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28. Nous ne prolongerons pas ces citations toutes empruntées à des écrivains orientaux, lesquels connaissaient très-certainement la Vie de Constantin par Eusèbe. On remarquera leur attitude si ferme, si consciencieuse, si énergique. Ils repoussent unanimement comme une fraude arienne le récit du baptême de Nicomédie. Mais ce qui n'est pas moins significatif, aucun d'eux ne fait retom-ber sur Eusèbe de Césarée la responsabilité de cette fraude. Nicéphore Calliste en particulier prend la peine d'énumérer tous les auteurs grecs qui l'ont accueillie dans leurs ouvrages ; il en reproduit les paroles textuelles; cependant il ne nomme pas même Eusèbe de Césarée, dont le texte eût été à lui seul plus décisif que tous les autres réunis. C'est là une singularité qui mérite notre attention et qui peut nous mettre sur la voie d'une véritable révélation historique. Le récit du baptême à Nicomédie, tel que nous l'avons reproduit d'après la leçon actuelle de la Vie de Constantin par Eusèbe, est-il bien réellement de cet auteur? La question vaut la peine d'être sérieusement étudiée. Eusèbe, au livre VIe de son Histoire Ecclésiastique, chapitre XXXIV, nous apprend que Philippe l'Arabe fut le premier empereur chrétien ; qu'en se soumettant à la pénitence qui lui fut imposée la nuit de Pâques, dans l'assemblée des fidèles d'Antioche, il donna un solennel exemple de foi et de crainte de Dieu. Or le récit du baptême de Nicomédie renferme une contradiction flagrante, palpable, outrageante même, avec ces paroles authentiques de l'historien de l'Église. « Les cérémonies
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1. Niceph. Callist., Eccles. Bist., lib. VIU, cap. uy, Patr. grtec.iouy. GXiVI, col. an.
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saintes s'achevèrent, dit le chroniqueur de Nicomédie. Et ainsi seul d'entre tous les empereurs qui avaient existé dans la suite des âges, Constantin fut régénéré par le sacrement du Christ. Ko! s^ [iôvo; tûv iÇ aiûvoc aÛTOVtpaTÔpwv Kwvotovtîvoc jrp'îro' (jtapTvpioi; àva-yt/vûiuvoC ètsJ.eioùTo, 6£Î<»;-te ffçpa-yïoo; àÇioûjtevoc 1. On remarquera qu'il ne s'agit point ici du rôle officiel d'empereur chrétien mettant le premier sa puissance au service de la foi de Jésus-Christ. Le chroniqueur spécifie très-nettement son appréciation et la restreint à ce point de vue exclusif que seul entre tous les empereurs qui avaient existé dans la suite des âges, Constantin aurait reçu le sceau du baptême divin. La main qui a écrit ce témoignage peut-elle être la même qui avait déclaré dans l'Histoire Ecclésiastique que l'empereur ro-main, Philippe l'Arabe, était baptisé ; qu'il remplissait ses devoirs privés de chrétien et qu'il fut admis après sa pénitence à la parti-cipation du sacrement aux fêtes pascales dans l'Église d'Antioche? Eusèbe de Césarée ne nous a point habitués, dans le cours de son Histoire, dont toutes les pages ont successivement passé sous nos yeux, à de telles inconséquences. Mais enfin cette contradiction, si grave qu'elle soit, peut lui être échappée par inadvertance. La faiblesse humaine entraîne bien d'autres méprises. Pardonnons-lui donc celle-ci. Il est possible qu'entre la composition de l'Histoire Ecclésiastique et celle de la Vie de Constantin, il se fût écoulé un long intervalle. La mémoire de l'auteur lui aura fait défaut. Soit. Mais le récit du baptême présente avec les autres chapitres de la Vie de Constantin des contradictions plus grossières encore et bien autrement importantes. Ainsi le chroniqueur de Nicomédie fait dire à Constantin avant son baptême : « Si Dieu, l'arbitre souverain de la vie et de la mort, daigne prolonger mes jours, j'aurai dans l'avenir la joie de me mêler à son peuple et d'être admis dans l'Église à la participation des prières avec tous les autres fidèles 2. » Or deux pages auparavant, voici ce que nous lisons dans cette même Vie de Constantin : « L'empereur, au retour de son
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1. Vit. Constant., lib. IV, cap. lui. Cf. § 24 de ce chapitre» — 2. Vit. Cottt» tant., lib. IV, cap. un. Cf. §24 de ce chapitre.
