Darras4-12

UNE GÉNÉALOGIE UNIQUE AU MONDE.

§ VII. Généalogie de Jésus-Christ.

 

  33. Le monument évangélique n'a pas besoin de tant d'appuis étrangers, pour s'imposer à notre foi. Il lui suffit d'être; son existence seule démontre sa véracité; et, à mesure qu'un siècle nouveau passe sur ses assises vénérables, sans pouvoir en ébranler une pierre, la somme des preuves, qui en établissent l'autorité, va s'augmentant, par le progrès même des âges. On sait que les deux Évangiles de saint Matthieu et de saint Luc donnent chacun la généalogie de Notre Seigneur Jésus-Christ. Saint Matthieu fait descendre la sienne depuis Abraham jusqu'à Joseph, époux de Marie, en passant par David, et en suivant toute la lignée royale de Juda depuis Salomon jusqu'à Jésus-Christ. La généalogie, reproduite par saint Luc, suit un ordre inverse; elle commence à Jésus-Christ et remonte le cours des siècles, en passant par David, Abraham, Noé et les patriarches antédiluviens, jusqu'à Adam, «qui fut de Dieu. » Or, ces deux généalogies, parallèles jusqu'à David, n'ont, à partir de ce roi, que deux points de contact: Zorobabel et Salathiel. Tous les autres degrés intermédiaires sont différents. La généalogie de saint Matthieu fait descendre Jésus-Christ de David, par Salomon; la généalogie de saint Luc fait descendre Jésus-Christ de David, par Nathan. «L'inexactitude et les contradictions de ces deux généalogies, dit le rationalisme, portent à croire qu'elles furent le résultat d'un travail populaire, s'opérant sur divers points, et qu'aucune d'elles ne fut sanctionnée par Jésus 1.» Jamais on n’a

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1. Vie de Jésus, pag. 239, 240.

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écrit un pareil non sens. Si les deux généalogies étaient le fruit «travail populaire,» exécuté à distance, on se fût surtout préoccupé de les concilier; on aurait fait disparaître l'apparente contradiction que le rationalisme y signale, et dont tous les Pères, grecs et latins, depuis saint Irénée et saint Justin, nous ont donné l'explication. Il fallait être Juif, et Juif contemporain de Jésus-Christ, pour tracer ces deux généalogies. La science réunie, de toutes les académies du monde, ne saurait les inventer aujourd'hui, si elles n'existaient pas. Voici pourquoi.
  34. Chez les Hébreux, les généalogies étaient sacrées; leur rédaction, confiée aux scribes, placée sous la surveillance des prêtres, était déposée, en original, dans les Archives du Temple, et leur étude faisait partie essentielle de l'éducation. Le peuple, comme le territoire, était divisé en tribus, et le temps était mesuré, pour les époques génésiques, par le nombre sept et ses carrés. Il y avait, dans cette pratique essentiellement juive, dont la généalogie de saint Matthieu nous offre un exemple, non pas seulement un procédé mécanique pour soulager la mémoire, mais une application aux séries des races humaines, de la grande loi septénaire, dont nous avons vu l'extension aux jours, aux semaines, aux années, aux hommes, aux animaux, aux champs et aux héritages, dans toute l'histoire des Hébreux. Inventez donc de pareils usages après coup! A chaque période de sept semaines d'années, c'est-à-dire à chaque demi siècle, quand la trompette du Jubilé sonnait la délivrance des captifs, la restitution des immeubles vendus, l'extinction des dettes et la restauration de chaque famille, de chaque individu, dans l'ordre primitif; c'étaient les listes généalogiques, conservées dans les Archives du Temple et dans le sanctuaire domestique, qui présidaient à cette grande révolution. Les alliances, elles-mêmes, exigeaient, de la part de la famille et de l’État, l'observation scrupuleuse de la loi des généalogies. La hiérarchie religieuse, la constitution civile, l'existence nationale du peuple juif, reposaient uniquement sur les tables des origines. On ne pouvait donc, chez les Hébreux, se fabriquer un arbre généalogique de fantaisie. Les Archives du Temple auraient immédiatement confondu l'imposture. Aussi, Josèphe, dans

