Italie 2

Darras tome 16 p. 568


§ II. Luitprand roi des Lombards.


9. Le nom de Luitprand qui occupe une si grande place dans la notice du Liber Pontificalis est un des plus célèbres de la monarchie lombarde et de l'histoire du VIIIe siècle. Contemporain et allié de Charles Martel, presque son rival de gloire, Luitprand eut toutes les qualités d'un héros, bravoure personnelle, science de la guerre, génie administratif, politique, législateur. Il sut être un roi accompli, tout en demeurant un chrétien fidèle. Ce prince monté sur le trône en 712 était fils du sage Ansprand, que les suffrages unanimes des Lombards appelèrent au pouvoir suprême, à la suite d'une révolution sanglante qui avait suivi la mort d'Aribert II. Après trois mois seulement d'un règne réparateur, Ansprand fut atteint d'une maladie mortelle. Les Lombards consternés, pour lui donner une dernière marque d'attachement, procédèrent à l'élection solennelle de Luitprand son fils : l'heureux père, avant d'expirer put recevoir ce témoignage de la reconnaissance et de l'amour de son peuple. Ouvert sous de tels auspices, le règne de Luitprand ne les démentit pas, il fut l'époque la plus brillante de la monarchie lombarde. Toutefois les conjurations et les périls ne tardèrent pas à entourer le jeune prince. Il ne pouvait en être autrement dans un système politique où les ducs, indépendants chacun sur son domaine, n'étaient rattachés au pouvoir royal que par le lien fort élastique d'une vassalité plus nominale que réelle. « Luitprand était à peine consolidé sur le trône, dit Paul Diacre, lorsque son parent, Rotharit, forma le projet de l'assassiner. Le complot devait être mis à exécution durant un grand repas que le jeune roi avait accepté chez son hypocrite cousin. Informé à temps, Luitprand manda Rotharit. Le traître avait déjà placé sous son manteau de fête le poignard avec lequel il devait tuer le roi. Sans prendre la peine de changer de costume, Rotharit courut au palais. Luitprand le reçut à bras ouverts, et d'un geste amical, écartant la chlamyde du traître, mit à découvert la cuirasse et la spalka qu'elle dissimulait. Rotharit fit un bond en arrière, saisit son arme et s'élançant allait frapper le roi, quand il fut arrêté par l'un des officiers, Subo. Du

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bras gauche Subo retint le meurtrier par le milieu du corps, et de la main droite lui enfonça un poignard dans le crâne. — A quelque temps de là, deux écuyers (armigeri) reprirent le projet d'assassiner Luitprand ; le roi en fut encore averti, et ne s'en émut pas davantage. Dans une partie de chasse il s'engagea seul, escorté par les deux misérables, au plus profond de la forêt. Tout à coup tirant son épée du fourreau, il arrêta son cheval. « Vous avez résolu de me tuer, dit-il à ses deux compagnons : le moment est favorable. Essayez. » Lâches comme le sont tous les traîtres, les armigeri, éperdus, tremblants, se prosternèrent aux pieds de leur souverain, lui jurant une inviolable fidélité. C'était le serment de la peur, Luitprand l'accepta comme celui de la sincérité; il pardonna aux coupables et n'eut pas à s'en repentir. Les deux traîtres confessèrent leur crime, et devinrent les plus ardents défenseurs d'un prince dont ils avaient juré la mort 1. »


   10.  C'était donc à force de courage qu'un  roi pouvait, au VIIIe siècle, espérer faire quelque bien. Il en est toujours ainsi : le courage n'a pas cessé d'être la première qualité d'un chef d'Etat. Dévouer sa vie au triomphe de l'ordre et de la justice, voilà le secret de la véritable grandeur humaine. Il faut pour cette tâche une abnégation personnelle et une fermeté d'âme qui se rencontrent rarement chez les hommes. Aussi les héros sont clair-semés dans les champs de l'histoire. Pour nous servir d'une expression vulgaire, l'esprit y court les rues, le génie est l'exception : plusieurs siècles s'écoulent parfois sans qu'on le découvre. Luitprand fut un des génies de la royauté. Il avait une vue très-nette de son rôle providentiel. Chasser les Grecs de l'Italie, assurer la domination lombarde, réprimer la turbulence des ducs, tel fut son programme. Dans l'exécution, il se heurta à des difficultés de tout genre. La plus imprévue sans contredit fut la résistance des papes eux-mêmes, lesquels, sacrifiant leur intérêt propre à un sentiment d'honneur et de loyauté, se maintinrent énergiquement dans une fidélité absolue à l'empire byzantin, même quand cet empire se