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expédition contre les Perses, célébra la grande solennité de Pâques avec tous les fidèles, et passa au milieu d'eux la nuit en prières. » "H8y] fi' î| (iCyâXii toO Ilâaya. zopiii ïtapîjv, èv •{ o |3a<jiXsi; rû> 6ey Ta; lvy[àz arcoSiSoi;,. ouvSiavuxTÉpeuus toî; a»oi; '. En vérité, après cette mention explicite de l'assistance de Constantin dans l'église au milieu des fidèles, participant à leurs prières durant toute la nuit de Pâques, où l'on célébrait, comme chacun sait, les divins mystères, que signifie ce prétendu vœu du prince mourant: «J'aurai la joie d'être admis dans l'Église à la participation des prières avec tous les autres fidèles? » Si la même main avait écrit, à deux pages seulement de distance, une pareille contradiction, il faudrait dire qu'Eusèbe n'avait plus son bon sens alors qu'il rédigeait la narration du baptême de Nicomédie. Une remarque grammaticale que nous devons faire ici a son importance. Eusèbe, en parlant des empereurs romains, se sert toujours du mot Basileus, seule expression usitée de son temps. Le chroniqueur du baptême de Nicomédie emploie le terme d'autocrator, désignation beaucoup plus récente introduite par le servilisme byzantin. Ce n'est là qu'un détail, si l'on veut, mais aux yeux de toute saine critique il ne laisse pas d'avoir une signification considérable. Voici comment s'exprimait Eusèbe de Césarée dans un éloge de Constantin prononcé devant le prince à la fête des tricennales: « Notre empereur chéri de Dieu, puise sa force aux sources de la grâce céleste, il a attaché son nom à la phalange divine; voilà le secret des prospérités de son règne. Au lieu des sanglants sacrifices de ses prédécesseurs, il a appris à immoler la seule victime digne de Dieu ; cette victime que le souverain devenu notre commensal, Basileus ô émédapos, offre dans le sanctuaire d'une âme purifiée, gouvernant son esprit selon les règles de la piété dans la rectitude des dogmes infaillibles ; c'élébrant la gloire de Dieu par un langage plein d'élévation ; conformant sa vie royale à la loi divine ; tout entier dévoué à Jésus-Christ, et lui offrant son cœur comme les prémices de l'univers qu'il veut mettre à ses pieds 2. » Voilà des paroles authentiques
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1. Vit. Constant., lib. IV, cap. lvu — 2. De Laudiàus onttantim, cap. M Pair, grœc, tom. XX, col. 1326.
