Darras tome 42 p. 538
112. En 1858, à Lourdes, dans les Hautes Pyrénées, se produisit un phénomène analogue à l'apparition de la Salette. Sur les bords du Gave, dans les roches Massabielle, s'ouvraient des grottes. Le 11 février, trois enfants y allaient ramasser du bois mort. L'une de ces enfants, Bernadette Soubirous, moins empressée
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que les autres à son petit travail, vit, sur la roche, une blanche apparition. Marie, car c'était elle, se montrait dans une auréole de lumière; son vêtement était celui des Vierges; robe blanche, voile blanc et ceinture bleu de ciel. Sur ses pieds nus brillait une rose d'or; entre ses mains, glissaient les perles blanches d'un chapelet à chaîne d'or ; mais sur ses lèvres aucun mouvement: Marie ne récitait point la prière, elle l'écoutait. Marie avait choisi Pie IX pour définir son Immaculée Conception ; elle choisissait une humble fille des champs pour faire aimer et adorer ce mystère. Bernadette avait la candeur et l'innocence du premier âge; elle connaissait le chapelet, mais pas encore le catéchisme. Marie lui apparaît, belle d'une inexprimable beauté ; comme un aimant, elle l'attire, Bernadette ravie par l'apparition, fixe sur la Reine des Vierges de grands yeux insatiables de voir; et la bouche béante d'admiration, semble aspirer cette lumière qui la transfigure. Autour de Bernadette, une foule, chaque jour plus nombreuse, contemplait l'apparition de l'être mystérieux, invisible en lui-même, mais reflété dans un miroir vivant. « 0 ma Dame, disait l'enfant, veuillez avoir la bonté de me dire qui vous êtes et quel est votre nom?» La Vierge prononça trois fois le mot de Pénitence et chargea l'enfant de dire, aux prêtres, qu'elle voulait en cet endroit une chapelle. Le curé de Lourdes, Peyramal, demanda, pour remplir son mandat, un signe, l'effloraison pendant l'hiver d'un églantier sauvage, qui se dressait au lieu de l'apparition. La sainte Vierge ne lui accorda pas ce qu'il demandait; mais lui accorda ce qu'il ne demandait pas, elle fit couler dans la grotte, une source mystérieuse, invisible jusque là, mais qui ne tarda pas à couler avec abondance. Enfin l'apparition, ouvrant les bras, abaissant ses mains vers le sol, puis les levant à la hauteur de la poitrine, dit, d'un air souriant: «Je suis l'Immaculée Conception. »
Ces paroles, prononcées par une bouche plus sainte que celle des prophètes, furent bientôt accréditées par la voix surnaturelle des miracles. « Les sourds entendent, les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés : cela a eu
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lieu à l'avènement du Messie. Mais si tous ont des yeux pour voir les miracles, la plupart n'appliquent pas leur intelligence, et encore moins leur cœur, à la vérité. Dans cette petite ville de Lourdes, perdue au fond des gorges des Pyrénées, il y avait, comme partout, une bourgeoisie stupide à force d'ignorance et de vices, il y avait ces hommes d'administration, commissaire, gendarmes, substitut, procureur, médecin, sous-préfet, préfet, tous sortis de la bourgeoisie, très infatués tous des infaillibilités connexes du vice et de l'ignorance. Ce qu'ils firent et dirent, en présence d'une apparition miraculeuse, se peut facilement imaginer. Bernadette n'avait rien vu, puisqu'il n'y a pas de surnaturel; c'était une menteuse ou une hallucinée. Le commissaire la fit venir pour lui imposer le silence, elle lui rendit compte fort ingénuement, et, à force d'ingénuité, avec beaucoup de force, de ce qu'elle avait vu. Le commissaire lui défendit d'aller à la grotte, et, parce qu'elle n'avait pu résister à l'entraînement qui l'y conduisait, il la menaça, elle et son père, de la prison. Le préfet, un baron de l'Empire et bien digne de son baronat, imagina de faire renfermer Bernadette, comme folle. Sous la pression du préfet, le maire barra l'entrée des grottes et fit condamner par le juge de paix, aussi stupide que les autres, tous ceux qui, pour approcher de Marie, foulaient le terrain municipal. On fit main basse sur les cierges, croix, bannières, chandeliers, pièces d'argent et d'or que la piété amoncelait à l'endroit où la Sainte Vierge voulait une chapelle. Un beau jour, on verbalisa contre Louis Veuillot et contre l'amirale Bruat, gouvernante du prince impérial. Alors l'archevêque d'Auch intervint près de l'Empereur; l'Empereur, d'un coup de télégraphe, fit enlever tous les obstacles administratifs; et l'Immaculée Conception put, avec la permission du Sire, continuer de guérir les malades, de toucher les pécheurs, et faire comprendre l'importance de cette nouvelle révélation.