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1. Paul. Diacon., De gestis Langobardor., lib. VI, cap. xxxvin; Pair, lot., tom. XCV, col. 649.

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faisait gratuitement le persécuteur du saint-siége. L'histoire ne connaît pas de spectacle plus émouvant que la scène du camp de Néron et l'entrevue de Grégoire II avec Luitprand. Le roi lombard avait assiégé  et pris  Ravenne ;   il  s'était servi du patrice Eutychius comme d'un jouet. Sa politique non moins triomphante que  ses armes allait enfin réaliser le plan   poursuivi depuis tant d'années ; l'empire de Byzance serait expulsé de toute la péninsule. Or, cet empire  était  alors  représenté  par le  plus farouche ennemi des papes. Tout à coup un homme, un vieillard, le pape, sans armée, sans autre escorte que des clercs portant devant lui la croix apostolique, se présente au conquérant, lui parle le langage du droit, de la justice, de la vérité. La tête de Grégoire II a été mise à prix par Léon l'Isaurien, et Grégoire II se pose en défenseur des droits de Léon l'Isaurien. Où trouver plus de grandeur d'âme? Le pape fut sublime; Luitprand le fut, s'il est possible, davantage encore. Agenouillé devant le pontife, et plus tard déposant sa couronne et ses armes sur le tombeau de Saint-Pierre, le roi dans l'humilité du repentir s'éleva à la hauteur du pontife lui-même. Nous ne voulons point ici prêter l'oreille aux banales récriminations d'une politique de parti-pris.  Des hommes à courte vue diront : Grégoire II avait tort de résister à Luitprand qui l'eût délivré des byzantins, et Luitprand beaucoup plus encore de céder à Grégoire IL Eh bien, non! Même humainement parlant, en dehors de toute idée de  droit,  de légitimité, d'honneur, au seul point de vue de l'intérêt matériel, Grégoire II avait raison et Luitprand fit preuve d'une admirable perspicacité en s'humiliant devant le pontife. La preuve nous en sera bientôt fournie par l'histoire. Si le saint-siége se fût prêté à l'ambition lombarde pour expulser définitivement les byzantins, le saint-siége n'aurait jamais eu d'indépendance temporelle. Au lieu de lutter contre la tyrannie lointaine de Constantinople, il aurait succombé sous l'oppression plus immédiate et par conséquent plus dangereuse de Pavie. Si Luitprand entraîné par l'orgueil de la victoire avait écarté de la main et repoussé un vieillard désarmé qui s'appelait le pape, il n'aurait pas eu à s'en applaudir plus que tant d'autres con-

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quérants auxquels une semblable politique n'a jamais porté bonheur. Charles Martel aurait fait, quelques années plus tôt, ce que son fils Pépin le Bref et son petit-fils Charlemagne devaient accomplir quelques années plus tard. Il aurait franchi les Alpes, délivré Grégoire II et infligé à Luitprand le sort qui attendait les derniers rois lombards Didier et Astolphe.


