Adrien V et Barberousse 1

Darras tome 27 p. 3

 

§ I. FRÉDÉRIC BARBEROUSSE EN LOMBARDIE.

 

  1. Ce volume embrasse la seconde moitié du douzième siècle.  C’est peu, quand on considère la vaste route à parcourir; c’est préliminaire, immense, vu la grandeur et l’intérêt des événements accumulés dans cet étroit espace. Nous pourrions l’intituler, n’était la longueur du titre : Le Pape et l’Empereur, Alexandre III et Frédéric

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Barberousse, Thomas de Cantorbéry et Henri II d'Angleterre, Richard-Cœur-de-Lion et Philippe Auguste. Ce sont là les principaux acteurs du drame, un et multiple, qui va se dérouler à nos yeux. Je ne sais pas si l’Eglise traversa jamais une période plus tourmentée, rencontra dans sa marche de plus redoutables ennemis, fut servie par de plus généreux et de plus nobles caractères. Le témoignage du sang ne lui manquera même pas. Nous serons témoins d’une scène qui ne le cède sous aucun rapport à ce que nous offre de plus émouvant et de plus pathétique l’ère des martyrs. La tyrannie dont Thomas Becket fut la victime et dont il triompha par sa mort, se complique d’une étrange injustice qui le poursuit depuis sept cents ans. La plupart des livres historiques discutent son nom et laissent un nuage sur sa gloire. Les accusations clairement formulées par les incroyants de toute école et de toute nuance, ont plus d’une fois amoindri les idées et fait chanceler le jugement des catholiques eux-mêmes. D’implicites restrictions se mêlent aux éloges décernés à S. Thomas ; ni Fleury ni Lingard ne sont exempts de telles réserves. « Tout le monde ne se croit pas obligé, » disait un jour devant nous un prêtre d’élite, « à se faire tuer aux avant-postes de la religion. » Le procès révisé sur les pièces authentiques, il nous sera démontré que le saint mourut au cœur de la place, en arrosant de son sang les marches de l’autel. Nous n’avons pas à soutenir une thèse, nous ne voulons pas faire une apologie ; les faits parleront seuls, mais avec une irrésistible éloquence. Seuls ils nous montreront aussi la grande figure d’Alexandre III, soutenant d’une main et couronnant l’immortel athlète, tandis qu’il brisera de l’autre l’orgueil du césarisme allemand. Ce pape, moins connu que Grégoire VII et moins célèbre qu’Innocent Ill, nous parait leur égal, soit par l’élévation du génie, soit par la force de la volonté. Nul n’a mieux compris la pensée divine, ni plus vigoureusement secondé les destinées humanitaires du christianisme : il le personnifia vingt-deux ans, sans une heure de défaillance. Il n’aura pas la douleur d’assister à la perte de la Terre Sainte ; un de ses successeurs en mourra. D’autres qui ne feront que passer sur le siège de Pierre enverront les rois d’Occident, et Barberousse lui-même, à

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la conquête de Jérusalem : ils ne répareront pas le désastre. Si nous franchissons le seuil du siècle suivant, ce ne sera que pour en saluer l’aurore et pour en disposer les premiers éléments, ou pour en établir les premières assises.

 

 2. Dénaturant un fait que nous avons déjà rapporté, l’historien Galvancus Flamma dit que les députés de Pavie et de Crémone, accompagnés par le marquis de Montferrat, s’étaient rendus en Allemagne pour dénoncer à l’empereur la conduite oppressive et l'intolérable orgueil des Milanais. Il se trompe1; c’étaient les habitants de Lodi qui avaient porté leurs plaintes auprès du monarque teuton dans les circonstances qu’on ne saurait avoir oubliées2. Otton Morena, témoin oculaire, ne permet aucun doute à cet égard, bien que cet écrivain lui-même soit en d’autres occasions sujet à de graves erreurs, par suite de son attachement à la cause de Frédéric Barberousse. Une députation des Apuliens, sans cesse attaqués et tyrannisés par le duc Guillaume, coïncidait avec celle des Lombards: les uns et les autres imploraient le secours de l’étranger contre leurs ennemis domestiques. Ainsi les Italiens tendaient leurs mains aux fers, se précipitaient tête baissée dans la servitude, ouvraient à l’ambitieux et cupide Germain les portes de leur belle patrie. C’est dans le mois d’octobre 1154, que Frédéric, à la tête d’une nombreuse armée, franchit les Alpes et descendit dans la Péninsule. D’après Galvancus, il aurait dirigé sa marche sur Turin d’abord, puis sur Milan, pour être couronné dans cette dernière ville. De plus, il aurait dissimulé sa colère contre les Milanais, afin que cette importante cérémonie n’éprouvât aucun retard, ne subit aucune entrave. Trois erreurs en peu de mots : Barberousse, au témoignage formel de Morena, ne dissimulait nullement les sentiments hostiles dont il était animé contre la capitale de la Lombardie, depuis les mauvais traitements infliges à son ambassadeur et l’insulte faite à

