Darras tome 40 p. 589
L'ouvrage de Lamennais était pour les Bourbons la planche de salut. Avec l'aveuglement et l'obstination qui les caractérisaient, ils ne virent dans l'œuvre du grand apologiste qu'une provocation et y répondirent à la manière des gouvernements qui se sentent incurables, en traduisant l'auteur en police correctionnelle. « Je vais leur apprendre, dit Lamennais, ce que c'est qu'un prêtre. » Le polémiste, à qui ne devait manquer aucune gloire, vit son nom acclamé ; les sympathies du pays l'accompagnèrent à la barre du tribunal. Berryer, dans la première fleur de son éloquence, plaida pour Lamennais ; son plaidoyer fut l'un des plus beaux du célèbre avocat. La salle frémissait d'enthousiasme. Les juges, cloués à leurs sièges, baissaient la tête. Quand Berryer eut fini, Lamennais se leva: « Je dois, dit-il, avec une autorité superbe, je dois à ma conscience et au caractère sacré dont je suis revêtu, de déclarer au tribunal que je demeure inébranlablement attaché au chef légal de l'Église, que sa foi est ma foi, que sa doctrine est ma doctrine, et que, jusqu'à mon dernier soupir, je continuerai de la professer et de la défendre. » Le tribunal condamna Lamennais à la confiscation de son livre et à trente francs d'amendes. Un éclat de rire
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(1) Œuvres complètes, t. V, p. 341.
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accueillit ce courageux verdict; la foule, qui attendait, fit une ovation à Berryer et à son client.
Ce n'était pas assez d'une faute, il en fallait deux. Lamennais avait été condamné le 3 avril 1826 ; dix jours après, quatorze évêques adressaient au roi une déclaration doctrinale, où, prêtant à Lamennais des idées qui n'étaient pas les siennes et en réfutant d'autres que personne ne professait, il renouvelèrent d'une manière spéciale le premier article de 1682 et, d'une manière générale, les trois autres. Renouveler les quatre articles, lorsqu'on est quatorze pour les signer, après toutes les improbations dont les atteint le Saint-Siège, en soi ce n'est ni sérieux ni respectable ; mais déclarer spécialement aux Bourbons l'inamissibilité du pouvoir, à une si faible distance de 1830, on dirait que Dieu, par un coup de tonnerre, a voulu spécialement répondre à ces forfanteries sans doctrine.
Charles X, se sentant mourir, crut pourvoir à son salut en jetant à la Révolution des os à ronger. Deux ordonnances royales expulsèrent les Jésuites de leurs collèges et limitèrent le chiffre des élèves admissibles dans les séminaires. Les évêques réclamèrent de toutes parts; le cardinal Bernetti eut le tort de leur imposer silence. Il ne suffisait pas, pour défendre la Restauration, de combattre ses ennemis, il fallait la combattre elle-même et l'arrêter sur cette pente fatale qui aboutissait aux abîmes. Comme tous se taisaient, Lamennais prit la parole et publia, au commencement de 1829, son magnifique ouvrage : Des progrès de la révolution et de la guerre contre l'Eglise. Les ordonnances de 1828 étaient l'occasion de ce travail ; la pensée de Lamennais porta beaucoup plus haut. Qu'on l'écoute :
« Que la France et l'Europe s'acheminent vers des révolutions nouvelles, c'est maintenant ce que chacun voit. Les plus intrépides espérances, nourries longtemps par l'intérêt ou par l'imbécillité, cèdent à l'évidence des faits, sur lesquels il n'est plus possible à qui que ce soit de se faire illusion. Rien ne saurait demeurer tel qu'il est ; tout chancelle, tout tombe : Conturbatae sunt gentes et inclinata sunt regna. La persécution religieuse à laquelle le pouvoir s'est
