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L'idée moderne de liberté est donc un produit légitime de l'espace vital chrétien; elle ne pouvait absolument pas se développer ailleurs qu'en lui.
Et il faut même ajouter: on ne peut absolument pas non plus la séparer de lui et la transporter dans n'importe quel système, comme on le voit très clairement aujourd'hui dans la renaissance de l'Islam:
la tentative d'appliquer à des sociétés islamiques ce que l'on appelle des valeurs occidentales en les séparant de leur fondement chrétien méconnaît la logique historique à laquelle appartiennent les valeurs occidentales; c'est pourquoi cette tentative, faite sous cette forme, était condamnée à l'échec.
La construction de la société islamique est théocratique, donc moniste et non dualiste. Le dualisme, qui est la condition préalable de la liberté, suppose de son côté la logique chrétienne.
Cela signifie pratiquement: c'est seulement là où reste maintenue, sous une forme quelconque, la dualité de l'État et de l'Église, de l'autorité sacrée et de l'autorité politique, qu'est fournie la condition fondamentale de la liberté.
Là où l'Église elle‑même devient l'État, la liberté va à sa perte. Mais là où l'Église est supprimée en tant qu'instance publique et publiquement importante, la liberté s'effondre aussi, parce que là l'État réclame de nouveau pour lui seul le fondement du domaine moral.
Dans le monde profane, post‑chrétien, il est vrai qu'il ne le fait pas sous la forme d'une autorité sacrée, mais d'une autorité idéologique, c'est‑à‑dire que l'État devient le Parti, et comme, en face de lui, il ne peut plus y avoir d'instance indépendante, il devient lui‑même de nouveau totalitaire.
L'État idéologique est totalitaire; et il devient obligatoirement idéologique si, en face de lui, il n'y a pas une autorité de la conscience libre et
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publiquement reconnue. Là où une telle dualité n'existe pas, la totalité, le système totalitaire est inévitable.
C'est ainsi qu'est définie la tâche fondamentale de la politique de l'Église, telle que je la conçois: elle doit avoir pour objectif de maintenir cet équilibre d'un système dualiste comme fondement de la liberté.
C'est pourquoi l'Église doit obligatoirement intervenir dans des questions de droit public et ne peut pas se borner à se retirer dans le domaine privé.
Mais c'est pourquoi également il faut qu'elle prenne garde que l'État et l'Église restent séparés et que l'appartenance à l'Église conserve clairement son caractère facultatif.
Politique de l'Église et théologie
--------- l'autorité ecclésiastique ne doit pas devenir, vis‑à‑vis de la théologie, le comité central du Parti qui contrôle l'idéologie en fonction de la stratégie de la prise du pouvoir. L'Église se conçoit bien plutôt, ainsi que nous l'avons établi, comme l'espace vital concret de la raison cherchant à découvrir le sens. --------
----- Il y a donc------- deux formes défectueuses fondamentales possibles. La première se présente si l'autorité ecclésiastique supprime l'autonomie de la théologie et lui laisse seulement la tâche de fournir des documents à l'appui de l'enseignement de l'Église: la théologie serait alors rabaissée à la fonction d'une idéologie de parti.
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Mais il y a également une autre forme défectueuse si la théologie anéantit l'Église ou ne l'accepte plus que comme organisation porteuse sans contenu spirituel.
Elle ne reflète plus alors le fondement spirituel d'une communauté vivante; son sujet, dans ce cas, n'est plus que la raison personnelle du chercheur isolé, et cela signifie, comme il a été déjà exposé, qu'elle devient soit positiviste, soit idéologique.
Mais alors elle cesse d'exister en tant que théologie; autrement dit, lorsqu'elle se rend entièrement autonome, elle ne parvient pas à un degré supérieur, mais elle aboutit à sa propre destruction en tant que théologie.
Lorsqu'une des deux voix, celle de l'autorité ecclésiastique ou celle de la théologie, perd son autonomie, l'autre partie perd également sa valeur essentielle.
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