 11. Luitprand le comprit, et ne rougit pas de reconnaître sa faute ; il revint franchement à l'observation du programme si magnifiquement tracé par lui-même, lorsque deux ans auparavant il écrivait à l'exarque Eutychius : « Les Romains et les Lombards sont deux peuples frères; la chaîne de la foi qui les unit est indissoluble. Les uns et les autres sauront affronter la mort et défendre un pontife qui lutte héroïquement pour la cause de la foi véritable, pour le salut des chrétiens 1. » Ce langage vraiment royal, Luitprand le tenait à ses peuples. Chacune des lois qu'il élaborait avec le conseil de ses optimales portait pour intitulé : In nomine Domini Dei salvatoris nostri Jesu Christi 2. La date était toujours accompagnée des mots sacramentels : Deo propitio 3. Sa mission de justicier n'était pas facile à remplir en présence des attentats perpétuels des ducs ses vassaux. Chacun d'eux sans nul souci de l'approbation royale cherchait à grandir son domaine au détriment du voisin. De là, des attaques à main armée, des invasions dont le pillage était le but, des surprises comme celles des forteresses de Sora, de Sutri, de Cumes, de Narni. Les réclamations arrivaient de toutes parts au roi, mais les spoliateurs étaient en définitive contraints de rendre gorge. Il semble que chez ces nations pleines de jeunesse et de fougue il y eut comme un besoin de la guerre pour la guerre, du combat pour l'émotion de la lutte. La foi chrétienne pouvait seule adoucir leur férocité native, et calmer les bouillonnements d'un sang trop impétueux.

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1. Cf. no. 5 de ce présent chapitre. — i Diplomat. Luitprand., ; Pair, lat., tom. LXXXVII, col. 1353. 

3. Muratori, Annal. Ital., ad ann. 720.

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12. Pendant un règne qui ne dura pas moins de trente-et-une années, tous les efforts de Luitprand furent dirigés dans le but de civiliser sa nation par l'élément chrétien. « Ce très-glorieux roi, dit Paul Diacre, multipliait partout les basiliques en l'honneur du Christ. Il fonda aux portes de Pavie le magnifique monastère de Saint-Pierre-au-ciel-d'Or. Là, il fit solennellement transférer les ossements sacrés du grand évêque Augustin. » On se rappelle que deux siècles auparavant (510) saint Pulgence et soixante évêques catholiques, chassés du sol africain par la persécution arienne de Thrasamond, avaient été déportés dans l'île de Sardaigne. Ces généreux confesseurs y apportèrent le corps de saint Augustin, et le déposèrent dans l'église de Cagliari 1. «Or, continue Paul Diacre, vers l'an 520 les musulmans dont les navires sillonnaient la Méditerranée firent une descente en Sardaigne, mirent à feu et à sang les villes et les bourgades, dévastant et profanant les églises. Ils s'emparèrent des précieuses reliques de l'évêque d'Hippone, et les souillèrent d'outrages. Luitprand fit racheter ce trésor des mains de ces barbares. La translation eut lieu en grande pompe, et les restes de saint Augustin furent transportés sous la voûte ou « ciel d'or » du royal monastère de Pavie 2. » A côté du mausolée que Luitprand érigea au glorieux fils de sainte Monique, il en élevait un autre au grand martyr chrétien Boèce, immolé en haine de la foi par l'aveugle fureur de Théodoric3. « Le pieux roi, continue le chroniqueur, édifia sur le sommet alpestre du Bordo (montagne voisine de Parme), le monastère de Bercetum (depuis connu sous le nom de Sant-Abundio, parce que le corps du martyr saint Abundius y fut déposé 4). » A la fondation de ce monastère se rattache un fait hagiographique dont Paul Diacre ne parle point, mais qui nous a été conservé par Flodoard. « Le saint évêque de Rennes Mode-

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1 Cf. tom. XIV de cette Histoire, pag. 155.

2. Paul. Diac, De gest. Langobard., liv. VI, cap. xtvni; Pair, lat., tom. XCV, col. 655. — s Cf. tom. XIV de cette Histoire, pag. 254-303. 