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laissé entraîner, et qui dépassera de beaucoup le point où il se flatte de l'arrêter peut-être, donne à ses ennemis la mesure de sa faiblesse et annonce sa ruine ; car toute faction qui a pu dominer le pouvoir, le renversera tot ou tard, et commander c'est déjà régner : le reste n'est qu'une affaire de formes. » — Un peu plus loin : «Lorsqu'en des temps semblables à ceux-ci, un homme isolé, sans appui, se décide à dire la vérité à toutes les forces qui abusent d'elles-mêmes, on doit croire qu'il sait à quoi il s'expose et qu'il est décidé à tout. — Nous demandons pour l'Eglise catholique la liberté promise par la Charte à toutes les religions, la liberté dont jouissent les protestants, les juifs, dont jouiraient les sectateurs de Mahomet et de Bouddha, s'il en existait en France. Ce n'est pas, je pense, trop demander, et vingt-cinq millions de catholiques ont bien le droit de compter aussi pour quelque chose le droit de ne pas trouver bon que l'on fasse d'eux un peuple de serfs, des espèces d'ilotes ou de parias. On s'est trop habitué à ne voir en eux qu'une masse inerte, née pour subir le joug qu'on voudra lui imposer. Le repos de l'avenir exige qu'on se détrompe à cet égard. »
Fières paroles, nobles résolutions ! En jetant à une publicité fiévreuse, cette brochure décisive, Lamennais ne changeait pas sa situation. Dans son précédent ouvrage, il avait assis l'ordre social sur l'ordre religieux et montré que la puissance infaillible et souveraine de la Chaire apostolique est la base dernière des choses humaines. Ici Lamennais pose la notion du devoir sur les croyances : la société spirituelle est, au fond, la seule vraie, puisque nulle autres sans elle ne peut s'établir ni subsister. Le Pape est le chef souverain de la société spirituelle. Contre son pouvoir s'élèvent le gallicanisme, qui pousse au despotisme le pouvoir politique des rois, et le libéralisme qui pousse à la licence les libertés civiles des sujets. Le libéralisme et le royalisme, séparant tous les deux l'ordre temporel de l'ordre spirituel, ne laissent au pouvoir que sa volonté pour règle et consacrent ainsi la tyrannie des rois et la servitude des peuples. Le catholicisme répudie également l'anarchie libérale et la tyrannie gallicane: il résout, par la répudiation de ces deux erreurs, le problème social et politique. C'est pourquoi la révolution
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politique lui fait la guerre, depuis qu'elle a obligé les Bourbons, en 1814, à devenir rois, non par la grâce de Dieu et la volonté nationale, mais par l'adoption des théories révolutionnaires ; dès lors, elle les tient, elle ne les lâchera pas et, à bref délai, elle les brisera. « Chaque jour, dit Lamennais, des voix indépendantes l'annoncent ; elles en indiquent les causes, elles expliquent par quelles voies on y sera conduit. Les révolutionnaires seuls affectent de croire à la stabilité de ce qui est. Ils se rient de la crainte générale qu'inspire leur ascendant toujours plus marqué. Quiconque soulève un coin du voile qui nous cache l'avenir, devient aussitôt l'objet de leurs accusations hypocrites, et, pour eux, prévoir c'est conspirer » (1).
La révolution religieuse ne s'acharne pas moins que la révolution politique. Depuis le XVIIIe siècle, l'Église en France, toujours persécutée, ne fait que changer d'état dans la persécution. Toutes les erreurs qui abusent le pays, ne se contentent pas de déraisonner, il faut encore qu'en persécutant elles découvrent leur néant par leur fanatisme. De là les ordonnances de 1828. On veut amener les catholiques à une sorte d'ilotisme, à un serment du Test en faveur des quatre articles.
Il suit de là, conclut Lamennais, que, soit qu'elle envisage le soin de sa conservation, soit que, portant ses regards sur les intérêts sociaux, elle médite pour les nations des destinées nouvelles, et comme une vaste régénération fondée sur l'ordre et la liberté inséparablement unis, une alliance entre l'Église et le libéralisme, entre l'Église et le pouvoir politique, est également impossible. Exposée à la fois aux agressions des gouvernements, et du parti qui partout s'efforce de renverser les gouvernements, l'Église, pour rester ce qu'elle doit être, sera contrainte de s'isoler de la société politique et de se concentrer en elle-même, afin de recouvrer, dans l'indépendance essentielle à l'accomplissement de ses destinées ici-bas, sa force première et divine, se conserver afin de ramener la foi, préparer la renaissance de l'ordre en ramenant les intelligences à la vérité, telle est la grande, la sublime mission que l'état du
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(1) Des progrès de la révolution, p. 77.