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d'Eusèbe. Or le chroniqueur de Nicomédie prétend que ce fut seulement la veille de sa mort que Constantin fut muni du sceau divin 8£ia5 cfpafiSot; à|to'j[ji£vo; et admis à la participation des sacrements. La contradiction peut-elle être plus palpable? Ce n'est pas tout. Eusèbe de Césarée nous décrit, dans la vie même de Constantin, l'entrée solennelle de ce prince aux sessions du concile de Nicée. «L'empereur, dit-il, n'avait point son escorte ordinaire. Il n'était accompagné que de ceux de ses officiers qui faisaient profession de la foi de Jésus-Christ. Quand il parut dans cette auguste assemblée, tous les évêques se levèrent. On eût dit un ange du ciel. L'éclat de sa majesté, la splendeur de la pourpre, l'or et les pierreries qui parsemaient son manteau impérial frappaient moins les regards que sa modestie vraiment chrétienne, que la piété vive, l'amour de Dieu qui respiraient sur son visage 1. » Voilà encore des paroles authentiques d'Eusèbe. Cet historien fait lui-même la remarque que des chrétiens, faisant profession de la foi de Jésus-Christ, purent seuls être admis au concile de Nicée dont chaque session était précédée de la célébration des saints mystères. Eusèbe n'ignorait pas qu'un simple catéchumène, fût-il empereur, ne pouvait assister au sacrifice eucharistique. Il nous en fournit lui-même une preuve dans le récit des funérailles de Constantin, lorsqu'il nous montre Constance, son fils et son successeur, conduisant le deuil de son père. Constance n'était point encore baptisé, « aussi, ajoute Eusèbe, il se retira immédiatement de l'église avec ses soldats. Les ministres de Dieu et tout le peuple fidèle s'avancèrent seuls et accomplirent les cérémonies et les prières de la liturgie 2. » Qu'on essaie d'accorder tout cela avec le récit du chroniqueur de Nicomédie. Ou plutôt qu'on reconnaisse enfin que le récit du baptême in extremis de Constantin est réellement une interpolation arienne, introduite après coup dans l'œuvre historique d'Eusèbe. Telle est, après mûr examen, la conclusion légitime qui ressort pour nous de l'étude des faits et de la confrontation scrupuleuse des témoignages. S'il pouvait encore rester un doute, sur ce point, dans
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1. Vit. Constant., lit). 111. cud. i. — 2. Vit. Constant., lit). IV, cap. lïxi.
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l'esprit du lecteur. Qu'il veuille bien méditer les témoignages suivants, émanés de la bouche de Constantin lui-même. Immédiate-ment après le concile de Nicée, ce prince écrivit à tous les évêques d'Orient pour leur notifier la décision synodale relative à la célé-bration de la Pâque, le même jour, dans toutes les églises du monde. Or, voici en quels termes il s'exprime : « J'ai assisté en personne à cette auguste assemblée. J'y fus présent, parce que je suis comme vous serviteur de Jésus-Christ, et c'est un titre dont je me fais gloire. Il fut décidé que la solennité pascale ne serait plus célébrée nulle part suivant le calendrier juif, mais selon l'usage pratiqué dans la ville de Rome. Veuillez donc désormais vous y conformer vous-mêmes. Ainsi, lorsque j'aurai la joie de visiter vos églises et de parcourir vos cités, il me sera donné de célébrer cette grande fête en commun avec vous et le même jour où vous la solenniserez vous-mêmes 1. » A moins de ne pas se comprendre l'empereur ne pouvait mieux déclarer qu'il prenait dès lors en chrétien fervent sa part de la communion pascale. Mais ce n'est pas tout. Dans une lettre écrite quelques mois avant le concile de Nicée, il disait à propos de la controverse arienne : «Toutes ces discussions soulevées par vous ne sont que des pièges de Satan. Notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ vient d'étendre à tout l'empire le bienfait de sa lumière ; par une faveur spéciale de sa Providence, je suis devenu son serviteur et son adorateur dévoué. Laissez-moi donc achever l'œuvre que j'ai entreprise, de lui soumettre tous les peuples du monde. Cessez vos divisions, rendez-moi la tranquillité de mes jours et de mes nuits. Car je verse des larmes amères, quand je vois les fidèles d'un Dieu dont je suis moi-même le serviteur , déchirés par ces schismes regrettables 2. » C'est donc Constantin lui-même qui se proclame le «sunthérapon théou, le thérapeutes Xristou. Or, ces dénominations de « fidèle de Dieu, » de « serviteur du Christ, » n'étaient jamais données à de simples catéchumènes. Ces derniers n'assistaient point aux saints mystères et ne prenaient
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1. Theodoret., Hist. écoles.; Epist- Constantini Magni, lib. I, cap. IX; Patr. grœc, tom. LXXX1I, col. 934-9S5. 2.- « Epist. Constantini Magni Alexandre H Ario; Socrat., Hist. eccles., lib. I, cap. vil j Patr. grœc, tom. LX VU, col. 5S-Ï3.
