Darras tome 16 p. 25
§ III. Théodore Ier et le Monothélisme.
13. Les prétentions des divers patriarches d'Orient au titre d'oecuménique ne portèrent bonheur ni aux uns ni aux autres. Tous finirent par sombrer dans l'hérésie ou le schisme. Paul, le nouveau métropolitain de Constantinople, que nous avons vu s'installer sur le siège de Pyrrhus, en dépit des réserves canoniques de ce dernier, fit ratifier son usurpation par un synode byzan-
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1 Cf. Lequien, Oriens Christian., tom. H, col. 1127. — 2. Annales de philos, chrétienne, tom. LV, pag. 131.
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tin. Le lecteur a déjà pu remarquer la facilité avec laquelle les évêques courtisans, qui affluaient dans la cité impériale, se prêtaient à toutes les intrigues, sans le moindre souci de leur dignité personnelle ni de leur conscience. L'élection de Paul fut confirmée sans la moindre difficulté, et le sacre eut lieu en grande pompe. Le nouvel intrus fit écrire par son conciliabule une lettre au pape Théodore 1er, pour l'informer de l'élection et du sacre. De son côté, il sollicita du pontife romain la confirmation de sa dignité par une lettre synodique où il protestait hypocritement de son zèle pour la foi orthodoxe. La réponse de Théodore ne se fit pas attendre ; elle était d'une admirable netteté. « Vous faites profession, dit-il à Paul, de croire ce que nous croyons, d'enseigner notre doctrine telle que nous l'enseignons nous-même, sans aucune altération. S'il en est ainsi, puisque notre fils très-cher l'empereur (Constantin III), confirmant par un édit le décret apostolique de notre prédécesseur, avait annulé l'ecthèse et ordonné que les exemplaires en fussent partout détruits, nous nous étonnons que votre fraternité en laisse subsister les affiches aux portes des églises. Vous blâmez Pyrrhus qui les répandit partout : comment se fait-il que vous les laissiez subsister sur les murailles? On ne tolère pas ce qu'on exècre. Serait-ce donc, et à Dieu ne plaise, que, malgré le silence gardé sur ce point dans votre lettre synodique, vous admettriez vous-même l'ordonnance impie publiée sous le nom d'Héraclius? Un autre point reste pour nous fort équivoque. Les évêques qui vous ont sacré nous mandent que Pyrrhus fut contraint de renoncer au siège de Constantinople pour se soustraire à une émeute et à la fureur du peuple. Ils lui donnent cependant le titre de « très-saint. » Mais ni une émeute ni des haines populaires ne sauraient déposséder un évêque de sa juridiction. Pour que votre élection et votre sacre fussent légitimes, ils auraient dû régulièrement être précédés de la déposition canonique de Pyrrhus. L'épiscopat est une alliance contractée dans le Christ entre un pasteur et son troupeau. Or, malgré mon indignité, je suis le vicaire du Christ, chargé de faire observer ses lois dans toutes les églises. A ce titre, je déclare que tant que Pyrrhus sera vivant ou qu'il n'aura point
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été canoniquement déposé, votre fraternité ne peut être légitime évêque. En conséquence, nous chargeons nos très-chers fils l'archidiacre Sericus et le diacre Martin, apocrisiaires du siège apostolique à Constantinople, de réunir un concile où la cause de Pyrrhus sera régulièrement instruite. Si l'on constate canoniquement son attachement à l'ecthèse et son hétérodoxie, il sera déposé, et vous pourrez alors vous asseoir sans obstacle sur le siège devenu vacant 1. » Le pape Théodore répondit dans le même sens aux évêques qui avaient assisté à la consécration précipitée de l'intrus2. Enfin il donnait à ce sujet les instructions les plus détaillées aux deux apocrisiaires, et leur adressait la formule de déposition à fulminer contre Pyrrhus, dans le cas où ce dernier serait canoniquement convaincu d'hérésie 3.
