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CHAPITRE XXI.
Troisième promesse de Dieu qui assure à Abraham et à sa postérité la possession perpétuelle de la terre de Chanaan.
Lorsqu'ils se furent séparés, non par suite de honteuses discordes, mais pour pourvoir aux exigences domestiques, et qu'ils habitèrent chacun de leur côté, Abraham dans la terre de Chanaan et Lot chez les Sodomites; le Seigneur fit entendre, pour la troisième fois, sa parole à Abraham : « Regarde, lui dit‑il, regarde bien, du lieu où tu es, au Nord et au Midi, à l'Orient et à l'Occident, car je te donnerai pour toujours, à toi et à tes descendants, toute la terre que tu vois, et je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les grains de sable de la terre. Si quelqu'un peut compter les grains de sable de la terre, il pourra aussi compter ta postérité. Lève-toi et parcours cette terre dans sa longueur et sa largeur, car je te la donnerai. » (Gen. xiii, 14 etc.) On ne voit pas clairement si cette promesse renferme aussi celle qui le rend père de toutes les nations. Les paroles suivantes pourraient pourtant le faire croire : « Etje rendrai ta postérité aussi nombreuse que les grains de sable de la terre; » cette manière de parler que les Grecs appellent Hyperbole, est tout à fait métaphorique et dépasse le sens propre. Et tous ceux qui ont quelque connaissance de l'Écriture, savent qu'elle emploie communément cette figure, comme toutes les autres. Or, ce trope ou cette manière de parler, signifie que l'expression dont on se sert est beaucoup au‑dessus de la chose pour laquelle on l'emploie. Qui ne voit, en effet, qu'ici le nombre des grains de sable est incomparablement plus grand que ne peut l'être celui de tous les hommes, depuis Adam lui‑même jusqu'à la fin du monde? Combien donc est‑il plus grand que la postérité d'Abraham, sans parler seulement du peuple d'Israël, mais même encore de ce peuple qui suit et qui suivra l'exemple de sa foi, dans toutes les nations de la terre? Cette postérité, il est vrai, est peu nombreuse, en comparaison de la multitude des impies; et cependant elle constitue cette multitude innombrable figu-
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rée hyperboliquement par les grains de sable de la terre. D'ailleurs, cette multitude promise à Abraham, n'est qu'innombrable aux hommes, elle ne l'est pas à Dieu, car il sait même le nombre des grains de sable de la terre. Et comme cette promesse regarde non‑seulement le peuple d'Israël, mais toute la race dAbraham, selon l'esprit et non selon la chair, on peut croire qu'elle s'applique aux deux postérités, ainsi elle aura plus de rapport avec la comparaison de la multitude des grains de sable. Mais, comme je l'ai dit, il n'est pas évident qu'il en soit ainsi, d'autant plus que cette seule nation qui, selon la chair, est sortie d'Abraham, par son petit-fils Jacob, s'est tellement multipliée, qu'elle s'est répandue dans presque tous les pays du monde. Ainsi, par elle‑même, elle pourrait suffire à justifier l'hyperbole des grains de sable, car cette seule nation est innombrable pour l'homme. D'ailleurs il est certain qu'il est question ici seulement de la terre de Chanaan. Cependant dans ces paroles : « Je la donnerai à toi et à ta race jusqu'à la fin des siècles, » peuvent faire naître quelques doutes dans l'esprit de certains, si par «Jusqu'à la fin des siècles, » on doit entendre éternellement. Mais, si on entend ces mots comme nous et selon la foi, c'est-à‑dire pour le siècle futur qui commencera à la fin des temps, il n'y aura plus de difficulté; car, bien que les Israélites soient chassés de Jérusalem, ils demeurent toutefois dans les autres villes de Chanaan et y demeureront jusqu'à la fin ; et si toute cette terre est habitée par les chrétiens, c'est encore la postérité d'Abraham qui l'habite.
CHAPITRE XXII
Victoire d'Abraham sur les ennemis des Sodomites; il délivre Lot de leurs mains; il est béni par le prêtre Melchisedech.
