Bysance 3

Darras tome 15 p. 227

 

p227 chat. IV. — conversion des rois ariens d’Espagne. 

   

   35. L'apocrisiaire du saint-siége à Constantinople dut mettre toute son influence au service de l'évêque ambassadeur, pour intéresser l'empereur Tibère, qui vivait encore, à la cause d'un prince persécuté par son père en haine du catholicisme. La cour de Byzance avait conservé en Espagne quelques possessions maritimes gouvernées par un préfet. Ce dernier reçut l'ordre de soutenir la cause d'Herménégild, et d'envoyer au besoin les troupes grecques à son secours. Mais l'or de Leuvigild et de Goswinthe fut plus puissant sur le cupide fonctionnaire que les instructions impériales. « Au prix de trente mille solidi d'or, dit Grégoire de Tours, la tra­hison fut consommée. Dès l'abord, et avant d'en appeler aux armes, Leuvigild avait fait dire à son fils : Viens me trouver ; j'ai à t'entretenir de choses graves. — Le jeune prince lui fit répondre : Je n'irai point à cette conférence 2. Je sais que vous êtes irrité contre moi parce que je suis catholique. » — Après cette rup­ture en forme, les deux armées marchèrent l'une contre l'autre, et l'on vit un roi parricide commander les troupes destinées à massacrer son fils. Herménégild comptait sur les Grecs auxiliaires qui avaient rejoint son camp. Mais soudain ces traîtres lâchèrent pied, et passèrent à l'ennemi. Le malheureux prince rentra pré­cipitamment à Séville et se jeta dans une église, croyant y trou­ver un asile inviolable. Ingonde s'enfuit, passa en Sicile, puis en Afrique, où elle mourut de misère et de faim. Son fils, le jeune Athanagild, réclamé au nom de l'empereur Tibère par le perfide préfet, fut embarqué pour Constantinople, où il termina obscu­rément sa vie. Quant à Herménégild, son frère Récarède vint lui dire : Notre père m'envoie près de toi ; il te fera grâce si tu veux te prosterner à ses pieds et lui demander pardon. — Trompé

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par ces avances, que Récarède lui-même croyait sincères, le roi vaincu donna sa promesse. Leuvigild parut ; son fils se jeta à ses pieds, le vainqueur le releva, l'embrassa sur les deux joues et l'em­mena dans son camp. Mais ce n'était qu'une nouvelle perfidie. A peine entré sous la tente royale, Herménégild fut dépouillé des insignes de son rang, et séparé de tous ses serviteurs. Transporté ensuite à Valence, il fut jeté au fond d'un cachot 1. « La prison devint pour lui le vestibule du ciel, dit saint Grégoire. Comme si le poids des chaînes n'eût pas suffi à ses mains habituées à porter le sceptre, il voulut, prisonnier du Christ, se couvrir le corps d'un cilice, cherchant force et courage dans la prière qu'il adressait sans cesse au Dieu tout-puissant, et méprisant d'autant plus le monde qu'il était lui-même un vivant exemple de sa fragilité. Or, aux approches de la solennité pascale, son père, ou plutôt son bour­reau, lui envoya un évêque arien chargé de lui offrir une commu­nion sacrilège, au prix de laquelle on lui promettait l'oubli du passé et la restitution de son trône. Le captif, dominant son in­terlocuteur de toute la sublimité d'une âme que la foi fait libre, lui reprocha sa perfidie et la lâcheté de son rôle. L'évêque arien sortit sans avoir pu vaincre sa généreuse résistance. A cette nou­velle, Leuvigild dépêcha sur-le-champ des meurtriers qui égor­gèrent son fils dans la prison même2. » (Samedi saint, 13 avril 58G.)