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son Autobiographie 1, met une certaine vanité à exposer aux yeux des patriciens de Rome, fiers eux-mêmes de leur origine, l'antiquité de sa propre race; et il ajoute que les tableaux officiels et publics constataient chaque degré de sa généalogie. «Cet ordre s'observe, dit-il, non-seulement en Judée, mais encore dans tous les lieux où mes compatriotes sont répandus; en Egypte à Babylone, partout. Ils envoient à Jérusalem le nom du père de celle qu'ils veulent épouser, avec un mémoire de leur généalogie, certifié par des témoins. S'il survient quelque guerre, les sacrificateurs dressent, sur les anciennes Tables, des registres nouveaux de tout le reste des femmes d'origine sacerdotale; et ils n'en épousent aucune qui ait été captive, de peur qu'elle n'ait eu commerce avec les étrangers. Peut-il y avoir rien de plus propre à éviter tout mélange de races? Nos prêtres peuvent, par des pièces authentiques, prouver leur descendance, de père en fils, depuis deux mille ans. Quelqu'un manque-t-il d'observer ces lois, on le sépare à jamais de l'autel 2.» Avec un tel ensemble de formalités, déployé autour des origines hébraïques, une supposition de généalogie pour Jésus-Christ fut impossible, tant que le Temple de Jérusalem resta debout. Mais, après la ruine de la Cité sainte par Titus, cette impossibilité sociale passa à l'état d'impossibilité matérielle. Le feu avait consumé toutes les Archives du Temple; et, dès lors, les Juifs dispersés, sont demeurés sans généalogie, confondus indistinctement sous le nom de fils de Jacob, ignorant eux-mêmes à quelle tribu appartenaient jadis leurs aïeux.

  35. Aussi l'existence des généalogies, reproduites par saint Matthieu et saint Luc, suffit, à elle seule, pour établir péremptoirement que leur Evangile était composé avant la destruction de Jérusalem (70). Leur discordance même est une garantie de plus de leur authenticité. Les nations étrangères, auxquelles les Apôtres portaient la bonne nouvelle du Verbe fait chair, ne connaissaient rien aux usages juifs; si, comme le suppose le rationalisme, «un travail populaire» s'était fait, après coup, et sur divers points, rela-

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1. Joseph., Autobiogr., cap. I. — 2. Joseph., Respons. ad Appion., cap. II.

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tivement aux origines du Sauveur, loin de prendre plaisir à dresser deux listes contradictoires, les auteurs apocryphes se seraient mis d'accord, pour reproduire scrupuleusement la même, dans les deux récits qu'ils auraient voulu faire adopter sous le nom de saint Matthieu et de saint Luc. Ici encore, l'Évangile, dans son immuable et auguste simplicité, déjoue toutes les hypothèses du rationalisme. De toutes les généalogies juives, celle de la famille de Jésus-Christ devait être l'une des mieux conservées puisque, d'une part, elle représentait la descendance royale de David, et que, de l'autre, elle touchait à la race sacerdotale, par l'affinité de Marie avec Élisabeth, descendante d'Aaron. Mais Jésus-Christ, dans sa personne divine, offrait aux généalogistes hébreux un type sans précédent dans l'histoire. Il passait légalement pour le fils de Joseph de Nazareth; en réalité, il était fils de Marie, et n'avait point de père, parmi les enfants des hommes. Voilà pourquoi Jésus-Christ a deux généalogies; l'une par Joseph, remontant à Salomon et David, c'est celle de saint Mathieu; l'autre, par Marie, fille d'Héli ou Joakim, remontant à David par Nathan, c'est celle de saint Luc. Et qu'on veuille bien le remarquer, le nom de Marie ne se trouve pas, au début de la généalogie de saint Luc. Un apocryphe, étranger aux coutumes judaïques, n'aurait pas manqué de l'y inscrire. Pour éviter ce piège, il fallait de toute nécessité, que l'Évangéliste fût parfaitement au courant des usages hébraïques. En effet, la femme ne figurait jamais, dans les généalogies des Hébreux, à moins que son nom ne rappelat une origine étrangère, ou une alliance, illégale dans le principe, mais régularisée ensuite par des circonstances exceptionnelles. C'est ainsi que la généalogie de saint Matthieu mentionne Thamar, dont l'union avec Juda, l'aîné des fils de Jacob, rappelait un épisode fameux. Elle inscrit encore les noms de Rahab, l'héroïne de Jéricho, que son dévouement avait nationalisée en Israël; celui de Ruth la Moabite, et enfin Bethsabée, l'épouse d'Urie, devenue la mère de Salomon, dans les circonstances que chacun se rappelle. En dehors de ces unions, étrangères ou exceptionnelles, la généalogie de saint Matthieu, qui embrasse une période de trois mille ans, ne nomme pas d'autre femme. C'est que, suivant la racine même

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du mot hébreu (Nssim) 1, les femmes étaient toujours passées sous silence. L'homme seul (Zkar) 2, avait le privilège de perpétuer le souvenirs, ainsi que la race. Du jour où Marie était légalement l'épouse de Joseph, sous la plume des généalogistes, le nom de Joseph devait se substituer à celui de Marie; en sorte que, suivant l'expression d'un récent exégète, «il y a, dans la généalogie de saint Luc, précisément ce qui devait y être. La femme est voilée; on n'en parle pas, au désavantage même de la divinité du Christ. Il y a, sur cette ligne généalogique, l'empreinte d'une robuste authenticité 3.»