Après avoir reçu cette promesse, Abraham s'en alla séjourner dans un autre endroit de la même contrée, près du chêne de Mambré, en un lieu qu'on appelait Hébron. (Gen. xiii, 18.) Ensuite, lors de la guerre de cinq rois contre quatre, les ennemis envahirent le territoire des Sodomites et les ayant vaincus, ils emmenaient même Lot comme prisonnier; mais Abraham arrivant avec trois cent dix‑huit des siens, le délivra et rendit la victoire aux rois de Sodome, sans vouloir rien accepter des dépouilles
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que lui offrait le roi devenu vainqueur par son secours. C'est alors qu'il fut béni par Melchisédech, prêtre de Très‑Haut (Gen. xiv, 18), dont il est longuement et magnifiquement parlé dans l'épître aux Hébreux, qu'un grand nombre, malgré l'opinion de quelques‑uns, attribuent à l'apôtre Saint‑Paul. (Heb. vii, 1.) Alors se révèle, pour la première fois, la(e) sacrifice que les chrétiens offrent maintenant à Dieu par toute la terre, pour accomplir ce que, longtemps après, le prophète dit au Christ, avant son incarnation : « Vous êtes prêtre à jamais, selon l'ordre de Melchisédech. » (Ps. cix, 4.) Il ne dit pas selon l'ordre d'Aaron; cet ordre devant disparaître à la lumière de la vérité figurée parces ombres.
CHAPITRE XXIII.
Parole du Seigneur à Abraham, il lui promet une postérité aussi nombreuse que les étoiles; le patriarche, bien qu'encore incirconcis, est justifié par sa foi.
Alors, Dieu fit de nouveau entendre sa parole à Abraham dans une vision; (Gen. xv, 1 etc.) il lui promit sa protection et une insigne récompense; mais celui‑ci inquiet de sa postérité, se plaignit de n'avoir pour héritier qu'un certain Éliézer, son serviteur; et aussitôt Dieu lui promit pour héritier, non ce serviteur, mais un fils qui naîtrait de lui ; l'assurant de nouveau qu'il aurait une postérité innombrable, non plus comme le sable de la terre, mais comme les étoiles du ciel. Il me semble qu'ici la promesse regarde plutôt l'éminente gloire de sa postérité dans la félicité du ciel. En effet, quant au nombre, que sont les étoiles du ciel, en comparaison du sable de la terre, à moins que cette comparaison ne signifie la même chose que la précédente, puisqu'on ne pourrait non plus compter les étoiles? On ne saurait même les voir toutes, car on en voit d'autant plus que la vue est plus perçante; d'où l'on conclut avec raison que plusieurs restent cachées aux meilleures vues, sans parler de ces astres qui, dans l'autre partie du globe, se lèvent et se couchent trop loin de nous. Enfin, ceux qui se vantent d'avoir compté et mis en ordre toutes les étoiles, comme Aratus, Eudoxus et d'autres peut‑être encore, sont confondus par la condamnation qui résulte de l'autorité des Saintes‑Écritures. Au reste, c'est ici (Gen. xv, 6) que se trouve cette parole dont l'Apôtre fait mention pour glorifier la grâce de Dieu : « Abraham crut à Dieu et sa foi lui fut imputée à justice. » (Rom. iv, 3) Il ne veut pas que les juifs se prévalent de la circoncision, pour refuser d'admettre les incirconcis à la foi
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de Jésus‑Christ, car Abraham n'avait pas encore été circoncis, quand sa foi lui fut imputée à justice.
CHAPITRE XXIV.
De la signification du sacrifice qu'Abraham recut l'ordre d'olfrir, après avoir demandé à être éclairé sur ce qu'il croyait.