3. Paul. Diac, lib. VI, cap. LVin; Patr. lat., tom. cit., col. 668.

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ramnus, dit Flodoard, avait été autorisé 1 par le roi mérovingien Chilpéric II (715-720) à faire un pèlerinage ad limina sancti Pétri. En passant par Reims où il fut reçu avec honneur par les religieux du monastère de Saint-Remi, l'évêque breton obtint de Bernehard custode des saintes reliques quelques fragments de l'étole, du cilice et du suaire de saint Rémi. Muni de ce pieux trésor, Moderamnus continua joyeusement sa route. En traversant l'Italie, il eut l'occasion de passer une nuit sur le mont Bardo, où se construisait alors le monastère de Bercetum. Durant le court sommeil qu'il prit sous la tente, l'évêque suspendit à une branche de chêne le sac renfermant les saintes reliques. Au point du jour, il se remit en marche, oubliant de reprendre le pieux dépôt. A quelque distance, s'apercevant de sa distraction, il renvoya en toute hâte son clerc, nommé Wulfad, chercher les reliques. Elles étaient toujours sur la branche de chêne, mais quand Wulfad approcha la main pour les saisir elles s'élevèrent d'elles-mêmes hors de sa portée : vingt fois il renouvela sa tentative avec le même insuccès. Enfin il courut informer de ce prodige son vénérable maître. Moderamnus revint en personne, fit dresser sa tente au même lieu que la veille et passa-tout ce jour et la nuit suivante en prières. Les reliques se dérobèrent à sa main comme à celle de Wulfad. Au matin, en célébrant la messe à l'autel du monastère de Bercetum, l'évêque fit vœu de partager avec l'abbaye son pieux trésor, si ce dernier lui était rendu. Après quoi il se rendit au pied de l'arbre, et les reliques se laissèrent reprendre. Moderamnus les divisa aussitôt en deux parts dont il conserva l'une, et remit l'autre aux religieux de Bercetum. Le grand roi d'Italie, Luitprand, témoin du miracle voulut en consacrer le souvenir par un acte authentique qui instituait Moderamnus possesseur du monastère en construction. L'évêque de Rennes

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1 Per licentiam Chilperici Francorum régis. Ces paroles de Flodoard sont cu-rieuses. Les rois Mérovingiens, impuissants à se dégager de la tyrannie des maires du palais, se vengeaient donc de leur servage personnel sur les évêques qui ne pouvaient se rendre à Rome sans la licence de ces rois dégénérés.

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continua sans encombre son voyage. Revenu de Rome, il déposa sur le tombeau de saint Rémi l'acte royal d'investiture. Rentré en Bretagne, il se fit élire un successeur sur le siège de Rennes, dit
adieu à ses fils spirituels et alla s'enfermer au monastère de Bercetum, où il termina saintement sa vie 1. »


   13.Luitprand construisit encore, ajoute Paul Diacre, dans le prohastium 2 d'Olonna (aujourd'hui Cortelona), une église et un monastère en l'honneur de l'insigne martyr Anastase. Sur tous les points de son royaume, il multipliait les établissements de ce genre. Dans l'intérieur du palais, il érigea un oratoire consacré sous le vocable de Jésus-Sauveur, et ce que nul des rois d'Italie ses prédécesseurs n'avait fait encore, il attacha à cette chapelle un collège de prêtres et de clercs chargés d'y chanter l'office quotidien. De son temps, un serviteur du Christ, Baodolinus (saint Baudelin), homme d'une admirable sainteté, illustrait par ses prodiges la cité de Forum Fulvii (aujourd'hui Valenza) sur les bords du Tanaro. Il était à la fois thaumaturge et prophète ; Dieu lui révélait les secrets les plus cachés du présent et les mystères de l'avenir. Un jour que Luitprand était venu chasser aux environs de la ville, un de ses officiers, poursuivant un cerf, décocha par mé-garde une flèche qui vint frapper en pleine poitrine le neveu de Luitprand, le jeune prince Aufusus, fils de la sœur du roi. Luitprand au désespoir chargea un écuyer de courir à l'homme de Dieu Baodolinus, pour recommander le blessé à ses prières. Mais durant le trajet, le jeune prince épuisé par la perte du sang rendit l'âme. L'écuyer ignorait cette catastrophe, quand il aborda le thaumaturge. Je sais ce qui vous amène, lui dit Baodolinus. Mais il est trop tard pour demander à Dieu une guérison ; le jeune prince est mort. — L'écuyer retourna près de Luitprand, qui, au milieu de ses

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1.Saint Moderamnus (Modéran ou Moran) est honoré le 22 octobre; Flodoard., Hisl. eccles. Remens., lih. I, cap. xx ; Patr. lat., tom. CXXXV, col. 70.

