Bysance 29

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§ III. L’ORIENT

 

35. Cette notice du Liber Pontiftcalis écrite par un témoin atten­dri nous fait comprendre mieux que les plus éloquents discours combien le pape saint Nicolas Ier mérita le titre de Grand qui lui fut décerné par l'admiration et la reconnaissance du monde chrétien. Quel contraste entre les vertus, la sainteté, l'humilité du grand pape et l'ambition, la bassesse, l'hypocrisie de Photius. En six

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1 Lib. Pontijicalis, S. Nicolaus I Magnus papa 10S. Patr. lai., tom. CXXVIII, col. 1357-1378. Voici l'inscription qui fut placée sur le tombeau du grand pape :

Conditur hoc aatro sacra substantia carnis Prasulis egregii Nicolai dogmate sancto Qui faltit cunctis, muudumque reptevil et urbem Intaclis micuit membris, castoque pndore. Quœ docuit verbis, actuque peregit opime; Sidereœ pleitus mansit doctusque Sophiœ, Cœlorum claris quœ servat régna triumphis, Ut regnet soliis procerum per sœcula nahis.

(Giacoa., Vit. Summor. Pontifie, tom. i, col. Oïû.)

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jours, de simple laïque, Photius avait passé par les ordres inférieurs de la cléricature pour être ordonné patriarche. Michel l'Ivrogne et Bardas, son digne ministre, étaient satisfaits. Leur ancien compa­gnon de débauche prenait rang parmi les princes de l'Église; il ne pouvait pas être pour eux un censeur intraitable, comme l'avait été saint Ignace dont il usurpait le siège. Une pareille intrusion devait avoir les suites les plus désastreuses. Il est à remarquer que le schisme d'Orient, comme la plupart des grandes hérésies qui ont désolé l'Église, a pour berceau l'âme corrompue d'un César adul­tère qui croit légitimer ses désordres en étouffant la voix accusatrice d'un digne ministre de Jésus-Christ, et pour instrument un ambi­tieux sans principes et sans foi. Les germes d'une scission entre Constantinople et Rome existaient, nous l'avons vu, depuis le sesond concile général en381. Mais Photius donna sa formule défini­tive à cette séparation, et l'enfanta avec tous ses périls religieux et politiques. Il arracha la branche du tronc, et la branche languit et dessécha, faute de la sève vivifiante qui n'était qu'à Rome. Il établit une église grecque, lorsque Jésus-Christ n'en a fondé qu'une seule, l'Église catholique, dont l'apôtre saint Pierre a placé le siège à Rome. La division, c'est la mort ; l'unité, c'est la vie. Quand sonnera l'heure du danger pour l'empire byzantin, menacé par le Croissant, on verra les empereurs de Constantinople recourir aux pontifes romains, maîtres de l'Europe, au moyen âge; mais les papes qui, obéissant aux belliqueux instincts de l'Occident, auront pu lancer en Orient de formidables armées pour arrêter les flots envahissants de l'islamisme seront réduits à l'impuissance par la mauvaise foi des Crecs, quand il s'agira de sauver Constantinople du joug de Mohahomet II (1453).

 

   36. Une clameur universelle s'était élevée contre l'ordination sacrilége de Photius. Pour l'apaiser, l'intrus voulut surprendre l'approbation de saint Nicolas Ier. Il lui écrivit une lettre artificieuse, dans laquelle il prodiguait les mensonges et les flatteries. « Quand je songe, disait-il, au lourd fardeau de l'épiscopat, à la faiblesse humaine, à la mienne en particulier, je ne puis exprimer la douleur profonde qui s'empare de mon âme en me voyant engagé sous ce

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joug terrible. Mais l'empereur, humain envers tout le monde, est cruel pour moi seul; les métropolitains assemblés, tout le clergé et le peuple, poussés par je ne sais quelle étrange impulsion, accla­mèrent unanimement mon nom aussitôt que mon prédécesseur eut renoncé à sa dignité. Sans écouter mes excuses et mes instantes supplications, ils m'ont imposé la charge épiscopale; ils m'ont fait violence, ils ont exécuté leur volonté malgré mes larmes et mon désespoir. » Ces protestations hypocrites furent remises au souve­rain pontife par une ambassade de Michel III et quatre évêques grecs. Pour mieux déguiser l'imposture, les députés étaient chargés de solliciter du  pape l’envoi de deux légats en Orient, pour éteindre les restes du parti iconoclaste, qui dans la réalité n'existait plus. La haute prudence de Nicolas Ier et son attachement aux règles canoniques l'empêchèrent de tomber dans un piège si habilement concerté. « Nous ne pouvons en aucune sorte, répondit-il à l’empereur, approuver l’ordination irrégulière de Photius avant que le patriarche Ignace ait déclaré devant nos légats pourquoi il a quitté son siège, et que nous n’ayons approuvé canoniquement nous-même sa déposition, s’il y a lieu. Quand un rapport exact et fidèle nous aura été présenté sur ces faits, nous prendrons la décision la plus favorable au maintien de la tranquillité et de la paix, dans l’Église de Constantinople. » Les légats du saint-siège, Radoald, évêque de Porto et Zacharias, évêque d’Anagni partirent donc pour l 'Orient, avec la mission de faire les informations juridiques (859)). Ce n’était pas que Michel l’Ivrogne s'inquiétât beaucoup de cette affaire. Il passait son temps à table en compagnie de ces bouffons. «Théophile, disait-il en riant, est mon patriarche (c’était le chef de ses compagnons de débauche) ; Photius est le patriarche de Bardas, et Ignace celui des chrétiens. » Ce jugement était plus vrai qu’il ne le pensait lui-même.


37. Photius et Bardas agissaient avec plus de vigueur. Dans l’intervalle de leur ambassade à Rome, ils avaient convoqué un concile à Constantinople. Trois cent dix-huit évêques y assistèrent. On dé­posa saint Ignace sous prétexte que son élection n'avait pas été approuvée par l'empereur. Les légats du pape, arrivés sur ces entre-

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faites, séquestrés de manière que la vérité ne pût arriver jusqu'à eux, circonvenus par les intrigues de Photius, l'homme du monde qui savait le mieux jouer tous les rôles, eurent la faiblesse de trahir leur mandat et de s'associer à la déposition du saint patriarche. Ignace fut amené dans l'assemblée et dépouillé de ses ornements pontificaux. A mesure qu'on lui ôtait le pallium et les autres vête­ments sacrés, les coupables légats répétaient avec tous les évêques la formule grecque de la dégradation : Anaxsios (il est indigne !) Mais Photius, sentant combien cette mesure était irrégulière, inique, voulut obtenir d'Ignace une démission en règle. Le patriarche la refusa énergiquement. On l'emprisonna alors dans le sépulcre vide de Copronyme, dont Michel III avait récemment jeté les cendres au vent. Ignace y fut livré aux plus horribles tortures. Épuisé par les souffrances et la faim, étendu presque sans vie sur le sarcophage impérial, le patriarche vit arriver un homme masqué. Cet homme l'accabla de coups de fouet ; puis il prit la main d'Ignace, plaça de force une plume entre ses doigts et lui fit tracer une croix sur une feuille de parchemin : il porta ensuite ce blanc seing à Photius qui l'attendait ; celui-ci écrivit les mots suivants au-dessus de la signa­ture du martyr : « Moi, Ignace, patriarche indigne de Constantinople, je confesse que je suis entré dans I'épiscopat sans décret d'élec­tion, et que j'ai tyranniquement gouverné l'Église qui avait été confiée à mes soins. » Après avoir lu au peuple cette imposture, Photius en remit une copie aux légats chargés de la porter à saint Nicolas 1er. Ils retournèrent à Rome avec un ambassadeur de Michel III, muni de lettres du faux patriarche et de l'empereur pour le souve­rain pontife.

 

38. « La charité, qui resserre les nœuds de l'amitié et qui dissout les trames de la discorde, disait Photius dans cette lettre, doit écarter à plus forte raison tout ce qui pourrait diviser le père et les enfants. Je vous écris pour me justifier et non pas pour vous contre­dire. Votre sainteté m'a adressé des reproches qui me sont fort sen­sibles ; mais je ne les attribue qu'à son affection personnelle pour moi, et à son zèle pour la discipline de l'Eglise. Il n'en est pas moins vrai que je suis beaucoup plus digne de compassion que de blâme.

