Persécution en Amérique 1

Darras tome 42 p. 649

 

§ V LA PERSÉCUTION EN AMÉRIQUE

 

49. L'Amérique est relativement un pays neuf ; elle date  de Colomb. En face des pays de la vieille Europe,  tous appelés  

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successivement à la lumière de l'Evangile et soumis à l'autorité de Pierre ; puis plusieurs rebelles à cette autorité bienfaisante et déchues d'autant du Christianisme, l'Amérique, depuis long­temps sauvage, n'est entrée qu'au XVe siècle dans le concert de la civilisation chrétienne. D'abord l'Amérique du Sud fut soumise aux rois d'Espagne; l'Amérique du Nord, au roi d'Angleterre. En 1770, l'Amérique du Nord, proclama son indépendance; en 1822, ce fut le tour de l'Amérique du Sud. Depuis, ces deux immenses continents ont suivi parallèlement, mais en sens con­traire leur destinée. L'Amérique du Nord, livrée à l'anarchie des sectes et à la passion des richesses, a pourtant vu, sous un régime de liberté, prospérer la sainte Eglise; l'Amérique du Sud, catholique en grande partie, sauvage pour le surplus, mais infectée de vieux jansénistes, venus d'Espagne, s'est laissée entraîner, sous l'influence du libéralisme, à l'hostilité contre Rome. Un continent devient plus catholique, l'autre le devient moins; celui-ci descend, celui-là monte ; ici, on s'appuie sur le droit, là, on glisse sur la pente du libéralisme, forme actuelle de l'impiété la plus radicale.

 

Au commencement de ce siècle, l'Amérique du Nord n'avait qu'un évêque et quelques prêtres catholiques. Ce qu'on lit dans la vie des Chevrus, des Dubourg, des Flaget, apôtres de la première ou de la troisième heure dépasse toute croyance ; on n'a pas idée d'une pareille misère. A l'attrait de la croix, les âmes sont venues ; avant la fin du siècle, l'Amérique aura cent évêchés, avec des universités, des séminaires, des écoles, des hospices, des maisons religieuses et tous les organes des plus florissants diocèses. En tournant ses regards de ce côté, le pape ne pouvait que se réjouir à la vue de l'extension du règne de Jésus-Christ : les sièges épiscopaux s'augmentaient, les institu­tions catholiques se multipliaient, les catholiques se chiffraient par millions. Le président Lincoln fit demander au pape la nomination d'un cardinal américain. « Pourquoi pas, répondit Pie IX. Le président est un homme sage et avisé ; il a parfaite­ment raison, j'ai toujours pensé que  Dieu me réservait la con-

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solation de doter l'Amérique de princes. Je voudrais voir un nègre faire partie du Sacré-Collège. Je suis d'ailleurs le premier Pape qui soit allé en Amérique ; je recevrai avec plaisir l'en­voyé du président  Lincoln. »  L'archevêque de New-York, John Mac Closkey fut revêtu de la pourpre en 1875. Les américains, même protestants, furent tellement flattés de l'honneur fait à leur pays, que le nom de Pie IX fut partout comblé de bénédic­tions. En 1877, l'équipage d'un navire américain, de passage à Cività, voulut présenter ses hommages au Saint-Père : « Nous sommes protestants, dirent-ils, mais nous voyons en Votre Sain­teté, la plus haute et la plus noble représentation de l'honneur et de la justice sur la   terre. Nous nous inclinons respectueuse­ment devant vous; nous admirons vos vertus, votre constance, votre sérénité et votre courage sublimes, au milieu des vicissi­tudes qui vous atteignent sans vous faire fléchir. Nous sommes protestants, mais nous adorons le Christ, dont vous êtes le vicaire et nous vous prions de nous bénir en son nom. » A une députation, qui venait lui offrir de nombreux et précieux présents, Pie IX répondit : « Les peuples sont comme les individus. Ils ont leur jeunesse, ils font preuve de  maturité  et  parfois ils arrivent à la vieillesse. Pour vous, vous êtes plus près encore de la jeunesse que de la maturité, et, quand on est jeune, on n'est pas toujours exempt de certains défauts. Le premier sur lequel il faut que le peuple américain s'examine, c'est l'amour immodéré des prospé­rités matérielles, auxquelles on sacrifie parfois les soins que ré­clame l'intelligence et cette âme qui n'est jointe à notre corps que pour lui donner la vie et la lui donner éternellement. Vous avez des richesses en abondance et le travail chez vous les fait surgir facilement de la terre : il faut prendre garde d'avoir pour unique souci de les acquérir. — Le second, c'est un trop grand amour de l'indépendance. Il faut savoir obéir et être soumis. Soyez donc soumis,  courbez-vous sous la douce autorité de la sainte Vierge et sous celle de l'Eglise, pour en apprendre le respect de l'auto­rité. » Et comme ce mot d'indépendance avait fait sourire, le pape reprit avec plus de force : « Oui, ce que j'ai dit, je n'en retire rien