2. Hastium dicebant quod nos ostium. Prohastium ergo est uooiasuos, id est xpê; Tr,i ~o).tuii, latine suburbanum. (Nota Lendenbrog. i'b Paul. Diacon.; Patr. lat., tom. XCV, col. 668.)

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sanglots et de ses larmes, rendit hommage à la science surnaturelle que Dieu communiquait à son serviteur 1. Près de Vérone, un autre prophète, Theudelapius, était également célèbre par ses miracles 2. A la même époque, florissait en vertus et en sainteté l'évêque de Pavie, Pierre, parent très-proche du roi Luitprand. Dans sa jeunesse, cette parenté valut à Pierre la disgrâce d'Aribert II, par ordre duquel il fut exilé à Spolète. Un jour, le pieux adolescent était en prière dans la basilique du bienheureux Sabinus, patron de cette ville. Le saint martyr lui apparut et lui prédit que plus tard il monterait sur le siège épiscopal de Ticinum, sa patrie. La prédiction s'accomplit après l'avènement de Luitprand au trône. Dans sa reconnaissance, Pierre fonda sur un domaine patrimonial près de Pavie la basilique et le monastère de Saint-Sabinus. La vie angélique du nouvel évêque fit l'admiration de son siècle 3. Luitprand était digne d'avoir un tel saint dans sa famille. D'une sagesse profonde, prudent dans les conseils, véritablement pieux, il aimait la paix; cependant il était formidable à la guerre, mais toujours clément pour les vaincus, chaste et réservé dans ses mœurs, assidu à la prière, large dans ses aumônes. Il ignorait les lettres humaines 4,  ce qui ne l'empêchait pas de surpasser en discer-

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1. Baodolinus (saint Baudelin) est honoré le 10 novembre.

2. L'histoire de Theudelapius, dit Muratori, ne nous est connue que par ce passage de Paul Diacre, soit qu'elle n'ait jamais été écrite, soit plutôt qu’elle ait disparu durant les guerres qui mirent fin à la domination lombarde en Italie. (Murator., Annal. liai., ad ann. 745.)

3 Saint Pierre évêque de Pavie est honoré le 7 mai. Son épitaphe conservée par Gruter et reproduite par les Bollandistes confirme le fait de sa parenté avec Luitprand :

nclylus prosapia, regumque stemmate tangens, Nobilis eloquio, moribus nobilior.

4 Litterarum ignarus, c'est-à-dire qu'il n'avait jamais suivi le cours régulier des sept arts libéraux alors classique, mais ce qui ne signifie nullement, ainsi qu'on pourrait le croire, que Luitprand ne savait ni lire ni écrire. Pour
avoir le sens vrai de ce passage et d'autres analogues qui se rencontrent dans l'histoire des VIIe et VIIIe siècles, il faut se reporter à ce que disait de lui-même saint Grégoire de Tours, lorsqu'il se déclarait, lui aussi, « complè-
tement illettré, » Cf. tom. XV de cette Histoire, pag. 79.

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nement les plus grands philosophes : il fut à la fois le père nourricier et le législateur de ses peuples. Parmi les nations étrangères qui l'environnaient, il se montra constamment fidèle à l'alliance des Francs. Dans ses guerres contre les Germains et les Bajoarii, ses armes furent constamment victorieuses, mais il comptait moins sur la valeur de ses soldats et sur son génie militaire que sur la protection du ciel qu'il ne se lassait jamais d'invoquer 1. » 