 

    30. « Les miracles ne manquèrent pas au cachot du roi martyr, continue saint Grégoire le Grand. Au milieu du lugubre silence qui suivit l'exécution, des concerts angéliques se firent entendre ; on dit que la prison fut soudain illuminée comme par l'éciat de lampes invisibles. Le tombeau d'Herménégild devint l'objet d'un culte public. Les remords pénétrèrent enfin dans le cœur du roi parricide; il déplorait son crime, mais il n'osa cependant point rompre avec l'arianisme, ni réparer ses forfaits par une pénitence efficace. Sur son lit de mort, il rappela d'exil saint Léandre et lui recommanda Récarède, son fils et successeur, le priant de reporter

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sur lui l'amour qu'il avait eu pour Herménégild. Ayant ainsi parlé, il mourut. Récarède, à peine monté sur le trône, s'empressa d'ab­jurer l'hérésie; son exemple ramena toute la nation des Visigoths à la vraie foi 1. » Cet heureux retour d'un peuple entier au sein de l'unité catholique était dû, dans une certaine mesure, à l'influence d'une princesse d'origine franque, Rigonthis, épouse de Récarède et sœur de Clotaire II. Il fut consommé dans un concile national, le IIIede Tolède, composé de soixante-dix-huit évêques, sous la présidence de saint Léandre. Le roi, entouré de ses guerriers, prit séance et déclara que l'illustre nation des Goths, séparée jusqu'alors de l'Église universelle par la malice de ses docteurs, revenait à l'unité et demandait à être instruite dans toute l'orthodoxie de la doctrine catholique. Il remit ensuite à Léandre sa profession de foi écrite de sa main, signée par huit évêques jusque-là ariens, et ac­ceptée par la noblesse et tout le peuple. De ce jour date véritable­ment la monarchie si longtemps glorieuse de la catholique Espagne. Récarède voulut recevoir l'onction royale des mains de saint Léandre. (589.) « Maintenant que, par la miséricorde du Christ, la paix nous est enfin rendue, dirent les évêques, le saint concile déclare rétablie en Espagne l'autorité des anciens canons et la vénérable discipline de l'Église. Les constitutions des précédents conciles et les épîtres synodiques des saints évêques de Rome reprendront toute leur vigueur 2. » Après cette déclaration préa­lable, on formula une série de vingt-trois chapitres (capitula) disciplinaires, que Récarède souscrivit en ces termes : « Flavius Récarède, roi, j'ai signé en la confirmant cette délibération définie avec le saint synode3. » Un édit royal, promulgué en même temps, donnait force de loi aux ordonnances du concile dans toute l'éten­due de l'Espagne, sous peine pour les contrevenants de confisca­tion de leurs biens, de l'exil ou d'une simple amende, suivant la gravité des cas. Tous les nobles voulurent, avec le roi, signer ces constitutions, et le peuple s'y unit par des cris d'enthou-

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siasme. Prêtant sa voix à l'allégresse unanime, saint Léandre, dans le discours de clôture, s'écriait : « La joie de cette solen­nité dépasse celle de toutes nos autres fêtes ; l'Église voit en ce jour se presser sur son sein des peuples qui la déchiraient naguère, et dont la cruauté s'est changée en amour. Nos persé­cuteurs d'autrefois sont devenus par leur conversion notre cou­ronne. Tressaille d'allégresse, réjouis-toi, et chante, ô sainte Église de Dieu ! lève-toi dans la splendeur de ton unité, ô corps mystique de Jésus-Christ ! revêts-toi de force dans la jubilation du triomphe, parce que tes larmes ont été changées en joie, tes habits de deuil en vêtements de gloire. Ne pleure plus la mort de tes enfants immolés ; il t'en revient d'autres par centaines de mille. Ceux-là furent la semence, ceux-ci sont la moisson. Et ce qui se passe parmi nous, se réalisera dans tout l'univers. Je n'en doute pas, le monde entier est fait pour croire au Christ, et pour s'identi­fier dans l'unité de la catholique Église. S'il est encore, dans de lointaines contrées, des races barbares que le rayon du Christ n'ait point illuminées, leur jour viendra, et elles croiront. C'est à l'Église et à son Christ que le Seigneur disait par la bouche du prophète: « Je te donnerai pour héritage les nations , l'étendue de la terre pour royaume 1. » — « Gloire donc à Dieu dans les hauteurs célestes, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté2! » Devenus en ce jour, dans l'unité d'un même cœur et d'une même foi, les fils du royaume de Jésus-Christ, que nous reste-t-il à faire? sinon à prier le Seigneur pour la stabilité du royaume terrestre, en attendant la félicité du royaume des cieux, afin que, rois et peuples, après avoir glorifié le Christ ici-bas, nous soyons tous couronnés par lui dans les siècles éternels3.» 


© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon