Ste Geneviève et Clovis

Darras tome 13 p. 537

 

   30. Au milieu des divisions et des vicissitudes politiques qui  troublaient alors le monde, la sainteté chrétienne formait comme  un centre d'union et de paix pour les âmes. On raconte que parmi les multitudes qui entouraient la colonne où Siméon Stylite passa les dernières années de sa vie mortelle, lorsque l'œil du solitaire découvrait quelques Gaulois, il leur demandait des nouvelles de la vierge des Parisii, Genovefa, et les chargeait à leur retour de le recommander à ses prières. L'humble bergère de Nemetodorum était devenue, depuis le passage d'Attila, le conseil et la patronne de ses concitoyens. Sous sa direction, ils élevèrent à la villa Catullacensis (Gatheuil) une église en l'honneur de saint Denys et de ses deux compagnons Rustique et Eleuthère. Les mi­racles se multipliaient sous les pas de Genovefa. Elle possédait au territoire Meldois (Meaux) un petit héritage qui lui venait soit di­rectement de sa famille paternelle ou maternelle, soit de la pieuse marraine qui lui avait donné l'hospitalité après la mort de ses pa­rents. La situation précise de ce bien patrimonial ne nous est plus connue. Faudrait-il le placer près de Juilly, où l'on trouve encore de nos jours une fontaine portant le nom de Sainte-Geneviève? Quoi qu'il en soit, les prodiges opérés sur le territoire de Meaux, durant les divers voyages de la sainte, ont été soigneusement en­registrés par l'hagiographe contemporain. Un paralytique recouvra l'usage de son bras desséché. La vierge Célinia, résolue de se consacrer au Seigneur, fut protégée contre les violences d'un jeune païen qui voulait l'épouser. Un defensor (avocat) de la ville de Meaux, nommé Frunimius, atteint depuis quatre ans d'une sur­dité qui avait résisté à tous les efforts des médecins, recouvra su­bitement l'usage de l'ouïe. Un jour, durant la moisson, un orage soudain menaçait d'inonder les récoltes. Geneviève pria et le ciel reprit sa sérénité. Sur la Seine, une tempête fut apaisée de même

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par l'intercession de l'illustre thaumaturge. Mais de tous ces pro­diges le plus éclatant fut une résurrection accomplie dans la cité des Parisii, sous les yeux d'une multitude immense. Un jeune en­fant de quatre ans était tombé dans un puits. Après trois heures d'inutiles recherches, on le trouva enfin et on le rendit mort à sa mère. L'enfant n'était pas baptisé; il devait recevoir le sacrement de régénération à la prochaine fête de Pâque. La mère infortunée courut déposer le corps inanimé de son fils aux pieds de Gene­viève. La sainte étendit sur lui son manteau, et se mit en prière. Agenouillée et fondant en larmes, elle suppliait le Seigneur de manifester sa puissance. Tout à coup l'enfant se réveilla comme d'un long sommeil et revint à la vie. Le ressuscité fut baptisé à la Pâque suivante et reçut le nom de Cellomer, parce qu'il avait re­couvré la vie dans la cellule de Geneviève. Le bruit de ce prodige grandit encore la renommée de l'humble vierge. Son crédit était sans borne non-seulement sur les chrétiens, mais sur les nombreux païens qui l'entouraient1.

 

    31. Le roi franc Ghildéric la comblait de faveurs. Depuis son retour d'exil (464), ce prince établi à Tomacum (Tournay) montrait une habileté politique, une prudence, un courage qui contrastaient singulièrement avec les erreurs et les fautes de sa jeunesse. Une reine des Thuringiens, Basina, païenne comme lui, abandonna sa patrie et vint solliciter l'honneur de son alliance. « Si j'avais connu, lui dit-elle, un prince qui eût plus de bravoure et de gran­deur d'âme, j'aurais été le chercher au delà des mers. » Ghildéric l'épousa; il en eut un fils qui fut nommé Ghlodwigh (Clovis). Loin de se mettre en hostilité avec Syagrius, fils du comte AEgidius ce patrice romain que les Francs lui avaient préféré et auquel ils avaient donné pendant huit ans le titre de roi, Childéric comprit que l'inté­rêt de sa nation non moins que l'avenir de sa dynastie exigeaient au contraire une alliance entre la civilisation de Rome et l'épée des Francs. Soit que cette vue politique fût aussi nettement dessinée dans l'esprit du prince qu'elle nous le paraît rétrospectivement à nous-

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1. Bollaud., Act. S. Genovef., tom. eu.