   14. On ne saurait désirer pour une mémoire royale un éloge plus complet. Luitprand si dévoué à toutes les œuvres de restauration et de propagande religieuse ne fut pas sans doute étranger à la résurrection du Mont-Cassin, cette métropole monastique jadis fondée par saint Benoît. Cent trente ans s'étaient écoulés depuis l'incendie du Mont-Cassin par le duc de Bénévent, Zoto2. Le corps du patriarche et celui de sainte Scolastique sa sœur avaient été, par une pieuse fraude, transportés au pays des Francs sur les rives de la Loire, et déposés l’un dans l'abbaye de Floriacum, l'autre dans la ville des Cenomanni3. Les ruines couvraient toujours la montagne sainte, mais l'heure de la restauration prédite autrefois par le patriarche lui-même était venue. « Vers l'an 718, un riche citoyen de Brescia touché par l'amour de Dieu vint, dit Paul Diacre, faire un pèlerinage à Rome. Il se nommait Pétronax. Le

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1 Paul. Diacon., De gest. Langobard., lib. VI, cap. lviii ; Pair, lai., toru. XCV, col. 670-672. Le chroniqueur n'a fait qu'effleurer le chapitre des fondations pieuses de Luitprand. Il n'est pas un seul monastère, pas une église de l'Italie septentrionale, qui n'ait conservé le souvenir des bienfaits de ce pieux roi. Pour n'en citer qu'un exemple, l'épitaphe de saint Cumien évêque de Côme s'exprime ainsi :

At pater egregie, potens,

Intercessor existe Pro gloriosissimo Luiiprando

Rege, qui tuum Pretioso lapide tymbum

Decoravil devotus, SU ul manifesium almum ubi Tegilur corpus.

(Patr. lat., loc. cit.)

2. Cf. tom. XV de cette Histoire, pag. 119. —3 Cf. pag. 166-171 de ce présent volume.

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pape Grégoire II 1, assis alors sur le siège apostolique, lui suggéra l'idée de reconstruire l'abbaye du Mont-Cassin. Pétronax accepta cette mission, et vint s'établir près du tombeau vide du saint patriarche; il y trouva quelques pieux ermites demeurés jusque-là au milieu des ruines et fut choisi par eux pour senior (abbé). La miséricorde divine et la faveur de saint Benoit secondèrent visiblement leurs efforts. En peu de temps, le désert se repeupla. Des hommes appartenant à toutes les conditions sociales, nobles ou serfs, ignorants ou lettrés, riches ou pauvres, accoururent et sollicitèrent la grâce d'être admis à vivre sous le joug de la règle bénédictine. Pétronax, canoniquement élu pour leur père, reconstruisit les cloîtres et les cellules, et l'abbaye reprit son antique splendeur. Plus tard le vénérable Pétronax reçut du pape chéri de Dieu saint Zacharie des offrandes d'un prix inestimable pour le monastère, savoir un manuscrit complet des livres de la bible et l'exemplaire original de la règle bénédictine écrit de la main du bienheureux patriarche. En même temps que la restauration du Mont-Cassin avait lieu, trois nobles frères, Tato, Taso et Paldo fondaient sur les rives du Vulturne la grande congrégation bénédictine et le monastère de Saint-Vincent2. » Un duc lombard de Bénévent avait incendié en 580 l'héritage de saint Benoit : un autre duc de la même ville et de la même nation, Gisulf, rendit aux religieux tous les biens dont son prédécesseur les avait spoliés, et y ajouta un grand nombre de donations nouvelles. Un diplôme daté de 744, dressé au nom de Gisulf et de Scauniperga sa femme, enregistra cet acte de réparation solennelle, qui effaçait le passé et ouvrait pour l'avenir une source féconde de science et de vertu.

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1 Paul. Diac, lib. VI, cap. XL; Patr. lai., lom. cit., col. 650.

2. Cf. Diploma Zachariœ, au tome I des Monastères bénédictins, par M. Alph. Dantier, Pièces justificatives, pag. 487. Le texte du diplôme porte par erreur le nom de Grégoire III, au lieu de Grégoire II. Ce fut réellement sous le pontificat de celui-ci qu'eut lieu la restauration du Mont-Cassin. Le témoignage de Paul Diacre ne laisse aucun doute à ce sujet : tel est du moins le sentiment de Mabillon, de Muratori et des Bollandistes. Nous signalons cette légère rectification au savant auteur.

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