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On m'a élu malgré moi ; je pleurais, je réclamais, je m'abandonnais à tout mon désespoir. On m'a donné des gardes, on m'a mis eu prison comme un criminel. J'ai perdu la paix et la douceur de la vie, que je goûtais au milieu d'un groupe d'amis vertueux, dans l'étude de la sagesse et la recherche de la vérité. Vous savez les difficultés du poste éminent que j'occupe, l'indocilité du peuple, son humeur séditieuse, son aversion pour toute supériorité.—Mais, dira-t-on, vous deviez résister à la violence. — Est-ce donc à celui qui la souffre ou à ceux qui la font qu'il faut s'en prendre ? J'ai peut-être résisté plus qu'il n'était convenable. Hélas ! si je n'eusse craint des suites plus dangereuses, j'aurais résisté jusqu'à la mort. — Pourquoi, reprend-on, avoir violé les canons qui défendent d'éle­ver un laïque à l'épiscopat?—L'Église de Constantinople, très-saint père, n'avait pas reçu les canons qu'on dit avoir été violés. Dans l'Occident même, les Latins oseraient-ils condamner saint Ambroise1, la gloire de leur pays? Je ne parle point ainsi dans un esprit d'opposition et de résistance, car j'ai opiné depuis, en plein concile, dans ce sens, et j'ai fait adopter la proposition qu'à l'avenir, dans tout l'Orient, aucun sujet ne fût élevé à l'épiscopat, sans avoir passé par tous les degrés ordinaires de la cléricature 2. Mais, pour le moment, ce serait faire injure à nos pères, de donner un effet rétroactif à une loi récente. » Photius dut triompher avec ses com­pagnons de débauche, au palais impérial, d'une lettre si pleine de fourberie et d'artifice.

 

   39. Les légats qui s'étaient concertés avec cet imposteur ne firent  pas un rapport plus sincère. Ils insistaient sur la sagesse du dernier concile de Constantinople, sur le mérite de Photius, « l'homme le plus extraordinaire, disaient-ils, qui eût illustré l'Orient depuis des 

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' On se souvient que saint Ambroise, gouverneur de Milan, était laïque quand le peuple et le clergé réunis le contraignirent à monter sur le siège apostolique de leur église.

2. On peut remarquer ici combien il eût été sage de s'en tenir toujours, sauf les rares exceptions commandées par un mérite extraordinaire et approuvées par le siège apostolique, à la règle tracée par saint Paul : Nom neophytum ne in superbiam elatus, in judicium incidut diaboli. (Epist. ad Timoth., cap. 111, î 0.)

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siècles, et que l'éclat de son talent avait seul fait choisir, malgré toutes les répugnances de sa modestie. » Nicolas Ier ne se laissa point surprendre à ces impostures. Il écrivit immédiatement aux patriar­ches d'Alexandrie et d'Antioche, ainsi qu'à tous les métropolitains d'Orient, pour leur défendre de communiquer avec l'intrus. Pour punir d'une manière plus éclatante la connivence scandaleuse de ses légats, il réunit un concile à Rome (863). Radoald et Zacharias, convaincus d'avoir indignement trahi leurs devoirs, furent excom­muniés et déposés de l'épiscopat. On annula solennellement le faux concile de Constantinople (839), qu'on traita de brigandage sembla­ble à celui d'Ephèse. La sentence fut portée en ces termes : « Pho­tius, du vivant de notre vénérable frère Ignace, patriarche de Cons­tantinople, a osé usurper son siège, et est entré dans le bercail comme un voleur; il a, contre tout droit et toute justice, fait anathématiser et déposer Ignace dans un conciliabule ; il a violé le droit des gens pour corrompre les légats du saint-siége, et les a obligés non-seulement d'enfreindre, mais de combattre nos ordres; il con­tinue de persécuter l'Eglise et ne cesse d'exercer des traitements barbares contre notre frère Ignace. En conséquence, par l'autorité du Dieu tout-puissant, des apôtres saint Pierre et saint Paul, Photius est et demeure privé de tout honneur sacerdotal. Quant à notre frère Ignace, chassé de son siège par la violence de l'empereur et la prévarication de nos légats, nous déclarons, au nom de Jésus-Christ, qu'il n'a jamais encouru la déposition ni l'anathème, et nous le maintenons dans sa dignité et ses fonctions épiscopales. » Cet acle de vigueur et d'autorité apostolique ne désarma point Photius. Il fabriqua lui-même une épître, qu'il prétendit lui avoir été écrite par Nicolas Ier, et dans laquelle la plus complète approbation était don­née à son ordination et au conciliabule de 839. Mais quelque soin qu'il prit de soutenir cette imposture, elle fut bientôt signalée par l'indignation publique. Le mécontentement alla si loin que Bardas, avec qui elle avait été concertée, se vit obligé de faire une enquête pour donner satisfaction à l'opinion. Il fit publiquement fouetter un moine inconnu que Photius avait choisi pour complice de cette in­digne manœuvre.  L'instrument fut puni par la main même qui