1. Dans cette même vision, Dieu lui dit encore : « Je suis le Dieu qui t'ai tiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre qui sera ton héritage. » (Gen. xv, 6.) Et comme Abraham désirait savoir à quoi il reconnaitrait qu'il en serait héritier, Dieu lui dit : « Prends‑moi une génisse de trois ans, une chèvre et un bélier du même âge, avec une tourterelle et une colombe. Il prit tous ces animaux et après les avoir partagés par le milieu, il les plaça en face l'un de l'autre, mais il ne partagea point les oiseaux. Et les oiseaux de proie vinrent fondre sur les corps divisés et Abram s'assit auprès d'eux. Or, vers le coucher du soleil, Abram fut saisi d'effroi et la crainte répandit sur lui comme de profondes ténèbres, et il lui fut dit : Sache que ta postérité sera errante sur une terre étrangère, réduite en servitude et accablée de maux pendant quatre cents ans; mais j'exercerai ma justice sur la nation qui l'aura opprimée. Ils sortirent ensuite de cette contrée avec un riche butin. Pour toi, tu iras en paix rejoindre tes pères, après avoir passé une heureuse vieillesse. Mais tes descendants ne reviendront ici qu'à la quatrième génération, car les Amorrhéens n'ont pas encore comblé la mesure de leurs iniquités. Au soleil couchant, une flamme s'éleva et c'était une fournaise ardente, et des éclairs brillants passèrent au milieu des animaux divisés. Ce jour‑là, le Seigneur Dieu conclut une alliance avec Abram et lui dit : Je donnerai à ta race cette terre qui s'étend depuis le fleuve d'Égypte, jusqu'au grand fleuve de l'Euphrate; je lui donnerai le territoire des Cénéens, des Cénézéens, des Admonéens, des Céthéens, des Phérézéens, des Raphaîms, des Amorrhéens, des Chananéens, des Evéens, des Gergéséens et des Jébuséens. » (Gen. xv, 9 etc.)
2. Toutes ces choses se dirent et se passèrent miraculeusement dans cette vision, mais vouloir les élucider toutes en particulier serait trop long et dépasserait le but de cet ouvrage. Il nous suffit de savoir que, d'après le témoignage de l'Écriture; « Abraham crut à Dieu et sa foi
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lui fut imputée à justice; » le patriarche n'eut point de défaillance dans sa foi, pour dire : « Seigneur souverain , à quoi reconnaitrai‑je que je serai l'héritier de cette terre? » (Gen. xv. 8.) Car cet héritage lui avait été promis. Or, il ne dit pas : comment saurai‑je? comm s’il ne croyait pas encore; mais il dit : « à quoi reconnaîtrai‑je? » afin qu'on lui donne un signe auquel il reconnaitra la manière dont se passera le fait qu'il croyait. De même la vierge Marie ne conçut aucun doute, en disant : « Comment cela se fera‑t‑il, car je ne connais point d'homme? » (Luc, 1, 341.) Elle était certaine du fait futur, mais elle s'informait de la manière dont il devait s'accomplir. Et aussitôt, l'ange lui fit entendre cette réponse : « L'Esprit‑Saint surviendra en vous et la vertu du Très‑Haut vous couvrira de son ombre. » (Ibid. 35.) Ainsi, en cette circonstance, Dieu donna à Abraham le signe des animaux, la génisse, la chèvre et le bélier, avec les deux oiseaux, la tourterelle et la colombe, afin qu'il sût comment s'accomplirait un jour le fait dont il ne doutait pas. La génisse figure donc le peuple soumis au joug de la loi; la chèvre, ce peuple pécheur; le bélier, le même peuple appelé à régner; (ces animaux ont trois ans, parce qu'il y a trois époques remarquables, depuis Adam jusqu'à Noé, de Noé jusqu'à Abraham, et d'Abraham jusqu'à David qui, après la réprobation de Saül, fut le premier établi sur le trône d'Israël par la volonté de Dieu ; et pendant cette troisième époque qui s'étend depuis Abraham jusqu'à David, ce peuple, arrivé, pour ainsi dire, à son troisiéme âge, s'était considérablement, multiplié;) du reste, quand ces animaux figureraient quelque chose de mieux, je ne saurais douter de la signification de la tourterelle et de la colombe, qui sont ajoutées certainement pour désigner les hommes spirituels. Aussi, il est dit : « il ne divisa pas les oiseaux, » car les charnels se divisent bien entre eux, mais les spirituels, jamais, soit qu'ils se retirent du commerce fatigant du monde, comme la tourterelle, soit qu'ils vivent entre eux, comme la colombe. Quoiqu'il en soit, l'un et l'autre oiseau, symbole de la simplicité et de l'innocence, signifie que, même parmi le peuple d'Israël, futur possesseur de cette terre, il y aurait des enfants de la promesse et des héritiers du royaume éternel dans la félicité sans fin. Quant aux oiseaux s'abattant sur les corps divisés, ils n'annoncent rien de bon, ils figurent plutôt les mauvais esprits de l'air, cherchant leur pature dans la division des charnels. Abraham assis près d'eux, représente les vrais
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fidèles qui persévéreront jusqu'à la fin, au milieu même de ces divisions. Et vers le coucher du soleil, cette frayeur dont Abraham est saisi, cette crainte qui se répand comme d'épaisses ténèbres dans tout son être, figurent la violente persécution et la tribulation future des fidèles, à la fin du monde, selon ce que dit le Seigneur dans l'Évangile : « La tribulation sera alors si grande, qu'il n'y en aura jamais eu de pareille depuis le commencement du monde. » (Matth. xxiv, 21.)