14. Paul n'avait garde de se prêter aux vues du souverain pontife. En examinant les paroles, les actes et les écrits hérétiques de Pyrrhus, les apocrisiaires romains et le concile présidé par eux auraient trop facilement constaté que l'intrus était aussi monothélite que son prédécesseur. II n'y eut donc point de concile à Byzance. Cependant les protestations contre le nouveau patriarche se multipliaient. Le primat de l'île de Chypre, Sergius 4, pressait le pape de sévir. Etienne de Dor se plaignit au saint-siége du désordre que les partisans de Paul causaient en Palestine, où ils avaient envahi le vicariat épiscopal de Jérusalem, au mépris de toutes les règles canoniques. L'évêque de Joppé, l'un des plus fougueux monothélites, s'était assuré à prix d'or l'appui du gouverneur musulman, et faisait administrer le patriarcat par une de ses créatures. Il ordonnait des évêques dans toute la province, et ceux-ci, prévoyant que leur consécration faite contre toutes les règles canoniques serait rejetée par le souverain pontife, s'adressaient à Constantinople et sollicitaient la protection de l'intrus. Le schisme engendrait
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1. Tbeodor. I, Epist. i, ad Paul. ; Patr. lat., tom. LXXXVH, col. 73-74. 2. Theodor., Epist. 11, ad episc. qui consecrav. Paulum; tom. cit., col. 81. 8 Exemplur proposa, transmiss. Constantinopolim a Theodoro sanctissimo papa Romano, tom. cit., col. 80. — * Labbe, Collect. concil., tom. VI, col. 181.
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le schisme. Théodore Ier,
né à
Jérusalem, ne pouvait demeurer insensible
aux douleurs de son église natale, déjà si éprouvée par l'invasion mahométane
et par sa viduité forcée. Il institua Etienne de Dor vicaire apostolique en
Palestine, avec plein pouvoir de déposer les évêques irrégulièrement ordonnés. Les métropolitains d'Afrique, Columbus
primat de Numidie, Etienne de la Byzacène, Victor de Carthage1, Reparatus de
Mauritanie, recouraient en même temps au pape pour le supplier d'intervenir énergiquement. «Le siège apostolique,
disaient-ils, est pour tous les chrétiens la grande, l'indéfectible source de
la vérité. Nul ne saurait le mettre en doute. C’est de là qu'émanent les ruisseaux de la foi, pour arroser au loin tout l'univers
catholique. Les règles antiques de l'Église ont prescrit de porter à la
connaissance de l'auguste siège de Pierre toutes les
questions et les controverses qui intéressent le dogme chrétien. C'est donc à
votre sublimité que nous avons humblement recours contre les tentatives sacrilèges
et impies des novateurs de Constantinople. Pyrrhus, naguère évêque de cette ville, dans une lettre
synodique dont un exemplaire a été adressé à Rome même, avait osé soutenir les
erreurs de l'ecthèse. Paul qui occupe maintenant le siège de Constantinople
refuse de les désavouer : il laisse subsister aux portes des églises les affiches
de cet édit scandaleux. Nous l'avons vainement exhorté à changer de conduite.
C'est à
votre sainteté qu'appartient désormais la décision 2. »
15. Pyrrhus, on l'a vu, s'était réfugié en Afrique, après la révolution qui l'avait chassé de Constantinople. Il y rencontra Maxime, l'abbé de Chrysopolis, obligé lui-même de quitter son monastère voisin de Chalcédoine, pour se soustraire à la persécution des monothélites. La situation de Pyrrhus était critique. Dépouillé violemment de son patriarcat, menacé à Rome d'une déposition canonique, rejeté de la communion des évêques africains, objet de scandale partout, il n'avait plus de ressources que dans une rétractation explicite. Son intérêt lui conseillait ce parti ; son
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1 Victor. Carthag., ad Theodor. Epist.; Patr. lai., tom. LXXXVII, col. 86-91. 8 Ecclesiarum Afric. ad Theodor. Epist.; tom. cit., col. 84-85.
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amour-propre l'en dissuadait. Depuis son arrivée à Carthage, il n'avait cessé de poursuivre sa propagande hérétique et de recruter des adhérents. Une attitude aussi tranchée lui créait une difficulté de plus ; on n'aurait rien compris à une conversion qui n'eût pas été préparée. La transition qu'il cherchait se présenta à lui sous la forme d'une conférence publique, dont le patrice Grégoire prit l'initiative. L'ambitieux patrice qui venait, en consommant l'acte de sécession, de rendre l'Afrique indépendante du pouvoir impérial, avait trouvé un appui considérable dans le sentiment catholique, profondément blessé par les violences monothélites de la cour byzantine. La propagande de Pyrrhus contrariait sa politique, et lui créait des embarras près du clergé africain. Pour des motifs différents, le patriarche déchu et le patrice rebelle tenaient donc, chacun de son côté, à un arrangement amiable. Tel est, croyons-nous, le véritable sens des négociations ouvertes entre les deux personnages. La plupart des historiens ont fait honneur à Pyrrhus d'une bonne foi que nous ne lui reconnaissons pas. Ils ont attribué sa conversion à un effet de la grâce ; mais elle fut trop peu durable pour avoir été inspirée par un motif surnaturel. La conférence publique entre Pyrrhus et l'abbé Maxime s'ouvrit au mois de juillet 645 en présence du patrice Grégoire, devant un grand concours d'évêques, de fonctionnaires laïques, de prêtres et de religieux. Des tachygraphes recueillirent officiellement les paroles échangées par les deux interlocuteurs.