  36. Et maintenant, avions-nous raison de dire que toutes les académies du monde, mettant en commun leurs lumières, et les données historiques dont elles peuvent aujourd'hui disposer, ne réussiraient pas à refaire les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc, si ces deux monuments venaient à se perdre? Que signifie le «travail populaire, opéré sur divers points,» auquel le rationalisme veut faire honneur d'un pareil résultat? L'Evangile est un miracle vivant d’exactitude, de réalité vraie, d'authenticité saisissante. Il semble que la Providence ait pris à tâche de multiplier, autour de ce monument divin, les garanties les plus incontestables. Jérusalem sera effacée du milieu des nations, aussitôt que la généalogie du Christ aura été enregistrée dans le livre éternel. Les Hébreux perdront le souvenir de leurs ancêtres, aussitôt que la fleur patriarcale du Testament Ancien sera épanouie. Nulle main ne saurait plus ajouter un iotâ, au livre de l'Agneau, scellé jusqu'à la consommation des siècles. Et l'on prétend arracher au monde la foi à l'Évangile! Mais qu'on essaie de soumettre à un contrôle aussi minutieux, à un examen aussi sévère, à une critique aussi exagérée le plus accrédité des historiens. Aucun n'y résistera. Une page de Tite-Live, prise au hasard, dans les quatorze ou quinze volumes de ses œuvres, ne pourrait supporter, sans de rudes échecs, une semblable épreuve. Et pourtant l'Évangile est debout. Origène

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1. Nssim [Oublier). — 2. Zkar (Se souvenir). — 3. Rossignol, Lettres sur Jésus-Christ, tom. I, p. 305.

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l'expliquait au philosophe Celse; saint Justin l'expliquait au juif Triphon; saint Irénée aux Gnostiques; saint Augustin aux disciples de Manès. Kepler, Leibnitz, Newton, Bossuet, les plus puissants génies que notre monde ait connus, tombaient à genoux, devant la merveille de l'Évangile. Et nous, qui balbutions à peine les premières lettres d'une science dont ces grands hommes possédaient tous les secrets, nous n'aurions pas le droit d'adorer, dans sa manifestation Évangélique, la divinité radieuse de Jésus-Christ! Des pauvretés sophistiques, quelques lambeaux d'érudition contradictoire, pillés, le long des siècles, à des hérésies vingt fois mortes, voilà ce que le rationalisme décrépit de la dernière heure oppose à la tradition catholique, à deux mille ans de lumière, de gloire et de foi! Pour faire rentrer dans le silence et l'oubli ces misérables accents, il suffit à la voix du prêtre de redire, à l'angle de l'autel, la première page de l'Évangile: Liber generationis Jesu Christi. L'histoire entière tressaille; tous les morts du Testament Ancien ressuscitent, et viennent adorer le fils de Marie, au berceau de Bethléem. Adam «qui fut de Dieu,» reconnaît le germe promis, qui écrasera la tête du serpent. Noë salue la nouvelle arche d'alliance, que le déluge de l'impiété ne submergera jamais; Abraham voit le fils en qui toutes les nations seront bénies; Isaac, la véritable victime du mont Moriah; Jacob, le lion issu de Juda, qui ressaisit le sceptre; Rahab, la Chananéenne, se félicite d'avoir transmis son sang au héros divin, devant qui tomberont les murailles de l’infidèle Jéricho; Ruth, la Moabite, s'incline devant la gerbe recueillie aux champs de Booz; Jessé, devant la fleur épanouie au sommet de l’arbre antique; David reprend son kinnor, en présence du roi immortel, qui lui inspira ses chants prophétiques; celle qui fut l'épouse d'Urie, a mérité, par son repentir, la gloire d'être comptée au nombre des aïeules du Rédempteur; Salomon abaisse la majesté de son diadème, devant l'époux de son cantique; il salue la Vierge Immaculée, «belle comme l'astre des nuits, radieuse comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille;» Achaz reconnaît le signe qu'il demandait à Isaïe. «Voici qu'une vierge a enfanté un fils dont le nom est Emmanuel (Dieu avec nous). Les frères de la

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transmigration de Babylone détachent les harpes, suspendues aux saules du rivage. Ils comprennent que désormais les cantiques de Sion retentiront sur toutes les plages; parce que le Dieu de l'univers a le monde entier pour demeure. Zorobabel ne regrette plus les somptueux édifices de Salomon. L'Hôte divin, qui vient couvrir de sa gloire la majesté du second Temple, efface toutes les ombres, remplace toutes les figures; accomplit toutes les prophéties, consomme tous les sacrifices; et réconcilie l'homme à Dieu. Voilà les magnificences que la généalogie Évangélique fait resplendir sur la crèche de Bethléem. L'humble Chrétien, frère du Christ, en lisant cette page, d'une main, touche à l'aurore des jours, de l'autre, atteint la période finale des temps; les deux rives de l'éternité se rejoignent, en la personne de Jésus, principe et fin de toutes choses; et la forme, sous laquelle vont nous apparaître ces ineffables merveilles, c'est «un petit enfant, enveloppé de langes, et couché dans une crèche!»

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