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et je le confirme des deux mains. Veillez à ces deux choses et que la bénédiction de Dieu soit sur vous, sur vos familles, sur votre épiscopat, et sur votre patrie. »

 

50. Au Nord des Etats-Unis, se trouve le Canada, autrefois Nouvelle-France, maintenant dépendance de l'Angleterre. Sous une domination protestante, ce pays est, en grande majorité catholique et catholique de bon aloi. Les populations, surtout les populations des campagnes, possèdent encore un grand fond de foi et de piété ; mais il leur manque une saine direction. Non pas que la direction qu'on leur donne soit mauvaise, mais elle est confuse, embarrassée d'idées contraires et pratiquement entraînée à la dérive par l'esprit de concession au siècIe. Les journaux retentissaient naguère de divisions entre les évêques. Rome, voyant le mal s'étendre sur les hauteurs, dut envoyer, à une ou deux reprises, des délégués apostoliques, pour étudier sur place et proposer des solutions. Mais Rome est loin et les intrigants sont nombreux partout; il peut s'en trouver jusqu'au Canada. Si nous nous en tenons à la logique naturelle, des divi­sions publiques ne peuvent que diminuer, près du peuple, le prestige du clergé. A mesure que son crédit diminue, le prêtre est plus fortement exposé à la séduction des biens de la terre et à la diminution de son influence. L'Université-Laval, qui a obtenu le monopole du haut enseignement, inonde ce malheu­reux pays d'avocats et de médecins presque tous imbus d'idées libérales. La Franc-Maçonnerie, en grande vogue sur les bords des grands lacs et les rives de Saint-Laurent, escompte ce libéralisme imprudent et, grâce à sa protection, avance son travail souterrain. Le principe maçonnique de l'Etat enseignant est presque universellement admis, même de ceux qui devraient le combattre. Par la peur et par l'enseignement, le mal pénètre insensiblement plus à fond. Dès lors, les cœurs s'affaissent, les caractères fléchissent, le sens catholique s'en va, tandis que s'implantent vigoureusement l'esprit d'indifférence et le culte de la matière. Ces déchéances morales s'aggravent par les divi­sions politiques. Les partis se classent suivant les couleurs : les

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rouges, ou francs-maçons ; les bleus ou catholiques libéraux ; et les blancs ou catholiques sans épithète. Des luttes stériles ou plutôt fécondes en haines et en corruption, occupent l'avant-scène de la vie publique. L'activité matérielle ne manque pas d'aliments ; le Canada peut toujours grandir. La réaction morale n'est pas non plus dépourvue d'instruments : l’Etendard Vérité, et la de Québec, sous la direction du vaillant Tardivel, lut­tent bravement contre les mauvais journaux, les mauvais livres, le libéralisme, la franc-maçonnerie, l'ignorance des devoirs sérieux et la fascination des bagatelles terrestres. La Civilta cattlica, l’ Univers, Nouvelles Annales de philosophie les et la Correspondance catholique de Bruxelles portent d'ailleurs jus­que là l'écho de leurs puissantes controverses. Tout n'est pas perdu, tout peut encore être sauvé. Il suffit que Rome veuille et Rome veut toujours : par le choix de quelques évêques intré­pides, Rome fera remonter la pente sur laquelle le Canada glisse vers les abîmes.

 

Un point à noter. Dans une récente controverse, nous sou­haitions, à Saint-Sulpice, de ne pas couler dans le libéralisme ; il nous fut répondu que ce péril n'était pas à craindre. Or, des missionnaires, qui depuis vingt ou trente ans donnent des missions en France, nous assurent que les diocèses où prévalent les idées libérales, sont des diocèses dirigés par des évêques sortis de Saint-Sulpice ou formés par des séminaires sulpiciens. On nous écrit la même chose de Québec : « Générale­ment, depuis 30 ans, ils ont favorisé les idées libérales, dans la lutte engagée ici, comme ailleurs, entre elles et l’ultramon-tanisme; et ils le font encore plus ou moins ouvertement. » Nous souhaitons que nos correspondants s'abusent, mais les pays énervés et menacés de ruines, sont invariablement des pays où régnent l'esprit de modérantisme et cette absurde conciliation où les  méchants ont tout à gagner, et les bons tout à perdre.

