Darras tome 33 p. 80
Prêtre interdit, il ne peut plus dire la messe : il supprimera la messe ; ange déchu, brûlant de feux impurs, au lieu de combattre sa passion par la prière, il supprimera le célibat. A son honneur pourtant, il faut dire qu'il paraît ne pas s'y être prêté de bonne grâce, il résistait : mais ce Luther, l'homme de toutes les contradictions, finit toujours par trahir, ce que, selon lui, il aurait voulu sauver. C'est par une inspiration inexplicable et vraiment exécrable, c'est au diable lui-même qu'il attribue la suggestion des réformes qu'il prémédite. Pour la suppression du célibat, il confesse ingénuement que le diable le tyrannisa jusqu'à la dernière indécence et même qu'un jour, pour le chasser, il dut lui jeter son encrier à la tête. Pour la suppression de la messe, il conte gravement qu'une nuit, il se réveilla tout en sueur
================================
p81 CHAP. XI. — LES DÉVELOPPEMENTS DU LUTHÉRANISME.
et que le diable vint conférer avec lui des raisons qui militent contre le sacrifice des autels. Le diable fut un puissant logicien : il donna, pour raison, la faiblesse de la foi, la nullité du caractère sacerdotale, l'incertitude de l'institution, l'impossibilité et l'inutilité du sacrifice. Cette fois, au lieu de jeter son encre à la figure du diable, assez noir sans ce brutal cadeau, Luther écrivit le colloque. A quoi nous opposons ce dilemme : Ou le diable poussa vraiment Luther à supprimer la messe, et alors cette suppression est une œuvre diabolique : ou le récit de Luther n'est qu'une fiction pour tromper les paysans de la Westphalie et alors Luther est un imposteur. D'autres pensent que le tentateur fut une tentatrice et qu'une femme fit dès lors échec à la vertu de l'apostat. On commence par l'orgueil de l'esprit, on finit dans les hontes de la chair.
Darras tome 33 p.124
— « En vérité, écrit-il à Haussmann, c'est le monarque des enfers que j'ai pour antagoniste, tant son pouvoir est grand, tant sa science des livres saints est redoutable. Si je n'avais, pour me défendre, des armes étrangères, ma connaissance de la parole biblique me serait inutile. » — A Linck: « Satan veut que je brise ma plume et que je le suive aux enfers : » A Brisger : « Oh mon Dieu! c'est prodigieux comme Satan se transfigure en Christ, si je cède, si j'ai souvent obéi à Satan, j'espère que le Seignenr me pardonnera. — Moi qui ai donné le salut à tant d'autres, je ne puis me le donner à moi-même1. » Voilà les cris de détresse d'un homme qui ne compte plus sur le sang du Rédempteur ; Satan lui a arraché le Christ ; la foi, cette perle qui doit tous nous sauver, Luther la perdra. Mais l'incroyance n'a pas désarmé sa rage contre l'Église ; au contraire, plus il appartient au diable, plus il fulmine avec violence contre Rome. « Ces furibonds de papes-ânes, s'écrie-t-il, ne savent pas qu'ils sont des ânes. A Rome, que trouve-t-on ? Rois et reines qui vivent là sont des hermaphrodites et des androgynes. Or sus, empereur, rois, princes et seigneurs, mettez-moi la main sur le Pape : que Dieu ne bénisse pas les mains paresseuses ! Enlevez-lui Rome, la
---------------------
1. De Wetïe, Lettres de Luther, t. III, p. 24, 189, 222, 225, 230.
=================================
p125 CHAP. XI. — LES DÉVELOPPEMENTS DU LUTHÉRANISME.
Romandiole, Bologne et tout ce qu'il possède1. C'est un détenteur de mauvaise foi, il a volé l'empire. Pape, cardinaux, racaille Romaine, gardez-moi tout cela et arrachez-leur la langue comme à des blasphémateurs, et brisez les à un gibet comme ils plantent leurs bulles. Vraiment si j'étais empereur, je vois bien ce que je ferais de toute cette canaille de pape, de cardinaux et de famille papale, je ferais un paquet que je coudrais dans un sac. A Ostie, pas loin de Rome, est une toute petite rivière qu'on nomme la mer Thyrrhénienne, bien merveilleuse, pour guérir plaie, pustule et toute maladie, papale. Là tout doucettement je les plongerais... Gloire à Dieu, j'ai démontré que le pape, qui se vante d'être le chef visible de l'Église, est le vicaire de Satan, l'ennemi de Dieu, l'adversaire du Christ, le docteur de mensonges, de blasphèmes et d'idolatrie, un archi-voleur, un régicide, un souteneur de mauvais lieux, l'antéchrist, l'homme de péché, le fils de perdition, l’ours-loup. » Il y en a des pages et des pages sur ce ton de fou-furieux, qui répond mal aux tentatives conciliantes de Paul III et qui ne rendit pas, au convulsionnaire protestant, une ombre de paix. La tragi-comédie touchait à sa fin. Des haines divisaient la famille des comtes de Mansfeld ; le 23 janvier 1546, Luther se mit en route pour Eisleben, dans l'espoir d'apaiser ces haines. Le voyage fut contrarié par divers incidents fâcheux. A l'arrivée, Luther faillit mourir de joie ; rappelé à la vie par des frictions, il retrouvait, le soir, au souper, sa verve juvénile et vidait les larges coupes comme aux jours de son adolescence. Gai convive, il épanchait sa verve en sarcasmes contre les moines, l'empereur, le pape et le diable, qu'il n'oubliait plus. « Mes chers amis, dit-il, il ne nous faut mourir que quand nous aurons vu Lucifer par la queue. Je l'aperçus hier matin qui me montrait le derrière sur les tours du château2. Alors se levant de table, il traça sur la muraille d'une main tremblante, ce vers latin :
Pestis eram vivus, moriens tua mors ero papa :
--------------------
1 Napoléon III, Victor-Emmanuel et Garibaldi ne font pas les inventeurs de la suppression du pouvoir temporel des Papes.
2. Propos de Table, p. 67, Ed. de Eisleben.
=============================
p126 PONTIFICAT DE CLÉMENT VII (1523-1534).
Vivant, j'étais une peste ; mort, je serai ta mort, ô pape ! Et il vint se rasseoir aux rires bruyants des convives qui voyaient dans ce dernier effort, la sentence finale de la papauté. Mais le masque ne put se soutenir, la figure de Luther prit une expression indicible de terreur... il mourut dans la nuit.