans son pays, une tentative éner­gique de réaction ; le prince électoral Schweikard de Mayence exerce les fonctions d'archichancelier avec un rare talent; les deux autres princes électoraux du Rhin sont hommes d'activité et

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de résolution. A leurs côtés s'élèvent Maximilien de Bavière, doué d'un mâle génie, excellent administrateur, dont la tête est remplie des projets politiques les plus grandioses; et l'archiduc Ferdinand, d'une inébranlable fermeté d'âme, basée sur l'ardeur de la foi. Ces hommes éminents sortaient presque tous de l'école des Jésuites, si habiles à éveiller dans l'esprit de leurs élèves, de hautes et vastes aspirations. Ces princes étaient, eux aussi, des réformateurs et ils avaient réalisé par la force de leur foi, la restauration spirituelle que nous avons vu s'accomplir.

 

60. Après la conclusion de la paix d'Augsbourg, la tranquillité parut enfin rétablie dans l'empire ; mais le traité de pacification laissait subsister des germes de discorde qui devaient se développer tôt ou tard, et enfanter des troubles nouveaux. La principale con­testation regardait la réserve ecclésiastique, par laquelle, en aban­donnant aux protestants les évêchés et les abbayes sécularisés avant la paix, les catholiques avaient expressément stipulé qu'il n'en serait plus sécularisé à l'avenir, et que tout possesseur de terres ecclésiastiques immédiatement soumises à l'empire, électeur, évêque ou abbé, qui embrasserait la religion protestante, perdrait par cela seul ses dignités et bénéfices. Cette clause, d'abord admise par les protestants, devint bientôt, de leur part, l'objet des plus violentes réclamations. Ils l'attaquèrent comme destructive de toute égalité entre les Etats des deux communions, comme entra­vant la liberté de conscience, en faisant dépendre l'existence tem­porelle d'un prince ecclésiastique de sa croyance religieuse. Leurs adversaires alléguaient en faveur de la réserve les droits impres­criptibles du clergé catholique aux biens destinés originairement à sa subsistance par l'intention des premiers fondateurs ; ils représen­taient, d'ailleurs, que les protestants permettant le mariage des prêtres, tous les évêchés seraient successivement convertis en prin­cipautés séculières et héréditaires ; ils ajoutaient enfin que les ministres des princes luthériens ayant signé la paix sans protester contre la réserve, ils ne pouvaient opposer un désaveu tardif aux obligations d'un contrat solennel et au respect dû à la foi jurée. Malgré ces objections, les protestants envahirent une foule d'arche-

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vêchés, évêchés et abbayes, Etats immédiats de l'empire. Toute la Basse-Allemagne fut sécularisée en peu de temps ; et, s'il n'en fut pas de même dans la haute, la vive résistance des catholiques, qui s'y trouvaient en majorité, empêcha seule cette révolution.

 

61. Les violations perpétuelles de la réserve ecclésiastique pré­paraient insensiblement de nouveaux orages. Le premier accroc à la paix d'Augsbourg provint du mariage de l'archevêque de Colo­gne, devenu calviniste, avec Agnès de Mansfeld. Le prélat prévari­cateur aurait voulu se maintenir, par les armes, en possession de son archevêché. La guerre civile que firent naître ses prétentions, ne lui fut pas favorable ; Gebhard Truchsess, dut, en 1584, se réfu­gier en Hollande. Les chanoines, qui avaient suivi l'archevêque dans sa défection, se retirèrent à Strasbourg, où ils avaient des pré­bendes et s'emparèrent du chapitre. L'empereur envoie des com­missaires pour déposséder les chanoines usurpateurs ; ceux-ci résistent et nomment un évêque protestant. Nouvelle guerre qui se résout, en 1601, pour les chanoines, par une défaite, pour l'évêque protestant, par une composition. En 1601, des troubles éclatent à Aix-la-Chapelle où des familles protestantes ont envahi la munici­palité, et enlèvent par force la liberté de religion. Les électeurs de Cologne et de Trêves, le duc de Juliers et l'évêque de Liège, chargés de l'exécution impériale, déposent les magistrats religionnaires, et, en 1605, expulsent les protestants de la ville. A Donawerth, en Souabe, les protestants ont acquis une telle prépondérance, qu'ils interdisent la publicité du culte catholique. Les catholiques se plaignent à l'empereur. Un héraut impérial, envoyé pour faire une enquête, est maltraité par la population ; la ville est mise au ban de l'empire, et l'exécution de la sentence est déférée au duc de Bavière. Maximilien, maître de Donawerth, abolit le culte protestant, et, en 1607, pour s'indemniser des frais d'expédition, ote à la ville ses privilèges, son indépendance et la réduit en ville munici­pale de Bavière. Et qu'on ne gémisse pas sur ces répressions, en ar­guant de nos principes libéraux et de nos libres pratiques. A cette date, ces principes n'étaient pas connus ; ou plutôt, ils étaient rece­lés, parce qu'ils ne cadrent pas avec la vérité, la vertu et la jus-

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tice. Les catholiques avaient pour eux le droit; ils le mainte­naient par la force. Les protestants remplaçaient le droit par la violence ; lorsqu'ils étaient devenus les maîtres, ils faisaient, de ce droit usurpé, la même application que les catholiques.