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monde lui impose. De là, nécessité de rapprocher les membres du chef par la répudiation du gallicanisme et nécessité spéciale pour les prêtres de s'appliquer à la culture de la haute science.
« Prêtres du Seigneur, c'est le dernier mot de Lamennais, de vous, de votre constance, dépend le salut de l'Église et des nations assises à l'ombre de la mort. Le sort du monde est en vos mains ; et pour le sauver, que faut-il? Ce qu'il fallut il y a dix-huit siècles: une parole qui parte du pied de la croix... Sortez donc, sortez de la maison de servitude, brisez les fers qui vous dégradent et vous empêchent de remplir, selon toute son étendue, votre céleste vocation; rentrez, par une volonté généreuse, en possession de la liberté que le Christ vous a acquise de son sang. On vous persécutera ; oui, certes, il a été prédit ainsi ; mais ne craignez point ceux qui tuent le corps et ensuite ne peuvent plus rien ; craignez celui qui, après avoir tué, a la puissance de précipiter dans l'abîme (1). »
Telle était, en 1829, la situation. Depuis leur retour, les Bourbons n'avaient rien appris ni rien oublié. L'infatuation du vieux gallicanisme les tenait à la tête. En philosophie, on restait à Descartes ; en théologie, à Bossuet. En vertu de la loi de dégradation continue, Louis XIV, c'était Charles X; Bossuet, c'était Frayssinous ; et Descartes, c'était Vala. Vala était la dernière lumière de l'antique Sorbonne ; les quatre articles étaient le palladium de l'Église et de la patrie. Un séminaire du gouvernement avait charge spéciale d'en fourbir l'enseignement et de former des provins ecclésiastiques pour faire provigner ces semences de schisme et d'hérésie. Un prêtre s'était rencontré pour rompre avec toutes ces traditions de mort; ce prêtre avait été envoyé en police correctionnelle. Cette même année 1829, les évêques faisaient feu sur ce pauvre prêtre dans leur mandement et il fallait que Lamennais, coupable de fidélité à Rome, se défendît publiquement et victorieusement contre Le Pappe de Trévern, Le Groing de la Romagère et même contre Hyacinthe-Louis de Quélen, archevêque de Paris. Les défenses de Lamennais furent triomphantes ; mais déjà tonnait dans le
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(1) Des pronrès de la révolution, p. 179.
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lointain ce tonnerre de la révolution qu'avait tant prédit l'ermite clairvoyant de La Chesnaye.
III.— Les journées de juillet 1830 balayèrent le trône des Bourbons et mirent à sa place le Napoléon de la branche cadette, Louis-Philippe. Cette révolution était le triomphe du libéralisme ; après son opposition, qu'il appelait la comédie de quinze ans, il montait au pouvoir. Ce libéralisme était, aux yeux de Lamennais, le parti de l'impiété et de l'anarchie. Le prince qu'il avait porté au trône vacant se qualifiait lui-même, si l'on peut ainsi dire, de dernier voltairien de son royaume. La Fayette l'appelait la meilleure des républiques. Au fond, le nouveau régime ne devait pas changer grand'chose au train de la vie politique ; il accentuait seulement un peu plus le sens libéral de la constitution et promettait la liberté comme un droit commun des citoyens français. A cette époque, pour briser le joug qui pesait sur la tête de l'Irlande, O'Connell, le libérateur de l'Irlande, jetait aux échos patriotiques le grand nom de liberté. En présence de l'acte d'affranchissement obtenu par O'Connell en 1829, en présence de la constitution de 1830 qui promettait la liberté sous l'égide du droit commun, Lamennais, pourchassé par les gallicans, fit un mouvement sur lui-même et prit position pour la défense de l'Église. Le mouvement de rénovation de nos églises, dont il avait dressé le programme et marqué les diverses étapes, allait, dans une situation périlleuse, avec des principes nouveaux dont on ne voyait pas le danger, s'étendre et préparer pour l'avenir de brillantes conquêtes.