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1 Ce qui ne doit pas étonner chez un chroniqueur dont la mémoire n'est pas toujours sûre, ni le jugement parfaitement droit. Observons encore qu'il écri­vait à l'aide d'anciens documents ou de vagues traditions, vivant longtemps après les événements qu'il raconte.

2.  Cf. tom. xxvi de cette histoire, pag, 507.

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sa majesté royale1. Nous allons voir en second lieu que ce n'est pas à Milan, mais à Pavie, qu’il devait une première fois recevoir la couronne. Otton de Freisingen, son historiographe et son oncle, nous apprend enfin qu’il traversa les Alpes tyroliennes, passa par Brixen et déboucha par la vallée de Trente. Sortant de ces défilés, où son prédécesseur Lothaire était mort peu d’années auparavant, il alla camper dans les plaines de Vérone, sur les bords du lac de Garde. De là il se transporta, dans le courant de Novembre, au château de Roncaglia, non loin de Plaisance ; mais il ne lui fut pas encore permis d’entrer dans Milan2.

 

   3. Galvancus Flamma raconte que l’archevêque de cette ville, Hubert de Pirovano, poussé par la soif de la domination, eut la pensée de traiter secrètement avec Barberousse, dans le but d’arracher Milan au pouvoir des comtes d’Anghiera et de la placer sous sa propre dépendance3. Ce récit est fabuleux de tout point, et calomnieuse dès lors l’accusation dirigée contre l’archevêque. Milan n’avait plus de souverain à l’époque dont nous parlons, elle était constituée en république, comme la plupart des autres cités du nord de l’Italie. Le mouvement qui s’était produit en France avait acquis en se propageant un caractère plus prononcé chez des populations ardentes et passionnées, qui du reste avaient sous leurs yeux l’exemple des gouvernements républicains de Venise, de Gènes, de Pise, dans tout l’épanouissement de leur indépendance et de leur prospérité. Rome elle-même, on s’en souvient, jouait à la république, sous l’impulsion d’Arnaud de Brescia, le moine démocrate et socialiste. Ce jeu puéril, fécond en tumultes, et plus d’une fois sanglant, où la ville éternelle risquait de se décapiter, selon l’énergique expression de S. Bernard, en se privant de son chef et de son père, ne dégoûtait pas les habitants des autres cités. Voici ce qu’ajoute Otton de Freisingen. « Ils ne veulent relever que d'eux-mêmes, ils affectent des goûts de liberté ; sous prétexte d’échapper à l’insolence des anciens pouvoirs, ils instituent un gouvernement popu-

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1  Otto mobena, Ilist. Laud. ad ann. 1154.

2 Otto Frising. Vita. Frid. n, 11-13.

3  Galv. Flamma. cap. 231, apud Puricel. num. 410.

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laire : les consuls ont remplacé les seigneurs. A peine si l’on pourrait trouver un noble, un baron, un descendant de famille souveraine, qui soit en état de résister à l’entrainement général. Entre toutes ces républiques, Milan occupe le premier rang... Il n’est guère que le Marquis de Montferrat, dans toutes ces régions, qui ne courbe pas la tête sous le joug des municipes. » Plusieurs autres, écrivains et des monuments irrécusables attestent également que la capitale de la Lombardie formait alors une sorte de démocratie, tempérée par quelques éléments oligarchiques.