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mêmes, soit qu'elle fût seulement te résultat de ces nécessités du moment qu'on accepte comme fait sans les raisonner comme théorie, toujours est-il que la domination franque ne s'établit gra­duellement sur les populations gallo-romaines qu'à la faveur de ce compromis. Ghildéric ambitionna et obtint le titre de patrice de Rome. Il lui valut sur les Gaulois une influence que sa royauté barbare n'aurait pu seule lui garantir. En qualité de fédéré im­périal, il eut plus d'une fois l'occasion d'agir de concert avec Syagrius, dont la résidence était à Soissons et dont l'autorité s'é­tendait sur les provinces comprises depuis la Loire et la Somme jusqu'à la Meuse et à la Moselle. La cité des Parisii relevait encore de ce reste de Romanie conservé au milieu des Gaules. Childéric eut plus d'une fois l'occasion de la traverser dans les diverses expéditions qu'il faisait en compagnie de Syagrius contre les Visigoths, les Saxons et les Allemands. « Je ne saurais, dit le biographe de sainte Geneviève, énumérer tous les témoignages de vénération qu'il donnait publiquement à l'illustre vierge. Un jour, revenant avec un grand nombre de prisonniers dont il avait juré la mort, il entra dans la ville. Geneviève en était absente. Le roi, qui connais­sait la charité de l'illustre vierge, se doutait qu'elle viendrait solli­citer la grâce des captifs. Pour se soustraire à ses instances, il fit fermer les portes, avec défense de les ouvrir à qui que ce fût. Cette précaution devait être inutile. Quelques heures après, Geneviève se présenta aux portes fermées qui s'ouvrirent d'elles-mêmes, sans que personne touchât ni aux verrous ni aux serrures. La vierge courut près du roi et obtint la grâce des prisonniers 1. »

 

32. Ghildéric mourut à Tournai 2 en 48I. Glovis n'avait encore que quinze ans. Malgré sa jeunesse, il fut élu par les Francs et porté sur le pavois. La royauté chez ces peuples encore barbares étant exclusivement un commandement militaire, se conférait par l'élection. La transmission héréditaire ne vint que plus tard. Le

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1. Bolland. Act., S. Genovcf., 3 jan.

2. L'an 1653, on découvrit dans l'enceinte actuelle de cette Tille, à sept pieds de profondeur, un tombeau qui fut bientôt reconnu pour être celui de Childéric. On y trouva, entre autres objets précieux, des pièces d'or à l'ef-

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jeune fils de Childéric et de Basine avait sans doute manifesté de bonne heure les instincts belliqueux et le caractère énergique qui devaient dans l'avenir fonder la monarchie française. A la bra­voure de sa race, il joignait une prudence et une finesse déjà re­marquables. Ses états paternels limités à l'est par la cité de Tongres, au midi par l'antique Cameracum (Cambrai), à l'ouest par les plaines des Atrebates (Arras) et celles des Soissonnais, étaient bornés au nord par les autres peuplades franques ayant chacune un chef ou roi particulier et indépendant. Clovis et sa tribu repré­sentaient donc l'avant-garde des Francs campés à la frontière des Gaules, avec l'espoir d'occuper bientôt tout le pays. Ce n'était pas seulement leur épée qui devait soumettre tant de nou­veaux territoires. Bien qu'ils fussent encore païens, ils se mon­traient plus sympathiques aux populations gallo-romaines que tous les autres barbares. Euric, le roi visigoth de Toulouse, avait commis au nom de l'arianisme tant de cruautés que son nom n'était prononcé qu'avec horreur. Il mourut en 484, laissant à son fils Alaric II un héritage de haines irréconciliables. Gondebaud