 

   51. Dans l'Amérique du Sud, sous ce ciel ardent, sur cette terre féconde, le libéralisme parlementaire, n'est que le masque transparent de la franc-maçonnerie. Cette société secrète s'est

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de longtemps implantée dans ces pays vierges ; plus hypocrite, car elle affecte des airs de religion et même de piété; plus perfide, car sous ces beaux dehors, elle règne en maîtresse dans les conseils des divers gouvernements. Cette perfide et hypocrite conspiration aboutit partout à la persécution de l'E­glise. C'est d'abord la Nouvelle Grenade qui dès 1854, rompt son Concordat et exile son archevêque Emmanuel de Mosquera, doux prélat qui meurt à Marseille en vue de Rome. C'est ensuite la république de Venezuela, qui exile l'archevêque de Caracas et veut, de sa propre autorité, lui substituer l'évêque de Guyana, dans l'espoir que ce vieillard, faible ou ambitieux, n'ap­portera aucun obstacle à ses desseins. Pie IX avec une énergie que tempère la douceur paternelle, exhorte cet évêque à ra­cheter sa faiblesse par une fermeté d'âme apostolique; sa pa­role inspire au prélat, une vigueur céleste. Au Pérou, la guerre civile sert de véhicule à des procédés impies. Au Chili, la paix religieuse semble menacée par une majorité parlementaire qui réclame tout à coup la séparation de l'Etat et de l'Eglise, eu­phémisme qui promet l'asservissement de l'Eglise à l'Etat. Sur l'appel du gouvernement lui-même, Pie IX avait envoyé des missionnaires dans la république Argentine. Furieux de ne pouvoir imposer leurs doctrines et leurs prescriptions, les francs-maçons excitèrent une émeute dans la ville de Buénos-Ayres ; le collège des Jésuites fut pillé, incendié, rasé ; plu­sieurs jésuites reçurent la couronne du martyre. Un incendie avait détruit l'Eglise de Saint-Sauveur; les religieux voulurent la rebâtir ; sur la demande de leur architecte, Pie IX donna son calice et sa tabatière ; le pape suggérait de les mettre en lote­rie pour se procurer des fonds. De son côté, le gouvernement de la république d'Haïti, jaloux de se mettre à la hauteur des autres gouvernements, rompait, en 1875, le concordat conclu en 1860, et s'attribuait le droit de fixer civilement les circons­criptions diocésaines et paroissiales, ainsi que de nommer les hauts administrateurs de l'Eglise d'Haïti. Du golfe de Panama au cap Horn, sur la côte occidentale, l'Amérique n'offrait guère,

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à l'observateur, que le spectacle des combats et les excès de la persécution.

 

52. Qu'un czar soit persécuteur, cela se comprend ; mais qu'un prince catholique le soit, cela se comprend moins : cette anomalie se vit pourtant au Brésil. Le chef de cet empire, qui occupe de si vasles espaces, était don Pedro d'Alcantara. Don Pedro se piquait de supériorilé et, par modestie, dans ses vo­yages, s'intitulait professeur, comme si un chef d'Etat mis au niveau d'un marteleur de chaire professorale, ce n'était pas la marque d'une chute profonde et d'un grand ridicule. Don Pedro était d'ailleurs un esprit bizarre, un caractère absolu : sa joie était de courber les volontés sous ses caprices ; il ne pouvait supporter les résistances d'où qu'elles vinssent et quel qu'en fut le motif. Un beau jour, à Rome, il s'était présenté, à l'au­dience pontificale, dès sept heures du matin, heure indue, pour demander au Pape, la permission de lui présenter Victor-Em­manuel : le pape le renvoya à ses cornues. Un autre jour, il avait invité, à sa table, sans les prévenir de la rencontre, les am­bassadeurs près du Vatican et près du Quirinal : invitation fort incongrue qui ne pouvait amener que des rencontres désagréables. Le Pape, mécontent de ces procédés, interdit au cardinal -serétaire de rendre, à Don Pedro, sa visite. Une autre fois, don Pedro avait accepté d'être parrain d'un enfant du prince royal de Prusse; puis il s'avisa qu'il ne lui convenait peut-être pas, lui catholique, de se porter garant de la foi protestante, et demanda, au Pape, de l'absoudre des censures qu'il avait encourues : «L'empereur eut mieux fait d'y penser avant, répondit le Pape ; cependant mieux vaut tard que jamais. »