Le 20 août 1830, Lamennais posait avec Gerbet, Rohrbacher, Lacordaire, Montalembert et plusieurs autres, les bases de l'œuvre nouvelle ; le 13 octobre parut le premier numéro du journal l’ Avenir. L’Avenir, ce titre seul était une profession de foi. Une croix lumineuse, élevée sur la Bible et sur les clefs de S. Pierre, composait les armes du journal; c'était le symbole expressif de l'autorité et de la science ; en exergue on lisait ces mots flamboyants : Dieu et la liberté. Le plan du journal est merveilleusement conçu. Par rapport à l'esprit humain en général, pour les questions sociales, en
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matière d'organisation administrative, en économie politique, dans les sciences, dans la littérature, dans les arts industriels, l'Avenir ennemies. annonce un programme que je voudrais pouvoir citer, ne serait-ce que pour montrer de quelle hauteur est descendu le journalisme contemporain. On n'y dit pas, mais on laisse entendre que la France est en république et que l'avenir appartient à la démocratie. « La majorité des Français, disait le prospectus, veut la religion et la liberté. Nul ordre stable ne serait possible, si elles étaient considérées comme ennemies. Les deux principales forces morales, qui existent dans la société, ne sauraient se trouver dans un état de lutte, sans qu'il en résultât une cause permanente de divisions et de bouleversements. De leur union naturelle, nécessaire, dépend le salut de l'avenir. Mais il reste beaucoup de préjugés à vaincre et de passions à calmer. D'une part, les hommes sincèrement religieux ne sont pas encore entrés ou n'entrent qu'avec peine dans les doctrines de liberté. D'autre part, les amis ardents de la liberté n'envisagent qu'avec une sombre défiance la religion que professent vingt-cinq millions de Français. Le moment est favorable pour faire cesser cet antagonisme, car il s'est opéré déjà un changement salutaire dans le libéralisme français. Il existe deux libéralismes parmi nous : l'ancien et le nouveau. Héritier des doctrines destructives de la philosophie du XVIIIe siècle et en particulier de sa haine contre le christianisme, le libéralisme ancien ne respire qu'intolérance et oppression. Mais le jeune libéralisme, qui grandit et qui finira par étouffer l'autre, se borne, en ce qui concerne la religion, à réclamer la séparation de l'Église et de l'État, séparation nécessaire pour la liberté de l'Église et que tous les catholiques éclairés désirent également.
Simple historien, nous n'avons pas encore à apprécier ici les questions de principe ; il ne nous convient pas surtout d'épiloguer, dans le calme du cabinet et le froid de la réflexion, sur des expressions échappées au bruit de la rue, sous l'impression de terreurs qui se changeaient en espérances. Mais, si nous ne voulons pas blâmer, il nous sera permis d'admirer. N'est-il pas, en effet, vraiment admirable de voir ces âmes sacerdotales, à peine la tempête qui
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menaçait leur tête apaisée, se redresser dans leur dévouement pour courir à la défense de l'Église. Le trône, en tombant, a ébranlé l'autel, mais il ne l'a pas renversé. Soldats de l'autel, ils sont là debout pour le soutenir.
Il importe surtout d'entendre comment Lamennais déterminait lui-même sa situation. Dans le premier article de l'Avenir, nous lisons : « Étouffée sous la pesante protection des gouvernements, devenue l'instrument de leur politique et le jouet de leurs caprices, elle périssait si Dieu lui-même, dans les secrets conseils de sa Providence qui veille sans cesse sur la seule société qui ne finira jamais, n'avait préparé son affranchissement ; et le devoir des catholiques est aujourd'hui de coopérer de toute leur puissance à cette œuvre de salut et de régénération. Car, enfin, qu'ont-ils à désirer sinon la jouissance effective et pleine de toutes les libertés qu'on ne peut légitivement ravir à aucun homme, la liberté religieuse, la liberté d'éducation, et, dans l'ordre civil et politique, celles d'où dépendent la sûreté des personnes et des propriétés, avec la liberté de la presse, qui, ne l'oublions pas, est la plus forte garantie de toutes les autres. Souhaiter autre chose, c'est souhaiter l'oppression de l'Église et la ruine de la foi. Voilà ce que tous doivent vouloir, parce que c'est le premier intérêt de tous ; voilà la base sur laquelle les hommes sincèrement attachés à l'ordre peuvent et doivent s'unir de bonne foi et sans ombre de réticence.