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figie des empereurs Valentinien, Marcien, Léon le Thrace et Zenon; deux cents pièces d'argent fort endommagées. Les os du squelette mesuraient cinq pieds et demi de haut. Ils étaient accompagnés d'un globe de cristal, de petits instruments en or massif, d'un stylet de fer dans un étui d'or avec des ta­blettes. Une tête de bœuf était mêlée à ces débris, parmi lesquels on remar­quait en grand nombre des abeilles d'or qui avaient dû, selon toute apparence, être attachées à la cotte d'armes du roi franc et sur la housse de son cheval; une fibule, des agrafes, des crochets, des boucles, quelques ornements d'un baudrier et d'une bride, le tout en or massif, avec une infinité de rubis qui y étaient enchâssés. Parmi les nombreux anneaux d'or trouvés dans le tom­beau, on découvrit un cachet ciselé représentant les traits de Childéric. Il a le visage entièrement rasé. Sa chevelure longue et tressée se sépare au mi­lieu du front et est rejetée en arrière. Il tient un javelot à la main droite. Autour de la figure, ou lit en caractères romains, Childericus. Tous les objets trouvés dans le tombeau de Childéric furent d'abord transportés à Vienne. L'empereur Léopold en fit plus tard présent à l'électeur de Cologne, qui les offrit à Louis XIV. C'est ainsi qu'ils sont passés au cabinet des médailles de la Bibliothèque de Paris, puis au Musée des Souverains. Le tombeau de Childéric renfermait aussi le squelette d'un cheval : ce qui prouve que les Francs conservaient encore à cette époque l'ancien usage d'enterrer les illustres guerriers avec leur cheval de bataille.

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non moins cruel avait pris à tâche de faire pénétrer chez ses Burgondes le même fanatisme arien. De toutes parts, les peuples opprimés faisaient des vœux contre ces tyrans et laissaient entre­voir leurs sympathies pour la nation franque. Grégoire de Tours exprime à merveille ce sentiment encore timide et confus. « Bien que la terreur des Francs, dit-il, retentît déjà dans ces contrées, tous désiraient ardemment leur règne 1. » Sur les limites septentrionales de la Burgondie, plus particulièrement à Langres et aux environs, des mouvements secrets avaient lieu pour leur livrer ce pays. Aprunculus, évêque des Lingons, fut soupçonné de prendre part à ces manœuvres. Gondebaud en conçut de l'ombrage et de la colère. Sa haine croissant avec la terreur, il donna l'ordre d'arrêter l'évêque et de lui trancher la tête. Averti à temps, Aprunculus s'échappa durant la nuit de la ville de Divio (Dijon) en se faisant glisser au bas des murailles, et vint se réfugier chez les Arvernes. Sidoine Apollinaire accueillit dans sa demeure le vénérable pros­crit. En apprenant de sa bouche tout ce qu'on disait du peuple franc, il partagea les espérances que concevaient alors la plupart des évêques du nord de la Gaule 2.

 

   33. Saint Remi était du nombre. A la nouvelle que le jeune  Clovis venait d'obtenir de l'empereur Zenon le titre déjà porté par Childéric de patrice romain dans les Gaules, il lui écrivit cette lettre : « Au seigneur illustre et magnifique roi Clodoveus (Clo­vis), Remi, évêque. — Une grande nouvelle nous arrive. Vous venez d'être placé à la tête des armées franques. Nul ne s'étonnera de vous voir ce que furent vos pères. Il importe tout d'abord de répondre aux desseins de la Providence qui récompense votre mérite en vous élevant au comble des honneurs, et c'est ici l'occasion de justifier le proverbe : La fin couronne l'œuvre. Prenez pour con­seillers des personnes dont le choix fasse honneur à votre dis­cernement. Soyez prudent, chaste, modéré ; rendez honneur aux évêques et ne dédaignez pas leurs conseils. Tant que vous vivrez

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1 S. Grog. Turon.j Hist. Franc, lib. II, cap. xxill; Pair. M., tom. LXXI, col, 222. — 2. Cbaix, Sid. Apollin., tom. II, pag. 345, 346.