 

Un tel chef d'État n'était pas capable de comprendre l'Église, ni digne de la protéger : il tomba dès la première aventure. Jus­qu'en 1872, la franc-maçonnerie était restée au Brésil, à peu près dans les limites de l'innocence. Du moins, elle ne semblait pas se montrer hostile à la foi catholique; elle était même parvenue, sous le manteau de la religion, à s'introduire dans les confréries

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religieuses, dans les chapitres, dans les séminaires et même dans les couvents. Son Grand Maître était devenu premier mi­nistre, la société secrète se crut assez puissante pour lever le masque et jeter, à l'Église, un orgueilleux défi. Le 3 mars 1872, les loges célébrèrent une grande fête en l'honneur du nouveau président du conseil. Un prêtre prit part à cette solennité, pro­nonça un discours en style maçonnique et le publia sous sa signature de prêtre. L'évoque de Rio-Janeiro n'ayant pu l'amener à résipiscence, dut recourir aux censures. Les francs-maçons se crurent offensés; ce fut le signal de la guerre civile. La presse inféodée au maçonnisme, fit feu sur le clergé, sur les évêques et même sur les dogmes catholiques. Malgré l'inter­dit de l'évêque, à Rio-Janeiro même, une messe fut célébrée où les francs-maçons se trouvèrent, revêtus de leurs insignes. Le prêtre officiant ne fut pas inquiété par son évêque; les francs-maçons chantèrent victoire et, poussant leurs menées, firent nommer l'un des leurs président de confrérie de la paroisse épiscopale et défièrent solennellement l'évêque de l'en faire sortir.

 

Dans le diocèse d'Olinda, les choses devinrent plus graves encore. L'évêque était un jeune capucin; lorsque la question commençait, il venait de recevoir la consécration épiscopale. Après sa prise de possession, il adressa, à son clergé, une lettre confidentielle, pour lui défendre de paraître dans aucune céré­monie, même religieuse, annoncée par la franc-maçonnerie. Les feuilles de la secte, pour faire pièce à l'évêque déclarèrent qu'il y avait des francs-maçons dans ses confréries, dans son clergé, et même dans son chapitre; pour que la provocation fut plus directe, ils publièrent les noms de ces affiliés, afin que l'évêque les connut et fut mis en demeure de faire son devoir. L'évêque garda le silence ; il se contenta de commander, pour la réparation des scandales, des prières publiques et attendit l'heure de l'action, — Dans le diocèse de Para et dans plusieurs autres endroits, la secte se livra aux mêmes provocations, aux mêmes insultes envers les personnes, aux mêmes outrages en-

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vers la religion. Dans son audace, elle posait aux évêques, ce dilemme : « Ou faites votre devoir et préparez-vous à la lutte avec toutes ses difficultés et ses souffrances; ou soumettez-vous à la volonté des francs-maçons et laissez-les maîtres dans la maison de Dieu. Les évêques n'hésitèrent pas; ils firent leur devoir et affrontèrent la persécution.

 

L'évêque d'Olinda, fit preuve d'une prudence et d'une fer­meté qui rendra son nom à jamais illustre dans les fastes du Brésil. D'abord, il essaya, par la persuasion, de détacher, de la franc-maçonnerie, les membres des confréries et les prêtres; parmi ces derniers, à l'exception de deux, tous abjurèrent pu­bliquement. Quant aux laïques, plusieurs firent leur abjuration entre les mains du prélat. Le sage évêque prenait cependant conseil de Pie IX, qui loua beaucoup sa sagesse et l'exhorta à continuer. Au contraire, les chefs des confréries, en présence de ces abandons, répondirent par des injures, aux charitables avances de l'évêque. Après trois admonestations inutiles, le pré­lat fut contraint de suspendre les confréries, de leur défendre de paraître aux offices divins comme associations religieuses et de recevoir de nouveaux membres. Enfin il jeta l'interdit sur les chapelles exclusivement dirigées par les confréries francs-maçonnes. Ainsi frappées, les confréries en appelèrent au gou­vernement. Deux mois après, le ministre, au nom de l'Empereur, ordonnait à l'évêque d'Olinda de lever la suspense des con­fréries et l'interdit des chapelles. Le 6 juillet, l'évêque répondit : « Dès que pour obéir aux ordres de sa majesté impériale, il me sera nécessaire de faire le sacrifice de ma conscience d'évêque catholique et de désobéir à l'auguste Vicaire de Jésus-Christ, je n'hésiterai pas un seul instant à répondre avec le grand et saint évêque de Milan : « Si sa majesté l'Empereur me demande mes biens, ma vie même, je mets tout à sa disposition ; mais quant au sacré dépôt qui m'a été confié, et qui appartient à Dieu et à son Église, je ne puis pas le céder, je ne dois pas le céder, je ne le céderai jamais (1). »