16. « En quoi, demanda Pyrrhus, avons-nous altéré l'intégrité de la foi chrétienne? — C'est, dit saint Maxime, en professant publiquement dans l'ecthèse une volonté unique agissant en Jésus-Christ. Or, y a-t-il une impiété plus grande que de dire : C'est par la même et unique volonté que le Verbe a fait de rien le monde, et qu'il a, depuis son incarnation, accompli les diverses fonctions de la vie humaine, comme le manger, le boire, le dormir, opérations purement naturelles qui prouvaient la réalité de sa chair? — Le Christ est-il un, ou non ? demanda Pyrrhus. — Assurément il est un. — Si donc il est un, il voulait comme une seule personne, et par conséquent il ne pouvait avoir qu'une seule volonté. » Saint
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Maxime répondit : « Quand on avance une proposition, il faut d'abord en bien définir les termes. Le Christ, qui est un, est-il seulement Dieu ou seulement homme? n'est-il pas Dieu et homme tout ensemble? — Assurément il est Dieu et homme. — Donc il voulait à la fois comme Dieu et comme homme. Donc il voulait de deux manières, ou en d'autres termes il avait les deux volontés divine et humaine, car aucune des deux natures réunies en sa personne ne pouvait être sans la volonté qui lui est propre. Si donc le Christ voulait et opérait conformément à ses deux natures, il est clair qu'il dut avoir deux volontés, ce qui n'implique point de division contraire au principe d'unité de personne, puisque ces deux volontés subsistaient chacune et respectivement distinctes dans la même personne, Jésus-Christ. — Mais il est impossible qu'il n'y ait pas autant de personnes qui veulent, que de volontés. — C'est là une erreur que vous avez fait dire à l'empereur Héraclius dans son ecthèse. La Trinité divine a trois personnes, et pourtant elle n'a qu'une seule volonté. D'après votre principe, il faudrait dire avec Sabellius : Il n'y a en Dieu qu'une seule volonté, donc il n'y a en Dieu qu'une seule personne. —Puisque la volonté appartient à la nature, objecta Pyrrhus, et que les pères les plus célèbres ont dit que les saints n'ont d'autre volonté que celle de Dieu, il faudra donc reconnaître que les saints sont aussi de la même nature que Dieu? — J'ai déjà fait observer, répondit Maxime, que quand on cherche la vérité il faut définir les termes afin d'éviter l'équivoque. Quand les pères ont dit que les saints avaient la même volonté que Dieu, avaient-ils en vue la volonté substantielle et toute-puissante de Dieu, ou seulement l'objet de sa volonté? S'ils eussent entendu la volonté substantielle, ils auraient fait les saints de la même nature que Dieu, ce qui est inadmissible; mais ils n'ont parlé que de l'objet de la volonté, qu'ils nommaient improprement volonté, comme on donne à l'effet le nom de la cause. — Laissons de côté ces subtilités que le vulgaire ne peut comprendre, reprit Pyrrhus ; et disons simplement que le Christ est Dieu parfait et homme parfait, sans entrer dans d'autres détails. — S'il en était ainsi, s'écria Maxime, il faudrait donc
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anathématiser les conciles et les pères qui nous ordonnent de confesser non-seulement les natures mais les propriétés de chacune, comme d'être visible et invisible, mortel et immortel, créé et incréé. Ils nous ont enseigné de même qu'il y a deux volontés, et qu'elles sont distinctes, l'une divine et l'autre humaine. — Alors tenons-nous strictement à ce qu'ont dit les conciles et ne parlons ni d'une ni de deux volontés. — Les conciles, reprit saint Maxime, ont condamné Apollinaire pour avoir prétendu qu'il n'y avait dans le Christ qu'une seule volonté, d'où il résultait, selon l'hérésiarque, qu'en Jésus-Christ la chair était consubstantielle à la divinité. Ils ont condamné Arius qui enseignait aussi une volonté unique. Comment donc pouvons-nous demeurer catholiques, si nous ne professons le contraire de ce qu'ont dit les hérétiques? — Mais cependant, objecta Pyrrhus, pourquoi le pape Vigilius a-t-il approuvé l'écrit de Mennas patriarche de Constantinople ? — Vous savez bien que le mémoire hérétique de Mennas, présenté à l'empereur