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en bonne intelligence avec eux, les affaires de l'État seront en prospérité. Élevez l'âme de vos peuples, soulagez les veuves, nourrissez les orphelins. Plus tard ils vous serviront, et de la sorte vous conquerrez l'amour de ceux-mêmes qui vous craignent. Que la justice soit dans votre cœur et sur vos lèvres, que nul ne puisse sous votre règne se promettre à force de présents la dépouille du pauvre et de l'étranger. Que votre prétoire soit ouvert à tous, et que
la plus humble requête y soit écoutée. Vous possédez maintenant la puissance qu'eut votre père, servez-vous-en pour délivrer les captifs et consoler les opprimés. Rappelez-vous qu'à votre audience nul ne doit s'apercevoir qu'il est étranger. A vos plaisirs et à vos jeux appelez, si vous voulez, les jeunes gens de votre âge, mais ne traitez les affaires qu'avec les vieillards. C'est ainsi que vous régnerez glorieusement 1. »

   34. Clovis se montra docile à ces exhortations et répondit aux espérances que son avènement faisait naître. Sa première entreprise fut concertée avec une habileté vraiment extraordinaire. Depuis la chute de l'empire romain d'Occident, Syagrius qu'on appelait en Gaule roi des Romains ne relevait plus d'Odoacre et encore moins de l'empereur Zenon, auquel il ne songeait même pas. Clovis, avec sa finesse de barbare, saisit du premier coup d'œil ce qu'une telle situation avait d'anormal. En se faisant délivrer par l'empe­reur Zenon un brevet de patrice et le titre de maître des milices impériales dans les Gaules, il prétendait avoir entre les mains non pas un parchemin honorifique, comme celui de Childéric son père, mais une véritable cession de territoire» En 486, il envoya sommer Syagrius de le reconnaître pour lieutenant de l'em­pereur de Constantinople. Le patrice romain, fort étonné d'un pareil message, ne sut que répondre. Clovis sur son refus lui fit dire : «Sache que tu n'as aucun droit ici. Choisis toi-même le lieu où tu voudras me combattre et te faire vaincre. » Le gant ainsi jeté, Clovis dont la tribu ne pouvait armer que six mille hommes fit appel aux autres peuplades franques. Deux seulement consenti-

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1.  S. Reraig., Episi. n; Pat*. M., tom. LXV, col. 9C6.

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rent à le seconder : celle des Ripuaires établis à Cologne et qui reconnaissaient Sigebert pour chef, et celle de Ragnacaire à Cam­brai. Cararic, chef des Morins cantonnés à Térouannc, refusa pour son malheur de prêter l'appui de ses armes au roi des Saliens. La bataille eut lieu près de Novigentum (Nagent) 1, à douze kilomètres de Soissons (486). L'armée de Syagrius fut taillée en pièces. Le roi des Romains parvint à échapper au carnage. Il s'enfuit à Tou­louse près d'Alaric II. Mais Clovis revendiqua son captif. Alaric eut la lâcheté de le livrer au jeune vainqueur, qui lui fit trancher la tête. Ce premier succès doublait les états du fils de Cbildéric. Il se vit d'un seul coup maître du Soissonnais, de l'Artois et d'une partie de la Champagne. Fidèle aux recommandations de saint Remi, Clovis attachait le plus grand prix à gagner à sa cause le clergé catholique dont il comprenait la mission sainte et la salu­taire influence. Il évitait de passer avec son armée dans les grandes villes dont il avait reçu la soumission. C'était le seul moyen de sauver du pillage les couvents et les basiliques où la piété des fi­dèles avait entassé d'immenses richesses. Cependant une des églises de Reims ne put échapper à la rapacité d'une bande de maraudeurs francs. Dans leur butin, se trouvait un vase sacré d'une grandeur et d'une beauté singulières. Saint Remi, instruit du fait, députa vers Clovis pour réclamer le vase. Charmé d'être agréable à l'évêque, le roi dit aux envoyés : « Venez avec moi à Soissons, et si je retrouve l'objet ravi, je vous le rendrai. » On ne tarda pas à découvrir le vase précieux parmi les dé­pouilles rassemblées sous une tente, au milieu de la place pu­blique. « Mes braves compagnons, dit Clovis, il ne vous sera pas désagréable que je prenne ce vase, pour le rendre aux gens qui le réclament. » Les officiers et les soldats s'écrièrent alors : « Com­ment! ne pouvez-vous le prendre sans le demander? N'êtes-vous pas le maître, et ce que nous avons ne vous appartient-il pas? — Non certes, dit un guerrier brutal et jaloux, vous ne prendrez ce