 

   4. Maintenant écoutons encore Galvancus Flamma : « L’archevêque, appelant à lui Foulques de Landriano, André de Scabarotti, Simon de Curte, Albert de Gambari, alla dire à Barberousse que le comte d’Anghiera s’opposait à son entrée dans la ville. Pour couper court à cette difficulté, il promit de livrer le comte, à la condition qu’on lui laisserait la souveraineté temporelle d’une ville dont il était déjà le chef spirituel. La proposition plut au prince, et dans la réalité cette machination amena le renversement de la république milanaise. » Rien de tout cela n’est vrai : pas de conspiration ourdie par l’archevêque, pas de comte livré à l’empereur, pas de changement dans l’état politique ; aucune autre cause de conflit, si ce n’est celle que nous savons, à laquelle s’ajoutera bientôt l’intrusion d’un antipape. Ni les frères Morena, ni les autres historiens de l’époque, Corius, Sigonius, Calchus, ne font mention de cette intrigue ; d’où Puricelli conclut avec raison qu’elle est purement imaginaire. Impossible, en effet, que les deux premiers eussent gardé le silence sur une telle révolution ; or ils n’y font pas même une allusion quelconque. Le dernier, Tristan Calchus, nie d’une manière formelle que le comte d’Anghiera ait jamais été maître de Milan. C’est sur cette fable néanmoins que repose l’histoire du couronnement de Frédéric dans l’église de Saint-Ambroise. Flamma termine ainsi son récit : « L’empereur fut alors couronné hors des murs de la ville, dans la basilique de l’immortel docteur et saint pontife Ambroise. Hubert de Pirovano présidait à la cérémonie, et le comte d’Anghiera posa la couronne sur le front du monarque germain. » Ici l’invention se complique d’une contra-

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diction flagrante: quelques lignes plus haut, on dit que l’archevêque avait promis de livrer le comte à Frédéric son ennemi mortel ; et maintenant c’est ce même comte qui reçoit la mission de couronner Frédéric. Mais, ce qui dépasse toutes les limites de l’absurde, c’est que Sigonius et Puricelli lui-même, qui fait si bien justice de cette fabuleuse narration, admettent l’un et l’autre le fait du couronnement 1. Sans doute on trouve tout cela dans la fameuse chronique intitulée La Fleur des fleurs, mais avec tous les caractères d’invraisemblance que nous avons relevés. Affirmons-le donc sans crainte, ce n’est pas à Milan, ni dans l'année 1154, c’est à Pavie, et dans le courant de l’année suivante, que fut une première fois couronné comme roi de Lombardie Frédéric Barberousse.

 

   5. Son entrée en Italie est marquée par un événement qui nous montre à la fois son imprévoyance et sa politique. Otton de Freisingen rapporte ainsi cet incident doublement remarquable : « Les soldats allemands traversant les gorges des montagnes, et ne pouvant se procurer les choses nécessaires à la vie, ce qui constitue la pire des situations pour une armée, avaient dépouillé plusieurs sanctuaires sur leur chemin. Bien qu’ils eussent, semblait-il, une excuse dans l’extrême nécessité, le roi ne voulut pas encourir l’odieux d’une telle profanation. Pour la réparer, il donna l’ordre de faire une collecte dans toute son armée. La somme recueillie fut assez importante ; on la remit aux évêques de Trente et de Brixen, qui devaient la répartir entre les églises et les monastères dont les possessions avaient souffert du passage de nos troupes2. » Pendant son séjour à Roncaglia, le roi d’Allemagne ne dissimula pas son indignation ni ses projets hostiles contre Milan. Cette ville avait ajouté de nouveaux sujets de plainte, prétendait-il, à ceux qu’il avait déjà contre elle. Les deux consuls de Milan, Hubert d'Otto et Gérard Niger, s’étaient rendus auprès de lui, dans le but d’apaiser sa colère et de justifier leurs concitoyens. Vaine tentative ; il leur enjoignit de quitter son camp. C’était une déclaration de

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1. Flos florum, chron. cap. 141 ; — Puricel. num. 4H. 2. Otto Frisixg   Yita Frirl. u, 14.