3. Quant à ce que Dieu dit à Abraham: « Sache que ta postérité sera errante sur une terre étrangère, qu'elle sera réduite en servitude et accablée de maux pendant quatre cents ans; » (Gen.,V, 13) c'est évidemment la prophétie de la servitude du peuple d'Israël en Egypte. Non que ce peuple dût rester quatre cents ans sous le joug de l'oppression Egyptienne, mais on lui annonce que la captivité aura lieu dans le cours de ces quatre cents ans. Et de même qu'il est écrit de Tharé, père d'Abraham . « Et les jours de Tharé à Charra furent de deux cent cinq ans ; » non qu'il ait passé là toute sa vie, mais il l'a terminée en ce lieu en y complétant les années marquées. Ainsi, ces mots interposés : « Et ils furent réduits en servitude et accablés de maux pendant quatre cents ans » (Gen. xv, 13) signifient que l'oppression a eu lieu pendant cet espace de temps et non qu'elle a duré tout ce temps. Au reste, on dit quatre cents ans pour faire un chiffre rond, car il y a un peu plus, soit que l'on compte depuis la promesse faite à Abraham, soit depuis la naissance d'Isaac, héritier de la promesse. En effet, comme nous l'avons déjà dit, depuis la soixante‑quinzième année d'Abraham, année où fut faite la première promesse, jusqu'à la sortie des Israélites de l'Égypte, l'on compte quatre cent trente ans, l'Apôtre en fait foi par ces paroles : « Or, ce que je veux dire c'est que l'alliance ayant été confirmée par Dieu, la loi donnée quatre cent trente ans après, ne peut la rendre nulle, ni anéantir la promesse. » (Gal. 111, 17.) Et déjà, l'Écriture a bien pu dire quatre cents ans, au lieu de quatre cent trente ans, la différence n'est pas énorme; mais elle sera encore plus faible, si on considère qu'il y avait déjà plusieurs années écoulées à l'époque de cette dernière vision, et vingt‑cinq ans, depuis la première promesse jusqu'à la naissance d'Isaac, le patriarche étant alors centenaire ; de ces quatre cent trente ans il ne reste donc que quatre cent cinq ans, qu'il a plu à Dieu
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d'exprimer par quatre cents ans; et quant aux autres paroles de la prophétie divine, personne ne doute qu'elles ne se rapportent au peuple d'Israël.
4. Les paroles suivantes : « Au coucher du Soleil, une flamme s'éleva , l'on vit une fournaise ardente et des éclairs brillants qui passèrent au milieu des animaux divisés. » (Gen. xv, 17) signifient qu'à la fin du monde, les hommes charnels seront jugés par le feu. Et comme la persécution de la Cité de Dieu, qui sera la plus cruelle de toutes et qui doit arriver sous l'Antechrist, est figurée par cette frayeur ténébreuse dont fut saisi Abraham vers le coucher du soleil, c'est‑à‑dire vers la fin des temps; ainsi, ce feu signifie le jour du jugement qui au soleil couchant, c'est‑à‑dire à la fin du monde, séparera les hommes charnels que le feu doit sauver, de ceux dont il sera l'éternel supplice. Enfin, l'alliance de Dieu avec Abraham indique en propres termes, la terre de Chanaan, et elle nomme onze nations renfermées dans son territoire, depuis le fleuve d'Egypte, jusqu'au grand fleuve de l'Euphrate. Il ne s'agit donc pas ici du grand fleuve de l'Égypte, le Nil, mais d'un autre petit fleuve qui sépare l'Égypte de la Palestine et sur les bords duquel s'élève la ville de Rhinocorure.