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l'avait employé. Mais on put facilement se convaincre que tout cela n'était qu'un jeu, lorsque, quelques mois après, ce moine obtint par le crédit de Photius la fonction de magistrat chargé de rendre la justice à Constantinople même.

 

40. Photius poussa plus loin l'insolence. En 866, un nouveau conciliabule fut réuni par ses soins à Sainte-Sophie. Le patriarche intrus y prononça une sentence de déposition et d'excommunication contre Nicolas Ier et ses adhérents. Cet attentat inouï contre l'autorité du siège apostolique était appuyé sur mille crimes imaginaires, dont Photius accusait le saint pape. L'empereur Michel l'Ivrogne, tous les sénateurs de Constantinople, trois légats d'Orient, des magistrats, des généraux, et plus de mille évêques et simples prêtres signèrent l'acte de déchéance, qui fut adressé au pape lui-même, à toutes les Eglises d'Asie et aux chrétientés nouvelles que saint Nicolas Ier venait de fonder chez les Bulgares. Photius lança en même temps une circulaire dans laquelle il disait que l’Eglise grecque est la première de toutes les églises et la seule vraie ; qu'elle devait désormais de­meurer détachée de l'Eglise de Rome, « qui a corrompu la pureté primitive de la foi. » Il ajoutait en parlant des Latins: «Des hommes sortis des ténèbres de l'Occident sont venus altérer le dépôt sacré des traditions. S'écartant du chemin de la vérité et s'engageant dans les erreurs impies de Manès, ils prêtendent anathématiser le mariage, institution divine, et l'interdisent à leurs prêtres comme un crime. Les désordres secrets et une sourde immoralité sont le résultat de cette mesure. Le comble de leur impiété est d'avoir ajouté au sym­bole sacré de notre foi des paroles nouvelles : ils ont dit que le Saint-Esprit ne procède pas du Père seul, mais encore du Fils. Ils admet­tent ainsi deux principes dans la Trinité, et confondent les pro­priétés des personnes divines. » On voit que l'événement donnait raison à la haute prudence du pape Léon III, qui avait résisté aux instances des évêques francs, relatives à l'addition inopportune du Filioque. Photius, en terminant sa circulaire, appelle les prêtres catholiques des ministres de l'Antéchrist et des corrupteurs publics. C'était ainsi que Photius répondait par de nouvelles violences à l'in­dignation que les premières avaient excitée contre lui.