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point part au festin eucharistique de la Pâque. Enfin et pour mieux démontrer l'impossibilité du baptême in extremis de Constantin par Eusèbe de Nicomédie, voici en quels termes le prince, dans une circulaire officielle, s'exprimait au sujet de cet évêque : « Quel est donc l'auteur de tant de troubles? N'est-ce pas cet Eusèbe, l'ancien complice des fureurs tyranniques de Licinius? J'ai entre les mains toutes les preuves de sa complicité, qui se tra-duisit par le meurtre de tant d'évêques et de fidèles, à l'époque de la persécution. Je ne veux point revenir sur les indignes attaques dirigées alors contre ma personne par ce misérable intrigant. Il me suffira de déclarer qu'il prêtait un concours énergique à mon adversaire. C'était lui qui payait des espions pour rendre compte de toutes mes démarches. Tout ce qu'on peut faire contre un ennemi, sauf de porter les armes, Eusèbe de Nicomédie l'a fait contre moi, en faveur de Licinius. Et qu'on ne dise pas que ce sont là des griefs imaginaires, des accusations sans preuves. J'en ai acquis la certitude de la bouche même des prêtres et des diacres qu'il employait alors à me nuire 1. » Voilà ce que Constantin le Grand pensait d'Eusèbe de Nicomédie. Et l'on voudrait nous faire croire que, dans une telle disposition d'esprit, ce prince aurait pu consentir à recevoir le baptême des mains d'un tel homme ! Nous le déclarons dans toute la sincérité de notre conscience, Cela nous paraît absolument impossible.
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1. Epitt. Conslantini adoerttit Butebium Wicomedientem., Theoderet, Bist. Eo ci**., Ilb. I, cap. xix ; Patr. grm, tom. citât., col. 962, 383.
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III. Licinius.
13. Constantin n'était plus en Occident, au moment où les évêques se réuniraient à Arles. Des complications politiques n'avaient pas tardé à surgir entre Licinius et lui. Après la défaite la mort de Maximin Daïa, l'empire ne comptait plus que deux maîtres. Ils auraient pu vivre en paix, chacun dans son domaine; mais la première condition pour que la paix fût stable eût été que le partage entre eux fût égal. Or Licinius, maître de l'Asie Mineure, la Syrie, la Palestine, l'Egypte, la Thrace, la Grèce
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et l’Illyrie, se trouvait avantagé d'un tiers au moins sur son impérial collègue. Constantin demanda qu'une répartition nouvelle, calculée dans des proportions plus équitables, fût réglée de concert. Licinius s'y refusa. Il mit dans sa réponse une fierté qui pouvait passer pour une provocation. Quelques semaines après, Constantin entrait en Pannonie avec une armée formidable. Licinius avait d'abord essayé contre son rival le moyen honteux d'une conjuration dont il avait soudoyé les poignards. La tentative échoua, et le héros pénétra sur le territoire ennemi, avant que des mesures plus sérieuses eussent été prises pour arrêter sa marche. Licinius ne manquait cependant ni d'audace, ni de talents militaires. Il réunit promptement ses légions et vint offrir la bataille dans la plaine de Cibalis, entre la Drave et la Save, à quelque distance de Sirmium. Le choc fut terrible et la lutte opiniâtre. Pendant une demi-journée (8 octobre 314), chacun des combattants garda ses positions, mais enfin l'aile droite de Constantin ayant réussi à faire reculer l'ennemi, opéra un mouvement de conversion sur son centre qui détermina la victoire. Licinius prit la fuite, traversa rapidement la ville ouverte de Sirmium, et franchit la Save sur un pont qu'il eut soin de faire couper immédiatement après le passage de son armée. Constantin le fit rétablir et poursuivit sans relâche les vaincus. La Mésie supérieure, la Dacie furent conquises. Déjà le labarum vainqueur flottait sur les tours de Philippopolis, capitale de la Thrace, lorsqu'un parlementaire se présenta au nom de Licinius et demanda la paix. Constantin accueillit favorablement le message. Il y mit cependant une condition. Depuis sa défaite à Cibalis, Licinius avait donné le titre de César à un personnage assez obscur, Valens, dont l'histoire n'a conservé que le nom. Le héros exigea, comme préliminaire de paix, la destitution préalable de cet aventurier. Licinius s'y refusa, et il fallut de nouveau recourir à la fortune des armes. Une seconde bataille eut lieu à Mardium entre Philippopolis et Andrinople. L'issue du combat ne fut point décisive. Cependant Licinius comprit qu'une lutte poursuivie et soutenue avec tant de vigueur aboutirait à sa ruine totale. Il fit décapiter Valens et reprit les négociations. Un traité définitif fut signé
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entre les deux empereurs. Constantin resta maître de l'Illyric, de la Grèce et de la Macédoine. Licinius ne conservait en Europe que la Thrace, la Mésie inférieure et la petite Seythie (décembre 31-i).