CHAPITRE XXV.
Agar, seevante de Sara, devient la concubine d'Abraham par la volonté même de Sara.
Nous voici arrivés aux temps des fils d'Abraham (Gen. xvi.); l'un naît de la servante Agar, l'autre de Sara, la femme libre, dont nous avons déjà parlé au livre précédent. Il n'y a aucun motif d'accuser Abraham, au sujet de cette concubine. En effet, il n'use d'elle que pour avoir des enfants et non pour satisfaire sa passion; il ne fait pas d'injure, il obéit plutôt à sa femme qui, dans sa stérilité, pensa trouver une consolation aux privations de la nature, en s'appropriant la fécondité de son esclave, et en vertu de ce droit dont parle l'Apôtre : « Le mari n'est point maître de son corps, mais sa femme, » (I. (Cor. vii, 4) elle se servit d'une autre pour obtenir ce que son impuissance lui refusait. Il n'y a donc ici, ni désir impur, ni débauche honteuse. La femme donne la servante à son mari pour avoir des enfants, le mari la reçoit dans le même but; ils ne recherchent ni l'un ni l'autre les dérégle-
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ments de la volupté, le fruit de la nature leur suffit. Aussi, quand la servante enceinte s'énorgueillit jusqu'à mépriser sa maîtresse stérile, et que Sara jalouse, impute la faute dAgar à son mari, Abraham fit bien voir qu'il n'avait pas agi en esclave dominé par l'amour, mais en homme libre et que, dans la personne d'Agar, il avait gardé la foi conjugale à Sara; qu'il n'avait pas cherché à satisfaire sa passion, mais la volonté de sa femme; qu'il avait reçu la servante, qu'il ne l'avait point demandée; qu'il s'était approché d'elle, qu'il ne s'était pas attaché à elle; qu'il l'avait rendue mère et qu'il ne l'avait point aimée : « Voici votre servante, dit‑il à Sara, elle est entre vos mains, faites‑en ce qu'il vous plaira. » (Gen. xvi, 6.) 0 homme admirable, qui use des femmes avec dignité, de son épouse, avec modération, de sa servante, par obéissance; de l'une et de l'autre, avec chasteté.
CHAPITRE XXVI.
De l'alliance de Dieu avec Abraham; il lui promet que la stérile Sara lui donnera un fils; il l'établit père des nations et confirme sa promesse par le signe de la Circoncision.
Alors Ismaël naquit d'Agar, en lui Abraham pouvait croire que s'accomplissait ce qui lui avait été promis, quand voulant adopter son serviteur, Dieu lui dit : « Celui‑ci ne sera point ton héritier, c'est celui qui naîtra de toi, qui le sera. » (Gen. xv, 41.) Afin donc qu'il ne crût pas cette fois la promesse accomplie, « lorsqu'il était déjà dans la quatre‑vingt‑dix‑neuvième année de son âge, le Seigneur lui apparut et lui dit : Je suis Dieu, vis en ma présence de manière à m'être agréable, et sois sans reproche, et je ferai alliance avec toi et je te comblerai de beaucoup de biens. Alors Abraham se prosterna la face contre terre et Dieu lui parla ainsi : C'est moi, je fais alliance avec toi et tu seras le père d'une multitude de nations; désormais tu ne t'appelleras plus Abram, mais Abraham sera ton nom, parce que je te fais le père de plusieurs nations. Je te rendrai très‑puissant, je t'établirai sur les nations et des rois sortiront de toi; j'affermirai mon alliance avec toi et avec tes descendants après toi, dans la suite de leurs générations, et cette alliance sera éternelle, afin que je sois ton Dieu et celui de ta postérité après toi. Je donnerai à toi et à ta postérité après toi, la terre, où tu es maintenant, comme étranger, tout le pays de Chanaan qui sera éternellement leur héritage, et je serai leur Dieu. Dieu dit encore à Abraham: Mais toi, tu garderas mon alliance