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   41. Dès que la nouvelle de la sentence d'excommunication, fulminée par saint Nicolas Ier contre l'intrus, avait été connue à Constantinople, elle y avait produit une immense sensation. Un grand nombre de fidèles se séparèrent ouvertement de la communion du patriarche schismatique. Photius fit punir, comme des rebelles et des séditieux, tous ceux qui faisaient difficulté de le reconnaître. Les évêques catholiques qui osaient lui résister furent déposés de leurs sièges et relégués dans des villes lointaines. Le saint pa­triarche Ignace, toujours proscrit, vit mettre sa tête à prix. Il s'é­tait sauvé, déguisé en portefaix, du palais de sa mère, au moment où des assassins, envoyés par Bardas, allaient l'égorger. Errant et fugitif, il n'échappa que par miracle aux recherches et aux pour­suites dirigées contrelui. Photius, toujours poussé en avant, à mesure qu'il donnait plus libre carrière à ses instincts de haine et de ven­geance, ne se proposait rien moins que la ruine totale de l'Eglise romaine. Il entreprit de séparer de la communion du pape toutes les régions soumises à la domination des Francs, et qui formaient en Occident une portion si considérable qu'on les appelait commu­nément l'empire ou le royaume des chrétiens. Pour gagner l'empe­reur Louis II, il lui avait donné, dans son concile supposé, les titres d'imperator, de César et d'Auguste, sans égard aux prétentions de la chancellerie byzantine, qui, depuis Charlemagne, protestait tou­jours contre ce qu'elle regardait comme une usurpation des rois francs. L'impératrice Ingelberge, qui avait une grande influence sur l'esprit de son époux, y avait été qualifiée d'Auguste et de nouvelle Palchérie 1. Avec les actes de ce conciliabule, il leur envoya des présents et des lettres pleines d'adulation, où il priait Ingel­berge d'employer son crédit près de l'empereur pour l'engager à chasser de Rome Nicolas Ier, comme déposé par un concile oecuménique.


42. Pendant ces négociations, une révolution qui devait avoir

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1 Pulchérie, fille d'Arcidius et épouse de l'empereur Marcien, est honorée comme sainte par l'église grecque. C'est par son influence que furent convo­qués les conciles œcuméniques d'Ephése et de Chalcéoine.

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des résultats immenses se préparait en Orient. L'homme qui devait l'accomplir avait eu une destinée étrange. En 851, un pauvre cap­tif, originaire d'Audrinople, traîné en esclavage par les Bulgares, avait réussi à briser ses fers. Il vint chercher du travail et du pain à Constantinople. Ne possédant rien et n'espérant pas trouver un abri dans quelque hôtellerie de la cité impériale, il se coucha tris­tement, un soir sur les marches de l'église de Saint-Diomède, si­tuée en dehors des remparts. Nicolas, gardien de cette église, vit le mendiant, en eut compassion, et lui donna l'hospitalité. Basile, c'était le nom de l'inconnu, avait appris chez les Barbares l'art de dompter les chevaux les plus rebelles. Michel III, dans son enfance, s'occupait passionnément d'équitation. Il avait dans son écurie un superbe cheval arabe que nul ne pouvait monter. Dans son impa­tience, il donne l'ordre de lui couper les jarrets. Les courtisans par­lent de Basile comme d'un homme capable de dompter le nouveau Bucéphale. Le cheval rebelle est conduit à l'hippodrome, où une foule immense était réunie. Basile flatte d'abord le noble animal, s'en rend maître et termine la course au bruit d'un tonnerre d'ap­plaudissements. Michel III, enthousiasmé, le nomme sur-le-champ son premier écuyer. «Quel habile cavalier on m'a donné là, dit-il à l'impératrice Théodora, sa mère, — Mon fils, répondit la prin­cesse, ce cavalier détruira notre maison. » La prédiction n'excita qu'un sourire d'incrédulité sur les lèvres de Michel III. En 854, le premier écuyer fut nommé grand chambellan. Bardas était pour lui un rival dangereux, Basile persuada à Michel III que ce ministre conspirait et avait formé le dessein d'assassiner son maître. L'em­pereur le crut et résolut de prévenir Bardas en le mettant lui-même à mort. Cet acte de rigueur impériale eût détruit toutes les espé­rances de Photius. Le patriarche intrus mit donc tout en œuvre pour réconcilier Bardas avec Michel l'Ivrogne. Le jour de l'Annon­ciation (866), l'empereur, Basile et Bardas assistaient à la messe, dans l'église de Sainte-Sophie. Après la consécration, Photius, te­nant la sainte eucharistie dans ses mains, fit jurer à l'empereur et au grand chambellan qu'ils n'attenteraient pas à la vie de Bardas. Il trempa ensuite une plume dans le sang de Jésus-Christ et fit si-

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gner à Michel et à Basile une promesse solennelle. Trois jours après, le grand chambellan poignardait Bardas dans l'appartement même de Michel III (7 avril 866), et une année s'était à peine écou­lée lorsque Michel l'Ivrogne tombait lui-même, au milieu d'une orgie, sous le fer de Basile, qui hérita de sa victime (24 septem­bre 807).