Depuis, l'apparition de Lourdes, constitue, sous les yeux du XIXe siècle, le plus étonnant des prodiges. Un vaste temple s'est élevé sur les roches Massabielle. Une statue de Marie se dresse à l'entrée de la grotte de l'apparition ; une lampe d'or brûle
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devant cette image. Des missionnaires diocésains ont été installés par l'évêque, à quelques pas de la grotte et de l'église, pour distribuer aux pèlerins la parole sainte, les sacrements et le corps du Seigneur. Chaque année, les foules se précipitent à Lourdes, de tous les coins du monde ; elles viennent, non seulement de France, mais d'Espagne, d'Italie, de Belgique, d'Allemagne et d'Angleterre ; elle viennent même de l'Amérique. Les miracles se multiplient à la prière des pèlerins. Le nombre en est si grand que vous croiriez qu'ils se produisent, non pas en trop grande abondance, mais comme si Marie était aux ordres de ses dévots serviteurs. Ce n'est point l'eau de Lourdes qui est cause de ces miracles; cette eau n'a rien qui la distingue de l'eau ordinaire. Ce ne sont pas, non plus, les prières qui font violence au ciel ; on prie bien partout ; mais il semble que l'Immaculée ait attaché à Lourdes l'abondance de ses grâces. C'est au point que, sans compter les quatre ou cinq cent mille pèlerins qui affluent à Lourdes, chaque année, des quatre coins du ciel, on expédie chaque année, de Lourdes, des millions de bouteilles de cette eau illustrée par le miracle. De plus, il s'est trouvé des évêques pour faire établir, dans leurs diocèses, des fac-similé de Lourdes. On a essayé d'instituer d'autres Lourdes en Belgique et à Constantinople. La miséricorde de Dieu par l'intercession de Marie est si bien acquise à toutes ses dévotions, que les âmes y éprouvent un merveilleux soulagement et les corps parfois la guérison.
L'apparition de Lourdes a, du reste, été constatée canonique-ment par l'Ordinaire, après les informations d'usage. Le métropolitain et des milliers d'évêques, les plus savants, les plus pieux, les plus zélés ont voulu s'imposer le devoir d'accomplir le pèlerinage et de le ratifier en l'honorant. L'évêque des évêques a donné, comme il convenait, son suffrage approbatif. Cependant, il ne faut rien exagérer. Comme le portait en 1878, un décret de la Congrégation des Rites, les apparititions de Lourdes, de la Salette et d'ailleurs ne sont ni approuvées, ni réprouvées, ni condamnées par le Saint-Siège, mais seulement permises,
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comme pouvant être crues pieusement sur une foi purement humaine, d'après une tradition confirmée par des monuments et des usages. Quant au dogme, qui est l'objet de ce culte pieux, il faut se garder de l'entendre à la façon rationaliste de Lasserre. Cet historien humoristique explique l'Immaculée par la comparaison d'une eau bourbeuse déjà purifiée à deux ou trois filtres, qui finit par devenir une eau limpide. D'après ce système, d'Adam à Joachim, à travers plusieurs générations, qui ne furent pas très pures, il y eut cependant un travail de purification progressive, et Marie, Mère de Dieu, sort des entrailles de l'humanité. Cette explication est puremement pélagienne; elle est contraire au fait et d'Adam à Jésus-Christ, le monde allait en se corrompant, non en s'épurant, et c'est cette corruption, parvenue au dernier degré, avant la décrépitude irrémédiable, qui rendit nécessaire, au moins moralement, l'incarnation du Fils de Dieu; elle est de plus contraire à la saine théologie et à la vraie foi qui assignent la Conception Immaculée, non à la sanctification ascendante des ancêtres de Marie, mais à un acte divin, à un privilège personnel. L'explication de l'historien fantaisiste doit être rejetée comme erronée et frivole. Nous nous étonnerons que parmi tant d'évêques qui ont félicité cet auteur, aucun n'ait signalé à l'auteur cette erreur vraiment sotte et n'en ait réclamé correction. Les erreurs et fantaisies du livre n'ont point nui du reste, à l'apparition de Lourdes qui continue d'attirer les pieuses sympathies du monde orthodoxe et à braver les critiques des mécréants ; ces derniers ont pu en rire, mais se sont prudemment abstenus de l'attaquer, malgré le défi qui leur procurait, en cas de victoire, un bénéfice immédiat de 10, 000 francs (1).