14. Il est rare qu'une paix subie par nécessité et imposée par une force supérieure soit de longue durée. Celle-ci persista cependant environ six ans. Les deux Augustes paraissaient réconciliés pour jamais. En 317, ils se concertèrent de bonne grâce pour élever leurs fils à la dignité de César. Crispus et Constantin le Jeune d'un côté, Licinianus de l'autre, furent revêtus de la pourpre et présentés aux armées. Ces jeunes princes, dont les deux derniers n'étaient encore que des enfants au berceau, furent désignés con-suls pour les trois années suivantes. Par une complète réciprocité de bons offices, Licinius voulut être le collègue du César Crispus et Constantin le Grand du César Licinianus. L'Eglise ne pouvait que gagnera cette impériale concorde. «Si le tronc du paganisme restait debout, dit M. de liroglie, chaque jour on frappait quelqu'un des rameaux parasites qui s'y étaient greffés et en avaient depuis longtemps absorbé toute la sève. Les superstitions privées, les sorcelleries, les magies pratiquées secrètement au foyer domestique, toutes ces cabales occultes qui étaient presque les seules parties vivantes du paganisme, parce que seules elles parlaient aux imaginations troublées, aux passions ardentes et crédules, se voyaient sévèrement proscrites. Constantin, en faisant revivre contre elles d'anciennes prescriptions légales tombées en désuétude, se procurait l'avantage de frapper l'idolâtrie au cœur, sans altérer les lois de l'empire 1. » Il est très-vrai, comme le dit l'illustre auteur, que la législation de Constantin se montrait alors favorable à la foi chrétienne. Mais il ne parait pas que la politique impériale ait en recours à l'arsenal des vieux décrets contradictoires, pour en extraire ceux qui pouvaient en ce moment lui convenir. Ainsi, le 31 janvier 320, Constantin abrégeait purement et simplement la loi Papia, qui prononçait conlre le célibat les peines les plus sévères. Il ne faisait revivre aucune prescription
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1. L'Église et l'Empire romain, toci.-I, pag. 309.
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légale en désuétude pour sanctionner cette mesure, dont le but était évidemment de protéger la virginité catholique. Ainsi encore il ne s'inspirait d'aucun précédent pour interdire aux aruspices, augures et devins, l'exercice de leur art dans les maisons particu-lières. Jusque-là cette pratique avait été si peu entravée qu'elle faisait en quelque sorte le fond de la vie domestique des païens. Constantin ajoutait à cette restriction une mesure également nouvelle, en ordonnant que le texte de tous les oracles, rendus officiellement dans les temples et autres lieux publics, serait transmis au conseil impérial. Une telle réglementation constituait une sorte de tribunal permanent, où la censure gouvernementale trouvait le moyen de restreindre le prétendu langage des dieux dans les limites de la convenance et du respect pour le pouvoir. On trouve la même indépendance chrétienne dans toutes les mesures sanctionnées, durant cette période, du règne de Constantin. Par une loi de l'an 314, il ordonne sous les peines les plus sévères, à ceux qui connaîtraient des personnes injustement retenues en servitude, d'en avertir les magistrats, pour qu'elles fussent immédiatement délivrées. Il proclame le principe, éminemment chrétien, que même soixante ans de servitude ne peuvent prescrire contre la liberté d'un homme. La grande question de l'esclavage, qui pesait alors sur la moitié du genre humain, devait attirer l'attention de l'empereur. L'affranchissement avait été environné, par les lois païennes, de formalités qui le rendaient rare et difficile. Il devait se faire en présence des préteurs et des consuls eux-mêmes. Constantin leva tous ces obstacles, en