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guerre, et les effets suivirent de près. Un corps d’élite de cinq cents cavaliers mit en déroute les Milanais réunis à la hâte et s’empara de Rosato. Les vaincus perdirent courage dès ce premier échec ; il renvoyèrent au monarque leur consul Gérard : Barberousse demeura sourd à leurs prières et s’avança jusqu’au Tessin, laissant derrière lui la ville elle-même. C’est sur les bords du Tessin que les Allemands célébrèrent la fête de Noël de l’année 1154. Bientôt après ils passèrent le fleuve et se dirigèrent sur Verceil et Turin. Cette marche était bien décidément celle d’une armée conquérante, disons mieux, une invasion de barbares, semant partout sur ses pas le pillage et la dévastation. Plusieurs villes furent renversées de fond en comble, quelques-unes pour ne jamais se relever. Dans les premiers jours du mois d’avril de l’année suivante, les hordes teutoniques se portèrent au sud du Pô, mirent le siège devant Tortone, la réduisirent à la dernière extrémité ; et, pour se venger de son héroïque résistance, la livrèrent à l’incendie. Quand cette ville ne fut plus qu’un monceau de cendres, le conquérant se replia sur Pavie, qui se bâta de lui ouvrir ses portes. Là se trouvait encore debout le palais des anciens rois lombards. Il y fit son entrée comme s’il venait recueillir leur héritage1. Il ne dédaignait aucune des grandeurs du passé. Chaque souvenir historique lui paraissait un échelon pour monter au trône de Charlemagne. Frédéric fut donc couronné dans l’église de Saint-Michel à Pavie 2, par l’évêque de cette ville, nommé Pierre Toscan, qui relevait immédiatement du Saint-Siège et que le Pape avait honoré du pallium.

 

   6. Ce n’était là qu’un  couronnement préliminaire. Celui qui devait lui conférer le titre d’empereur, dans le sens traditionnel et religieux de cette haute magistrature, ne pouvait avoir lieu que

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1. Ugiiel. Italiæ sacræ, tom. I ; — Otto Fiusing. Vita Frid. n, 16 — Sigomcs. I*rescia dans

2. Un poète contemporain décrit ainsi ce couronnement :

« Comiter exceptmn 6aucti Jliehaelis ad mdem,

Qua veterum fulgent antiqua palatia regum,

Producunt, nitidumque caput gemmante corona Cingitur, et sceptro decorat.ur dextera sncro. »

Gcntii. Lig. in Fr id. Lib. ni.

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dans la ville des Césars, et de la main du Souverain Pontife. A son départ de la Germanie, le candidat impérial comptait trouver Anastase IV sur la chaire de Saint-Pierre; mais, tandis qu’il s’était attardé dans ses excursions guerrières à travers les provinces du Nord, Adrien IV était devenu le successeur d’Anastase. Frédéric n’en continua pas moins de marcher vers Rome, où son couronnement définitif et solennel sera célébré le 11 juillet de cette année 1155, dans la Basilique Vaticane. Avant de raconter cet événement, ilimporte à bien des égards d’exposer ceux qui le précédèrent. « Dès le commencement du pontificat d’Adrien, disent les Actes de ce pontife, l’hérétique Arnaud de Brescia avait eu l’audace, après tant d’anathèmes encourus, de rentrer dans la ville éternelle. Répandant avec plus d’ardeur que jamais le poison de ses fatales doctrines, il détournait les esprits du simple et droit chemin de la vérité. A l’exemple d’Eugène et d’Anastase, ses prédécesseurs, Adrien employait toutes les armes de la puissance spirituelle pour éloigner ce perturbateur public, cet implacable ennemi de la société chrétienne. Le succès était encore loin de répondre à la vigueur de ces mesures. L’autorité du Pontife-Roi recevait de continuelles atteintes, ou plutôt restait à peu près méconnue ; la même fermentation régnait toujours dans sa capitale. Sûr de la faveur de quelques citoyens pervers et de la plèbe inconsciente, appuyé par le sénat qui lui devait l’exisience, le fougueux tribun prolongeait impunément son séjour à Rome. Réduit parfois à se cacher, parfois et le plus souvent se montrant au milieu de la foule qu’il fanatisait par ses discours, il multipliait les embûches autour du pape et des cardinaux[1]. »

 

 

   7. Malgré ses nouvelles institutions républicaines, Rome avait toujours un Préfet, dont la charge pouvait être tout ou rien dans cet étrange amalgame, et qui flottait indécis entre le sénat et le pontife : espoir pour l’avenir, impuissante barrière dans le moment actuel contre le désordre. Un jour que le vénérable Gérard, cardinal-prêtre de l’église de Sainte-Pudentienne, se rendait auprès du

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1.        Acta Adriani mm. Pont, ad anû. 1155.