 

62. Les affaires de Cologne, de Strasbourg et de Donawerth, amenèrent les protestants à s'unir pour se faire concéder par force ce qu'ils ne pouvaient espérer de la paix d'Augsbourg. Une convention, conclue à Heilbronn, en 159-1, confirmée à Heidelberg, en 1603, fut, sous le nom d'Union évangelique, renouvelée en 1608, à Aschhausen, en Franconie. L'électeur du Palatinat, le comte palatin de Neubourg, les deux margraves de Brandebourg, le margrave de Bade, le duc Jean-Frédéric de Wurtemberg, les uns luthériens, les autres calvinistes, signèrent, pour eux et pour leurs héritiers, ce traité célèbre. D'après cette convention, les princes unis se devaient conseil et assistance dans toutes les affaires concernant leur liberté religieuse et leurs privilèges comme membres de la diète. Tous s'engageaient pour chacun et chacun pour tous, de secourir celui d'entre eux qui se tiendrait pour vexé par les catholiques, de lui fournir des troupes et d'ouvrir aux siennes les villes et forteresses de tout le territoire de l'Union. Chaque prince se réservait une part de butin, proportionnée aux secours qu'il aurait fournis; la direction de cette alliance était confiée, en temps de paix, à l'électeur du Palatinat, et un fonds social fut déposé pour subvenir aux frais communs. En signant ce traité, valable pour dix ans, les princes unis s'étaient engagés à faire tous leurs efforts pour décider les autres souverains protestants à faire partie de l'alliance. L'électeur de Brandebourg se laissa persuader ; l'électeur de Saxe refusa ; la Hesse, le Brunswick et Lunebourg s'excusèrent ; mais trois villes libres de l'empire, Strasbourg, Nuremberg et Ulm, entrèrent dans l'Union, à la grande satisfaction des princes unis ; car ces riches cités leur promet­taient des secours financiers dont ils éprouvaient le plus grand besoin et faisaient espérer que cet exemple serait bientôt suivi par les autres villes libres de l'empire. Les souverains protestants qui, avant la signature de la convention, n'osaient pas élever la

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voix, parce qu'ils se sentaient isolés et sans force, changèrent tout à coup de conduite et chargèrent le prince Christian d'Anhalt d'exposer énergiquement à l'empereur, leurs plaintes et leurs réclamations. Avant tout, ils exigeaient la réintégration de Donawerth dans ses droits et privilèges de ville libre ; la cessation de toutes les procédures émanées de la cour impériale ; la réforme des conseillers auliques et la révocation de tous les actes émanés de la volonté de l'empereur. En d'autres termes, se sentant forts, ils voulaient révoquer la paix d'Augsbourg et changer la constitu­tion de l'Allemagne.

 

63. Sur ces entrefaites, Jean-Guillaume, duc de Clèves, de Juliers et de Berg, comte de la Marck et de Ravensberg, et seigneur de Ravenstein, mourut sans enfants le 25 mars 1609. De nombreux concurrents, dont nous ne citerons que les principaux, réclamèrent son riche héritage. 1° La maison Albertine de Saxe fondait ses prétentions sur une expectative que l'empereur Frédéric III avait accordée en 1483 au duc Albert sur les duchés de Juliers et de Berg; 2° La maison Ernestine de Saxe alléguait, outre cette même expec­tative, le contrat de mariage de l'électeur Jean-Frédéric (1526) avec la princesse Sybille de Clèves, acte confirmé par l'empereur Char­les-Quint, par le corps germanique, par les États provinciaux des trois duchés, et en vertu duquel ces duchés et leurs dépendances étaient substitués aux descendants de Jean-Frédéric et de Sybille, à défaut d'héritiers mâles du nom de Juliers et de Clèves; 3° Jean Sigismond, électeur de Brandebourg, prétextait les droits de sa femme, Anne de Prusse, nièce du dernier duc de Juliers, et fille de sa sœur aînée. Or, les sœurs de ce prince avaient été déclarées habiles à lui succéder par des lettres-patentes de Charles-Quint (1546) et de ses successeurs (en 1566 et 1580) ; 4° Philippe-Louis, comte palatin de Neubourg, insistait également sur les droits de sa femme, Anne de Juliers, sœur puînée de Jean-Guillaume. Philippe avait de cette princesse un fils nommé Wolfgang Louis.

 

Toute la dispute roulait sur les quatre questions suivantes: 1° Les Etats litigieux étaient-ils des fiefs masculins ou féminins ? 2° L'expectative de la maison de Saxe, qui les supposait masculins,

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devait-elle être préférée à un privilège plus récent : par exemple, à celui de 1546, favorable aux sœurs du dernier duc ? 3° Ce même privilège pouvait-il être opposé au contrat de mariage de 1526? 4° La fille de la sœur aînée pouvait-elle entrer en concurrence avec le fils de la sœur cadette?