 

43. Le nouvel empereur 1 illustra un trône où le crime l'avait fait asseoir. Il réorganisa les diverses branches de l'administration de son empire. La vénalité dans les charges judiciaires disparut; le commerce, l'agriculture, les sciences, les arts, l'industrie fleurirent sous son règne. Des églises, des hôpitaux, des établissements d'ins­truction publique s'élevèrent par ses soins à Constantinople et dans les autres grandes villes. La langue latine, dans laquelle étaient écrites les lois de Justinien, n'était pas la langue de Byzance. Cette circonstance, jointe à la fureur législative, symbole de la décadence des nations, avait jeté le désordre dans la législation. Basile voulut porter la lumière dans ces ténèbres, poser des principes simples, clairs, précis, et rétablir ainsi l'empire de la justice. Il s'occupa d'une nouvelle rédaction du droit alors en vigueur, et substitua à la législation altérée de Justinieri un corps de lois connu sous le nom de Basiliques, qui conservèrent leur autorité jusqu'il l'anéan­tissement de l'empire grec3, époque à laquelle le Coran prit leur place. Deux jours après son avènement, Basile chassa Photius du siège patriarcal, comme perturbateur du repos public. Saint Ignace fut l'appelé, et le schisme parut éteint; mais ce n'était là qu'une halte passagère dans la carrière de Photius.

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1. On l'appela Basile le Macédonien, du nom de la province où il avait été longtemps captif. Nicolas, gardien de l'église de Saint-Diomède, ne fut point oublié par le mendiant devenu empereur. Il devint économe de Sainte-Sophie et syncelle (officier) du patriarche.

2. Eu 1830, le célèbre et malheureux Capo d'Istria chargea une commission de reviser les Basiliques,et les appliqua, en graude partie, au nouveau royaume de Grèce.

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   10. Sur ces entrefaites le nouvel empereur de Constantinople, Basile le Macédonien, envoya à Rome une ambassade dont le chef était un  spathaire impérial portant le même nom que son maître. Il avait pour mission d'apporter au bienheureux pontife Adrien tous les documents relatifs à la cause de l'intrus Photius et du patriarche légitime Ignace, afin que, par un jugement solennel du siège apos­tolique, le conflit fût définitivement terminé soit par la condam­nation soit par la justification irrévocable de l'une ou l'autre partie. Or le vaisseau qui portait les ambassadeurs fit naufrage. Comme par un jugement anticipé de la Providence, le volumineux dossier de Phothius fut englouti par les flots. Tous les personnages que l'intrus envoyait à Rome pour soutenir sa cause périrent à l'excep­tion d'un moine 1 nommé Méthodius. Au contraire le dossier d'Ignace fut sauvé, tous ses délégués ainsi que les ambassadeurs échappèrent au péril et purent arriver au terme de leur voyage. Méthodius les y suivit mais il ne voulut point comparaître au concile romain qui s'assembla pour l'examen de la cause. On lui fit vainement les trois citations canoniques ; il persista à s'abstenir et finit par déclarer qu'il ne voulait ni parler en faveur de Phothius, ni

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1 Le Liber Punlificulls emploie ici une expression plus pittoresque : Xullusrjuc ex yarle ncojihyti nisi munuehn'ui, H<Ikoilius nomine, soltts crosit.

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p513 CHAP.   M.   —   NOÏIOIi   l)U   LlMCli   rONTll'ICALlS.     

 

se soumettre au patriarche saint Ignace. Cette conduite inexpli­cable lui valut une sentence d'excommunication, après laquelle il quitta Rome et retourna à Constantinople.»

 