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1 Nogent-les-Vierges, ainsi nommé d'une ancienne abbaye établie plus tard en ce lieu, est maintenant un village de l'arrondissement de Senlis (Oise).

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vase que si le sort vous le donne. » Et d'un coup de francisque il le brisa. Clovis garda le silence, prit les débris et les rendit aux envoyés de l'évêque 1. Un an après, comme il passait en revue les Francs dans un Champ-de-Mars (assemblée annuelle des guerriers), il reconnut le soldat dont l'audace grossière avait invoqué la loi du partage. « Il n'est pas, dans toute la tribu, d'armes plus mal tenues que les tiennes, lui dit-il; ta lance, ton épée, ta francisque accusent ta négligence et ta lâcheté. » Et lui arrachant sa hache, il la jeta à terre. Le soldat se baissa pour la ramasser; mais Clovis levant soudain la sienne, lui fendit la tête : « Voilà, s'écria-t-il, ce que tu as fait au vase de Soissons ! » Cette sanglante exécution faite de la main d'un roi répugnerait à nos mœurs actuelles. Elle ne parut alors que sévère, et mieux que toutes les lois elle apprit aux vainqueurs à ménager les vaincus.

 

   35. Après la bataille de Nosent, Clovis fit reconnaître sa domination sur tout le pays situé entre la Seine, la Marne, l'Aisne et l'Ourcq. Cette contrée, la première soumise à son sceptre, prit dès lors le nom d'Ile des Francs (Ile de France). Mais le jeune prince fut arrêté dans ses conquêtes par les confédérés de l'Armorique. II éprouva de leur part, et notamment dans la cité des Parisii, une résistance dont les historiens fixent la durée à dix ans. La confédé­ration armoricaine s'était formée depuis la chute de l'empire entre les villes gallo-romaines des provinces qui formèrent ensuite la Bretagne, la Normandie et le Berry. Abandonnées à leurs propres forces, les cités s'administraient elles-mêmes par des comtes ou gouverneurs électifs et se prêtaient un mutuel secours contre les invasions des barbares. Les Parisii venaient d'entrer dans cette ligue. La situation de leur ville se prêtait à une défense énergique. Renfermée complètement dans l'île de la Cité et par conséquent entourée d'eau de toutes parts, elle était de plus fortifiée par des

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1 Tel est le récit des auteurs contemporains. Des écrivains modernes, ja­loux de prouver qu'il existait uue égalité parfaite entre le chef et les sujets, ont dénaturé cet événement. Pour faire triompher leur théorie, ils ont passé sous silence l'incident essentiel : c'est que le vase, quoique brisé, fut rendu aux envoyés de saint Remi.

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murailles et des tours. Clovis n'ayant point de bateaux et ne pou­vant en construire au milieu des attaques incessantes des confédérés, désespéra de la prendre d'assaut et se résolut à en faire le blocus.
Les habitants ne tardèrent point à sentir les horreurs de la famine.