 

Tous ces privilèges contradictoires émanant de l'autorité impé­riale, et l'examen des contestations féodales appartenant au conseil aulique, l'empereur était l'arbitre naturel de cet important démêlé. Rodolphe évoque la cause à son tribunal, et ordonne qu'en atten­dant le jugement définitif, la succession sera remise entre les mains de l'archiduc Léopold, évêque de Strasbourg et de Passaw, délégué par l'empereur à cet effet. L'électeur de Saxe, dévoué à la maison d'Autriche, et certain, à ce titre, de la faveur de Rodolphe, sous­crit à cet arrangement ; mais l'électeur de Brandebourg et le comte palatin de Neubourg, qui craignent la partialité et peut-être l'am­bition de l'empereur, refusent de le reconnaître pour juge de leur différend. Divisés d'intérêts, mais réunis par un même danger, ils conviennent à Dortmund de gouverner en commun les trois duchés, et s'engagent à les défendre de concert, jusqu'à un partage absolu et définitif, contre quiconque voudrait leur en disputer la posses­sion. Cependant Léopold ayant rassemblé des troupes pour exécu­ter l'arrêt de séquestre, s'empare de Juliers, et se prépare à chasser les deux princes des pays qui sont en leur pouvoir.

 

Ce débat éveille l'attention de l'Allemagne et même de plusieurs cours de l'Europe. Il ne s'agit pas tant de mettre tel ou tel prince en possession des duchés contestés, que de décider lequel des deux partis, le catholique ou le protestant, s'accroîtra d'un pays aussi considérable, que de savoir si la maison d'Autriche, toujours enva­hissante, s'enrichira de nouvelles dépouilles, et portera le dernier coup par une grande usurpation, à la liberté et à l'équilibre de l'Allemagne. Ainsi, la conduite suspecte de l'empereur a changé la nature de la contestation ; ce n'est plus une question de droit, c'est une querelle religieuse et politique, c'est un intérêt euro­péen (1).

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(I) Ragon, Eist, gén. des temps modernes, t. II, p. 332.

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   64. La situation pénible, qui avait réduit l'Allemagne à avoir toujours la main sur l'épée, se prolongeait depuis un demi-siècle. Durant cette époque critique, les rênes de l'empire passèrent suc­cessivement aux mains de Ferdinand Ier, de Maximilien II et de Rodolphe II. Guidé par les sentiments d'un cœur plus généreux que ferme, Ferdinand était parvenu à conclure la paix d'Augsbourg ; mais, en dépit de ses efforts, après la conclusion du concile de Trente, il ne put rien pour la réunion des deux Églises. Son fils, Maximilien II, avait appris de son père à ménager trop le protes­tantisme ; il continua cette politique incertaine qui sacrifie les principes aux intérêts et l'avenir au présent. Des six fils de Maximi­lien, l'aîné, Rodolphe, reçut presque tout l'immense patrimoine des Habsbourg, trop lourd pour ses faibles mains. « Ce monar­que, dit Schiller, ne manquait pas de vertus ; il eût été révéré et chéri si le sort l'avait fait naître dans une position moins élevée. Son caractère était pacifique ; il aimait et cultivait les sciences : l'astronomie, l'histoire naturelle, la chimie et l'étude des antiques surtout avaient pour lui tant d'attraits, qu'il s'en occupait même dans les moments où les affaires de l'État réclamaient toute son attention et toute sa sollicitude. Ce penchant l'entraînait à des dépenses considérables, qui achevèrent d'épuiser ses finances, tandis que ses études astronomiques ou plutôt ses rêveries astrolo­giques remplissaient son esprit, naturellement sombre et timide, d'une foule de superstitions ridicules et funestes. Toujours préoc­cupé de travaux indignes de sa haute position, et sans cesse effrayé par des prédictions absurdes, il devint bientôt inaccessible à ses sujets. Entouré de minéraux, de fossiles, de médailles, de lunettes d'approche, d'alambics et de fourneaux, il se tenait caché dans son laboratoire, pendant que la discorde (ce mot est significatif sous la plume de Schiller) brisait un à un tous les liens de l'empire et que la révolte grondait jusque sur les marches du trône. Per­sonne, sans exception, ne pouvait l'approcher sans un ordre immé­diat émané de lui ; aussi les affaires les plus urgentes restaient-elles suspendues, et l'espoir du brillant héritage de la monarchie espa­gnole s'évanouit pour toujours : car l'indolent Rodolphe ne pouvait

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se décider à donner sa main à l'infante Isabelle ; d'un autre coté, son insouciance à désigner un successeur au trône impérial plongea l'empire dans une déplorable anarchie (1). » Ce portrait est un peu apprêté ; il pourrait prêter à des surprises. La situation demandait une politique adroite et un bras puissant ; Rodolphe était trop doux de caractère et incertain d'esprit: il oublia que, pour un roi, la première science est celle du gouvernement.

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