dans une séance du conseil d'état, n'a jamais été approuvé par aucun pape; c'est là une fable inventée par Sergius. — Soit pour Vigilius; mais que direz-vous de la lettre d'Honorius à mon prédécesseur? ce pape ne professe-t-il pas ouvertement le dogme d'une seule volonté en Jésus - Christ ? — Quant à cette lettre, répondit Maxime, d'après vous, quel doit en être l'interprète le plus digne de foi? Celui même qui l'a rédigée par ordre d'Honorius, un personnage qui vit encore, dont la piété et la science sont en honneur dans tout l'Occident; ou bien les théologiens de Byzance, qui torturent les textes à leur fantaisie? — Évidemment, dit Pyrrhus, l'interprète le plus autorisé est celui qui a lui-même rédigé la lettre. — Or, reprit Maxime, le personnage qui a composé la lettre d'Honorius est le même qui, en qualité de secrétaire du saint pape Jean IV, l'interprétait en ces termes, dans un rescrit pontifical à l'empereur Constantin d'heureuse mémoire : « Quand nous avons dit une seule volonté, cette expression ne s'appliquait point à la double nature divine et humaine du Seigneur, mais uniquement à son humanité. Sergius nous mandait que certains hérétiques attribuaient au Christ deux volontés contraires ;
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nous avons répondu que le dualisme contradictoire de la chair et de l'esprit n'existait pas dans Notre-Seigneur; nous avons dit que son humanité avait comme caractère essentiel une seule volonté. La preuve que tel est bien le sens vrai de notre lettre, c'est qu'on y peut constater l'emploi des termes membra et caro, lesquels en aucune façon ne pourraient se rapporter à la divinité. — Il se peut, dit Pyrrhus, que la lettre d'Honorius ait été mal comprise, mais comment faire concorder avec la doctrine de deux volontés et de deux opérations en Jésus-Christ le texte de Denys l'Aréopagite, dans son épitre au thérapeute Caïus? « Le Christ, dit ce père, a fait connaître au monde un mode d'agir nouveau, l'opération théandrique.» Cette expression «un mode d'agir» n'implique-t-elle pas l'unité d'opération ? — Nullement. Voici la phrase entière du saint docteur : « Le Sauveur accomplissait les œuvres divines non-seulement comme Dieu et les actions humaines non-seulement comme homme, mais comme Dieu et homme tout ensemble; il fit connaître au monde un mode d'agir nouveau, l'opération théandrique 1. » On ne saurait mieux déterminer les deux opérations
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1 S. Dionys. Areopagit., Epist. iv. Caïo Therapeuii; Pair, grœc, tom. III, col. 1072. Traduct, de MB' Darboy. — Déjà ce passage de S. Denys l'Aréopagite avait été cité et expliqué dans le sens que lui donne l'abbé Maxime par Sopbronius de Jérusalem {Epist. synodic ; Patr. grœc, tom. LXXXVII ter, col. 3178). Nous ferons remarquer ici, après Mgr Darboy, que l'authenticité des œuvres de S. Denys l'Aréopagite était tellement acceptée au VIIe siècle, que les monothélites eux-mêmes invoquaient ou subissaient l'autorité de leur témoignage. Grégoire le Grand au VIe siècle citait de même Dionysius Areopagita, antiquus mdelicet et venerabilis pater (Greg. Magn., Homil. xxxiv; Patr. lai., tom. LXXVI, col. 1254). A la même époque, Léonce de Byzance comptait Denys l'Aréopagite au premier rang des docteurs et des pères (Leont. Byzant., Schelia de Sectis, Actio in; Patr. grœc, tom. LXXXVI, pars i, col. 1214). Anastase le Sinaïte, patriarche d'Antioche (561-593), nomme presque à chaque page de ses écrits Denys de l'Aréopage « le divin, le théologue sublime, l'apostolique, le disciple de Paul, le fondateur de la théologie. » (Anastas. Sinait. Opéra, pass. ; Patr. grœc, tom. LXXXIX, col. 62-75, 216, 289, 303, etc.). Il nous apprend qu'un homonyme de l'Aréopagite, Denys d'Alexandrie, qui vivait en 250, avait composé un Commentaire des œuvres du théologien de l'Aréopage. Voici ses paroles : O géya; A'.ovésioç o AAsijavopsi'aç èîugxotio;, 6 àxà prjTopMV, èv toïc eypXîote, of; TieTtoéoxev tlç tôv paxàpiov (7-Jvwvjp.ov y.ùroù àiovjjiov. (Col. 289). Le fait est
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p33 CHAP. I. — THÉODORE I ET LE MONOTHÉLISME.