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(1) Charles Sylvain, Ilùt. de Pie IX le grand, t. n, p. 320.

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Don Pédro, comme s'il en avait le droit, fit lire devant les con­fréries et dans les chapelles interdites, un décret par lequel il levait l'interdit épiscopal. De plus, pour soulever les curés contre l'évêque, il fit aux curés des procès, retint le traitement des prêtres fidèles et graissa la patte aux prêtres frappés de censu­res. Enfin, pour mettre le comble à l'indignité, deux évêques furent déférés aux tribunaux. Le premier, l'évêque d'Olinda, Mgr d'Olivoira, voulut que la violence fut constatée. Quand ils vinrent pour l'arrêter, le 2 janvier 1874, les agents de police le trouvèrent dans sa chapelle, revêtu de ses ornements pontificaux, entouré de son clergé. D'un geste, il les arrêta sur le seuil de la maison de Dieu et calme, mitre en tête, crosse à la main, leur adressa la question de Jésus-Christ au jardin des Olives : Qui cherchez-vous? A cette demande, ces hommes hési­tent, puis, d'une voix tremblante, lisent à l'évêque l'ordre légal d'arrestation. En présence de son clergé, l'évêque protesta, fit dresser acte de sa protestation et ordonna également à son chancelier de constater que le prélat ne cédait qu'à la violence. Au tribunal, l'évêque garda la même dignité : il se présenta de­vant les juges, revêtu du rochet, de la mozette et de la croix épiscopale. Pendant l'interrogatoire, il garda le silence, et pour marquer à quelle intention, il écrivit à l'Empereur celte lettre expressive : Sire, Jésus autem tacebat. Fr. Vital, évêque, fut con­damné à quatre ans de travaux forcés. A lecture de la condam­nation, le public applaudit l'évêque, et à sa sortie le prélat fut couvert de fleurs. En prison, Mgr d'Oliveira refusa de se dépouil­ler de ses vêtements ecclésiastiques pour prendre ceux des galé­riens; nul n'osa porter la main sur l'oint du Seigneur; le gouver­nement, vaincu, commua la peine en une simple détention, et après deux ans, l'empereur, cédant à la pression de l'opinion publique, fit grâce du reste.

 

La même procédure fut suivie envers Mgr Maceda, évêque de Para. Le gouvernement du Brésil avait envoyé un ambassadeur au Pape ; le Pape refusa de se laisser tromper et notifia, le 27 JuilleL 1873, que les francs-maçons du Brésil étaient excom-

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muniés comme tous les francs-maçons de l'univers; il réprouva, en même temps, ces hommes pervers et les ministres qui se mon­traient cruels envers les évêques, pour soutenir des sectaires condamnés par l'Église. En 1875, lorsque les évêques furent graciés, Pie IX consentit à lever les interdits. Les francs-maçons avec leur bonne foi ordinaire, prétendirent que l'indulgence du Saint-Siège était octroyée sans condition ; qu'elle impliquait, par conséquent, la condamnation des évêques et le triomphe de la franc-maçonnerie. De leur côté, les catholiques soutinrent avec raison, que l'interdit n'avait été levé que dans les condi­tions de droit et que cette faveur, pour sortir son effet, empor­tait l'exclusion des francs-maçons des confréries religieuses. Le 9 février 1875, le Pape dans une lettre à l'Empereur, confirma la juste interprétation des catholiques, et, le 20 avril 1876, en fit part aux évêques de Brésil. L'affaire entra dès lors dans la caté­gorie des affaires diplomatiques. Les deux confesseurs de la foi vinrent à Rome : Pie IX sut trouver, pour eux, des paroles di­gnes de leur courage et leur témoigna des attentions pater­nelles bien faites pour adoucir leurs souffrances.

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