 (Ste Geneviève)

Ce fut alors que Geneviève se dévoua une fois encore pour sauver ses concitoyens. « La disette en était venue à une telle extrémité, dit son biographe, que l'on trouvait dans les rues des hommes, des femmes, des enfants morts de faim. Geneviève fit équiper une flottille de onze barques, remonta la Seine, parvint jusqu'à l'em­ bouchure de l'Aube, et naviguant sur cette rivière arriva à l’oppidum Arciacense » (Arcis-sur-Aube), où elle comptait trouver assez de grain pour remplir ses embarcations. Le tribun qui gouvernait alors cette petite cité se nommait Pascivus. Il accueillit la noble vierge et lui facilita les moyens de s'approvisionner. La femme de Pascivus était depuis plusieurs années atteinte d'une paralysie incurable. Le tri­bun et les principaux habitants la présentèrent à la thaumaturge. Geneviève traça le signe de la croix sur l'infirme, qui se leva aussitôt parfaitement guérie. Pour compléter le chargement de sa flottille, Geneviève dut se rendre jusqu'à la cité des Tricasses (Troyes). Vrai­semblablement le voyage se fit par terre. La réputation de Geneviève l'avait précédée dans la ville épiscopale de saint Loup. « Une multi­tude immense vint à sa rencontre, reprend le biographe, on exposait les malades sur les deux côtés de la route. La vierge les bénissait et ils étaient guéris. Dans l'intérieur de la ville, on lui présenta deux aveugles. Le premier était un homme que la vengeance divine avait frappé d'une cécité soudaine, un dimanche où sans respect pour la loi du repos il travaillait à des œuvres serviles. L'autre était une jeune fille de douze ans, qui n'avait jamais vu la lumière. Geneviève invoqua sur eux le nom de la sainte Trinité et leurs yeux s'ouvrirent. Témoin de ces merveilles, un sous-diacre lui présenta son fils qui depuis dix mois était consumé par la fièvre. Geneviève se fit apporter une coupe remplie d'eau. Elle la bénit et la fit boire au malade, qui recouvra instantanément la santé. La population entière se pressait autour de la thaumaturge. Les ma­lades qui ne pouvaient arriver jusqu'à elle se faisaient apporter las
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franges arrachées de son manteau, et en les recevant ils étaient guéris. » Après que l'objet de sa mission fut accompli, Geneviève revint à Arciacum. Elle y demeura quelques jours pour faire charger ses navires. « La paralytique qu'elle avait guérie s'était attachée à ses pas. Elle l'accompagna jusque sur le bateau où la vierge montait pour retourner dans la cité des Parisii. Durant la traversée, un vent furieux jeta la flotille à la côte. Le danger était imminent; déjà l'eau pénétrait dans les barques. Geneviève étendant les bras vers le ciel pria le Seigneur. Soudain le vent cessa, les embarcations se redressèrent et reprirent d'elles-mêmes leur route. Le prêtre Bessus, qui accompagnait la bienheureuse vierge s'écria en empruntant le langage de l'Écriture : Adjutor et protector factus est nobis Dominus in salutem1   Et tous les nautoniers chantèrent en chœur l'hymne de l'Exode, glorifiant Dieu qui venait de les sauver par l'intercession de sa servante Geneviève 2. » De retour à Paris, la thaumaturge y ramena l'abondance. Clovis ne devait pas prendre la cité de Lutèce. Geneviève avait prédit que les barbares n'y mettraient pas le pied. Sa prédiction, déjà réalisée sous Attila, devait également s'accomplir pour le roi des Francs. « La vierge, dit le biographe, voyait aussi clairement dans l'avenir que dans le présent. » Loin d'être l'ennemie de Clovis, elle priait pour sa con­version, parce que les portes qui se fermaient au Sicambre païen devaient s'ouvrir d'elles-mêmes au premier roi chrétien des Francs 3.

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1.  Dans l'ancienne version italique qu'on suivait alors dans les Gaules, on lisait : Adjutor et protector fuctus est mihi in salutem. (Exod., Fortitudo et laus mea Dominus; et factus est mihi in salutem.XV, 2.) Aujour­
d'hui on lit dans la Vulgate :

2.  Bolland., Vit. S. Genovef., 3 ,jan.

3. Nous croyons devoir avertir le lecteur que nous suivons pour l’ordre chronologique le système du savant et regrettable abbé Saintyves, le plus
érudit des historiens de sainte Geneviève. (Cf. SaiDtyves, Vie de sainte Geneviève, patronne de Paris, in-8», 1846.)

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