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Souverain Pontife, les séditieux l'attaquèrent sur la voie sacrée, le frappèrent avec une extrême violence et le laissèrent pour mort. Cet attentat sacrilège ne permit plus au Pape d’hésiter. De tels actes ne sont possibles dans une grande cité que par une sorte de complicité générale. Le moment était venu de porter à la révolte un coup énergique et décisif : les armes qu’il avait jusque là dirigées contre les sectaires, il n’hésita pas à les diriger contre la ville entière, il frappa Rome d’interdit. Les offices divins cessèrent dans toutes les églises. Un peuple profondément chrétien, qui plus que tout autre semblait vivre par la religion, se trouva tout à coup privé des cérémonies saintes, des chants solennels, de la parole évangélique, des sacrements qui font sa consolation et sa joie. On n’administrait que le viatique aux mourants et le baptême aux nouveau-nés, sans aucune pompe, comme à la dérobée. Un silence de mort planait sur cette population expansive et tumultueuse. Les monuments religieux étaient plongés dans le deuil. La malédiction s’étendait au sanctuaire domestique : dans chaque maison l’exercice de la prière était accompagné de larmes abondantes et de profonds soupirs. Ce spectacle, si terrible partout ailleurs, avait un caractère beaucoup plus effrayant dans la ville des Papes. Bientôt les Romains n’y tinrent plus ; les sénateurs eux-mêmes, pressés par le peuple et le clergé, dont au fond ils partageaient les sentiments, allèrent se prosterner aux pieds du Pontife, implorant leur pardon, s’en remettant à sa miséricorde. Ils firent serment sur le livre des Evangiles d’expulser Arnaud et ses partisans obstinés, après qu’on leur aurait offert de se réconcilier avec le Père commun des fidèles. L’engagement fut rempli et l’interdit levé, la quatrième féerie de la grande semaine, le mercredi saint. A cette nouvelle, des transports de joie, des chants d’allégresse, des élans de piété éclatèrent d’un bout à l’autre de Rome : c’était un débordement de bonheur et de vie, la résurrection de tout un peuple. Le lendemain, dès avant l’aurore, la population inondait les rues et se précipitait dans les sanctuaires, à Saint-Pierre surtout, assiégeant les tribunaux de la pénitence, pour recevoir la rémission des péchés et se préparer au banquet eucharistique. Elle augmentait de moment en moment

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par le nombre incalculable des pèlerins aspirant à la même grâce, allant accomplir le même devoir 1.

 

   8. Le glorieux pontife qui venait de terrasser la sédition et l’hérésie, quitta la cité Léonine, où la prudence l’avait retenu depuis son élection ; accompagné des évêques ses frères, de tous les cardinaux présents à Rome, d’une foule de grands seigneurs et de barons, il traversa la ville parmi les acclamations et les chants, s’ouvrant à peine un chemin au milieu des flots pressés de l’immense multitude, qui semblait moins l’escorter que le porter en triomphe : c’est ainsi qu’il prit possession de son palais de Latran. Aucun nuage ne vint obscurcir cette fête. Si le diadème pontifical brillait habituellement de l’éclat du feu, selon la parole d’Adrien lui-même, ce jour-là du moins et les jours qui suivirent, il eut le doux et pur rayonnement d’un bonheur sans mélange. Le Pape célébra dans la basilique du Sauveur les touchants mystères du Vendredi saint et ceux de la solennité de Pâques. Cette paix se prolongea quelque temps ; mais de nouvelles tempêtes n’allaient pas larder à la troubler. «Guillaume de Sicile, continue le livre pontifical, ne craignit pas de porter une main impie sur les biens et les droits de l’Eglise Romaine. Ce fils dénaturé, ce vassal infidèle levait insolemment le front contre son auguste mère et sa légitime souveraine. Sans motif réel, autre que son ambition et sa turbulence, il assemblait une armée et la jetait sur divers points du patrimoine de  Saint-Pierre. Il assiégea Bénévent, dont il ne put se rendre maître, mais dont il incendia les faubourgs. Entrant ensuite dans le riche territoire de la Campanie, il s’empara de plusieurs châteaux fortifiés, saccagea des villes sans défense. Devant de tels excès et d’autres encore, Adrien, dégaînant de nouveau le glaive spirituel, frappa le stupide tyran d’excommunication. «Une vieille chronique du monastère de Fosse-Neuve dans le Latium rapporte à cette même année l’incendie de Céprano, de Babuco et de Frosinone par les troupes de Guillaume.

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1.                  OTTo Frisixg. Vita Frid. h, 15.

[1] Acta Adriani sum. Pont, ad anû. 1155.

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