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et ta postérité après toi, de générations en générations. Et voici l'alliance que tu garderas avec moi, toi et ta postérité après toi, dans toute sa descendance. Tout mâle parmi vous sera circoncis; cette circoncision se fera dans la chair de votre prépuce; et ce sera le signe de l'alliance entre vous et moi. Parmi vous désormais, tout enfant mâle de huit jours sera circoncis. Votre esclave et celui que vous avez acheté du fils de l'étranger, qui n'est point de votre race, seront circoncis, l'esclave né dans votre maison et l'esclave acheté ; et ce sera, dans votre chair, le signe de mon alliance éternelle. Et tout mâle qui, le huitième jour ne sera pas circoncis en la chair de son prépuce, sera exterminé, parce qu'il a violé mon alliance. Ensuite, Dieu dit à Abraham : Sara ta femme, ne s'appellera plus Sara, mais Sarra. Je la bénirai, et je te donnerai par elle un fils; il sera aussi béni, et il sera le père de plusieurs nations, et les rois des nations sortiront de lui. Abraham se prosterna la face coutre terre et souriant, il se dit en lui‑même : aurai‑je bien un fils à cent ans et Sara enfanterait à quatre‑vingt‑dix ans? Et il dit à Dieu : Qu'Ismaël seulement vive en votre présence ! Et Dieu répondit à Abraham : Il en sera ainsi, Sarra, ta femme, te donnera un fils, que tu nommeras Isaac, et je ferai avec lui une alliance éternelle, afin que je sois son Dieu et le Dieu de sa race après lui. Mais j'ai exaucé ta prière pour Ismaël, je l'ai béni, je le rendrai puissant et je lui donnerai une postérité très‑nombreuse. Il sera le père de douze nations et je le rendrai chef d'un grand peuple. Mais je ferai alliance avec Isaac que Sara te donnera pour fils, dans un an, à la même époque. » (Gen. xvii, 1 etc.)
2. Ici, apparaissent plus clairement les promesses touchant la vocation des gentils en Isaac, fils de la promesse qui figure la grâce, non la nature, car il est promis à un vieillard et à une femme stérile. En effet, bien que Dieu exerce son action sur les générations qui suivent le cours ordinaire de la nature, cependant, quand l'œuvre de Dieu est plus évidente, à cause de l'infirmité et des défaillances de la nature, la grâce est alors plus manifeste. Et comme cette vocation future des Gentils devait être l’oeuvre non de la génération, mais de la ré-
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génération , Dieu ordonna la circoncision, en promettant un fils qui devait naître de Sarra. Et, s'il veut que tous soient circoncis, non‑ seulement les fils de la promesse, mais même les esclaves, soit ceux qui sont nés parmi eux, soit ceux qu'ils ont achetés, il atteste par là que sa grâce est le partage de tous. Car, que signifie la circoncision, sinon la nature dépouillée de sa vieillesse et renouvelée? Et qu'est‑ce que le huitième jour, sinon le Christ, qui ressuscita la semaine terminée, c'est‑à‑dire après le sabbat? Les noms des parents sont changés, tout respire la nouveauté, et sous les ombres de l'Ancien Testament apparaît le Nouveau. Qu'est-ce, en effet, que l'on appelle l'Ancien Testament, sinon le voile du Nouveau? Et qu'est‑ce autre chose que le Nouveau, sinon la manifestation de l'Ancien? Le rire d'Abraham est le témoignage de l'allégresse reconnaissante et non la raillerie de la défiance. Les paroles qu'Abraham se dit lui‑même : « Aurai‑je donc un fils à cent ans et Sarra enfanterait à quatre-vingt‑dix ans? » n'expriment pas un doute, mais l'étonnement de l'admiration. Et quant à ce qui est dit encore : « Je te donnerai à toi et à ta postérité après toi, cette terre où tu vis en étranger, cette terre de Chanaan, dont l'héritage sera éternel; » si l'on demandait comment cette promesse s'est accomplie, ou comment on peut en attendre encore l'accomplissement, puisque nul héritage terrestre ne saurait être éternel, pour n'importe quelle nation; il faudrait remarquer que l'expression grecque que nous traduisons par éternel, veut dire séculaire de aione qui signifie siècle. Mais les latins n'ont pas osé se servir de ce mot, de peur de trop favoriser un autre sens. En effet, séculaire se dit de beaucoup de choses qui, en ce monde, passent encore assez vite : aiionionne au contraire, vent dire, ou ce qui n'a pas de fin, ou ce qui dure jusqu'à la fin des temps.