« Et qu'on ne s'effraie pas, encore un coup, de ce qu'a de nouveau un pareil état: tout n'est-il pas nouveau, inouï, dans ce qui ce passe depuis quarante ans ? Il y a des époques d'exception où l'on ne doit ni se conduire ni juger d'après les maximes et les règles ordinaires. Lorsque rien n'est fixé dans le monde, ni l'idée du droit et du pouvoir, ni l'idée de justice, ni l'idée même du vrai, on ne peut échapper à une effroyable succession de tyrannies que par un immense développement de la liberté individuelle, qui devient la seule garantie possible de la sécurité de chacun, jusqu'à ce que les croyances sociales se soient raffermies, et que les intelligences, dispersées pour ainsi dire dans l'espace sans bornes, recommencent à graviter vers un centre commun.
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« Saisissons-nous donc avec empressement de la portion de liberté que les lois nous accordent, et usons-en pour conquérir toute celle qui nous est due, si on nous la refusait. Il ne s'agit pas de s'isoler et de s'ensevelir lâchement dans une indolence stupide. Catholiques, apprenons à réclamer, à défendre nos droits, qui sont les droits de tous les Français, les droits de quiconque a résolu de ne ployer sous aucun joug, de repousser toute servitude, à quelque titre qu'elle se présente et de quelque nom qu'on la déguise. On est libre quand on veut l'être ; on est libre quand on sait s'unir, et combattre, et mourir plutôt que de céder la moindre portion de ce qui seul donne du prix à la vie humaine. Il y a des choses du temps, soumises à ses inévitables vicissitudes, il y a des choses éternelles : ne les confondons pas. Dans le grand naufrage du passé, tournons nos regards vers l'avenir, car il sera pour nous tel que nous le ferons. Rallions-nous franchement, complètement, à tout pouvoir qui maintiendra l'ordre et se légitimera par la justice et le respect des droits de tous. Nous ne lui demandons aucun privilège, nous lui demanderons la liberté, lui offrant notre force en échange. Mais, qu'on le sache bien, si, dans l'entraînement d'une passion aveugle, qui que ce soit qui oserait tenter de nous imposer des fers, nous avons juré de les briser sur sa tête ». (1)
Telle est, expliquée par lui-même, la situation de Lamennais. Premièrement, il est pour l'action et n'admet pas, comme le voulaient les légitimistes, qu'on fît le vide à l'intérieur et qu'on s'isolât dans l'inertie; secondement sous une constitution qui se dit libérale, il s'appuie sur la constitution pour revendiquer la liberté de l'Église ; il se fait de la constitution un bouclier et une arme pour le combat ; troisièmement, la raison qui le détermine à ce parti, c'est, outre la nécessité qui l'impose, la volonté d'arracher l'Église à l'oppression gallicane du pouvoir civil; quatrièmement, dans l'émiettement de la société et le désarroi des esprits, il se couvre de la liberté pour se soustraire à la tyrannie des libres penseurs. Tyrannie du libéralisme, tyrannie du gallicanisme : voilà ce que repousse Lamennais. Homme d'action, il s'accommode aux temps et aux circons-
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(1) Du catholicisme dans ses rapports avec la société politique, p. 81.
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tances : il leur emprunte les éléments de la force et les secrets de la victoire. L'Église et le Saint-Siège sont toujours les premiers dans ses amours et dans sa foi : c'est pour eux seulement qu'il se jette dans cette brûlante arène et combat à la fois toutes les tyrannies. La situation de l'Avenir est parfaitement orthodoxe et vivifiée par la vigoureuse piété de tous les rédacteurs.