   11.  « Le spathaire Basile et Jean, métropolitain  de Césarée en Cappadoce, députés impériaux, sollicitèrent une audience du pontife. Le très-saint pape Adrien, entouré des évêques et des princi- paux membres du cierge romain les reçut, selon la coutume, dans le secretarium (sacristie) de Sainte-Marie-Majeure. Après avoir pré­senté les lettres de leur souverain et les offrandes dont ils étaient porteurs, ils rendirent de solennelles actions de grâces au siège apostolique qui avait délivré l'église de Constantinople du schisme et de la tyrannie de Photius. Votre très-dévot fils, l'empereur Basile, et le vénérable Ignace replacé par votre autorité sur son siège patriarcal, dirent-ils, ont trouvé dans les archives de l'église de Constantinople un mémoire rédigé par l'intrus Photius et rempli des invectives les plus grossières contre la sainte Église romaine et contre le très-saint pape Nicolas. Ce libelle infâme a été mis sous scellés, et nous vous l'apportons, à vous, chef suprême de l'Église, qui tenez en vos mains sacrées le pouvoir de lier et de délier sur la terre et au ciel, confié par le Christ lui-même au bienheureux Pierre, prince des apôtres. Daignez, nous vous en prions, le rece­voir et l'examiner avec soin, pour connaître à quel excès d'audace l'hypocrite (versipellis) Photius s'est porté contre la sainte Église de Rome, cette Eglise immaculée sur le front de laquelle l'hérésie ou l'erreur n'ont jamais imprimé une seule ride. Il vous appartient de porter à la connaissance du monde entier la sentence que vous for­mulerez contre le brigandage décoré du nom de synode, présidé par Photius à Constantinople. Il n'a pas craint d'y anathématiser l'Église romaine, le siège apostolique et la personne même du souverain pontife; il croyait ainsi repousser la condamnation deux fois portée contre lui par le successeur de saint Pierre. Dans son conciliabule, il a répété contre notre très-saint pontife Nicolas les blasphèmes et les mensonges les plus horribles. On eût dit qu'il voulait élever la voix jusqu'au ciel et faire entendre ses calomnies jusqu'aux extré­mités de la terre. Nous vous apportons les actes de ce latrocinium,

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p514 roKTiFiCAï d'adhien ji (807-87:2).

 

pour les soumettre à votre examen, afin que l'imposteur soit une troisième fois jugé et condamné par votre autorité apostolique. — En ce moment, le métropolitain Jean de Gésarée alla chercher le volume des actes qu'il n'avait par voulu, par respect pour le souve­rain pontife, apporter d'avance. Il revint avec ce livre, et le jetant à terre ; Sois maudit à Rome, s'écria-t-il, comme tu l'es à Constantinople ! Le protospathaire frappa de son talon et de la pointe de son épée le schismatique libelle, en disant : Je crois que réellement le diable est l'auteur de ce livre, et que ne pouvant ni parler ni écrire lui-même, il a emprunté la parole et la plume de Photius, son complice. Photius l'a fait signer par Michel, dans une nuit de dé­bauches où ce prince était complètement ivre. Il y a joint la fausse signature de notre empereur Basile.  Ce faux est suffisamment prouvé par le fait même du rétablissement du  vénérable Ignace rappelé sur son siège par l'empereur notre maître, lequel d'ailleurs nous a autorisés à prêter en son nom serment sur les saints Évan­giles que jamais il n'a revêtu de sa signature ce livre infâme. Ce n'est pas seulement le nom auguste du catholique empereur que Photius a eu l'audace d'apposer sur son monument infernal; il a contrefait les souscriptions d'une multitude d'évêques absents, et les a jointes à celles de quelques rares complices, car ce prétendu synode, ce conciliabule dont il rédigeait si compendieusement les actes, n'a peut-être pas compté plus de cinq ou six évêques. La ville de Constantinople ne s'est point doutée de sa réunion et les évêques dont les noms y figurent ignorent pour la  plupart son existence. Certaines signatures appartiennent réellement à leurs auteurs, mais Photius les obtenait en disant qu'il s'agissait d'un mémoire à pré­senter à l'empereur. Les autres sont purement et simplement con­trefaites. Pour leur donner quelque apparence d'authenticité, Pho­tius les faisait exécuter par autant de scribes différents qui variaient l'écriture, les uns traçant des caractères très-gros, les autres très-minces. Il espérait, grâce à cet artifice, tromper sûrement et ses contemporains et la postérité. Mais la fraude est maintenant dévoi­lée, et dans le cas où il conviendrait de la constater plus rigoureu­sement, il serait facile d'obtenir la signature vraie des évêques

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p515 .   XI.   —   NOTICE   DU   L1BISK   rONTIKJCAUS.     

 

orientaux et de la confronter avec leur souscription  apocryphe telle que Photius l'a fait placer sur ses registres menteurs. »

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