permettant d'affranchir les esclaves dans l'église, en présence du peuple chrétien et des évêques, n'y demandant d'autres formalités qu'une simple attestation, signée des ministres de l'Eglise (316). Il déclara, par une loi subséquente, que ceux qui auraient été affranchis de cette manière jouiraient pleinement de tous les droits de citoyens romains. Pour consacrer les usages chrétiens et les faire passer dans les habitudes générales, une loi nouvelle rendit obligatoire l'observation du dimanche par tout l'empire. Dès le temps des Apôtres, ce premier jour de la semaine, jour de la résurrection du
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Sauveur et de la descente du Saint-Esprit au Cénacle, était devenu le dies Dominica: «Jour du Seigneur. » C'était principalement en ce jour qu'on recevait et qu'on instruisait les catéchumènes. En ce jour, juifs et païens pouvaient assister aux instructions publiques de l'Église. Le décret de Constantin plaçait l'observation du dimanche sous la sauvegarde des lois. Les tribunaux devaient vaquer; on devait interrompre les travaux ordinaires. Il n'était fait d'exception que pour ceux de l'agriculture, qui sont parfois trop urgents pour qu'on les puisse différer : cette exception est encore consacrée par la discipline actuelle de l'Église. Interprète fidèle de tous les sentiments chrétiens, l'empereur n'usa point contre le paganisme de la violence que celui-ci avait déployée, durant trois siècles, contre la religion de Jésus-Christ. Il respecta l'erreur, dans l'espèce de droit que lui donnait un usage immémorial, et ne publia point d'édits de proscription contre elle. Il se contenta de défendre de consacrer de nouvelles idoles. Cette loi était accompagnée d'une autre qui ordonnait de rétablir les églises abattues pendant la persécution, de les augmenter, de les agrandir, ou d'en élever d'autres plus en rapport avec l'accroissement des fidèles. «Nous espérons, disait-il, que tous nos sujets embrasseront la foi du Dieu véritable. » Il voulait qu'on prît sur son domaine particulier les dépenses nécessaires pour ces constructions, sans rien épargner de ce qui pouvait être convenable à la majesté du grand Dieu qu'on y adorait. Toutes ces ordonnances étaient couronnées par la loi du 23 juin 318, qui permettait aux parties de décliner la juridiction des magistrats ordinaires, pour s'en rapporter au jugement des évêques. C'était inaugurer la magistrature des pontifes, que nous verrons dès lors devenir les juges de leurs peuples, comme ils en sont les pasteurs. Il nous paraît difficile de trouver, dans cet ensemble législatif, une analogie quelconque avec de vieilles lois romaines tombées en désuétude. Quoi qu'il en soit, les populations l'acceptaient avec empressement et reconnaissance. Elles se montraient heureuses de suivre la voie nouvelle qui leur était tracée. De toutes parts s'éievaient des églises en l'honneur du vrai Dieu. Les temples des
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idoles tombaient en ruines ; les troupeaux de bœufs, de génisses, de porcs et de moutons, broutaient les hautes herbes sous les portiques déserts, sans craindre le couteau du sacrificateur. L'opinion publique secondait la pensée impériale et parfois la devançait. Chez les Namnetenses par exemple, un édifice fameux dans toutes les Gaules, dédié à Bouljanus1, était renversé par les indigènes. Aucune loi n'ordonnait rien de semblable. Au contraire , dans une pensée de conciliation aussi habile que sage, Constantin avait prescrit de laisser subsister les temples païens. Il comprenait que leur isolement suffirait seul à discréditer l'idolâtrie. Loin d'imiter, à titre de représailles, les violences de Dioclétien et de Galérius, il croyait que les torches incendiaires n'étaient pas un bon moyen de gouvernement.