résultant des deux natures. — Mes prédécesseurs avaient mal interprété les paroles des pères. Je demande grâce pour eux et pour moi. C'est par ignorance que nous sommes tombés dans l'erreur. Je suis prêt à me rétracter ; je veux aller le faire au tombeau des saints apôtres et aux pieds du pape 1. »
17. Des applaudissements unanimes accueillirent cette déclaration. Le patriarche pria Maxime de l'accompagner à Rome ; Grégoire fournit un navire aux illustres voyageurs, qui s'embarquèrent avec leur suite à Alexandrie. Le jour même de son arrivée Pyrrhus, après avoir fait sa prière au tombeau des saints apôtres, présenta au pape Théodore un mémoire (libellus) signé de sa main, dans lequel il rétractait explicitement l'ecthèse, condamnait tout ce qui avait été entrepris par lui ou ses prédécesseurs en faveur du monothélisme, et faisait acte d'adhésion à la foi orthodoxe. La joie fut grande à Rome, en présence d'un changement si inespéré. Le patriarche fut admis à la communion ; un trône lui fut dressé à côté de l'autel de saint Pierre, pendant que le pape officiait pontificalement ; enfin pour couronner cette fête,
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également
attesté par S. Maxime dans les mêmes termes (S. Maxim., Lib. ambiguorum. Scliol. in Dionys. areopagit. De cœlest.
hierarch., cap. v i Patr. grœc, tom.
IV, col.
60). Au temps de Nicétas Choniate (1200), ce Commentaire existait encore
(Nicet. Choniat,, Thesauri, lib. 11, cap. XV; Patr. grœc, tom. CXXX1X, col. 1133). S.
Cyrille d'Alexandrie invoquait le témoignage de l'Aréopagite dans sa lutte
contre Nestorius (Liberatus Diacon., Breviar., eausœ Nestorian. et Eutychtan., cap. x ; Patrol. lat., tom. LXVII1, col. 391 et note).
Jean Chrysostome, ou du moins l'auteur contemporain du sermon de Pseuduprophetis publié sous son nom, mentionne les œuvres de saint Denys
l'Aréopagite en ces termes : lit»
Evodius Me, bonus odor Eeelesice, et sanctorum apostolorum successorl Ubi Ignatms Dei domicilium?
Vbi Dionysius Areopagita volucris
cœli? ïlov 6 À'.avétrio; rè totsivôv toû oàpavoO; (Joan. Chrysost., Patr.
grœc., tom. LIX, col. 560). On rencontre, parmi les œuvres
d'Origène, une homélie où est également cité le « grand » Denys l'Aréopagite
(Cf. Patr. grœc, tom. IV, col.
959, D.). Nous ne prolongerons pas davantage cette liste de témoignages en
faveur de l'authenticité du plus précieux monument théologique qui nous soit
resté des successeurs immédiats des apôtres. Le lecteur trouvera la question
traitée d'une manière complète, avec tous les textes à l'appui, dans les
diverses Vindiciœ areopagiticœ publiées au tom. IV de la Patrol. grecque.
1 S. Maximi Disputatio cum Pyrrho; Patr. grœc, tom. XCI,
col. 287-354.
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p34 PONTIFICAT DE THÉODORE I (642-649).
Pyrrhus fut autorisé à distribuer des largesses au peuple. Sa conversion pouvait amener de grands résultats, et faire une impression profonde sur l'esprit des évêques orientaux qu'il avait précédemment violentés ou séduits. Le jeune empereur Constant II, monothélite déclaré, prit des mesures énergiques. Il députa subitement à Ravenne, en qualité d'exarque, Olympius, zélé défenseur de la nouvelle hérésie ; il lui donna ses instructions et les pouvoirs les plus étendus pour négocier avec Pyrrhus et le ramener, suivant l'expression du Liber Pontificalis, à son vomissement. L'hypocrite patriarche, prévenu de l'arrivée du fonctionnaire impérial, quitta Rome furtivement et se rendit à Ravenne où il s'aboucha avec Olympius. La promesse d'un rétablissement ultérieur sur le siège de Constantinople fut vraisemblablement l'appât dont se servit l'exarque. Pour reconquérir les faveurs de la cour, Pyrrhus aurait vendu son âme. Il s'empressa de rétracter sa dernière rétractation, et publia un manifeste insolemment hérétique. « A cette nouvelle, dit Théophane, le pape réunit un concile à Rome, sur le tombeau du prince des apôtres. Pendant la célébration des saints mystères, il se fit apporter le calice; humectant le bec de sa plume d'une goutte du sang vivifiant du Christ, qu'il mêla ensuite d'un peu d'encre, il souscrivit de sa main la déposition du patriarche et l'anathème lancé contre tous ses adhérents l » (647).