CHAPITRE XXVII.
De l'enfant mâle qui, n'étant pas circoncis, le huitième jour, perd la vie, pour avoir violé l’alliance de Dieu.
on peut aussi demander comment il faut entendre ces autres paroles : « Le mâle qui ne sera pas circoncis en la chair de son prépuce, le huitième jour, périra, parce qu'il a violé mon alliance; » (Gen. xvii, 14) car cet enfant qui doit périr, n'est pas coupable; ce n'est pas lui qui viole l'alliance de Dieu, mais ses parents qui ont négligé de la(e) circoncire. Il faut ici avouer que les enfants eux‑mêmes non
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par leur propre conduite, mais d'après l'origine commune du genre humain, ont tous violé l'alliance de Dieu, dans la personne de celui en qui tous ont péché. (Rom. v, 12.) Car, en dehors de ces deux grandes alliances, l'ancienne et la nouvelle que chacun peut connaître, il y a beaucoup d'autres alliances de Dieu. La première alliance que Dieu fit avec l'homme, est contenue dans ces paroles : « Du jour où tu en mangeras, tu mourras de mort. » (Gen. 11, 17.) De là vient qu'il est écrit au livre de l'Ecclésiastique: « Toute chair vieillit comme un vêtement. » (Eccl. xiv, 18.) Telle est l'alliance établie dès le commencement du monde : «Tu mourras de mort. » Et quand, par le fait de la loi donnée ensuite en termes plus clairs, l'Apôtre peut dire : « où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication; » (Rom, iv, 15) comment se rendre compte de la vérité de ces autres paroles du psaume : « J'ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre; » (Ps. cxviii, 119) si ce n'est que les esclaves du péché, retenus qu'ils sont dans ses chaînes, sont coupables de la violation d'une loi quelconque? C'est pourquoi, si même les petits enfants, comme l'enseigne la vraie foi, naissent pécheurs, non par leur faute propre, mais par la faute originelle; (ce qui fait que nous admettons la nécessité de la grâce, pour la rémission des péchés); il est évident que nous devons reconnaître aussi qu'ils sont violateurs de la loi donnée au paradis ‑ et alors il est également vrai de dire : « J'ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre.» Et : « où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication. » Par conséquent, comme la circoncision était le signe de la régénération, c'est avec justice que, par suite du péché originel, cause de la violation de la première alliance de Dieu, le petit enfant perdait la vie, si la régénération ne venait la sauver. Il faut donc entendre ainsi les paroles de Dieu : celui qui ne sera pas régénéré, périra, il sera retranché du milieu de son peuple, parce qu'il a violé l'alliance de Dieu, puisque lui‑même a péché en Adam comme tous les autres. Si Dieu eût dit : parce qu'il a violé cette alliance, on serait forcé de l'entendre de la Circoncision seule, mais comme il n'est pas dit expressément quelle alliance l'enfant a violé, on est libre de l'entendre de celle dont la violation peut s'appliquer à l'enfant. Si toutefois on prétend qu'il ne s'agit ici que de
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la Circoncision, dont l'enfant incirconcis aurait violé l'alliance, il faudrait trouver une certaine manière de parler pour dire raisonnablement que l'alliance a été violée, bien qu'elle ne l'ait pas été par lui; mais en lui. Il faudrait aussi remarquer que la perte de cet enfant incirconcis, sans être coupable d'aucune négligence envers lui‑même, serait une injustice, s'il n'était dans les liens du péché originel.